Masculin/Masculin. L’homme nu dans l’art de 1800 à nos jours.

victoriaayral

Mercure, Pierre et Gilles, 2001.

L’art est, depuis toujours, un moyen de transmettre et faire  passer des messages, ou d’interroger les spectateurs sur des thèmes de la vie quotidienne, mais aussi sur des problématiques plus complexes. Les musées, ou galeries organisent des expositions temporaires permettant de rassembler par thématiques, périodes artistiques ou artistes afin de pouvoir répondre à ces interrogations.  Masculin/Masculin, l’Homme nu dans l’art du XVIIIe ème à nos jours, est une exposition qui eu lieu entre le 24 septembre 2013 et le 12 janvier 2014 au musée d’Orsay à Paris, dirigé par Guy Cogeval, président des musées d’Orsay et de l’Orangerie, Ophélie Ferlier, conservatrice des sculptures au musée d’Orsay et Xavier Rey, conservateur des peintures au musée d’Orsay.  Cette dernière à l’intitulé provoquant met en exergue la rareté et la pudeur du nu masculin au sein d’exposition dédiée à ce sujet-même, en contre-balançant avec le nu féminin, qui, lui, s’expose de façon plus naturelle et régulière dans nos musées.  Pourquoi le nu masculin fut si rare dans l’histoire des expositions de 18000 à nos jours?  Dans un premier temps nous parlerons du nu masculin dans l’histoire de l’art du XVIIIe ème siècles jusqu’à notre époque tout en gardant comme fil conducteur l’exposition Masculin/Masculin de 2013, puis nous verrons l’importance de ces expositions au sein d’une population, et les changements qu’elles peuvent apporter. 

Le Berger de Pâris, Jean-Baptiste Frédéric Desmarais
Le Berger de Pâris, Jean-Baptiste Frédéric Desmarais, 1788.

Depuis le début des expositions, il ne fut pas rare d’en voir sur le nu féminin, qui généralement engendre plus de ferveur que le corps masculin. il a fallu attendre 2012, au musée Leopold Museum de Vienne, avec « l’histoire de la représentation de l’homme nu », pour avoir une rétrospective de la représentation du corps de l’homme nu sur une longue période en l’histoire de l’art. Suite à l’exposition « histoire de la représentation de l’homme nu » à Vienne, le musée d’Orsay s’est rendu compte de la faible représentation d’exhibitions sur la figure de l’homme, du moins de l’homme nu.  Il faut bien sûr, et avant tout faire une différence entre le nu et la nudité; la simple vision d’un corps dépouiller de vêtement, qui peut certes provoquer de la pudeur envers le spectateur est différent d’un corps en extase, remodeler afin de correspondre à un idéal de beauté académique, forgé selon la vision d’un artiste.  De nos jours, quand on parle de nu, c’est celui qui correspond au corps de la femme qui est évoqué en premier, héritage d’un XIXe siècle, qui avait tendance à l’ériger comme un objet de désir assumé par la gente masculine.  Mais ce ne fût, portant, pas toujours le cas, quelques siècles au paravent, le corps de la femme était moins mis en avant que celui de son homologue.  Depuis la Renaissance, le corps de l’homme était porté en tant que « norme du genre humain », avec un vision de ce dernier faisant part d’une virilité assumée, aux muscles saillants, héritage de l’art greco-Romain comme on peut le voir avec le Torse du Belvédère par exemple. Cette vision de la toute puissance de l’homme vient aussi, d’une culture judéo-chrétienne, avec Adam création de Dieu, et Eve qui n’est autre que sa copie, mais elle, est à l’origine du péché.  Au VXIIe siècle, les élèves sont formés à l’Académie royale, puis à celle des beaux-arts, avec des modèles vivants, uniquement masculin dû aux moeurs de cette époque, mais aussi par le fait qu’il correspondait à un idéal d’esthétisme, et ce jusqu’au XXe siècle, comme dans le tableau de Jean-Baptiste Frédéric Desmarais; Le Berger Pâris de 1788.    Au fil du temps cet idéal se transformera en concept de « héros », termes tout droit venus de l’antiquité, période qui suscite de l’admiration en histoire de l’art, avec cette image de demi-dieu. Cette notion de demi-dieu correspond aux valeurs du néo-classicisme, avec cette liaison entre le beau et le bien, mais aussi entre l’anatomie et la vertu. C’est au XIXe siècle, que le regard porté sur le corps changera, avec une approche plus « médicale » et « scientifique », approche qui bien évidemment apportera une autre conception sur le nu artistique. Cette nouvelle vision passe par l’image du « sportif », qui fascinera, et où la puissance du corps sera synonyme de virilité, comme représenté dans Vive la France de Pierre et Gilles, réalisée  en 2006.  Cette œuvre de Pierre et Gilles était à la base l’affiche de l’exposition Masculin/Masculin, mais cette dernière fut jugée trop provocante, car l’anatomie des joueurs de foot était trop fièrement exposée. C’est finalement le Mercure, de 2001, des mêmes artistes qui sera sélectionné, c’est une photographie d’un jeune homme, au corps musculeux, de trois-quart, dévoilant ses fesses.  Ce changement d’affiche montre aussi qu’il reste à faire du chemin sur la représentation et l’exposition d’un corps d’homme nu au prés d’un large public, car trop souvent stigmatisé et associé à l’homosexualité. Cette exposition a aussi pour but de normaliser le regard d’un homme, sur un nu masculin, tout en relevant le fait que cela n’influence en rien une orientation sexuelle.  Tout au long de l’exposition, on retrouve une figure emblématique du nu masculin, qui est celle de Saint Sébastien, et qui correspond aux bornes chronologiques concernées. Saint Sébastien est une figure religieuse, qui va devenir un prétexte pour représenter à la fois un corps en souffrance, mais aussi magnifié, tout en gardant une image de martyre. On le retrouve dans plusieurs tableaux, et notamment celui de de Georges de la Tour; Saint Sébastien soigné par Irène à la lanterne, peint vers 1649, une oeuvre qui vient du  musée des Beaux-Arts de Rouen, on y trouve un corps nu souffrant, où des femmes sont à son chevet, dans une ambiance très pieuse, alors que Saint Sébastien de Guido Réni, qui lui dégage une charge plus érotique, visible rien que dans la torsion du corps, et le regard lubrique de ce dernier. Avec cette figure on peut aussi remarquer l’hypocrisie autour de ce sujet, avec l’utilisation de sujets religieux afin de pouvoir représenter un homme plus ou moins vêtu. Au fils du temps, un regard plus décomplexé se posera sur le nu masculin, bien que tabou, et fera naître des oeuvres plus « culottées », comme a pu le faire Paul Cadmus, un artiste américain du XXe siècle, qui réalisera des oeuvres, où des hommes seront représenté nu dans leur intimité comme dans Le Bain de 1951.  Cette intimité fut longtemps gardée privée, mais ce décomplexera grâce à des artistes engagés qui n’hésiterons pas à révéler le secret des intérieurs privés au grand jour.

Arch of Hysteria, Louise Bourgeois, 1993.

Il faut savoir que l’exposition dirigée par Guy Cogeval s’est déroulée dans un contexte politique particulier, ce qui ne fut sans doute pas un hasard dans le choix du sujet concernant cette exposition.  En 2013, quand Masculin/Masculin fut présenté, l’homosexualité et ses représentations étaient sur le devant de la scène, notamment avec la loi pour le mariage pour tous qui suscitera de nombreuses réactions, toutes autant positives que négatives.  Il est donc intéressant de voir qu’un musée, aussi important et prestigieux que le musée d’Orsay, est sa part d’engagement et qu’il ne soit pas en dehors de la vie politique d’un pays, mais également que les commissaires d’expositions n’est pas peur d’aborder des sujets plus tabous dans les accrochages qu’ils proposent. Cette exposition va donc proposer un large panorama de la représentation du corps de l’homme en histoire de l’art, au travers un corpus de plus de 300 œuvres, touchant différents médiums artistiques tels que la peinture, la sculpture ou encore la photographie.  Le parcours proposé était thématique et non chronologique, en proposant des confrontations entre les périodes, et qui seront abordés au travers de l’esthétisme, de l’histoire,  de la sociologie, ainsi que de la politique.  Dans masculin/masculin, d’autre thèmes furent traités, plus légèrement, bien-sûr, car ils n’étaient pas le sujet central de cette dernière, mais sont tout de même représentés. Tout d’abord, le public a pu être surpris par le peu d’œuvres de femmes présentées, on en retrouve seulement quatre, dont l’artiste contemporaine ORLAN, qui proposera un tableau s’intitulant L’Origine de la Guerre, reprenant la peinture de 1866 de Courbet l’Origine du monde, c’est d’ailleurs la seule œuvre présentant un sexe en érection de toute l’exposition.  Dans une vidéo youtube servant de présentation pour Masculin/Masculin, Ophélie Ferlier dit que c’est aussi pour montrer la disparité, et la proportion entre la femme et l’homme artistes dans l’histoire de l’art avant le XXe siècle, et aucune qui n’ont fait de véritable nu  masculin. On retrouve également la sculpture de Louise Bourgeois; Arch of Hysteria de 1993, qui questionne l’identité propre au genre, en représentant un corps en torsion, dans une position surprenante, faisant référence à l’hystérie, et les théorie de Charcot, pathologie qu’il considérée comme uniquement féminine. Dans cette sculpture, Louise Bourgeois renverse cette théorie, en montrant qu’il y a aussi une hystérie masculine.  Nous venons d’analyser de façon théorique l’exposition Masculin/Masculin, en faisant un retrospective sur le nu dans l’histoire de l’art, puis en montrant à quel point le regard que l’on peut porter sur un corps nu d’homme fut longtemps un sujet tabou, ainsi que l’engagement dont a fait preuve le musée d’Orsay dans un contexte politique particulier, mais qu’en est il de sa réception aux prés des critiques d’art, ou plus globalement des spectateurs.   Lors de son ouverture, et sur tout le temps qu’elle a duré, Masculin/Masculin attira beaucoup, et interpèlera un public très large, que ce soit des adolescents ricanant à la vue d’un sexe, aux couples gays ou non, tout en passant par les amateurs d’arts.  C’est une exposition militante, elle prend parti et les commissaires d’expositions savaient qu’elle allait faire débat, et c’est totalement assumé de leur part, mais l’accrochage ne suit pas. Il y a énormément d’œuvres proposées, sans réelle cohérence entre elles, certaines sont très fortes, d’autres plus croquignolesques. Elles sont classées par thèmes, mais peuvent être interchangeables, il n’y a pas de symbiose, et certains artistes sont sur-représentés comme les plasticiens Pierre et Gilles, dont on ne retrouve pas moins de neufs œuvres au travers de l’exposition.   C’est une exposition « capricieuse », qui vise un large public, mais elle dégage une certaine énergie, celle du plaisir, pas toujours assumée.  Il a tout de même des œuvres remarquables, où se croise les Baigneurs de Cézanne, de 1890, en passant par l’Ange déchu de Cabanel, réalisé en 1897, ainsi que le faux homophobe, Eminem dans la photographie de David Lachapelle About to Blow. 

Les Baigneurs, Cézanne, 1890.

Masculin/Masculin, bien que controversé pour son accrochage, est une exposition qui vise a faire bouger les lignes, et surtout les mentalités sur le nu. Elle est importante dans l’histoire des expositions, car c’est la deuxième qui est réservée uniquement au nu masculin, avec un titre qui annonce directement la couleur. 

On peut avoir l’habitude de mettre les deux pôles du genre humain en opposition, mais ici cherche à démanteler le mythe d’une virilité naturelle, tout en faisant resurgir une part de féminité. Elle montre aussi l’importance que peut avoir l’art, et son pouvoir dans le regard des gens, afin de faire évoluer et questionner sur des sujets actuels.

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