“Politiques du visible”, Dorothea Lange

camillelaveron

“Politiques du visible” est une exposition temporaire qui s’est déroulée au centre du Jeu de Paume à Paris, du 16 octobre 2018 au 27 janvier 2019. L’exposition se consacre au travail de la photographe américaine Dorothea Lange, qui a dédié sa carrière à la représentation des minorités et des inégalités sociales.

Comment l’histoire des Etats-Unis est présentée à travers l’œil de Dorothea Lange ?

A travers “Politiques du visible” nous mettons en avant le choix de l’exposition. Ainsi que la manière dont est retracée l’histoire et comprendre le regard d’une photographe grâce à une photographie documentaire. Et enfin de lire une exposition selon une scénographie.

La naissance de l’exposition

Le centre d’art du Jeu de Paume est un lieu initialement dédié, comme son nom l’indique, au jeu de paume, sport très pratiqué sous Napoléon III engendrant donc la création de cette salle en 1862. Le lieu perdant sens au fil du temps se voit transformé en espace d’exposition d’art moderne et contemporain. C’est en 1991 sous Jack Lang, homme de la scène politique française et conseiller de Paris à cette époque, que le Jeu de Paume est officiellement transformé en galerie d’art. Un grand programme d’aménagement et de réhabilitation est mis en place pour transformer le bâtiment, offrant aujourd’hui deux grandes salles d’expositions en sous-sol. Mais ce n’est qu’en 2004 que le Jeu de Paume prend tout son sens et sa forme finale. En effet le lieu est rattaché au Centre National de la Photographie ainsi qu’au ministère de la Culture, lui attribuant le rôle de musée consacré à la photographie, la vidéo et l’art multimédia. Avec le choix de présenter uniquement des expositions temporaires.

Pia Viewing, commissaire d’exposition du Centre du Jeu de Paume depuis 2014, est chargée de la réalisation de la rétrospective. Son travail se réalise avec l’aide du ministère de la Culture et de différents commissaires comme Drew Heath Johnson conservateur de la section photographique d’Oakland Museum of California, la Barbican Art Gallery ou encore la fondation Terra for American Art.

L’exposition dévoile alors un univers photographique tourné vers un mouvement documentaire et social. Ce mouvement marque la photographie et ses artistes à partir de 1920 jusqu’à nos jours. Des artistes comme Brassaï ou Tina Modotti, se dévoilent par le traitement de l’Homme comme sujet principal et de son environnement.

 L’intention d’une photographe

Dorothea Lange commence sa carrière de photographe à San Francisco comme portraitiste dans un petit studio. Elle mène une carrière simple et prometteuse accompagnée de son époux Maynard Dixon, peintre de renom. C’est au cours des années 1930, période de la Grande Dépression qui frappe le pays tout entier, qu’elle va se révéler comme photographe nationale, puis internationale. En effet, elle est touchée par la grande pauvreté et l’inégalité, nettement visible dans les rues de San Francisco dont elle choisit de s’intéresser de plus près. La jeune femme délaisse alors son studio de photographie et prend partie pour la photographie documentaire et sociale en plein essor depuis le milieu des années 1920. Ce mouvement marque un changement dans sa vie professionnelle et privée permettant d’offrir une visibilité de la vie au Etats-Unis sur presque trente ans, et de créer des expositions riches comme celle du Jeu de Paume.

La carrière de la photographe se voit propulsé par le tirage La soupe populaire de l’Ange Blanc en 1933, montrant un homme dos à la foule attendant la distribution de repas au cœur de San Francisco.  La photographie sera une ligne conductrice pour ses clichés humanistes. Lange a une approche très personnelle avec son sujet, elle souhaite inscrire une intimité et une connaissance de l’autre avant de déclencher l’objectif. Cette manière de procéder rend compte de photographie qui semble être prise sur le vif.

Soupe populaire à l’Ange Blanc, 1933

“Politiques du visible” n’est pas une simple rétrospective, en effet Dorothea Lange fournit un travail presque toujours en collaboration. D’abord avec le journaliste et professeur Paul Schuster Taylor, qui utilise ses photographies pour illustrer ses articles et plus tard, avec qui elle écrit l ‘ouvrage An American Exodus en 1939, exposant les conditions de vie des classes sociales pauvres. Il travaille à ses côtés jusqu’à la fin de sa carrière lui apportant une certaine visibilité sur la scène politique nationale et un soutien. L’engagement politique de Lange lui offre la possibilité de collaborer avec de multiples journaux et organisations, comme Fortune, Farm Security Administration (FSA), Survey Graphic, Live

La collaboration avec la FSA se déroule de 1935 à 1942, c’est un travail de documentation et d’archivage à portée historique. L’artiste a pour intention de retracer une certaine histoire des Etats-Unis et des populations qui composent le pays. Cette association entre artiste et organisation entraîne une des plus grandes archives photographiques avec près de 130 000 clichés répertoriés. Cela offre une base de documentation très large et variée, donc les photographies constituent la majorité des clichés exposés au Jeu de Paume.

 L’histoire par la scénographie

La commissaire d’exposition fait le choix de structurer les espaces en exposant les photographies par périodes et donc par séries. Le premier temps de sa carrière est nommé “les gens que ma vie a touchés”, les photographies de 1932 à 1934 sont présentées et retracent le début de la Grande Dépression. Les prises de Langes sont généralement en plongée avec des cadrages serrés, inscrivant une atmosphère intimiste avec le sujet. La pauvreté dans les rues ou le travail industriel sont les deux sujets exploités par l’artiste durant cette période. La propulsion de ces photographies à l’échelle nationale pousse Lange à entreprendre une photographie de terrain qui sera regroupés de 1935 à 1941 et présenté comme “l’investigation documentaire-le récit de la migration”. Une photographie se détache particulièrement et fera de Dorothea Lange une photographe reconnue dans le monde, Migrant Mother de 1936. Cette photographie marque de plus un changement dans le traitement plastique, avec des vue frontale ou en contre-plongée de ses sujets et un cadrage plus large prenant en compte l’environnement.

Migrant Mother, 1936

Une troisième série intitulée “une guerre des deux océans- les chantiers navals kaiser, Richmond” regroupant des clichés de 1942 à 1944, expose les populations afro-américaines agricoles de la baie de San Francisco. Ainsi que l’augmentation des travailleuses dans le milieu de l’industrie. Une partie de l’exposition est consacrée à l’année 1942 et à l’internement des citoyens américains d’origine japonaise”. Cette série de photographies met en avant des portraits de famille d’origine ou issu d’immigration japonaise dans un contexte de guerre et de racisme très fort. Une partie des photographies seront classées “archives militaires” par les autorités américaines et ne verront le jour qu’en 2006, il est question de mettre en avant une partie de l’histoire volontairement cachée. La dernière partie de sa carrière se regroupe de 1955 à 1957 où l’artiste collabore avec l’avocat Martin Pulich pour figer à travers l’objectif l’application d’aide légale envers la justice pour des personnes défavorisées.

Les séries de photographies sont majoritairement présentées selon un accrochage en ligne flux, avec pour les différentes vues d’un même sujet un accrochage damier. Les tirages étant de petits formats et exposés chronologiquement, la ligne flux permet une meilleure compréhension des périodes et de leurs récits. Hormis pour les impressions de photographies sur papier en grand format sur des murs coloré, chaque cliché est présenté dans un cadre blanc sur mur blanc. Les salles d’exposition du Jeu de Paume sont faites sur le principe du White cube, offrant de multiples possibilités d’expositions. Le catalogue de Dorothea Lange étant conséquent, un ensemble de 1300 microfiches sont exposés au centre de la salle d’exposition, offrant l’opportunité d’afficher une plus grande part de son œuvre. La rétrospective est imaginée pour que le spectateur puisse comprendre l’histoire d’un temps passé et d’un pays à la culture étrangère aisément. L’ensemble des photographies sont accompagnées de citations de l’artiste ou de ses sujets, aidant une remise en contexte. De plus, une carte des Etats-Unis référençant chaque lieux où l’artiste a réalisé ses clichés.

Conclusion

L’exposition “Politiques du visible” met en avant la plus grande part de la carrière de Dorothea Lange. Artiste engagé durant la Grande Dépression au Etats-Unis à partir de 1930, l’ensemble de ses photographies dépeignent des conditions de vie de multiples classes sociales. L’histoire de ce pays est traitait à travers l’œil d’une femme issu d’une famille d’immigrants allemands, qui souhaite exposer les récits et parcours de migrants ou natifs américain, tentant de survivre à travers trente ans de bouleversement sociaux et économiques. L’exposition retrace un parcours bien connu d’une artiste mais la rétrospective est une manière de redécouvrir et dans le cas de la série de 1942, de découvrir un travail parfois oublié ou caché.

Sources

Site du Jeu de Paume:

http://www.jeudepaume.org/?page=article&idArt=3017

http://www.jeudepaume.org/index.php?page=article&idArt=3292

Dossier documentaire de l’exposition, Pia Viewing, 2018

Vidéos:

https://www.youtube.com/watch?v=AnTMBf2CWykhttps://www.youtube.com/watch?v=FfNu3kByxYE

https://www.youtube.com/watch?v=FfNu3kByxYE

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