« touriste » de Quentin Jouret, 2017, à la Fondation Espace Écureuil pour l’Art Contemporain, Toulouse

angeliquewolff

L’exposition « Touriste » de Quentin Jouret a eu lieu du 21 juin au 26 août 2017 au sein de la fondation écureuil de Toulouse, un espace dédié aux expositions contemporaines temporaires.

Quentin Jouret est né en 1978, il a commencé à travailler à l’isdat (institut supérieur des arts de Toulouse) en 2007, tout en créant des expositions et des œuvres d’art en parallèle. Son exposition « Touriste », dont il est le commissaire, est une commande de la fondation écureuil, qui lui a proposé de voyager dans deux villes, il est engagé comme « touriste professionnel ». Il choisit Londres et Florence, deux des villes les plus visitées en terme de nuitées après Paris. Son exposition propose une réflexion sur le tourisme ; en effet, celui-ci est le reflet d’une société où l’on tend à l’uniformisation, des endroits où nous sommes attendus, sans surprise ; on peut connaître une ville sans y avoir mis un pied.

Pour Quentin Jouret, le tourisme est une entreprise de destruction de la flânerie, or notre « touriste professionnel » a recherché dans ces villes si populaires une autre manière de circuler. Son œuvre est en grande partie composée d’objets trouvés dans les deux villes, avec comme grand axe de pensée : comment peut-on encore découvrir des territoires dans des villes très touristiques ? Nous nous demanderons comment Quentin Jouret crée une exposition qui questionne la position de touriste en s’adaptant à la galerie et ses particularités ?

Nous analyserons l’exposition en fonction des questions théoriques de l’artiste et ses inspirations, et nous réfléchirons sur le personnage du touriste : manifester la présence humaine par ce qu’elle laisse derrière elle.

« Un touriste se reconnaît au premier coup d’œil. C’est un individu habillé d’une manière telle que, s’il se trouvait dans son propre pays, il se retournerait dans la rue en se voyant passer . »

Portraits acides et autres pensées édifiantes, Philippe Meyer, 2001

L’exposition est créée de manière à ce que le visiteur puisse déambuler et flâner selon son souhait, comme Quentin Jouret l’a fait dans ces villes au chemin habituellement tout tracé.

La première œuvre dont nous allons discuter est une table non intitulée, couverte de ce que l’on appelle « déchets ». Or ici, ils sont organisés, répertoriés ; c’est une table chargée de souvenirs et de temps, cela offre au spectateur une réflexion sur le temps perdu à les ramasser, le temps que l’on prend pour les observer. Le plus gros problème du touriste c’est qu’il n’a pas le temps ; la question du temps est très importante ; comment le touriste dispose-t-il du temps ? Il est supposé faire des tours ; rentabiliser le temps.

Quentin Jouret a sa manière de perdre du temps: il regarde le sol, par plaisir esthétique, à partir de cela il procède à une accumulation, d’objets liée à accumulation de temps inutile : ce sont objets dont personne ne veut; objets jetés et qui ont résisté au nettoyage ce qui explique leur petite taille. Ils sont récoltés dans des creux, des fissures, c’est une démarche presque politique; il recueille des objets rejetés, inutiles secondaires « marginaux »; des opercules, capsules, élastiques… Ils ont ensuite classés par objets et par couleur, un des critères; dimension muséale comme classifier les papillons; mais ceux-ci sont classée par espèces et non pas par couleur, reclassifications internes, pas systématiques, opercules argentées, dorées, organisation rationnelle et intuitive. 

« La promenade, ce n’est pas du tourisme. C’est le plaisir de marcher, tranquillement, au gré de ses envies, sans objectif précis. »

Le promeneur, Jirô Taniguchi, 2008 

A Londres, l’artiste a trouvé beaucoup de chewing-gum, devenus tâches blanches écrasées, comme un ciel étoilé avec le goudron, tout en étant laid, rebutant, jeté, le chewing-gum est aussi très individuel, avec parfois des traces de dents, il devient objet avec une dimension structurale. Le principe de l’accumulation devient pertinent par rapport au fait que l’objet est seul dans la rue, mais ici sur la table avec ses « petits camarades » il se crée une solidarité, une intensité, comme une vague, une force poétique ; plein de petits rien créent de la puissance. 

Il y a une puissance esthétique mais aussi dénonciatrice, c’est aussi un projet écologique. Au départ le voyage prévu était lointain, prévu au Japon ou au Groenland, mais impossible d’un point de vue écologique, de dépenser autant de carbone pour si peu de temps.

Barry Rosenthal, Blue Ocean, série «Found in Nature»

Quentin Jouret s’est inspiré de cet artiste, ou encore de Armand avec ses déchets entassés.

Dans une salle de l’exposition se déroulent des petits films : deux écrans, deux villes, Londres à droite et Florence à gauche, du son et un montage percutant et précis.

L’artiste n’avait pas d’idée de scénario précis lorsqu’il est parti ; l’histoire se crée au montage, avec douze heures de rush pour un montage d’une demi heure, donc une phase de tri très longue. On retrouve plusieurs scènes équivalentes d’une ville à l’autre ; c’est le scénario d’un journée, avec une logique ; une musique se met en place, avec l’idée d’une vie entière dans une journée. Pour conter une journée dans les détails les plus fins, on pourrait y passer une vie entière. Ces vidéos sont des accumulations de détails, on voit l’artiste, avec un accoutrement de touriste.

Cela questionne le rapport du touriste dans l’espace, avec des attitudes de flâneur, un jeu avec les manières d’être et ce que propose la ville. Quentin Jouret a un chapeau rouge ; un outil visuel reconnaissable avec une dimension comique et à la fois sérieuse, dans l’héritage de Buster Keaton, Tati, avec le personnage du maladroit, trop grand, trop petit, anti héros : qui n’arrive pas à rentrer dans l’espace qu’on lui propose; candide car il ne le fait pas exprès, avec le costume un peu ridicule du touriste. Le regard est toujours décalé, dans le jeu, orienté vers le bas ou le haut, rarement vers l’horizon ; fabriquer des marges, en marge.

Quentin Jouret prend de l’eau de la Tamise dans une bouteille pour la verser dans l’Arno ; en lien avec table : ce sont vraiment des chewing-gum qui viennent spécifiquement de Londres, l’ authenticité non prouvable ; les objets portent une « mémoire invisible » cf L’air de Paris de Duchamp : nuance invisible.

Marcel Duchamp, Air de Paris ou 50 cc d’air de Paris, 1919

Faire du touriste un personnage : manifester la présence humaine par ce qu’elle laisse derrière elle

Dans le projet de Quentin Jouret, l’artiste adopte une attitude, un comportement où l’ensemble du contenu de l’exposition prend la forme de souvenirs de vacances, comme on peut le penser pour un touriste lambda notamment par le choix des destinations (Londres et Florence sur 2 fois 5 jours).

Il s’agira de retranscrire l’expérience de ce touriste dont Quentin Jouret va endosser le rôle et s’y prêter sérieusement et comme il le dit « embrasser » cette condition tout en apportant une autre façon d’être touriste sous l’angle de vue d’un artiste.

Le personnage prend forme notamment dans les vidéos de Londres et Florence, projetées côte à côte dans la salle principale avec un canapé où l’on peut s’installer confortablement.

On reconnaît le touriste avec le motif du chapeau ou du bonnet rouge avec le lequel il s’amuse à tourner en rond, peindre uniquement avec de l’eau sur des murs ou des recoins, ou encore s’asseoir à des endroits qui ne s’y prêtent pas.

Il offre donc d’un côté, une posture de touriste archétype, celui qui serait conformiste et suivrait les conseils des guides touristiques sur les endroits à voir, les visites guidées, en prenant des photos de monuments ou de paysages etc. et d’un autre côté un chemin tout autre, celui d’un personnage décalé qui s’intéresse aux débris, aux chemins et voies en eux même, ne prenant pas en photo des monuments mais de panneaux signalétiques, des trous sur des pavés, des poubelles mises en cercle, des pions de jeu de go posés d’une façon amusante.

Cette dualité donne de la profondeur au personnage du touriste et un côté burlesque volontairement inspiré de Buster Keaton à travers les deux court- métrage projetés et renforce aussi le côté immatériel de l’expérience du voyage, de l’errance puisque l’on sait que la vidéo, l’image sont aussi œuvre et théâtre de montage et de mise en scène.

Montrer le personnage du touriste permet au visiteur, au public, de questionner quel genre de touriste il est et ce qu’il fait quand il voyage d’une façon distanciée en étant empathique et dans le même conscient que ce touriste n’est pas un touriste ordinaire.

Une autre façon de manifester le cliché du touriste et de le renverser, avec par exemple, le carrousel que l’on retrouve au sous-sol avec les diapositives, qui appelle comme à la scène du touriste montrant ses photos de vacances lors d’une soirée (la salle est plongée dans le noir, seule la lumière du carrousel de diapositives éclaire la salle) sauf qu’il s’agira de photo de petits déchets récoltés de Londres et Florence en gros plan, et individuellement : un chewing-gum, un élastique…

Ce retournement peut surprendre et faire rire mais également prendre conscience.

Dans nos façons d’être touriste, il y a l’itinéraire que l’on se trace, les souvenirs que l’on ramène, et aussi souvent oublié la trace que l’on laisse.

C’est à travers ses dessins, exposés dans de grands cadres au mur, que l’artiste-touriste, exprime ses réflexions, en forme de maximes philosophiques « Si tu veux bien il faudra que tu arrêtes de prendre des photos » que l’on capte la fragilité du souvenir, de notre mémoire, et qu’en cet acte d’écrire il y a la volonté de se créer ses souvenirs, les collecter, peindre des choses éphémères, aller en dehors du cadre (de la photo et du chemin tracé).

Cette idée de fragilité du cadre, du chemin tracé et du temps se retrouve à l’entrée de l’exposition par un plan tracé avec du sable sur une grande table en bois sur tréteaux qui ferait aussi référence à l’ élevage de poussière de Marcel Duchamp pris en photo par Man Ray en 1920.

On remarque que le sens de l’exposition capte notre attention surtout au sous sol avec les deux caves en pierre et surtout par les collection de débris, et la mise en avant du caractère individuel de chaque déchet dans la salle plongée dans le noir à gauche puis celle plongée dans la lumière à droite qui marque le déchet, le débris dans une collection très épurée, ordonnée sur le sol blanc de la galerie.

Dans l’interview Q.Jouret avait l’idée de ne pas marquer un sens précis pour laisser place à la flânerie du visiteur comme son touriste flâne et apprécie son environnement, il était important pour lui que les visiteurs puissent s’asseoir, prennent une pause, qu’il y ait le bruit de la vidéo à l’entrée de la galerie.

Jouret étant professeur à l’Isdat les activités en lien avec l’exposition permettent au visiteur d’encore mieux s’approprier le côté ordinaire et hors les murs de la place de l’art dans notre quotidien, ce qui est l’éthique principale de la Fondation avec son équipe pédagogique et ses intervenants :

« Notre programmation est orientée vers des artistes qui privilégient, par la construction de leurs œuvres, un rapport évident à notre vie quotidienne, actuelle, à ses réalités, à ses désirs, à ses rêves… « L’infra-ordinaire » (Georges Perec) guide nos recherches et nos choix associant, en plus des arts plastiques, d’autres pratiques : design, art culinaire, mode, danse, art digital, littérature…  Par notre engagement constant en la médiation culturelle, nous souhaitons donner au visiteur occasionnel, amateur ou accompli la possibilité de faire résonner l’œuvre avec son expérience de vie. »

Conclusion

L’entrée libre et l’emplacement de l’Espace Ecureuil font de cette exposition un vagabondage pour les touristes locaux et d’ailleurs et transforme les visiteurs en touristes avertis sur le déchet poétique et peuvent repartir avec des cartes postales de l’exposition ainsi qu’un cahier philosophique de touriste (cf Feuille de salle)

Bibliographie :

Guide d’exposition (médiation) :

http://www.caisseepargne-art-contemporain.fr/quentin-jouret_882.php

Présentation et ressources liées à l’exposition sur le site de la Fondation :

http://www.caisseepargne-art-contemporain.fr/touriste_819.php

Communiqué de presse :

http://www.caisseepargne-art-contemporain.fr/images/imagesFCK/file/expos/2017/quentin_jouret/cp_touriste_quentin_jouret.pdf

Site web de Quentin Jouret (page de touriste):

http://www.quentinjouret.com/2017/08/25/bonjour-tout-le-monde/?fbclid=IwAR2yV4V_7WjpMHugonIJgFNNO-fECk2IaBEk46S8vT9xR6ot7qEO3JhV1Ls

Fiche pédagogique :

http://www.caisseepargne-art-contemporain.fr/images/imagesFCK/file/projets_pedagogiques/2017_2018/quentin_jouret/fichepedagogiquequentinjourettotal.pdf

Présentation de la fondation :

http://www.caisseepargne-art-contemporain.fr/le-lieu_36.php

Feuille de salle remise par l’artiste

Carte postale

écrit par:

A.WOLFF(21503555) et R.MEYBECK (21914383)

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