Le Pavillon Espagnol – Exposition Universelle de Paris, 1937

leofoulboeuf

Affiche de l’Exposition Universelle

L’Exposition internationale des Arts et des Techniques appliquées à la Vie moderne, plus communément appelée l’Exposition Universelle de Paris, se déroule au sein de la capitale française du 25 mai au 25 novembre 1937. Elle regroupe plus de 50 pavillons qui attirent 31 millions de visiteurs et se veut de démontrer que l’art et la technique peuvent s’associer, tout comme le beau et l’utile. Cette exposition symbolise également l’espoir ultime de voir la paix en Europe. En effet, la mise au pouvoir de Hitler ou encore la bride de Staline sur son pays inquiètent ceux qui revendiquent la paix dans l’Union européenne ; l’exposition sera d’ailleurs marquée par la confrontation des pavillons monumentaux de l’Allemagne et de l’URSS qui semblent s’affronter devant la tour Eiffel, alors réduite au rang de spectateur.

Photographie de l’Exposition universelle de Paris valorisant les pavillons allemand et soviétique

C’est dans ce contexte de tension européenne, sous l’aigle allemand nazi et le couple kolkhozien brandissant le marteau et la faucille, que d’autres pavillons vont émerger dans Paris. Parmi ces derniers, de nombreux se démarquent dans un premier temps par leur architecture. En effet, pour chaque pays exposant, le premier aspect de cet événement est de se démarquer par son pavillon : c’est ainsi que chaque parties de l’exposition mettront en avant différents styles architecturaux divergeant entre les différents états et architectes nommés. A l’inverse du pavillon soviétique et de celui du Reich qui présentent tout les deux un style très solennel et sévère, on discerne des bâtiments qui adoptent des éléments distincts et plus modernes pour certains ; on peut par exemple citer le pavillon japonais qui mêle modernité et héritage avec son édifice traditionnel à pilotis en métal, celui de l’Italie qui nous rappelle la Rome antique à travers ses colonnes et ses statues ou encore le pavillon espagnol avec sa structure particulièrement moderne.

C’est sur ce dernier que nous allons nous concentrer et baser notre étude. Nous allons alors nous demander de quelle manière le pavillon espagnol s’organise et quel discours il porte durant l’exposition universelle de Paris de 1937.

I. LA NAISSANCE DU PAVILLON ESPAGNOL

1. Contexte politique en Espagne

Au début, l’idée d’une exposition intéresse peu. Le concept d’origine d’un pavillon était celui de la « Venta de Don Quijote » ou Auberge de Don Quichotte, une sorte de taverne où l’on vendrait des vins espagnols. Cette idée n’a pas le temps de germer que le pays est déchiré par la guerre civile, l’exposition passe alors au second plan. On assiste à une opposition entre républicains et nationalistes sur le territoire espagnol. Au même moment, l’Allemagne hitlérienne et l’Italie soutiennent des organisations politiques aux aspirations fascistes telle que « La Phalange ». D’autre part, on assiste à l’ascension de Franco au pouvoir. Dans un premier temps inscrit auprès d’un parti politique du côté des nationalistes, son importance grandit en Espagne, notamment grâce à une propagande efficace et au soutien de Hitler. Il annexe une multitude de groupes nationalistes tels que la Phalange et fonde finalement L’État Franquiste le 19 avril 1937. Durant la période d’organisation de l’exposition universelle, l’Espagne est rongée par les conflits et ne se préoccupe donc plus de l’événement qui approche. C’est un envoyé à Paris, sous le rôle de nouvel ambassadeur espagnol, qui préviendra les dirigeants hispaniques de l’opportunité que représente cet événement en terme de propagande : il s’agit d’une occasion unique pour le gouvernement de gagner la reconnaissance du monde afin de palier au déficit qu’a le pays en terme d’économie ou de puissance militaire contre le parti grandissant de Franco. Le but du pavillon espagnol sera d’attirer l’attention sur ce qui se déroule au sein du pays et de montrer que sa majorité reconnaît encore le gouvernement actuel, tout comme les artistes et les intellectuels les plus prestigieux du pays. C’est alors que se met en place une nouvelle organisation qui va tout bouleverser. Peu de moyen sont mis à disposition mais le ministère de la Guerre parvient à fournir de quoi organiser cette exposition universelle.

2. Objectifs et organisation du pavillon

Les objectifs du pavillon espagnol sont simples : il faut montrer au spectateur l’Espagne sous tous ses aspects, aussi bien dans les arts que dans la culture, l’économie ou dans sa lutte contre le fascisme ennemi de la liberté, de la culture et du travail. Les moyens financiers sont limités et le pavillon sera bâti avec des matériaux simples, mais il peut compter sur la présence des artistes contemporains les plus reconnus de son époque : Picasso, Julio González, Joan Miró ou encore Alexandre Calder. On retrouve aussi les sculpteurs Alberto Sánchez et José Renau, ce dernier étant un spécialiste dans l’art de l’affiche et du photomontage, très à la mode à cette époque ; enfin, les deux architectes à la tête du pavillon sont Jose-Luis Sert et Lluis Lacasa. Ils emploient des techniques modernes avec une architecture métallique ou encore la paroi de verre et le mur rideau. Cet usage de la transparence apparaît comme une allégorie de la démocratie. Les architectes sont donc en opposition avec les pavillons nazi et soviétique, qu’ils ne pouvaient pas concurrencer en terme de taille et de richesse, mais affirment leur croyance en la modernité et contre le régime nazi.

Photographie de la façade d’entrée du pavillon espagnol

L’organisation du pavillon espagnol est malheureusement désastreuse. En effet, les correspondances sont difficiles entre le lieu du pavillon et l’Espagne, menant à de nombreux problèmes de livraison. Cependant, tout cela contribue à la popularité du pavillon car une très grande liberté d’improvisation à été nécessaire pour achever sa construction, donnant une impression de fraîcheur à la structure et à son intérieur. Cette réussite est due aux efforts important fournis par tous les contributeurs du pavillon, tant les artistes que les organisateurs et ce durant des mois. Le bâtiment, finalement érigé un mois après l’ouverture de l’exposition, se détache de ses congénères dans l’exposition : il ne vise pas seulement à contenir des œuvres mais à être intégré dans les objets du pavillon espagnol et figure comme une pièce de la collection à part entière. Il s’agit d’une structure simple mais cependant impressionnante avec une dimension entière de 1400 mètres carré qui guide le spectateur à travers les différentes œuvres dans une démarche de compréhension totale à l’image de la gauche rationaliste. Le bâtiment s’inscrit également dans la volonté de propagande de l’Espagne républicaine avec l’usage de couleurs sobres telles que le rouge, le gris, le noir ou encore le blanc.

II. UN PAVILLON AU SERVICE DE LA LIBERTE QUI S’OPPOSE A LA GUERRE

1. Présentation et description de l’extérieur et du rez-de-chaussée

Comme évoqué précédemment, le pavillon espagnol est marqué par la guerre. L’ensemble des travaux a été réalisé dans ce contexte et témoigne des atrocités et des injustices des conflits civils qui sévissent en Espagne. Picasso dira même, par rapport à son chef d’œuvre Guernica :

« La peinture n’est pas faite pour décorer les appartements, c’est un instrument de guerre, offensif et défensif, contre l’ennemi »

Pablo Picasso
El pueblo espanol tiene un camino que conduce a una estrella par Alberto Sanchéz

Cette citation témoigne donc de la volonté des artistes à inscrire une certaine problématique de la guerre dans leurs œuvres.

Une fois devant la façade de l’édifice, situé sur l’Avenue du Trocadéro, le visiteur peut distinguer dans un premier temps une haute sculpture. Cette pièce de 12 mètres, aussi haute que le bâtiment, qui s’élève devant le pavillon est l’œuvre d’Alberto Sanchéz intitulée El pueblo español tiene un camino que conduce a una estrella (Le peuple espagnol possède un chemin qui conduit à une étoile). Derrière celle-ci, le visiteur voit un des multiples photomontages qu’arborent les différentes façades du bâtiment ; on y lit « Il y a plus d’un demi million d’espagnols avec des baïonnettes dans les tranchées qui ne se laisseront pas marcher dessus ». Sans même avoir pénétré dans l’enceinte du pavillon, l’Espagne républicaine affiche d’emblée sa volonté d’imprégner le visiteur du contexte de guerre qui règne dans le pays.

Le Montsserat par Julio González

À côté de l’escalier et de l’entrée du pavillon, on trouve une nouvelle sculpture : il s’agit de La Montserrat du célèbre Julio González. Elle représente une paysanne, une faucille à la main et son enfant dans l’autre bras, enveloppé dans un châle. Elle adopte une attitude militante, prête à combattre malgré cet enfant qu’elle porte. Cette œuvre en fer, très simple visuellement, est à nouveau très forte emblématiquement et donne facilement une certaine clairvoyance aux spectateurs quant au contexte espagnol actuel. Ici, on veut nous faire comprendre que ce n’est pas qu’une guerre politique mais aussi humaine, qui met en jeu des vies.

L’œuvre laisse place au rez-de-chaussé et à son contenu. Une grande salle nous accueille dans laquelle est exposé La Fontaine de Mercure de Alexander Calder, ayant pour but de souligner la richesse en mercure de la commune d’Almandén ainsi que de rendre hommage à ses habitants durement touché par les conflits. Dans la même pièce, derrière la fontaine, est exposée l’œuvre phare du pays et l’une des plus reconnues maintenant : Guernica de Pablo Picasso. Cette œuvre est la pièce maîtresse du pavillon espagnol. Cette peinture monumentale se tient comme un véritable témoignage poignant de l’horreur du parti franquiste. Chaque figure, humaine ou animale, est cauchemardesque : les visages sont déformés par des cris que l’on peut presque entendre, les yeux sont exorbités et les corps déformés. Tout dans le tableau inquiète et prône la mort : des membres décapités mettent en scène les événements survenus dans le village éponyme. En effet, la présence de flammes et de blessés suggère les bombardements incendiaires. Les éléments de tauromachie, récurrents dans les œuvres de Picasso, incarnent l’identité espagnole. Quasiment tous les personnages ont les yeux rivés vers le ciel, et certains les bras : au-delà de l’aspect dramatique de l’œuvre, ceci montre une complexité plus forte ; les victimes embrassent la mort et souhaitent seulement que cette folie meurtrière et cette douleur cessent, cela touche encore plus. De l’autre côté de la pièce, on peut voir le centre de la documentation avec de nombreuses brochures, cartes postales et publications ainsi qu’un service de renseignement destiné aux visiteurs.

Guernica par Picasso et La fontaine de mercure par Alexander Calder au premier plan

Non loin de la salle où se trouve Guernica, des films sont projetés ; Luís Buñuel, un réalisateur espagnol renommé, supervise cette partie où sont montrés au public des pellicules documentaires et d’actualité. Dans cette même salle de projection sont également présentés des spectacles de danse et de musiques régionales.

Le pavillon espagnol débute d’emblée avec des œuvres fortes et continue dans sa lancée avec les étages suivants.

2. Présentation et description du premier et du second étage

Une des nombreuses originalités de ce pavillon est l’agencement de sa structure interne et de son circuit de visite ; en effet, pour accéder au premier étage, il était nécessaire de passer par le second en premier lieu. C’est donc au dernier étage que se continue la visite, il regroupe les sections d’arts plastiques et d’art populaire. Les différentes sections de l’édifice font également preuve d’originalité puisqu’elles étaient uniquement séparées par des panneaux, parfois transparents sur lesquels on retrouve différents photomontages, affiches, prospectus…

El Segador par Joan Miró

Dans l’escalier menant du second étage au premier, on assiste de façon étonnante à la présence d’une toile aux dimensions impressionnantes sur le mur, intitulée El Segador par Joan Miró. Encore une fois, cette initiative souligne la liberté dont fait preuve le pavillon espagnol en laissant libre cours aux artistes et à l’organisation des œuvres. Son exécution a été faite de manière « directe et brutale » comme le dit lui-même l’artiste. En effet, ce dernier a peint El Segador dans cette « pièce », à même le mur et en seulement deux semaines. Cette œuvre représente les traits d’un paysan qui tient une faux dans sa main droite et semble se tordre de désespoir face à l’attaquant fasciste. Sous la peinture se trouvaient les paroles de l’hymne catalane, dont l’artiste est originaire, « Els Segadors ».

Photomontage par Renau relatant des horreurs de la guerre

Finalement, le visiteur atterrit au premier étage dans lequel il est submergé par des informations qui concernent de nombreux domaines tel que l’économie, l’agriculture ou encore l’éducation. Pour cela, on remarque l’emploi de nombreux photomontages, notamment ceux de Renau. L’art du photomontage est très employé en 1937. En effet, c’est une technique nouvelle et tendance ; par ailleurs, contrairement aux autres nombreux pavillons qui l’utilisent par effet de mode, l’Espagne use de cet art pour faire comprendre et émouvoir. Le Panneau sur le massacre de Guernica de Renau en fait partie : ce photomontage dévoile des images et des inscriptions dures et très symboliques de l’état de guerre de l’Espagne. Il relate un épisode terrifiant survenu dans le village de Guernica qui a subit des bombardements. Les photographies présentes plongent directement le spectateur dans l’effroi de la scène avec à gauche, l’image d’un petit garçon, victime de cet événement ou encore à droite, les ruines misérables de la ville.

On remarque à travers la présentation de l’exposition que le pavillon espagnol fait preuve d’une grande diversité ; dans le domaine artistique, on retrouve des peintures aux style multiples, des sculptures réalistes ou plus abstraites ainsi que de très divers photomontages. De plus, la projection de films, la présentation de spectacles ou l’exposition de tenues vestimentaire traditionnelles participent à cette diversité. On assiste à une émulsion d’arts variés. Le pavillon espagnol regorge d’une multitude de pièces d’exposition qui forme un tout plongeant le spectateur au sein même du pays et de sa problématique principale. Ce qui rend ce pavillon si spécial c’est aussi l’instantanéité des œuvres : ces dernières ont été faites en très peu de temps par des artistes passionnés et pour la grande majorité patriotiques, c’est pourquoi ces travaux sont si crus. Ils témoignent d’une technique très importante et amènent les spectateurs au plus près de la catastrophe dont est victime l’Espagne. Cela s’associe parfaitement avec l’architecture bancale et désordonnée de l’édifice qui a été réalisée en dernière minute, et c’est compréhensible. Tout est symbolique dans le pavillon espagnol.

Le pavillon espagnol de l’exposition universelle de Paris est une réussite pour le gouvernement républicain. L’usage de l’art pour dénoncer la guerre est le thème dominant et marque forcément les esprits de chacun. L’architecture, de même que les œuvres exposées, sont en tout point modernes ; l’utilisation de photomontages, l’art cubiste de Picasso et de Miró perceptible notamment dans Guernica et El Segador ainsi que la statue de González La Montserrat sont par leur technique et leur dimension symboliques, encrées dans un renouveau artistique. On peut également citer La fontaine de Mercure de Calder, initiatrice de l’art cinétique. Cette exposition sera unique et marquera le dernier événement de ce genre dans la capitale française. Le pavillon de l’Espagne aura d’ailleurs droit à une réplique à Barcelone. Pour finir, en 1938 a lieu la Biennale de Venise à laquelle contribue l’Espagne franquiste. Présentée comme une opposition au pavillon espagnol de Paris de 1937, la médiocrité de l’exposition franquiste fait pâle figure en comparaison avec la grandeur de celui de l’Exposition Universelle.

Etude réalisée par Foulboeuf Léo et Martinet Coraline.

BIBLIOGRAPHIE/WEBOGRAPHIE

→ L’art de l’exposition. Une documentation sur trente expositions exemplaires du XXe siècle (Paris, Regard, 1998)

https://www.worldfairs.info/expolistepavillons.php?expo_id=12#622

https://fr.wikipedia.org/wiki/Exposition_universelle_de_1937

https://www.franceinter.fr/emissions/la-marche-de-l-histoire/la-marche-de-l-histoire-22-mai-2017

http://www.cervantesvirtual.com/obra-visor/pabellon-espanol-en-la-exposicion-internacional-de-paris-1937–0/html/0003a762-82b2-11df-acc7-002185ce6064_2.html

https://pierrickauger.wordpress.com/2014/12/05/lexposition-universelle-de-1937-et-les-regimes-totalitaires/

https://www.cinearchives.org/recherche-avanc%C3%A9e-424-22-0-0.html

https://catalogo.artium.eus/book/export/html/6086

https://www.museoreinasofia.es/exposiciones/pabellon-espanol-exposicion-internacional-paris-1937

https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27Espagne

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