La science-fiction italienne peut-elle sortir du ghetto ? Pour les maisons d’édition courageuses et innovantes, les événements qui rassemblent les fans et les nouvelles séries à venir, l’année 2019 a été un moment important pour le fantastique et la science-fiction en Italie. Une métaphore a toujours accompagné la science-fiction écrite par des auteurs italiens : « le ghetto ». Dans le passé surtout, les écrivains italiens ont fait partie d’une communauté autoréférentielle, dans laquelle ils agaçaient le collègue qu’ils considéraient comme un ami et se disputaient avec d’autres auteurs appartenant à d’autres groupes.
Cette attitude n’a certainement pas permis d’inciter les critiques officiels à se pencher sur les œuvres, ni d’augmenter le nombre de lecteurs. Quelqu’un pourrait citer le nom de Valerio Evangelisti comme exemple d’un auteur qui a réussi à sortir du ghetto, à publier chez un grand éditeur (Mondadori) et même à vendre à l’étranger. Mais est-ce vraiment le cas ? Oui et non. Il est vrai qu’Evangelisti a remporté le prix Urania en 1994, mais il est également vrai que la fiction de l’auteur bolonais – en particulier Eymerich, son personnage le plus célèbre – ne peut être rattachée à la science-fiction tout court. Il s’agit donc d’un cas rare d’un écrivain qui a su modeler tous les genres littéraires pour les mettre au service de sa poétique.
Aujourd’hui, des signes encourageants nous amènent à soutenir que des perspectives impensables il y a encore quelques années pourraient s’ouvrir à la scifi italienne, à condition toutefois de ne pas commettre les erreurs du passé. Il pourrait se produire quelque chose de similaire à ce qui est arrivé aux auteurs italiens de romans policiers et de romans noirs au début des années 1990, lorsque, en se soutenant mutuellement et en promouvant leurs œuvres au même titre que celles des autres, ils sont passés du statut d’auteurs plus ou moins « de niche » à celui de « rock stars », célèbres en Italie et dans le monde (on pense à Carlo Lucarelli, Massimo Carlotto, Giancarlo De Cataldo, Maurizio de Giovanni, Antonio Manzini…)
Pour tenter de comprendre quels sont les signes de renaissance de la science-fiction italienne, on ne peut que partir d’Urania, la série historique de Mondadori qui, depuis 1989, récompense un roman de science-fiction inédit, publié l’année suivante. Et nous arrivons à un autre point sensible. Au cours des trente dernières années, pendant de longues périodes, pour un écrivain de science-fiction italien, acquérir une certaine visibilité ne signifiait qu’une seule chose : remporter le prix Urania. Un grand nombre de fans se sont faits présents et il a été possible de faire passer quelques articles dans un important quotidien ou dans un hebdomadaire. Les choses ont progressivement changé, sous la responsabilité de Giuseppe Lippi, qui s’occupait du prix depuis sa création, et avec l’écrivain Alan D. Altieri comme éditeur. D’autres romans commencent à paraître, en sus du lauréat du prix, et des œuvres qui ont marqué l’histoire de la science-fiction italienne sont dès lors rééditées, notamment dans la série Collezione Urania.
Ce travail est désormais poursuivi par Franco Forte, éditeur de toutes les séries des kiosques Mondadori (Il Giallo, Segretessimo, Urania). La maison d’édition basée à Segrate (en Lombardie, près de Milan) a déjà donné quelques signaux importants ces dernières années. Parallèlement, en 2016, un livre reprenant toutes les histoires de la saga Mondo9 de Dario Tonani a été publié dans la série «Millemondi», qui pour la première fois était entièrement dédiée à un auteur italien. En 2017, l’anthologie Le variazioni di Gernsback [les variations de Gernsback] est parue chez Urania, avec des récits d’auteurs anglo-saxons et italiens. En 2018, un roman de Tonani est paru dans la série de livres Oscar Fantastica, appartenant à nouveau à sa saga la plus célèbre : Naila di Mondo9. Ici aussi, nous sommes confrontés à un événement marquant pour la science-fiction italienne. Enfin, en juillet de cette année, l’anthologie Strani mondi [Mondes étranges] est parue chez Millemondi, avec quelques-uns des plus importants auteurs italiens.
Mais le futur est le terrain sur lequel se jouera le destin de la science-fiction italienne. En novembre 2019, le roman lauréat du prix Urania 2018, qui a été attribué à Le ombre di Morjegrad de Francesca Cavallero, est publié ; Mondadori entend relancer la science-fiction écrite par des auteurs italiens ; enfin, de nombreux titres de la série Urania, que l’on trouve traditionnellement dans les kiosques, seront introduits dans les librairies.
La science-fiction italienne a toujours reposé sur des éditeurs de petite et moyenne taille qui, du point de vue de la qualité des ouvrages qu’ils publient, n’ont rien à envier au colosse de Segrate. Des éditeurs qui se réunissent chaque année à l’occasion d’un événement clé de la science-fiction et du fantastique italiens, Stranimondi, qui se tiendra en 2019 les 12 et 13 octobre à Milan, à la Casa dei Giochi (Via Sant’Uguzzone, 8).
Pendant ces deux jours, les fans pourront assister à des dizaines de panels sur le monde de la fantasy et rencontrer des auteurs tels que Jasper Forde, Tullio Avoledo , Leonardo Patrignani, Cecilia Randall, Franco Brambilla, Anders Fager, Zhang Ran, Claude Lalumière et Maurizio Nichetti.
Parmi les nouveautés les plus intéressantes en matière de science-fiction, il convient de signaler deux anthologies de nouvelles publiées par Delos Digital : DiverGender, éditée par M. Caterina Mortillaro et Silvia Treves, qui aborde les thèmes du genre SF, de ses frontières et de ses variantes ; et aussi Altri futuri, première tentative de compiler une anthologie du « meilleur de l’année » de la science-fiction italienne indépendante. Indépendant car il ne comprend que les textes publiés par des éditeurs plus ou moins spécialisés, laissant de côté ceux publiés par Urania ou Mondadori en général.
Comme le souligne Silvio Sosio dans l’annexe de l’anthologie Strani mondi, on peut parler d’un véritable « âge d’or de la science-fiction italienne », tant pour la quantité d’œuvres proposées que pour la qualité des idées et de l’écriture. Alors, peut-on sortir du ghetto ? La réponse est oui, avec de la patience, de la passion et sans animosité entre les éditeurs, les auteurs et tous ceux qui travaillent dans le monde de la science-fiction à divers titres, afin que l’ensemble du mouvement puisse se développer.
L’enquête en version originale : WIRED Italia « Strani Mondi » (2019)
La fantascienza nelle narrazioni italiane ipercontemporanee : une publication de la revue Narrativa