COCANHA – Puput


COCANHA


Bio

Cocanha est un duo de  “cants polifonics a dançar” dont le nom fait référence à la fois au pays imaginaire de Cocanha (paradis sur terre) et aux boules de pastel issues de la plante mythique de la région du Laurac.
Composé de Caroline Dufau et Lila Fraysse, deux voix uniques chantant en occitan des polyphonies accompagnées de tambourins à cordes pyrénéens et sons percussifs des pieds et des mains. De leur rencontre au sein du Collectif Detz, laboratoire audiovisuel occitan, le duo naît en 2014 à Toulouse. Leur répertoire se construit autour d’un travail de recherche et de collectage des chants traditionnels occitans. Leur dernier album Puput sorti en 2020, est le nom occitan de la huppe fasciée, oiseau migrateur, vivant dans les régions chaudes de France. Il incarne pour les deux musiciennes “la force subversive”, une invitation à se questionner selon elles sur la ‘’misogynie et notre rapport à la norme sociale’’. Il est le fruit de 12 ans de complicité artistique et de recherche approfondie du patrimoine culturel occitan, de réflexion sur leur environnement.
Pour les deux artistes, cette création est un chemin pour “aller chercher encore plus le corps dans la danse et dans la voix” et ‘’une volonté d’expérimentation vocale dans la production et les textures sonores”. 


Interview de COCANHA


Instrumentation

Le tambourin à cordes est l’instrument emblématique du groupe.
Utilisé lors de fêtes patronales mais également employé dans différents genres allant des musiques médiévales en passant par les musiques provençales, le tambourin à cordes est traditionnellement accompagné par la flûte à bec.
Cependant Cocanha remplace la flûte par les voix et utilise le tambourin à cordes comme accompagnateur rythmique et harmonique.
En effet, la particularité du son du tambourin à cordes est due au « cavalier ». Cette petite pièce de métal posée sur le chevalet de tête entoure les cordes, et est impactée par leur vibration. Le bourdon (sonorité grésillante) est produit en frappant les cordes de l’instrument avec une mailloche et forme un accord continu sur la tonique ou la dominante de la gamme utilisée. On obtient ainsi ce son soutenu et très riche harmoniquement qui permet d’accompagner leurs voix et nous faire goûter à la culture occitane.
Elles associent jusqu’à trois tambourins à cordes dans un même morceau qui, selon les besoins, seront accordés différemment les uns des autres (à la quarte ou à la quinte) et ainsi obtenir une palette harmonique plus complexe et de la polyrythmie.

Leurs voix singulières nous donnent la signature de Cocanha.
En effet, les chanteuses ont l’art de varier les registres. Leurs voix peuvent être puissantes et bourdonnantes pour créer une basse harmonique sur laquelle viennent se superposer les voix mélodiques ou les backs créant une polyphonie vocale.

Enfin le dernier élément qui est ajouté est le « kick ». Celui-ci est généré par l’action du pied frappé sur un plancher en bois créant un son percussif se rapprochant de la grosse caisse d’une batterie.
Néanmoins pour des raisons acoustiques, un processus de mixage avec différents effets seront appliqués pour rendre celui ci plus présent dans le spectre fréquentiel des morceaux.
A noter que quelques effets comme la reverb sont notamment appliqués sur les voix comme sur le morceau La Sovenença dans la partie du break pour ajouter de l’intensité.
Ainsi la combinaison de ces différents éléments électro-acoustiques nous offre toute la singularité de Cocanha qui est taillé sur mesure pour les bals de villages et la danse.


La culture occitane au coeur de leurs sources d’inspiration

Lila Fraysse et Caroline Dufau chantent à leur gré l’occitan du passé, du présent et du futur. Elles ont la volonté de « réinvestir une culture qui a été disqualifiée par l’Etat Français » en remettant de l’Occitanie dans le paysage culturel français.
La culture occitane s’étend sur de vastes terres allant des Pyrénées au Rhône, du Massif Central à la Méditerranée et ses différents dialectes apparaissent dès le VIIIème siècle.
Conscientes de ce bien commun, vecteur de traditions et de revendications, Cocanha évoque des sujets de société très divers comme le faisaient les troubadours du XIIème siècle qui ont contribué à diversifier le répertoire occitan et porter cette musique au-delà des frontières.
Caroline Dufau vient de la tradition populaire Gascogne. Elle est née, a grandi et habite à St Pied de Lérins entre Bayonne et Orthez. Évoluant dans un milieu associatif actif et pluridisciplinaire, elle pratique la danse, le chant polyphonique au sein des bals, et apprend la flûte et le tambourin à cordes.
Lila Fraysse a grandi à Ramonville, à bord de la péniche spectacle où se déroule depuis 26 ans le festival itinérant Convivencia bien connu des Toulousains et qui est à la croisée des cultures locales et internationales. Elle ira dans une école calandreta où elle apprendra l’occitan.
À l’instar d’autres groupes occitans des années 90 avec lesquels elles ont grandi comme The Fabulous Trobadors ou les Femmouzes T., leurs créations défendent une pluralité et une ouverture sur le monde. On peut parler d’hybridation traditionnelle-pop et d’un « dialogue perpétuel entre ancien et nouveau ». On le comprend dès le premier chant de l’album « Suu camin de Sent Jacques » où se mêle le rythme traditionnel du rondeau joué par des tambourins à cordes amplifiés et des rythmes plus modernes non issus de la battue traditionnelle. Egalement, on retrouve, d’une part une polyphonie traditionnelle sous forme de question/réponse couramment utilisé dans le folklore, et d’autre part des voix où la polyphonie est « dissonante », les 2ème ou 3ème voix ne sont pas toujours à la quinte ou à la tierce.

Lors de l’interview, Lila nous raconte comment leurs influences se retrouvent dans leur création avec le deuxième chant de l’album « Cotelon » composé et écrit par Cocanha. Lila s’inspire de la culture hip-hop et du groupe américain Migos pour créer le placement rythmique de ce jeu vocal à trois voix saturées. Pour reproduire l’ambiance d’une partie de ce morceau, elle s’est aussi inspirée du cinéma et du chant flamenco en voulant recréer l’énergie de la foule qui encourage le chant lead.
On note aussi une influence rock où elles collaborent avec le duo de rock noise SEC et crée le groupe TUST.


ALON DANCAR ! ALLONS DANSER !

Cette envie de tordre la source d’origine se retrouve dans leurs différents clips qu’elles réalisent elles-mêmes où la danse est portée au premier plan avec des chorégraphies élaborées alliant danse traditionnelle, nord-africaine et contemporaine toujours dans cet esprit de communion, de fête et de solidarité humaine.
La fonction principale de leur musique est la danse. Elle a un rôle social et donne libre cours à l’expérience sensorielle du corps. Elles nous confient qu’elles s’amusent à bousculer les codes pour les danseurs en créant des carrures irrégulières et en décalant les structures dans certains morceaux. A ce sujet, le travail d’arrangement est crucial comme nous le verrons dans la partie de l’analyse musicale.
Cocanha privilégie trois danses traditionnelles. Lorsqu’elles créent elles se demandent comment cette musique sera dansée ?
La forme de danse la plus rencontrée dans l’album est le rondeau, c’est une danse traditionnelle de Gascogne apparentée aux branles de la Renaissance. Il peut être dansé dans les bals traditionnels en couple ou en chaîne ouverte de plusieurs personnes en combinant des pas à caractères sautillants longs et brefs sur un rythme binaire.
Le branle en chaîne « lo branle » est rattaché aux danses en ronde où l’on se tient par la main en balançant les bras au tempo de la musique. Pour le branle simple le pied gauche ou droit s’appuie sur le temps, « la communauté affirme rituellement son existence ». Il peut être binaire, ternaire ou mixte.
La bourrée à 3 temps est dansée sur un rythme ternaire en groupe ou en couple et prend ses origines dans le Massif Central. Les pieds sont posés régulièrement sur les trois temps. Il existe également des bourrées à deux temps. Pour plus de précisions, vous trouverez dans la partie analyse un tableau résumant les danses associées à chaque chant de l’album Puput.


Analyse

Structure

Lors de notre analyse de l’album, nous avons pu constater que la structure des morceaux est assez singulière par rapport aux structures “classiques” [Couplet-Refrain] des musiques pop/rock, actuellement très populaires en Occident. En effet, elles sont plus compliquées à établir ; on arrive parfois à faire émerger un couplet mais, très vite, on se rend compte que ce couplet est répété et évolue tout au long du morceau. On serait alors tenté de parler de “parties” plutôt que de couplet à proprement parler. Plus que la structure, c’est la dynamique et les paroles qui font sens pour saisir la cohérence de chaque morceau. Une des dynamiques inhérente à tous les morceaux de l’album c’est la répétition de parties qui évoluent au cours du morceau à travers l’évolution de l’instrumentation (ajout progressif de nouvelles harmonies vocales, de nouveaux rythmes…).

Modes

Dans les 13 morceaux qui composent l’album, on retrouve une relative diversité dans les modes utilisés bien qu’il y ait une prédominance des modes ionien et dorien. Cependant, cette recherche des modes dans leurs morceaux est uniquement le fruit de notre analyse puisque, comme nous l’a confié Lila Fraysse lors de notre interview, elles ne conscientisent pas les modes lorsqu’elles composent puisqu’elles n’ont pas ces connaissances théoriques. Lorsque la mélodie n’est pas issue du collectage, elles composent à l’oreille sans se soucier de l’échelle musicale sous-jacente. C’est pourquoi, il nous était parfois difficile de nommer certains modes, si peu utilisés qu’ils ne possèdent pas de nom propre. 

Rythmique

La signature rythmique de chaque morceau est établie en fonction de la danse qui lui est associée. Cependant, Caroline Dufau et Lila Fraysse aiment à complexifier la division rythmique de leurs morceaux en utilisant des cycles de mesures peu conventionnels (cycles de 9 et de 11 mesures comme dans Quauque Cop), et ce pour sortir des schémas de carrures plus “standards” (= cycles de 8 ou 16 mesures) très présents dans les musiques actuelles occidentales.

TitreModes utilisésSignature rythmique et danse associée
Suu Camin De Sent JacquesIntro : B ionien
Couplet 1 : Bb ionien
Couplet 2 : F ionien
4/4 et 6/4 (binaire)
Rondeau traditionnel
CotelonE mineur harmonique12/8 (ternaire)
Bourrée à 3 temps
Colorina de RosaEb ionien4/4 (binaire)
Branle pyrénéen
Quauque CòpA andalou 6xte majeure4/4 (binaire)
Rondeau traditionnel

Dos Branlaboièrs
F# ionien, C dorien, D dorienNon-mesuré
JanetaE ionien12/8 (ternaire)
Bourrée à 3 temps
La SovenençaD dorien, D mineur mélodique4/4 (binaire)
Rondeau traditionnel
La Femna d’un TamborC ionien, C mineur harmoniqueNon-mesuré
Lo Castèl RogeDb mineur harmonique3/4 (binaire)
Valse
Au Son Deu VriolonDb ionien4/4 (binaire)
Rondeau traditionnel
Bèth AubreBb ionien Non-mesuré
Los AucèlsAb ionien, Db ionien4/4 (binaire)
Scottish
Quauque Còp (version polifonicà)F éolienNon-mesuré

Processus créatif

Le collectage comme étape initiale
Suu camin de Sent Jacques
D’après Chants populaires de la Grande-Lande, Félix ArnaudinEdité par Jacques Boisgontier et Lothaire MabruParc Naturel Régional des Landes de Gascogne – Editions confluencesTraditionnel gascon
Cotelon
D’après le livre Femmes pyrénéennes, un statut exceptionnel en Europe d’Isaure Gratacos, Fées et Gestes – Editions Privat, 1987
Ecrit et composé par Cocanha
Colorina de ròsa
Traditionnel béarnais
Quauque còp
D’après le document audio « Quauque còp quan jo rotlavi », interprété par François Casabonne-Trey, collecté par Guy-René Busnel le 13 août 1957, InÒc – Son d’AquíParoles de la deuxième partie ajoutées par Matiu Dufau, d’après le recueil Hèch de cansous, Jacques Cauhapé, édité par Nosauts de Bigòrra, 2007Traditionnel béarnais
Dos branlaboièrs
D’après le vinyle 33 trs Cantaires del Naut-Agenès, interprété par Félicien Beauvier et Marie Vigne collecté par Pèire Boissière, Association Culturelle Aquitaine pour les Musiques PopulairesTraditionnel du Haut-Agenais
Janeta
D’après le collectage vidéo « La Cançon de Janeta » interprété par Fernand Vialaret, Canton de Cassanhas, collecté par Christian-Pierre et Amic Bedel, Al canton – Rouergue, années 2000Traditionnel rouergat, paroles réécrites par Cocanha
La sovenença
D’après le disque Musiques et voix traditionnelles aujourd’hui : les voix, Conservatoire Occitan de Toulouse, 1990Traditionnel gascon
 La femna d’un tambor
D’après l’interprétation d’Antoine Marthon à Chaunac le 29 août 1913, La mission Brunot – Août 1913 – Fin d’un bel été en Corrèze publié par les AD19 en partenariat avec le CRMTL. BnF, dep. audiovisuel, AP-195 A, catalogue Coirault : type 5505 « La femme du roulier », transcription Dominique Decomps
Lo castèl roge
Transmis par Xavier VidalTraditionnel du Quercy
Au son deu vriolon
Cf. Suu camin de Sent JacquesTraditionnel gascon, paroles réécrites par Cocanha
Bèth aubre
Cf. Suu camin de Sent JacquesTraditionnel gascon

Los aucèls
Première partie composée et écrite par CocanhaDeuxième partie d’après « A las floretas del Grand Ramièr » de Pèire Godolin tiré du Ramelet Mondin, prumièra floreta, 1617

Comme on peut le constater, les sources d’inspiration du groupe Cocanha sont principalement issues du patrimoine culturel et traditionnel occitan.
Ces sources ont été amassées au cours de collectages et se présentent sous trois formes principales :
– le recueil de chants traditionnels et populaires (ex. Suu camin de Sent Jacques),
– l’enregistrement audio ou disque (ex. Quauque còp),
– l’enregistrement vidéo (ex. Janeta), et enfin
– la transmission orale du chant traditionnel (ex. Lo castèl roge).

Cette source sert de point de départ au processus de composition du groupe Cocanha. Elle offre tout ou partie des éléments suivants : paroles, mélodie, rythmique et danse associée ; qui seront ensuite plus ou moins transformés au gré des choix artistiques du trio.
Deux morceaux échappent à cette étape initiale : Los aucèls et surtout Cotelon.
En effet, ces deux morceaux ne sont pas issus de chants traditionnels occitans et on été entièrement composés par le groupe.
Néanmoins, pour Cotelon, par exemple, le texte et le processus créatif du morceau sont inspirés d’un jeu traditionnel et érotique évoqué dans l’ouvrage Femmes pyrénéennes, un statut exceptionnel en Europe d’Isaure Gratacos.

Un autre apport créatif des musiciennes se situe dans la modification des paroles traditionnelles des chants dont elles s’inspirent. En effet, certains de ces textes sont jugés misogynes par le rôle peu valorisant qu’ils apprêtent à la femme occitane de leur époque. Les paroles sont donc réécrites et modifiées pour offrir une image de la femme occitane qui s’accorde avec les valeurs féministes et humanistes du groupe.

Le chant, la danse, le jeu et l’expérimentation comme moteur

Une fois ces éléments réunis, c’est en s’appropriant les sources traditionnelles que Cocanha prolonge le processus créatif. Chanter pour mettre en place les polyphonies, danser pour intégrer corporellement les rythmes et jouer et expérimenter afin d’établir et d’affiner les arrangements. Voici la recette du groupe pour réactualiser une partie du patrimoine musical occitan. Sans oublier les tambourins à cordes qui accompagnent et rythment la démarche.

La production comme étape finale

Cocanha s’est associé au producteur catalan Raül Refree pour la réalisation de l’album Puput. Cette collaboration a permis au groupe de faire évoluer son univers sonore par rapport au premier opus i ès ? qui se voulait un compte-rendu fidèle de l’expérience scénique proposée par les musiciennes.

Un travail a donc été réalisé sur les textures sonores des différents éléments de l’instrumentarium : les voix, les tambourins à cordes, le kick (plancher en bois), les claps de mains. Le tout donnant un son se rapprochant des esthétiques pop et électro avec toujours cette volonté d’amener l’auditeur vers la danse (ou de transformer l’auditeur en danseur).


Sources

Sites internet
Cocanha – Site officiel
Revirada – Traducteur automatique occitan

Ouvrages
– Frank Tenaille: Musiques et chants en Occitanie. Création et tradition en Pays d’Oc. Correns / Paris: Le Chantier, éditions du Layeur, 2008. 296 pages
– Cécile Marie : Anthologie de la chanson occitane. G.-P. Maisonneuve et Larose, 1975. 268 pages
– Alain Monnier : Petit éloge amoureux de l’Occitanie. Editions Privat. Mai 2022. 190 pages

Revues
– Revue mensuelle de la Maison des jeunes et de la Culture de MONTFLANQUIN (Lot et Garonne) N°176 à 179 : Juin à Septembre 1980.Quo’s pas fenit, culture traditionnelle occitane en haut-agenais chants danses musiques contes jeux… Editeur ASS 4 cantons Haut Agenais
– Revue Hermès 2020/1 (n°86). Chanter en langue régionale dans un contexte global. Les musiques occitanes entre pop, folk et avant-garde. Michael Spanu. page 130 à 133

Articles en ligne
Langues vivantes – Libération
Cocanha, le duo féminin qui revisite la musique occitane
Au festival des Suds, occitan en emporte le chant – Libération
La transe polyphonique occitane de Cocanha

Vidéos
Interview Karton – 2020
Interview  Le Zèbre en coulisses – 2022


Préparé et rédigé par Maël BACQUET, Sabine CHAÏB, Clément COSME, Mathis DENYS, Fabien ESPILIT et Rayra MACIEL.