Mandarine – Mandarine


À l’origine du groupe, on retrouve Martin Palmero et Julien alias Dr chill

Martin et Julien se sont rencontrés à Toulouse alors qu’ils préparaient un BTS audiovisuel. Julien composait déjà tandis que Martin rappait de son côté, ils développent alors des affinités et se mettent à travailler ensemble.

Une fois leur BTS terminé, les deux amis eurent l’idée de monter un groupe et entreprennent alors le projet « MANDARINE » en 2018 en produisant leur premières compositions, dont leur tout premier morceau intitulé “LOVVE”.

Julien rencontre alors un guitariste, Arnaud, avec qui le groupe se produit pour la première fois sur scène en formation trio, puis Simon, saxophoniste, qui vient ajouter sa touche au projet alors qu’il partageait une licence de musicologie avec Martin et Julien. Ils réalisent rapidement qu’ils partagent une énergie similaire, qu’ils décident de nommer « Flexus ».

Les 4 musiciens rencontrent dès lors un franc succès, en travaillant leurs personnages de « danseurs showman » et leurs chorégraphies en live, puis en mettant en place des “Mandarine Party”, dans lesquelles une nouvelle génération de rappeurs toulousains se retrouve sous les feux des projecteurs.


Mandarine, l’interview

Une interview préparée et réalisée par Arthur Hybertie, Mathias Marguier, Louis Papon, Paul Rowan, Mateo Perfetti & Nolan Troupé

L’album

M A N D A R I N E Mandarine, 2020

Dans l’album Mandarine paru sur les plateformes de streaming le 20 novembre 2020, on retrouve un univers dans lequel chaque musicien joue un rôle essentiel. Il est clair que même si l’album s’inscrit dans un courant hip-hop/rap, l’instrumental et le chanteur se partagent équitablement la lumière en laissant apparaître la “patte” de chacun, avec des influences électro et même jazz (que l’on peut notamment identifier dans les chorus présents dans la majorité des morceaux).

De manière globale, on retrouve une construction similaire entre les différentes composantes de l’album, c’est-à-dire un léger crescendo général, tant dans les nuances et le timbre que dans les mots, que l’on retrouve principalement dans les morceaux Lampion Bleu et Douche Froide. On sent également que l’arrangement et la structure des morceaux occupent une place centrale dans la construction de l’album. En effet, chaque partie des morceaux est travaillée dans le but de dégager une émotion particulière, et on observe ainsi des variations qui peuvent être importantes au sein du même morceau, mais qui s’inscrivent toujours dans une certaine logique et cohérence. La présence de thèmes interprétés par les différents instruments (guitare et sax principalement) nous renvoie à nouveau vers des inspirations du monde jazzistique, avec un caractère très planant et une recherche harmonique relativement poussée, contribuant à l’installation d’un certain climat pour les paroles du chanteur. Par ailleurs, ce dernier ne se retrouve pas toujours au premier plan lorsqu’il s’exprime, et des effets de mix comme la reverb ou la voix octaviée dans les backs lui permettent de se fondre dans le timbre instrumental , comme s’il faisait lui même partie intégrante de la couleur sonore, et n’était plus chanteur lead. 


Influences

Même si chaque rappeur possède son propre style, on peut tout de même identifier certains modes d’écriture que des communautés de rappeur se partagent. A la manière du jeu des jazzmen, le flow d’un rappeur se nourrit de l’exemple des générations antérieures, et Martin ne constitue pas une exception. Pour les productions groovy et syncopées de “Totem” et “13 types”, on note un flow swingué à la manière du “Boom Bap New School” des années 90, en pensant tout naturellement à Tupac, Notorious Big ou encore Eminem du côté des Etats-Unis, mais aussi plus récemment l’Entourage avec Nekfeu, Alpha Wann ou encore Jazzy Bazz chez les artistes français. Martin se démarque tout de même de ce mouvement, puisqu’il ne rappe pas en continu comme le font les rappeurs cités, mais adapte son flow pour laisser s’exprimer l’instrumental.

 On identifie également des influences plus récentes, comme la précision rythmique du placement du deuxième couplet de “Kung fu Twister”, qui rappelle des ambiances que l’on peut retrouver chez Laylow ou Lord Esperanza. Enfin, les ambiances sonores et l’énergie “Flexus” que revendique le groupe (terme d’ailleurs cité comme une signature dans le morceau “13 types”) peuvent faire écho à des artistes comme l’Or du Commun ou Roméo Elvis, qui retranscrive cette volonté de mettre le public dans la meilleure ambiance possible avec une pointe d’exagération et d’auto-dérision. On retrouve aussi cette énergie du côté du groupe “Old School” américain nommé Public Enemy, à travers le morceau « Don’t believe the hype ».

D’un point de vue instrumental, Mandarine tente de se libérer des contraintes du “mainstream” en s’inspirant de la scène rap indépendante dont la démarche artistique s’inscrit dans la lignée du rap expérimental. Dans cette esthétique datant des années 80, on retrouve un principe de recherche d’émancipation des normes musicales de l’époque, en remplaçant les samples “mélodiques” par des bruitages faisant de l’harmonie un élément secondaire, avec des textes plus abstraits. On retrouve chez le groupe un état d’esprit proche du sous-genre Left Field Hip-Hop, genre où la virtuosité du producteur est valorisée en comparaison au MC. Dans les albums de left-field, les éléments techniques d’écriture comme les rimes sont bien sûr présents mais existent pour former une symbiose avec l’instrumental. Le morceau doit être une fusion conséquente de tous les détails incorporés dedans alors des samples qui s’apparentent plus à des bruitages sont ajoutés pour étoffer ce mélange.

Le rap expérimental est une branche du hip-hop qui a comme conception fondamentale de se démarquer de la scène rap ordinaire, pourtant l’expérience et la culture musicale riche et variée des membres de Mandarine leur offrent un éventail technique propice à un mélange plus éclectique. En effet, la direction artistique du groupe suit ces grands préceptes de prise de recul vis-à-vis du principe de composition de la musique commerciale, tout en reconnaissant l’importance et la richesse qui existe dans les genres musicaux plus anciens.

Comme énoncé dans l’introduction, Martin, Julien et Simon possèdent tous les trois une formation musicale jazzistique grâce à leurs études de musicologie jazz dans la faculté de Jean Jaurès à Toulouse. Il est donc intéressant de remarquer que les trois membres du groupe ont su tirer profit de leur apprentissage et l’intégrer dans leurs travaux, à travers les différents passages de chorus que l’on retrouve dans les morceaux Lady Margareth , Lampion Bleu et Daddy Margareth, mais aussi les différents thèmes et voicing/backs que l’on retrouve au sein de chaque morceau. En effet, à la manière des harmonies, les mélodies jouées par les cuivres aspirent le plus souvent à se libérer des habituels et intuitifs mouvements que l’on peut par exemple retrouver dans les cadences parfaites. Dès lors, l’utilisation de la modalité dans les différents morceaux se rapproche beaucoup de celle que l’on peut trouver chez des artistes de jazz fusion comme Herbie Hancock ou Miles Davis (années 80). On peut retrouver d’autres groupes récents qui suivent cette lignée, comme Headbanger avec l’album “Darkside of a Love Affair”, ou encore la groupe Initiative H.A l’instar des groupes cités, on note également de fortes influences de rock et musique anglophone. Comme évoqué dans l’interview par Julien et Martin, ce genre musical fut l’une de leurs premières approches de la musique, et donc une part importante du développement de leur identité musicale, avec des groupes comme Muse ou encore Radiohead. L’énergie du Flexus fait d’ailleurs écho à la vague de libération amenée par le rock dans les années 70. On retrouve cette esthétique particulièrement prononcée dans la dernière partie de douche froide, avec la guitare saturée et l’ambitus sonore très large.


Analyse instrumentale

La construction de la plupart des pistes de Mandarine est simple mais efficace: elle consiste à faire contraster une partie initiale et une suite, avec plus ou moins de variations dans l’harmonie et dans l’arrangement. Il convient de souligner l’unité au sein de chaque partie, et la cohérence générale entre celles-ci. Il arrive qu’un retour vers la première partie serve de coda.

Comme expliqué lors de l’entretien avec le groupe, l’instrumentation des morceaux dépend lourdement de l’utilisation de la musique assistée à l’ordinateur, ce qui confère une grande liberté et une grande variété à chaque piste. Néanmoins, la guitare et la trompette restent une constante dans l’arrangement, la guitare ayant notamment un rôle accompagnateur riche en arpèges complémentant l’harmonie. Par ailleurs le groupe privilégie les sonorités à attaque faible et une bonne quantité de reverb. L’empilement progressif de nappes tenues crée un effet de masse appréciable, tout autant remarquable lorsque cette masse est brutalement coupée, comme lors de la transition de l’intro vers le couplet de 13 types.
En dehors de la fonction lead de la trompette et le rôle accompagnateur de la guitare, on a par moments des inversions, avec la trompette qui joue des notes tenues et la guitare qui joue des lignes mélodiques souvent âpres et répétitives, comme par exemple dans Kung-fu twister, avec un effet rappelant les disques de surf-rock des années 60.
Il convient de souligner que Mandarine n’emploie pas de batteur ou de percussionniste : les rythmiques sont entièrement créées dans Ableton live, cette pratique se liant étroitement à la tradition des beatmakers.

La notion de boucle

La boucle est une notion fondamentale pour Mandarine, et sert d’élément de construction primordial. Cela n’a rien de surprenant dans le contexte du rap, une boucle stable permettant au rappeur de mieux poser son texte. Mandarine se démarque dans l’emploi de plus d’une boucle dans certains morceaux, l’utilisation de boucles dont le rythme harmonique n’est pas égal partout, et en faisant varier ce rythme par moments. La nature même de ces accords pose également une contradiction intéressante, certains morceaux comme Lampion Bleu ou Totem ne présentant qu’un seul accord dans l’aigu dont la basse change la nature, tandis que la majorité se revendiquent bien comme s’inspirant du jazz, avec des superstructures bien assumées.

Échanges modaux

Au-delà des changements d’accords, une chose qui se fait remarquer dans l’album Mandarine est l’insistance sur les mélanges de modes et une volonté d’appuyer ces contrastes, presque toujours lors des sections chorus. La technique de faire ressortir des notes cibles et de prendre un mode comme un ensemble doit évidemment beaucoup au jazz, particulièrement dans le jazz modal et le cool-jazz.

Influences

La pratique instrumentale au sein de Mandarine constitue déjà une clef pour comprendre ses influences diverses. L’utilisation de la trompette hérite d’une tradition scolaire du jazz, tel qu’on pourrait l’apprendre en cours d’improvisation au mirail, tandis que les procédés guitaristiques sont plutôt inspirés du rock. Les influences de Mandarine sont au début principalement anglophones, et on peut dire que le groupe a plus de points communs avec le rap underground américain que le mainstream français. Cette liaison se reflète indirectement dans l’esthétique visuelle du groupe, et dans leur crédo qui propose une libération par l’art de l’ennui : le concept de flexus.


Analyse vocale

 Le flow du rappeur Martin Gillod s’avère être relativement variable en fonction de l’ambiance apportée par l’instrumental. En effet, on peut aisément constater que l’ambiance vocale du morceau “Daddy Margareth” dénote complètement de celle de “Kung Fu Twister”, et on peut même s’apercevoir que les deux couplets du morceau “Lampion Bleu” sont eux aussi assez différents. L’éclectisme des sonorités au sein des textes sont une preuve de la capacité de Martin à s’adapter à une ambiance, un timbre ou un élément de l’instrumental particulier, en utilisant une figure rythmique (alliée à la mélodie lorsqu’il chante) nette et aisément identifiable. Par exemple, le placement syncopé du premier couplet de “Totem”, qui s’identifie majoritairement par deux doubles croches suivie de trois doubles sur les contretemps puis de deux croches, se retrouve également de manière récurrente dans le deuxième couplet, dans lequel il utilise pourtant un timbre de voix différent que pour le début du morceau. A l’inverse, dans “Kung Fu Twister”, les deux couplets sont basés sur un motif rythmique différent : Deux croches + double/croche pointée + noire/ syncope sur un temps + deux croches pour le deuxième. Ces variations sont le reflet des deux personnages distincts interprétés par Martin, un homme charmé intervenant sur le premier couplet, et une femme désintéressée intervenant sur le deuxième. Dès lors, nous pouvons commencer à comprendre la logique d’écriture du rappeur, et ainsi constater que l’interprétation des textes occupe une part importante de la direction artistique du groupe. 

En effet, si l’instrumental possède autant de moment “privilégiés” de l’album, c’est aussi pour partager la partie narrative des morceaux, habituellement conférée à l’auteur des textes. Le rappeur, partageant la lumière avec la production instrumentale, aspire, de fait, à mettre le plus en accord possible son texte et l’ambiance sonore dans son interprétation. On pense notamment au premier morceau, Lady Margareth, dans lequel un jeune homme constate sa timidité lorsqu’il est confronté à une femme (cette Lady même). Martin utilise alors un flow lent et mal articulé, dans lequel on ressent presque de la détresse. Dans la suite du morceau, le jeune homme prend confiance et l’affirme avec un flow rythmé rapide et assuré:

 “Mon love connaît pas d’temps pas d’peur/ Pas d’compte à rendre, pas d’timidité/ Mais pour elle j’invente un p’tit jeu d’acteur/ Puis j’sais c’qu’il m’reste à faire”.

La suite de l’album contient bon nombres d’exemples comme celui-ci, avec de la colère et de l’insouciance dans Totem ou de la terreur dans Douche froide, mais l’exemple le plus flagrant du lien entre l’instru et la voix se trouve surement dans le dernier morceau “Daddy Margareth”. On y trouve une alternance entre les métriques 3/4 et 4/4 qui, juste après refrain,crée une sensation de lenteur soudaine, accentuée par le rappeur qui joue avec le temps dans son placement, comme s’il le tirait en arrière. Il est d’autant plus satisfaisant de constater que le texte est ici : “ Han, c’est terrible/ J’ai la tête loin et le corps ici/ J’ai tout pour être bien mais je me sens si triste/ C’est terrible”. Nous avons ici la preuve d’une grande interaction entre la musique et le texte, qui prouve que les mots de l’auteur n’aspirent plus seulement à être écoutés, mais aussi à être entendus par son auditoire. 

Cette volonté se reflète aussi et surtout dans la qualité du travail fourni au sein même du texte, plus particulièrement dans l’alliance du son et du sens qui constitue une part importante de la méthode d’écriture de Martin. On en relève divers exemples parmi les plus notables dans les premiers couplets de “Kung Fu Twister” et de “Douche Froide”, puisque ces derniers sont fondés sur un placement bien régulier et clairement identifiable. Cependant, on retrouve cette logique dans la quasi totalité de l’album : “Mon coeur bat fort […] Faut pas qu’j’m’affole” (Douche froide), le refrain de “Lampion Bleu” avec les assonances en “-S” et les rimes avec le mot “sent” dans “13 types”: “Je sais que l’honneur c’est important / Le truc c’est qu’on est un pour cinq / Nos chances sont pas plus d’un pourcent, c’est bien pour ça que je doute”, etc…