Radio FMR


FMR est une radio associative toulousaine imprégnée du mouvement punk, de sa création à nos jours.

Sous le slogan « No future », la radio non-commerciale se refuse depuis quarante ans à toute forme de publicité rémunérante et est connue pour promouvoir des artistes locaux ainsi que pour l’organisation de concerts et autres événements.

Portée par quelques membres passionnés et aujourd’hui encore actifs, cette radio expérimentale et atypique a su se professionnaliser au fil des années et gagner en expérience, tout en conservant son esprit initial. Elle est aujourd’hui une archive vivante du mouvement punk français des années 1980 et participe à des projets de conservation culturelle comme le projet de recherche « Punk is not dead » lancé par les chercheurs Solveig SERRE et Luc ROBENE, chargés de recherche au CNRS.

Marquée par de nombreux changements de studios ainsi qu’une adaptabilité et une persévérance qui a su traverser le temps, la radio FMR sait se distinguer par la programmation d’émissions atypiques et provocatrices. Elle a su actualiser pendant plus de quarante ans sa diffusion musicale tout en restant à l’écoute du public et dans le non-conventionnel, se préservant des gros titres commerciaux.

Toujours ouverte aux nouvelles idées ainsi qu’aux mouvements non-conventionnels, elle fut notamment dans les premières radios à s’ouvrir au mouvement geek et à la musique électro. Rien ne semble arrêter l’équipe d’animateurs toujours entraînée par la bonne humeur et l’absence de pression.


Entretien avec Pierre Rogall et Monique Blanquet

Première partie

Deuxième partie


Contexte : Punk et émergence des radios libres en France

Le Punk en France

Le mouvement Punk français désigne la culture et la musique française punk rock en France qui émergent en 1976, inspiré par les groupes du genre américain comme les Stooges. Dès les années 1980, la vague punk se popularise et se médiatise significativement en France.

Le mouvement anarcho-punk des années 1980, musical et sans idéologie, jette les bases de la philosophie du « Do It Yourself », tandis que les pionniers vendent leur âme au capitalisme.

Le mouvement punk est avant tout l’expression d’une contestation politique, sociale et culturelle. Désormais, les fameux « No Future », « Anarchy » ou « Punk is not dead » deviennent les slogans d’une jeunesse qui va exprimer sa vitalité dans une nouvelle direction: « the punk way! « .

Radios pirates et radios libres

Mouvement de radios qui émettent clandestinement dans les années 1970 pour revendiquer la liberté d’expression et la fin des monopoles d’Etat dans le domaine de la radio et de la télévision.

Héritées du mouvement anglais de la « free radio » (= radio pirate) et du mouvement italien « radio libere », les radios libres naissent en France à partir de 1977. Ces radios illégales ont pour but de mettre un terme au monopole de l’Etat sur la radio et la télévision.

La loi du 9 novembre 1981 conçoit des dérogations au monopole d’Etat pour les radios locales privées associatives. Les radios libres peuvent alors émettre en modulation de fréquence, mais sans diffuser de messages publicitaires.

En 1982, la loi du 29 juillet proclame que la « communication audiovisuelle est libre » et abolit le monopole d’Etat sur l’audiovisuel. Le plafond des recettes de publicité est supprimé et 2000 radios libres sont recensées.

En France, la radio et la télévision sont soumises au monopole de l’Etat jusqu’en 1981, par le biais du ministère de l’information, qui dirige l’ORTE jusqu’en 1974, puis sous la forme de sociétés nationales (TF1, antenne 2, FR3, radio-france…).


Les débuts de FMR

En novembre 1981, une vingtaine d’amis se réunissent au bar des Deux Anes, rue de L’industrie, dans le centre de Toulouse, et lance le projet d’une radio. Le projet plaît, et fin novembre, une cotisation est demandée pour acheter un émetteur. L’attribution des fréquences promises par la gauche arrivée au pouvoir n’étant pas encore décidée, la 97.7 est donc choisie en toute illégalité.

En décembre 1981, la radio trouve un local. Une connaissance ouvre un bar, le Regalty, avenue de Grande-Bretagne, et propose que le studio de la radio soit installé au premier étage, juste au-dessus des cuisines, ce qui marquera olfactivement les futurs animateurs. Le studio n’ayant pas d’électricité, le « bidouillage » fut de mise.

Le Regalty est un lieu de passage où chaque personne est libre de venir s’exprimer si « il a quelque chose à dire ». C’est là tout l’objet de cette expérience : donner la parole aux citoyens et en premier lieu aux artistes. Dans la tendance punk/rock, la radio procède à une démarche minimaliste et conforme au slogan du slogan du mouvement « No future ».

FMR n’avait pas pour ambition de durer, c’était une expérience qui se voulait, comme son nom l’indique, éphémère. L’équipement du studio est alors minime puisque l’équipe ne dispose que d’un tourne disque, d’une platine cassette, de deux micros et d’une petite table de mixage. Ce sont les débuts d’une expérience qui réunit alors étudiants et lycéens, ainsi que les habitués du Regalty.

Au printemps 1982, la grille d’émission se met en place et le téléphone est installé. La radio prend forme : elle émet un peu plus loin (non plus seulement chez le voisin mais aussi dans la rue d’à côté), de vrais projets d’émission se concrétisent et des concerts sont organisés sur le parking du Géant Casino du quartier du Mirail. Un premier succès puisque 3000 à 4000 personnes viennent assister aux concerts gratuits et la radio commence à se faire un nom.

Au retour de vacances de l’équipe, le studio est dévasté et l’émetteur est en panne.

La radio est déclarée

Le 8 janvier 1982, les statuts de l’association sont déposés et le CSA délivre une dérogation permettant de se voir attribuer légalement une fréquence. La radio acquiert une certaine notoriété. Elle devient une référence dans le monde du rock toulousain. Pourtant, la qualité d’émission de la radio est plus que déplorable. De vingt watts en théorie, elle ne diffuse en réalité qu’un demi watt. Les émission sont presque inaudibles tant la qualité du son est mauvaise. Mais les animateurs de désespèrent pas…


La place des Puits Clos

Au bout d’un an, les animateurs décident de déménager et d’investir dans du matériel. Le 27 janvier 1983, FMR s’installe dans une grande cave au cœur de Toulouse, place des puits clos.

La radio s’équipe alors d’un émetteur de cent watts et met en place un studio permettant une meilleure qualité d’émission. La radio change aussi dans son organisation. La grille d’antenne est restructurée. La programmation musicale tout en gardant une prédominance pour la musique punk s’ouvre à d’autres genres musicaux, tels que le jazz, le classique la musique industrielle… Bien que normalisant son discours à l’antenne, FMR reste une radio ouverte. Les émissions sont souvent accessibles par téléphone et conservent leur dimension provocatrice en favorisant les interventions des auditeurs sur des sujets parfois tabous. La radio ouvre ainsi l’antenne, ce qui conduit parfois à des dérapages verbaux et à des rappels à l’ordre de la part des pouvoirs publics.

En s’organisant, la radio diversifie ses activités en diffusant d’une part des live dans ses studios auxquels assistent parfois une centaine de personnes, mais aussi en organisant des concerts, en produisant des disques ou cassettes (au printemps 1983, la radio sort sa première compilation en 1000 exemplaires et en fait le lancement avec un grand concert à La Halle aux grains), en ouvrant des lieux d’expression et de création à des jeunes peintres toulousains… Toutes ces initiatives permettent à chacun d’exercer son talent : les musiciens diffusent leur production, les artistes plastiques s’expriment sur les affiches et les pochettes de compilations…

La physionomie de la radio est aussi transformée par le recrutement de quatre salariés qui assurent une permanence dans les locaux et permettent d’achever la normalisation du fonctionnement de la radio (messagerie, mise en place d’une gestion de disques…).

La notoriété

FMR devient autant une radio qu’une référence à un certain styles, à un certain mode de vie et à une démarche culturelle particulière. Une richesse qui fait de radio FMR une pointure en musique et en programmes culturels et d’informations.

FMR renforce sa notoriété lors du passage des journalistes du magazine « Actuel » dans les studios. Ce magazine de référence dans les années 1980 décrit alors la radio FMR comme « une radio branchée, innovante et expérimentale ». Une réalité dès 1987, la la première émission de musique « house » est diffusée sur FMR, qui est aussi un précurseur en matière de musique rap, techno, rockabilly, dub et jungle.

Un réseau

FMR s’est donnée pour mission de promouvoir des artistes locaux, nationaux et internationaux. Elle dispose alors d’outils précieux basés sur des relations. La radio est liée d’amitié avec la salle de concert du Bikini qui ouvre en 1984 et devient la salle de concert de référence toulousaine jusqu’à nos jours, et à échelle plus réduite avec la salle du Métronome. Les artistes promus par la radio se produisent sur ces deux scènes.

Par ailleurs, les liens avec le magasin de disques Atomium, situé au centre de Toulouse, permettent la promotion de ces artistes tout comme l’organisation d’expositions. Alors que les futures radios commerciales se construisent un réseau à l’échelle nationales, Radio FMR fait partie des radios qui tentent de construire un réseau pour promouvoir des artistes. Ainsi, des échanges de disques se font avec des radios locales et internationales. L’entrée de l’Espagne et du Portugal dans l’Europe en 1985 donne un nouveau souffle à ces échanges. Des groupes de musique provenant de ces deux pays ainsi que d’Italie sont accueillis par FMR et ses partenaires. FMR fait alors la promotion d’artistes qui auront rapidement une notoriété internationale : Sonic Youth, Lydia Lunch, … Le 9 mars 1985, un concert méditerranéen est organisé. Des groupes de toutes les nationalités se produisent et l’événement est diffusé sur toute la méditerranée par d’autres radios. Petite anecdote, si toutes les radios partenaires le diffusaient en direct, en Algérie, la retransmission est décalée de quelques secondes car le pouvoir algérien craint les interventions du groupe musical « Carte de séjour », auquel appartient Rachid Taha.

La radio participe aussi à des événements politiques et historiques. En 1989, elle obtient un stand dans le hall du Parc des expositions pour le bicentenaire de la révolution.


Au 9 bis avenue Frédéric Estèbe

Le déménagement

La radio reste place des Puits Clos jusqu’en 1989, date à laquelle elle déménage au 9 bis avenue Frédéric Estèbe, dans un local beaucoup plus grand. A l’origine un cinéma, ce local fut ensuite un parking puis une boite de nuit. L’idée était de pouvoir disposer d’une salle assez grande (300 places) pour faire des concerts et de les financer par les consommations au bar. De vastes studios sont alors aménagés et la salle connaît un succès rapide.

Plusieurs genres musicaux sont représentés sur la scène et à l’antenne. La radio est aussi sportive puisqu’elle organise des compétitions de football avec des artistes comme Noir Desir et Zebda.

FMR alors en pleine activité embauche plus de dix salariés qui s’occupent aussi bien de la radio que du bar et de la salle de concert. Mais cet espace demande un investissement humain lourd et les bénévoles ont du mal à gérer une telle « entreprise ». Les difficultés de gestion conduisent les animateurs à revoir leur copie.

Le « putain de tract »

En 1993 est lancé « le putain de tract de radio FMR », un hebdomadaire qui va durer six mois. Cet hebdomadaire de seize pages contient des chroniques cinématographiques, des programmes de concerts, des expositions et des critiques de théâtre et de bandes dessinées.


Radio FMR au Bikini (1995-2001)

Le local de l’avenue Frédéric Estèbe est ensuite abandonné et la radio fait face à de graves soucis financiers. L’un des fondateurs, propriétaire du Bikini, propose alors d’installer les studios sous le Bikini. Les bénévoles se mettent au travail et font d’un abris de terre battue de nouveaux studios avec vue sur la Garonne.

Les programmes qui s’étaient arrêtés au début de l’hiver 1994 reprennent en juin 1995. Tous les artistes se produisant sur la scène du Bikini passent désormais par le studio de FMR pour des interviews et parfois des live improvisés. A partir de 1995, les animateurs de l’époque favorisent les émissions électroniques et les émission parlées se font moins nombreuses.

Parallèlement, le nombre de soirées organisées par FMR au Bikini explose. On peut à l’époque en compter au moins une par semaine. La radio a tendance à se diviser en deux groupes. La décision de se séparer du Bikini et de partager l’antenne est alors prise. Radio FMR aménage ses nouveaux locaux dans le quartier des Minimes. Ce sera désormais Radio Radio, le matin, de 5H à 12H, et Radio FMR de 12H à 5H.

Le site internet

Parallèlement est lancé le site internet de FMR où les auditeurs peuvent correspondre avec les animateurs des émissions, donner leur avis, lire des comptes-rendus de concert… Dès 1999, la radio peut s’écouter sur le net.


Le Boulevard des Minimes (2001)

Le 21 septembre 2001, l’explosion de l’usine AZF détruit les studios du Bikini. Les dégâts sont trop importants pour penser à tout reconstruire. L’émission de FMR est arrêtée et la direction cherche un nouveau local. Ce sera le 9 boulevard des Minimes, proche de la gare. Ce local est un point stratégique pour recevoir des artistes. Composé de deux studios ainsi que d’une salle de réunion, il offre un espace suffisant pour faire vivre la radio.

Le concert des 25, 30 et 40 ans

Malgré les difficultés et les échecs, les réussites s’enchaînent. La radio pour laquelle tout semblait pouvoir s’arrêter du jour au lendemain a récemment fêté ses quarante ans et prépare l’avenir. En effet, après les concerts commémoratifs pour les 25, 40 et peut-être bientôt 50 ans, la radio se prépare à la relève de la future génération en essayant de conserver son identité. Les deux actuels co-présidents présents au fondement de l’association sont encore bien déterminés à continuer le plus longtemps possible. Nul ne sait ce que l’avenir peut leur réserver mais les nouveaux projets et sujets de réflexion actuels sauront faire parler parler de la fameuse radio toulousaine encore longtemps.

Pas si « No future » que ça

Pour fêter les quarante ans de la radio, le magazine toulousain Boudu leur a dédié, en plus de deux articles disponibles sur leur site, un fascicule retraçant leur histoire, leurs échecs, réussites, concerts et autres faits les concernant.

Un beau cadeau d’anniversaire pour la radio qui devient prospère.

« Punk is not dead! »

En coopération avec une équipe de chercheurs du CNRS pour un projet de recherches sur le mouvement punk des années 1980, la radio a été reconnue comme archive vivante de ce mouvement et participe activement à l’avancée de la recherche et de la documentation sur le sujet.


Programmes de Radio FMR

La programmation de radio FMR est extrêmement variée. Elle diffuse tous les styles de musique en passant par le classique, le rap, le rock ou encore le métal. La grille de programmation est faite sur quinze jours. Dans une même journée, on peut très bien écouter une heure de musique métal suivie de l’interview d’un musicien classique. Cette diversité permet d’attirer un public très varié. Elle ne se contente pas d’un style de musique, ce qui lui donne la popularité qu’on lui connait aujourd’hui et qui lui permet de toujours diffuser, malgré les difficultés qu’elle peut rencontrer. A la demande des auditeurs (si elle est importante), la direction de la radio se réserve le droit de modifier la grille de programmation.


Références

  • http://pind.univ-tours.fr
  • https://actu.fr/occitanie/toulouse_31555/fmr-une-des-premieres-radios-libres-de-toulouse-fete-ses-40-ans-avec-deux-soirees-d-anniversaire_46498334.html
  • https://actu.fr/occitanie/toulouse_31555/toulouse-fmr-la-plus-punk-des-radios-libres-fete-ses-40-ans-retour-sur-son-histoire_46551312.html
  • https://www.boudulemag.com/2021/11/fmr/
  • https://www.boudulemag.com/2021/11/philippe-frezieres/
  • https://fmr-mixes-classiques.lepodcast.fr