Noiser : le concert de metal, publics et sociabilités



À travers l’histoire de NOISER, mais aussi de sources externes, nous explorerons comment les concerts participent non seulement à la vitalité musicale, mais aussi à la construction d’une véritable communauté, à l’échelle locale et internationale. 


Un entretien avec Nicolas Bastide, un salarié de Noiser, enregistré dans les locaux de la bibliothèque universitaire centrale du Mirail le 18 décembre 2024.


Sommaire

Introduction et contexte historique

I- Public

  1. Les caractéristiques du public
  2. Les rites du public
  3. L’esthétique des shows et le rapport au public

II- Le spectacle

  1. L’économie du Metal
  2. L’importance des concerts liée à l’absence du metal dans les médias

Introduction et contexte historique

Né dans les années 1970, le metal s’est rapidement imposé comme un genre musical à part, mêlant riffs puissants, sonorités intenses et univers souvent provocateur. Initialement rejeté pour son caractère subversif, il a néanmoins su fédérer une communauté passionnée et mondiale. Aujourd’hui, le metal ne se limite pas à un style musical : il représente un mouvement culturel global, exploré par de nombreux chercheurs.

     Au fil des décennies, le genre s’est diversifié, donnant naissance à une multitude de sous-genres qui reflètent la richesse de ses influences (plus de 70 sous-genres étaient déjà répertoriés en 2006 par Gérôme Guibert). Le metal a su dépasser son statut initial de « sous-courant du rock » pour devenir un mouvement culturel polymorphe, capable de refléter et de s’adapter aux contextes locaux. Au-delà de la simple performance, les concerts et les festivals jouent un rôle central dans cette culture : ils créent des espaces dans lesquels les fans peuvent partager une expérience unique, en échangeant des émotions et célébrant leur passion collectivement. Ces événements, comprenant leurs propres rites, permettent de renforcer un sentiment d’appartenance. Aujourd’hui, le metal dépasse les frontières musicales : il est un véritable mouvement culturel, artistique et social. Dans le metal, où la scène live amplifie l’intensité sonore et visuelle, les concerts incarnent une expérience communautaire unique et un “rituel décisif”.

   En France, le metal a longtemps été marginalisé par les circuits musicaux traditionnels. Dans les années 1980, il était souvent ignoré ou critiqué par la presse rock. Pourtant, dès les années 2000, une croissance notable de l’offre de concerts a marqué un tournant, favorisée par le développement des festivals spécialisés comme le Hellfest (2006) et le Motocultor (2007), mais aussi par l’émergence d’associations locales dédiées. Ces associations, généralement gérées par des passionnés, ont joué un rôle crucial en offrant des opportunités aux groupes locaux de se produire dans des cafés-concerts, des salles municipales ou des lieux de quartier.

    À Toulouse, la scène metal, autrefois discrète, a connu une véritable montée en puissance grâce à des initiatives locales, dont l’association NOISER est un acteur phare. Créée en 2009, cette association à but non lucratif avait pour mission initiale d’aider les groupes locaux à accéder à des scènes équipées et à se rapprocher de leur public. En 15 ans, NOISER est passée d’une organisation modeste, gérée par quatre fondateurs, à une structure reconnue regroupant une vingtaine de membres (3 salariés et entre 17 et 20 bénévoles). Elle organise aujourd’hui environ 25 concerts par an, accueillant des groupes locaux et internationaux, et a permis à plus de 460 groupes de se produire depuis sa création. 

    Mais les associations comme NOISER ne se contentent pas de promouvoir des artistes : ils jouent un rôle clé dans le développement du tissu culturel local. Leur capacité à rassembler des acteurs variés témoigne de leur importance pour la cohésion sociale et la promotion d’une culture accessible à tous. Dernièrement, ils ont notamment effectué un événement collaboratif avec le salon de tatouage toulousain La Cour des miracles,  pour fêter leurs 15 ans d’existence, le dimanche 13 octobre 2024, au Bikini. Cet évènement a également regroupé Les Burning heads (groupe punk originaire d’Orléans), Lion’s Law (groupe de street punk parisien), les Siberian Meat Grinder (formation thrash metal de Russie), et le groupe toulousain de heavy rock Not your mother, dans lequel évoluent les tatoueurs du salon. Deux DJ, Chic Type et de Julien13, étaient présent proposant un mix électro et techno ainsi que d’autres artistes locaux de musique et de street art.

  En collaborant avec des artistes locaux et internationaux, des disquaires, des artisans, des producteurs, d’autres associations et même des maraîchers, NOISER incarne une dynamique inclusive et œuvre pour la cohésion culturelle tout en offrant une expérience de qualité, tant pour les artistes que pour le public.

  Pour rédiger cet article, nous avons rassemblé des sources provenant d’articles scientifiques, journalistiques, de forums ainsi que des vidéos. Mais nous sommes également allés recueillir nos propres données, notamment en effectuant un entretien avec Nicolas Bastide, l’un des fondateurs de l’association NOISER. Enfin, nous nous sommes aussi déplacés sur le terrain afin d’effectuer des entretiens informels auprès du public dans quelques soirées Toulousaines.

  C’est avec toutes ces recherches que nous avons souhaité nous interroger sur la place des concerts dans la musique metal. À travers l’histoire de NOISER, mais aussi de sources externes, nous explorerons comment ces événements participent non seulement à la vitalité musicale, mais aussi à la construction d’une véritable communauté, à l’échelle locale et internationale.


Le public

Les caracteristiques

La scène musicale metal, qui s’est constituée au fil des décennies comme un véritable mouvement culturel, voit dans le concert un élément fondamental de son identité. En effet, les concerts ne sont pas seulement des événements où l’on écoute de la musique, mais des espaces où se créent des liens sociaux forts, où les valeurs de la scène se vivent et s’affirment. À travers l’analyse des dynamiques de public, des préférences pour certains types de concerts et des questions de légitimité, il apparaît que le concert occupe une place centrale dans la culture metal, façonnant les interactions entre les fans et leur engagement envers ce genre musical.

Les dynamiques sociales du public du metal : un reflet de l’identité musicale

L’un des aspects les plus frappants du public metal est sa diversité en fonction des genres et sous-genres musicaux.

L’association Noiser a observé des distinctions marquées, notamment entre les genres comme le metal progressif et des styles plus extrêmes comme le grindcore, le black metal ou le stoner. Le metal progressif, par exemple, attire un public plus aisé, souvent composé de cadres et d’ingénieurs, tandis que des genres plus underground comme le grindcore ou le black metal séduisent un public issu des milieux populaires. Cette différence sociale reflète les caractéristiques propres aux sous-genres et leur capacité à toucher des publics variés.

La tranche d’âge des spectateurs est aussi étendue et se situe principalement entre 18 et 45 ans. Il est également observé une présence plus importante de femmes dans des sous-genres comme le hardcore.

Deena Weinstein (1991) a par exemple formulé l’hypothèse que, bien que prolongeant le mouvement contre-culturel des classes moyennes de la période hippie, le heavy metal est une musique consommée par les milieux populaires, les « cols bleus », selon ses propres termes. Dans cette perspective, il y aurait donc un rapport d’« homologie » entre la situation sociale des amateurs de metal et le contenu thématique de ce genre musical. L’imaginaire généré, relevant de l’idéologie, permettrait alors d’oublier la domination matérielle, c’est-à-dire celle provenant de l’infrastructure économique capitaliste. La perspective marxiste de Weinstein proposait ainsi un autre point de vue que celui de Straw (1990) qui appréhendait plutôt les amateurs de metal selon leur origine géographique. Dans les grandes lignes, pour ce dernier, les genres musicaux se distribuent entre un centre et une périphérie. Plus précisément, en Amérique du Nord, le heavy metal est une musique de banlieusards 9(« suburban areas ») à l’opposé du disco ou du punk qui sont davantage des musiques de centres urbains (« inner urban areas »).

Cependant, au-delà de ces distinctions, une constante se dégage : les fans de metal ne se contentent pas d’écouter la musique. Ils cherchent à vivre une expérience collective au sein de concerts, où l’identité musicale devient un moyen de se rattacher à une culture spécifique, parfois en opposition aux normes dominantes. Ces concerts sont alors des lieux privilégiés pour l’affirmation de soi et l’appartenance à une communauté, où les différences sociales et générationnelles se mêlent.

Le concert local : un lieu d’authenticité et de soutien à la scène indépendante

Plus largement, à partir de la notion de « scène », on peut voir comment les caractéristiques spécifiques des différents genres metal sont réappropriées en fonction des contextes locaux. On sait par exemple que quantité d’artistes black metal scandinaves recourent aux récits mythologiques nordiques pour alimenter leurs œuvres. Cette posture s’inscrit souvent contre les religions monothéistes et donc, en majeure partie, à rebours des croyances majoritaires. L’article de Meng Tze Chu, qui évoque le cas du black metal à Taïwan, nous montre un processus inverse. Dans ce pays qui résiste aux pressions expansionnistes chinoises, le black metal défend un registre de nation ancestrale qui épouse à la fois le discours des autorités en place et les sentiments de la population taïwanaise. Ce qui donne à penser que le caractère transgressif du metal peut, d’une certaine manière, être en phase avec des options politiques dominantes.

Les concerts locaux jouent un rôle central dans la scène metal, en particulier parmi les jeunes adeptes. Contrairement aux grands festivals ou aux grandes scènes, les concerts dans des lieux plus intimes, comme les skateparks ou les petites salles, sont particulièrement appréciés. Ces événements sont perçus comme offrant une ambiance plus authentique, propice à une connexion directe avec les artistes et les autres membres de la communauté. Il ne s’agit pas seulement de découvrir de nouveaux groupes, mais de participer à une expérience partagée, loin des enjeux commerciaux des grandes scènes.

Les publics de metal, selon les membres du public interrogé, semblent privilégier les concerts locaux, où il est possible de soutenir directement les artistes émergents. Cette préférence pour des lieux de concert plus petits témoigne également d’une volonté de vivre la musique de manière plus authentique. L’expérience vécue dans ces concerts est perçue comme un lieu d’échange et de partage où les valeurs de solidarité et de soutien à la scène locale prennent tout leur sens.

L’ambiance particulière qui caractérise ces concerts locaux devient un facteur déterminant pour les spectateurs, qui y voient l’opportunité de s’impliquer pleinement dans cette culture musicale, souvent en dehors des circuits commerciaux traditionnels.

L’importance de la légitimité et de l’identité dans la scène metal

Le concert dans la scène metal n’est pas seulement un lieu d’écoute musicale, mais également un espace de validation sociale et d’appartenance. La question de la légitimité, très présente dans le metal, fait du concert un moment clé où les publics peuvent prouver leur implication dans le monde du metal. En effet, au-delà de la simple écoute, il s’agit de démontrer une connaissance et une expérience authentique du genre, ce qui passe par une participation active à des concerts, la reconnaissance des sous-genres et des groupes moins médiatisés.

Comme l’explique Harris M. Berger dans son ouvrage Metal, Rock and Jazz (1999), les fans de metal souhaitent s’émanciper des groupes sociaux traditionnels pour revendiquer une plus grande liberté d’expression. Cela se traduit par une grande tolérance vis-à-vis des thématiques abordées dans le metal, qu’il s’agisse de la violence, de la guerre, ou de croyances alternatives.

Cependant, malgré cette distanciation des conventions sociales, la scène metal impose des critères d’engagement spécifiques. Par exemple, les fans considèrent comme légitimes ceux qui connaissent véritablement les codes et les groupes du genre, tandis que ceux perçus comme des « poseurs » sont facilement exclus, notamment en raison de leur apparence ou de leur consommation superficielle de la culture metal.

En somme, le concert occupe une place centrale dans la scène metal, bien au-delà de son rôle musical. Il constitue un espace essentiel pour l’affirmation d’une identité collective et individuelle, où les valeurs de liberté, de solidarité et d’authenticité se manifestent pleinement. Le concert devient un lieu privilégié pour l’échange et la socialisation, mais aussi un moment clé de validation sociale où la légitimité au sein de la scène metal se construit. Que ce soit lors de concerts locaux ou de grands événements, la musique metal se vit d’abord dans la proximité et la communion des fans avec les artistes. À travers le concert, la scène metal se définit comme une culture vivante, où l’engagement personnel et l’appartenance à une communauté jouent un rôle essentiel dans la pérennité et l’évolution de ce genre musical. Le concert, loin d’être une simple performance musicale, est un acteur majeur dans la culture metal.


Les rites

Les concerts de metal et de punk ont, au fil des années, développés de nombreux éléments récurrents à chaque événement, des nouvelles danses, façons d’investir l’espace et d’interactions entre groupes et public. En parallèle, des modes vestimentaires ont accompagné le développement de la scène metal depuis les années 70 jusqu’à nos jours.

Ces rites rassemblent les anciens et les nouveaux écoutants, créant un sentiment de communauté et d’appartenance.

« Cornes du diable »,  « mosh pit », « slam » et autres « headbang » , nous allons voir cela tous ensemble.

Les cornes du diables sont popularisé au début des années 80 par Ronnie James Dio, le chanteur de Black Sabbath durant la tournée Heaven and Hell. Ce signe qui revient à dresser l’index et l’auriculaire en repliant le majeur et l’annulaire sous le pouce, lui vient de sa grand-mère originaire d’Italie. En effet, dans la culture italienne, c’est un signe utilisé pour lever le mauvais œil. L’ancien chanteur de Black Sabbath, Ozzy Osbourne, précurseur du metal communiquait avec le public en faisant le V des deux mains et bras levés inspiré par la culture hippie de la fin des années 60. Pour ne pas copier son prédécesseur Dio décide de reprendre le signe qu’il voyait faire sa grand-mère plus jeune.

Un des mouvements qui caractérise les « metalleux » est le headbang, une danse apparue aux concerts de Led Zeppelin, Black Sabbath et Deep Purple à la fin des années 60. Consistant à bouger violemment la tête en cercle ou d’avant en arrière en rythme avec la musique. Le headbang fonctionne mieux avec des cheveux longs pour donner une amplitude aux mouvements de cou. Ces mêmes mouvements peuvent provoquer des problèmes aux cervicales si exécutés trop fort, comme Tom Araya le bassiste de Slayer qui ne peut plus headbanger à cause d’une opération des cervicales.

Plusieurs danses sont apparues durant cette période du début de la culture metal. L’exemple le plus marquant est le pogo, cette danse inventée par Sid Vicious, bassiste des Sex Pistols consiste pour les danseurs à sauter de façon désordonnée tout en bousculant les autres personnes alentours. Le nom vient des pogo stick, nom anglais du bâton sauteur inventé par les allemands  Max Pohlig et Ernst Gottschall dans les années 20. Le pogo n’est pas une danse violente malgré ce que l’on pourrait penser aux premiers abords, les accidents graves sont très rares et les participants qui chutent sont immédiatement relevés par leurs camarades de danse. Les comportements abusifs ou irrespectueux sont rappelés à l’ordre et le responsable pourra se faire expulser de force du pogo. Cette première danse apparut dans les concerts punk des débuts en a engendré d’autres par la suite.

Le premier enfant du pogo, plus violent et rencontré aux concerts plus orientés hardcore est le mosh ou slam dancing. Le mosh prend part dans un lieu spécifique de la salle ou du lieu du concert, « le mosh pit », ou fosse en français. Les origines remontent à la toute fin des années 70 et le développement des premiers groupes de punk hardcore californien puis l’essor grandissant de la scène new-yorkaise. Le mosh rajoute des mouvements de bras en avant ou en arrière qui ressemblent à un moulin à vent ou sur les côtés comme du karaté. Le two-step est une forme de danse typique du hardcore où les danseurs font passer un pied devant l’autre en ramenant la jambe en l’air en arrière, avec ou sans mouvements de bras. Le circle pit est littéralement un mosh pit en cercle, où le but est de courir en rond le plus vite possible sans tomber. Les anglo-saxons utilisent aussi le terme « crowdkiller », qui traduit littéralement donne « tueur de foule » pour désigner les individus ayant les mouvements les plus extrêmes qui peuvent entraîner des blessures (le plus souvent un poing dans le visage) et qui peuvent effrayer les novices.

Le slam ou crowdsurf nous vient d’Iggy Pop en 1970 au festival Summer Pop de Cincinnati où il se fait porter par la foule jusqu’au milieu du public. Le slam est très populaire aux concerts de metal et surtout en festival où l’on peut voir des hordes de slameurs arriver à la crash barrier pour se jeter dans les bras des agents de sécurité qui sont là pour les récupérer. Le Hellfest est un exemple frappant où aucun concert ne se passe sans crowdsurfers. Une pratique liée au slam est le « stage dive » qui consiste à se jeter dans la foule depuis la scène. Une des premières occurrences célèbres prit place au premier concert aux Pays-Bas des Rolling Stones où le public grimpe sur scène et rejoint la fosse en slamant. C’est la pratique la plus dangereuse car certaines personnes le faisant se jettent sur le public sans que personnes soient prêtes à les réceptionner. Cela peut causer des hospitalisations voir même la mort comme lors du concert de Suicidal Tendencies en Suisse en 2014, où un jeune fan meurt à l’hôpital après une mauvaise chute.

Le Wall of Death est probablement le moment le plus marquant et impressionnant d’un concert. La plupart du temps, il est initié par une demande explicite du vocaliste, mais des fois, il se produit spontanément dans le public, au début ou pendant une pause dans la chanson. Il consiste à séparer la foule en deux et au signal les deux côtés se faisant face se courent mutuellement dessus comme une charge de cavalerie médiévale. Le wall of death viendrait de la scène hardcore new-yorkaise puis a été popularisé dans la fin des années 90 par des groupes comme Sick of It All, Lamb of God et Sepultura. Lou Koller, vocaliste de Sick of It All a dit dans une interview en 2019 We didn’t invent it, but we’re the ones who brought it back. When we were kids going to shows — metal or hardcore — we used to do it”. Un des plus grands wall of death du monde a eu lieu au Hellfest 2024 à Clisson près de Nantes lors du concert du groupe de deathcore russe Slaughter to Prevail. Résultat de nombreuses blessures lors de la collision entre les différentes parties de la foule.

La culture metal se caractérise aussi par les styles vestimentaires variant en fonction de l’époque et du sous-genre écouté. Ils se sont forgés dans les années 70 avec le développement des premiers groupes de heavy metal tel Iron Maiden et Judas Priest, inspiré par la mode des motards avec la veste en cuir et le jean comme éléments principaux. Le noir est la couleur dominante de cette esthétique, les t-shirts à l’effigie des groupes restent le centre de la mode à l’heure actuelle, car facile à porter et à se procurer. Au fil du temps, de nouveaux vêtements s’introduisent, induit par l’émergence de nouveaux styles. Par exemple, les ceintures de balles et treillis ont été popularisés par le thrash et le black metal des années 80, les habits oversize et streetwears par nu metal des années 90 et les sweatshirts par le metalcore des années 2000. D’autres styles plus loufoques, comme le glam, ont mit en avant les permanentes, les pantalons en cuir moulant et les motifs léopard. Le maquillage fait partie des visuels des groupes, mais aussi du public. Le glam par exemple est axé sur le mascara et le fond de teint pour un rendu androgyne. Les accessoires notables sont le bracelet à clous ou la veste à patchs, véritable vitrine des groupes écoutés. Traditionnellement réalisée de façon DIY, elle recueille des patchs de groupes, pin’s et tout ce qui vient à l’imagination de son créateur. L’élément emblématique de la culture metal est le port des cheveux longs pour les hommes, hérité des années 60 et des premiers rockers. Les styles plus récents comme le nu metal ou le deathcore tendent vers des coupes courtes, le death et black metal restent quant à eux fidèles aux cheveux longs. Les tatouages et piercings sont aussi très répandus dans la communauté. L’esthétique des habits est influencée par la culture des films d’horreurs des années 80, du satanisme ou des mythologies nordiques et germaniques. Cette culture s’est vue anticonformiste et utilise des éléments provoquant avec une imagerie parfois violente ou gore comme signe de révolte sociale. Les rites du metal sont une partie intégrante de cette culture et le concert en est leur lieu de démonstration comme la convention peut l’être pour les cosplayeurs. Les metalleux sont au moment du concert dans la communion entre les spectateurs et les groupes, que ce soit en participant activement dans le pit ou juste en portant le t-shirt du groupe qu’ils aiment.

Si les metalleux aiment en mettre plein la vue dans la fosse et sur leurs corps, les concerts et la scène ne sont pas en reste.


Les estHetiques des shows et le rapport au public

Parler de l’esthétique du metal est quelque chose de complexe. On serait tentés de dire que le metal a forcément une esthétique sombre, voire satanique, mais, même si ça existe, c’est en général un cliché. Le metal est le nom de la grande famille dans laquelle on retrouve un vaste nombre de cousins plus ou moins éloignés, avec des esthétiques très fortes pour certains.

Les démarcations esthétiques entre les styles se trouvent partout : dans la musique évidemment, les tenues des membres des différents groupes, les tenues du public et la scénographie.

Une esthétique qui est fortement représentée est la « fantasy ». Bien que ce soit surtout sur les pochettes d’album, nombre de groupes de heavy ou de power metal comme Rhapsody of fire ou Manowar embrasse cette esthétique issue des jeux de rôles sur table et des livres comme le seigneur des anneaux ou des films de science-fiction. Certains groupes utilisent ces esthétiques sur scène, en plus des pochettes, comme Twilight force, all for metal et Wind Rose.

Les groupes de metal ne s’inspirent pas que de la SF, mais aussi de l’Histoire avec un grand H. On pense bien sûr à Sabaton dont le combo pantalon treillis et plaque de metal sur le torse du chanteur est iconique. De plus, lors des morceaux en rapport avec l’histoire de leur pays (la Suède) les membres portent des manteaux militaires suédois du XVIIè. Un nom est incontournable quand on parle d’histoire et de metal, c’est Iron Maiden, les références historiques sont légion que ce soit dans les titres, les paroles, les scènes, les costumes du chanteur Bruce Dickinson ou sur les pochettes.

Nous allons rester sur Iron Maiden pour faire un petit détour du côté des mascottes, Eddie étant la mascotte d’Iron Maiden et la mascotte la plus connue du metal, présente sur toutes les pochettes d’album du groupe depuis 1980, et sur scène. La deuxième mascotte la plus connue est probablement Vic Rattlehead du géant du thrash metal Megadeth, elle aussi présente sur des albums depuis 1985 et sur scène. Bien que les deux groupes cités soient plutôt vieux, les mascottes ne sont pas réservées aux anciens. La mascotte de Disturbed, groupe de nu metal, est présente sur tous les albums depuis leur premier en 2000, sauf un, believe, album de 2002.

On va revenir sur l’esthétique des membres pour quelque chose de plus frappant qu’un treillis, les masques. Bien que les artistes cachant leur visage existent en dehors du metal (on peut penser aux rappeurs avec des cagoules), c’est dans le metal que cette esthétique est la plus développée. Que ce soit les groupes à la notoriété plus modeste comme Srail (groupe toulousain), les géants iconiques, comme Slipknot ou Ghost, ou les « petits » nouveaux de Sleep Token, le masque permet de poser une identité visuelle forte et marquante, au-delà de simplement cacher le visage. Certains groupes ont même des tenues de scène plus « extrêmes » voire ridicules comme Gwar, Hevisaurus ou encore Lordi groupe finlandais ayant remporté l’Eurovision en 2006.

Bien que ces esthétiques soient très représentées, ce ne sont pas les plus  iconiques. Ce statut revient au « corpse paint », esthétique iconique du metal et en particulier du black metal, portée par des groupes iconiques, Mayhem (dont le chanteur « Dead » à initié la coutume) et Behemoth, entre autres. Dans des tyles musicaux moins extrêmes, les membres de Kiss et Alice Cooper aborent aussi un corpse paint. Elle consiste à recouvrir son visage en blanc et à rajouter des motifs noirs. On peut noter que les fans de black metal peuvent également arborer un corpse paint. Souvent, quand les néophytes pensent à une esthétique particulière des groupes de metal sur scène, c’est cette image qui leur vient en tête.

Cette esthétique des membres est quelque chose qui n’est pas si fréquent, dans la vaste majorité des cas les membres des groupes ont des esthétiques plus « classiques », qui pourraient être des vêtements de tous les jours, comme Cannibal Corpse ou Metallica. 

Metallica va nous permettre de parler de l’esthétique de la scène et de la scénographie. En effet, Metallica possède deux formes de scènes particulières : une scène ronde avec un trou au milieu, qui est apparu lors de la tournée de l’album 72 season, et une autre scène avec un prolongement vers l’avant. Pour les jeux de scénographie, il y a des prestations iconiques dans le metal. « Rammstein », par exemple, possèdent une grande scène et ont un gros jeu pyrotechnique : des lances flammes sont présents sur la scène, sur les tours au milieu de la fosse, sur les instruments et même sur la tête des membres. Le groupe possède également des bateaux gonflables pour surfer sur le public. Ces esthétiques peu communes des shows est bénéfique pour le paysage du metal, car elles peuvent créer de la curiosité et amener de nouvelles personnes à entrer dans le metal.

Une histoire de scénographie légendaire est celle de Gorgoroth, groupe de black metal,  dont le concert du 1 février 2004 à Cracovie est considéré comme le “pinacle du black metal”. Sur leur scène, la première chose qui saute aux yeux sont les quatre croix en bois où des figurants (deux hommes et deux femmes) sont accrochés nus avec des cagoules sur la tête, accompagnés de têtes de mouton plantées des piquets. Des morceaux d’animaux sont aussi présents sur le devant de la scène, accompagnés de barbelés. Si ce concert est un porte-étendard du black metal, c’est aussi pour son côté provocateur, anti-religieux et pour ses démêlés avec la justice, car en Pologne le blasphème est pénalement répréhensible. Le procès du concert aboutira à une confiscation des vidéos du concert (le DVD du live black mass krakow ne sortira qu’en 2008), à une amende pour l’organisateur du concert, une interdiction de revenir en Pologne pour le groupe et des critiques d’associations de protection des animaux.

Mais tous les groupes de musique extrême n’ont pas une scène aussi développée, que cela soit une question de budget, de contrainte du lieu ou, car ce serait inutile. Par exemple, dans les concerts de hardcore, l’accent est mis sur la violence de la musique afin de fournir un exutoire pour le public qui va se « battre » dans la fosse. “Il n’y a pas de scénographie c’est du hardcore, il n’y en a pas besoin”. Cet exutoire fait une transition parfaite pour parler du lien entre le groupe et le public. 

Comme dit juste avant, le lien entre les groupes et le public est très fort dans le hardcore, car la musique est faite pour donner envie au public de se lâcher : “C’est le défouloir, c’est une autarcie avec le groupe qui joue”. Les musiciens peuvent eux-mêmes aller dans la fosse, voir se faire porter par le public (et ce, pas seulement dans les concerts de hardcore) ce qui renforce ce lien entre artistes et fans. On va revenir une dernière fois dans l’antre du black metal où des sous-genres visent un public précis, ayant des mentalités plus “extrêmes”. Le DSBM (Depressive Suicidal Black metal) s’adresse, comme son nom l’indique aux personnes ne se sentant pas bien dans leur peau. À l’opposé, il y a le metal humoristique, avec des groupes comme Ultra Vomit, où le public vient pour s’amuser.

Le lien entre le groupe et le public ne s’arrête pas à la fin du concert. Il n’est pas que les fans augmentent la visibilité des groupes avec des covers. D’autres parts, certaines communautés sont très investies sur les changements que peuvent effectuer les groupes. Slipknot et leurs masques ont été évoqués plus haut, et à chaque fois qu’il y a un changement de masque d’un ou plusieurs membres, cela provoque une vague d’engouement sur les différents réseaux sociaux, participant à la visibilité du groupe.

Mais les fans sont, parfois, un peu trop investis et peuvent devenir des « gardiens de la porte » (gatekeepers en anglais), hermétique à la nouveauté. Cette mentalité a été très présente dans les années 90 – 2000 avec l’apparition du nu-metal et des groupes tel que Koяn ou Limp Bizkit. Aujourd’hui, cette mentalité n’a pas disparu et des groupes modernes avec une esthétique musicale nouvelle ou un peu différente comme Sleep Token, évoqué plus haut, doivent encaisser la haine de ces gardiens pour qui « ce n’est pas du metal ».

On pourrait encore parler longuement des esthétiques musicales ou des artworks avec certains genres avec des visuels étranges et d’autres avec des visuels TRÈS ÉTRANGE et perturbant. Cependant, nous avons d’autres thèmes à aborder, notamment une facette de la scène metal qui est moins connue, mais qui mérite d’être creusée : l’aspect économique de la scène metal.


Le spectacle

L’economie du metal

Avènement de la médiatisation et de l’industrialisation du metal

Le metal dans son ensemble est une innovation musicale résultant de facteurs artistiques, culturels, politiques, sociaux, mais aussi économiques. Le rock dans sa globalité entre en effet dans “l’ère de la médiatisation de masse dès les années 70 et devient une industrie très lucrative pour le monde du spectacle et les maisons de disque”. Dans les années 80, le metal acquiert de plus en plus d’autonomie et son potentiel économique, de plus en plus grand, va permettre l’avènement d’une structuration par le biais des médias et des maisons de disque indépendantes des grands groupes de presse ou des majors. Selon l’économiste Sahar Milani, cette croissance fait basculer le metal et plus particulièrement le heavy metal dans le cadre du «bien culturel». Cette expression barbare au premier abord, évoque l’idée d’un bien de consommation véhiculant des idées, des valeurs symboliques et même des manières de vivre, et ce, à échelle mondiale. Cette propagation passe par l’écoute de musique via des plateformes de streaming, des cd ou de la radio dans une moindre mesure, mais aussi par des concerts live et de la publicité.  

 Ainsi, la musique metal gagne en popularité grâce, en majeure partie, à la publicité faite par le bouche-à-oreille qui se développe sur les réseaux sociaux comme évoqués plus haut. Les salles de concert sont donc de plus en plus remplies et les recettes des entrées toujours plus conséquentes. D’un autre côté, la popularité commerciale du metal doit sa renommée à la mise en place d’un véritable merchandising mondialisé, dont nous verrons les caractéristiques plus tard. Dans un contexte géographique plus local, le phénomène musical va également prendre de l’ampleur grâce à des associations musicales indépendantes qui promeuvent de plus petits groupes en leur permettant de jouer sur scène régulièrement, comme nous allons le voir dès à présent.

Autonomisation et indépendantisation de la structure musicale

Loin des grandes industries musicales, le phénomène se développe également par le biais de petites associations indépendantes et auto-entreprenantes. Le but de celles-ci est de programmer de toute notoriété dans des cafés concerts, des bars, des salles de quartiers ou bien dans des maisons de jeunesse. Les membres de ces associations participent de plus en plus à la programmation de deux formes d’évènements musicaux uniquement dédiés au metal : « les concerts dans des salles privées de taille intermédiaire et les festivals de petite et moyenne taille ». C’est donc le cas de Noiser, association indépendante à but non lucratif et qui constitue la seule source de revenus de ses trois salariés (deux sont administrateurs de production et le troisième est régisseur). Ils possèdent ainsi le statut d’intermittents du spectacle, statut exclusivement français. Par ailleurs, lors de notre entretien avec Nicolas Bastide, nous avons appris que l’intermittence est une structure économique qui coûte très cher pour l’association faisant jouer les artistes, qui bénéficient également de ce statut pour la plupart. “Par exemple, une personne que l’on fait jouer et qui possède le statut d’intermittent coûte environ 350 et 400 euros par date. La majorité des plateaux sont payés entre 2000 et 4000 euros environ”. De ce fait, puisque c’est généralement le cas dans les associations similaires à Noiser, les tickets des concerts de metal en France sont plus chers que ceux d’autres territoires étrangers et extra-européens. Une autre raison est que le territoire français et le territoire européen largement plébiscité pour la culture metal. Nicolas nous explique cependant qu’en ce qui concerne l’esprit et la logique de son association, il souhaite que les prix des places de concert organisé par Noiser soient raisonnables, afin que les concerts de metal restent accessibles au plus grand nombre. Selon lui, il faut qu’il y ait “un juste prix entre ce que l’on [Noiser] paie et ce que le public paie”. Cette forme de partage équitable est notamment rendue possible grâce à la collaboration entre Noiser et la plateforme Festik, un logiciel de billetterie en ligne, qui permet au public d’avoir des billets à prix abordable.      

 Au début, le budget de l’association était assez restreint et leur permettait d’organiser des concerts avec des petits groupes régionaux ou familiers, mais petit à petit, la fréquence des concerts a augmenté et avec elle la diversification des salles et la qualité de la production des évènements. Aujourd’hui, Noiser programme entre 30 et 50 dates par an et organise également des évènements artistiques tels que Grand Sabbah qui réunissent, à la manière d’un festival, plusieurs groupes dont les performances se suivent et qui entretiennent entre eux une forme de cohérence artistique en conservant des thèmes communs. Cette logique de marketing qui, tout comme le reste des concerts organisés par Noiser est censée attirer le public, est intensément relayée par le biais des réseaux sociaux tels que Facebook ou Instagram, mais aussi par les mails et les newsletters de l’association qui présentent aujourd’hui de meilleurs acquis financiers et de meilleurs résultats que la communication physique. Si Noiser est complètement détachée du ministère de la Culture, elle doit en partie son développement financier à la structure associative toulousaine REGARTS, chez qui elle est en couveuse depuis 2021 et qui lui a permis l’accès à un payroll (liste des employés d’une société ou d’un organisme, qui spécifie pour chacun le salaire ou les défraiements dont il doit faire l’objet). Grâce à REGARTS, l’association a notamment pu avoir accès à des bureaux et s’allier avec de nombreuses personnes. C’est donc une structure qui se développe économiquement sur le modèle de l’aspect associatif exclusivement. La ville de Toulouse est ainsi dotée d’une bonne programmation au niveau des concerts de metal ce qui n’est pas le cas d’autres zones géographiques plus excentrées. Cette programmation résulte en effet toujours de la bonne volonté des organisateurs et des tourneurs locaux, qui ne sont pas toujours assurés de la rentabilité de certains concerts du fait de la présence et de l’intérêt du public dont le potentiel est plus faible que dans les grandes villes.

Le merchandising, une véritable inclusion dans le circuit commercial

Ce qui rapporte le plus aux groupes de metal, c’est généralement les festivals mais aussi le merchandising car ils représentent une compensation financière aux tournées qui ne renflouent pas les caisses. Selon Nicolas, les tournées sont à perte environ 90% du temps. Puisque la culture metal possède ses propres styles vestimentaires et accessoires, nous avons vu apparaître au fil des décennies l’avènement d’un véritable merchandising, c’est-à-dire : “la vente de produits dérivés de l’image d’un groupe ou d’un artiste”, qui représente une aubaine pour l’industrie du disque en général, mais également d’énormes enjeux économiques. En effet, petit à petit, une marchandisation de produits indissociables d’un genre ou d’un groupe musical spécifique et propre aux musiques extrêmes apparaît et se propage internationalement. De ce fait, de nombreuses boutiques ouvrent et prolifèrent sur le marché depuis les années 80 et utilisent également la vente à distance en offrant une gamme de produits étendue. Ces produits intéressent un public de plus en plus grand et permettent de donner davantage de visibilité au genre musical. Lors des gros concerts de metal, la vente de produits propres au groupe, créés au préalable par des entreprises ou des associations collaboratives extérieures, est de plus en plus courante et lui permet, ainsi qu’à son agence, de renforcer financièrement le bénéfice déjà apporté par les entrées, et donc ses revenus globaux. Ainsi, en guise de souvenir d’un show largement apprécié, l’objet le plus vendu lors des concerts de rock et de metal reste le fameux “t-shirt  à manche courte”, accompagné du logo ou d’un autre motif symbolisant le groupe, tel que le révèle l’étude américaine recensée par Clara Lemaire dans son article paru le 22 mars 2024 dans la revue électronique Rock & Folk. Un autre article, publié par le photographe spécialisé dans la musique Eric Canto le 19 septembre 2024, révèle également que l’un des éléments participant au succès du festival français du Hellfest, est son merchandising. En effet, celui-ci est “un moyen de générer des revenus supplémentaires pour le festival, mais c’est également un moyen de renforcer l’image de marque du festival”, et donc sa promotion. Les produits dérivés du Hellfest sont ainsi vendus sur place durant les trois jours de festival et dans différentes zones dédiées telles que le “Hellcity square”, le  “metal Cornerou encore le “metal Market”. Ils sont ainsi vendus à des prix raisonnables, allant de 5 à 60 euros, afin d’attirer un maximum de clients. Les concerts et les festivals servent donc d’intermédiaire à la marchandise de produits dérivés de l’image du groupe ou de l’artiste qui performe, et font ainsi marcher le merchandising du metal à un niveau mondial.

  Cependant, ce type de merchandising ne profite qu’aux groupes mondialisés dont les revenus ne cessent d’augmenter. Les plus petits groupes, conscients de l’impact des possibles retombées économiques et de l’impact publicitaire, choisissent plutôt de faire fabriquer leur propre merchandising qu’ils vendent ensuite directement dans leurs concerts ou par le biais de leur label.


L’importance des concerts liée à l’absence du metal dans les médias

Une sous représentation dans les médias traditionnels

Le public metal est plus nombreux que les médias traditionnels ne le laissent supposer. Selon l’étude réalisée par l’Ipsos pour le CNM en 2023 intitulée “Le baromètre des usages de la musique en France”, 16% des sondés écoutant de la musique écoutent régulièrement du metal. Cependant, les médias traditionnels comme la presse ou la radio passent ce genre de musique sous silence.

Par exemple, dans le monde la presse généraliste (type le Monde, le Figaro…), moins de 2% des articles consacrés à la musique sont orientés sur la musique metal. En ce qui concerne la radio, le CNM a réalisé une étude intitulée “diversité musicale” en 2023. Or, lors de l’étude, l’institut a choisi de mélanger deux genres pourtant distincts : le rock et le metal. Cet amalgame a un double effet : d’abord celui de largement surestimer les audiences réalisées par le metal, car il est combiné au rock (si l’on se réfère à l’étude réalisée par l’Ipsos précédemment citée, le rock est généralement 2 à 3 fois plus écouté que le metal). Secondement, l’existence d’un tel amalgame au sein d’une institution créé et placée sous la tutelle du ministère de la Culture témoigne d’un réel manque de connaissance sur le sujet étudié. 

Venons-en aux chiffres, selon cette étude du CNM, le panel de radio étudiés diffuserait 13,4% de metal. Encore une fois, ce chiffre est largement surévalué en raison du cumul avec le rock. Néanmoins, il reste assez représentatif de la sous représentation du metal subi par les médias traditionnels et la politique.

Durant mes recherches, je suis également tombé sur un extrait provenant de “Minute papillon”, une émission sur France Bleu animée par Sidonie Bonnec. Lors de cette émission dans laquelle elle reçoit Christian Eudeline, on peut observer celui-ci qui est considéré comme quelqu’un qui connaît la culture metal : “Heureusement que vous êtes là Chrisitian pour nous en parler”. De plus, ce dernier est l’auteur de plusieurs livres concernant la culture rock, metal et punk. Malgré cela, lorsqu’il présente Gojira, qui, rappelons-le, est le plus grand groupe de metal français avec des ventes estimés à plusieurs millions à travers le monde et plus d’un milliard de stream sur Spotify, fait l’erreur de dire que le groupe n’a que 10 ans alors que la formation dure depuis plus de 25 ans. Ceci n’est qu’une erreur parmi celle qu’il a pu dire au micro d’une radio prenant ses propos très au sérieux. Ainsi, même si le metal a le droit à quelques intervenants à la radio, on se rend vite compte que leurs interventions sont remplies de stéréotypes et que les chroniqueurs ne sont pas suffisamment qualifiés pour être si attentivement écouté.

Un public très investi 

Cependant, malgré le fait que les médias parlent très peu de la scène metal, celle-ci est souvent haut placée dans les audiences. Lorsque l’on se penche sur d’autres pages de l’étude du CNM, on peut apprendre que, les sondés qui déclarent que le genre de musique qu’ils écoutent le plus est le metal, écoutent en moyenne 2 h 44 de musique par jour (deuxième position dans le tableau, après les musiques électroniques). Pour continuer dans ce sens, une des personnes interrogées à Axis Musique pour un concert de metal nous a justement confié qu’elle écoutait beaucoup de genre musicaux et surtout en streaming.

Autre exemple, le dernier album de Linkin Park n’a pas bénéficié d’une grande promotion en France : le groupe est uniquement passé sur la chaîne YouTube d’NRJ ne comptant que 300k abonnés, peu de mentions du nouvel album dans les radios grand public et aucun passage à la télévision française. En dépit de cette non-médiatisation, “From Zero” a tout de même débuté en première position dans les charts et se maintient dans le top 10 huit semaines après sa sortie. Un certain nombre de facteurs entre en compte dans les raisons de la réussite de cet album comme la médiatisation de l’album par les metalleux eux-mêmes au travers de YouTube par exemple. D’autre part, le rejet du metal par les médias traditionnels a engendré une écoute accrue par le streaming, les supports physiques et la bibliothèque numérique personnelle.

Découverte de nouveaux groupes par les évènements live

Puisque les médias traditionnels rejettent la culture metal, mais que les personnes en écoutant sont très investies dans leur culture, la découverte de nouveaux groupes peut se faire par le live. Et en effet, toujours dans l’étude du CNM, on apprend que c’est le public qui découvre le plus souvent dans des évènements live pour découvrir de nouveaux groupes.

De plus, lors d’un de nos petits entretiens informels réalisés devant des concerts à Toulouse, nous avons appris que trois personnes sur six venaient à cette soirée pour découvrir de nouveaux groupes. Bien entendu, la taille de l’échantillon est très loin d’être assez grande pour être qualifiée de représentative. Néanmoins, ces personnes confirment ce que le CNM avait relevé.

L’importance des associations locales

Lorsque nous avons demandé à Nicolas quelles sont les raisons qui l’ont poussé à créer Noiser, il nous a dit : ”parce qu’il n’y avait personne qui faisait ce qu’on voulait voir.” La réponse paraît simple, mais témoigne en réalité d’une non-diffusion d’un genre de musique entier sur une zone géographique. 

De la même manière, une personne lui a affirmé à l’époque où il réfléchissait à créer l’association : “si tu le fais pas, quelqu’un le fera à ta place”. La même personne lui ajoute : “fais le d’abord pour toi, et après pour les autres“. Bien que ces phrases sonnent un peu bateau, elles mettent en exergue le besoin d’avoir du metal à Toulouse. Si l’on réfère à la personne qui lui a déclaré ces mantras, que ce soit Nicolas ou quelqu’un d’autre, une association se serait formée pour promouvoir ce genre de musique dans la ville rose.

Néanmoins, comme le fondateur de Noiser le dit lui-même, créer une telle association n’est pas une tâche aisée : “nous, il n’y a personne qui nous a aidé à faire ça. Personne qui nous a dit, vas-y, fais ci, fais ça” et “personne m’a dit au CNM, “tiens Nicolas, voilà, cette petite valise avec tout ce qu’il faut dedans”. L’apprentissage complètement autodidacte de ce métier aux multiples facettes est tout sauf une tâche facile. D’ailleurs, si l’on se fie aux amis de Gabin Lacam qui réside à Marseille, il y a bien moins de concert de metal là-bas qu’à Toulouse.

Ainsi, nous avons la chance de bénéficier de Noiser sur le bassin toulousain et nous nous devons de chérir ce genre d’association qui nous permet d’écouter une musique rejetée des médias traditionnels malgré sa riche culture présente aussi bien dans sa musique que dans sa scénographie ou que son apport dans le tissu social local !


Références

 Gérôme Guibert et Fabien Hein, « Les Scènes metal », Volume! [En ligne], 5 : 2 | 2006, mis en ligne le 15 septembre 2009, URL : http://journals.openedition.org/volume/456 ; DOI : https://doi.org/10.4000/volume.456


2 Gérôme Guibert, « Les spécificités culturelles de la production de musique metal. Le cas de l’industrie de la musique live en France », Volume ! [En ligne], 15 : 2 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2022 

 3 Gérôme Guibert et Fabien Hein, « Les Scènes metal », Volume ! [En ligne], 5 : 2 | 2006, mis en ligne le 15 septembre 2009, URL : http://journals.openedition.org/volume/456 ; DOI : https://doi.org/10.4000/volume.456

4 Gérôme Guibert, « Les spécificités culturelles de la production de musique metal. Le cas de l’industrie de la musique live en France », Volume ! [En ligne], 15 : 2 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2022

5 “Le plus célèbre salon de tatouage de Toulouse sort la grosse artillerie pour fêter son anniversaire” ActuToulouse, publié le 6 octobre 2024: https://actu.fr/occitanie/ramonville-saint-agne_31446/le-plus-celebre-salon-de-tatouage-de-toulouse-sort-la-grosse-artillerie-pour-feter-son-anniversaire_61650331.html

6 L’association REGARTS notamment, concernant la partie administrative.

7 Entretien réalisé le 18/12/2024.

8 Entretiens réalisés le 24/11/2024 lors du concert de Get The Shot ainsi que le 08/11/2024 lors d’une soirée organisée à Axis Musique.

9 url: https://blabbermouth.net/news/how-ronnie-james-dio-popularized-devils-horns-hand-gesture

10  “ Bouger violemment la tête”

11 https://hardforce.com/actu/15743/tom-araya-regrette-le-headbanging

12 https://www.tsugi.fr/pogo-or-not-pogo/

13 https://www.flodance.com/articles/5066601-what-is-slam-dancing

14 https://prettylittlesound.com/hardcore/le-mosh-art-de-danser-le-punk-hardcore/

15 surfeur de foule”


16 https://www.tf1info.fr/culture/un-mort-lors-dun-concert-de-suicidal-tendencies-en-suisse-1539479.html

17 https://loudwire.com/wall-of-death-mosh-pit-where-from-origin/

18 https://www.youtube.com/watch?v=F0etYsQjlI8

19 Je me suis cassé le poignet pendant cet évènement et plusieurs personnes étaient écorchés au poste de secours.

20 https://www.maxisciences.com/histoire/pourquoi-les-metalleux-ont-ils-les-cheveux-longs_art44282.html

21 https://www.youtube.com/watch?v=YTG7yCsI4ds

22 https://metal.nightfall.fr/index_12411_gorgoroth-black-mass-krakw-2004.html

23 Extrait d’entretien avec le public, 8 novembre 2024, concert de The RedMoths à axis music

24 Extrait d’entretien avec le public, 24 novembre 2024, concert de Get The Shot au Rex, Toulouse 

25 Fabien Hein, HARD ROCK histoire, cultures, HEAVY metal et pratiquants metal, Musique et société, 2003, p.45
26 https://inomics.com/fr/blog/the-economics-of-heavy-metal-music-1542565#:~:text=De%20nos%20jours%2C%20la%20plupart,habitants%20en%202021%20et%202022.

27 Gérôme Guibert, « Les spécificités culturelles de la production de musique metal. Le cas de l’industrie de la musique live en France », Volume ! [En ligne], 15 : 2 | 2019, mis en là partir de 2010, croissance significative des concerts de metal, p.8

28 Entretien avec Nicolas, administrateur de production de l’association Noiser réalisé le 18 décembre 2024

29 Entretien avec Nicolas, administrateur de production de l’association Noiser réalisé le 18 décembre 2024

30 Fabien Hein, HARD ROCK histoire, cultures, HEAVY metal et pratiquants metal, Musique et société, 2003, p.145

31 https://www.rocknfolk.com/news/une-etude-americaine-revele-les-groupes-qui-vendent-le-plus-de-merchandising/345837

32 https://www.ericcanto.com/le-merchandising-du-hellfest-en-6-points/

33 https://magazin.epjt.fr/metal-dans-les-medias-et-je-coupe-le-son

34 https://www.chartsinfrance.net/communaute/index.php?/topic/88548-les-ventes-de-gojira-le-groupe-de-metal-fran%C3%A7ais-1-premier-disque-dor/

35 https://kworb.net/spotify/artist/0GDGKpJFhVpcjIGF8N6Ewt_songs.html

PMH 6.1/6.2 (2011) 116-134] Popular Music History (print) ISSN 1740-7133 doi:10.1558/pomh.v6i1/2.116 Popular Music History (online) ISSN 1743-1646

Countercultures Jeremy Wallach Alexandra Levine ‘I want you to support local metal’: A theory of metal scene formation


Préparé et rédigé par Gabin Lacam Brouard, Gabin Cheveux, Lucas Cerny, Angélina Sierra, Lola Cornuet-Gazel et Lou-Ann Theulé