Ô Boudu Pont : La programmation de musique actuelle dans un lieu de diffusion non dédié


Le Boudu Pont est un bar culturel du quartier de Saint-Cyprien, situé au pied du Pont Neuf, qui a vu le jour en 2008 grâce à sa fondatrice Sophie Franco. Ouvert toute la semaine de 15h à 2h (le samedi jusqu’à 3h, le dimanche jusqu’à 00h), le Boudu Pont propose de nombreux événements culturels chaque semaine. La programmation musicale, se déroulant dans la cave du bar, représente cependant un noyau dans l’activité culturelle de l’établissement, et confère au lieu son identité esthétique en marge des autres établissements toulousains du même type.


Entretien avec Adrien Fraysse, co-responsable du bar, effectué sur le lieu du bar, en 5 parties.

  1. Début de l’entretien
  2. « Petit Carré » & « Boudu Comedy »
  3. Public et communication
  4. Collectif Bar-Bars
  5. Style musical

Sommaire

  1. L’Histoire du Boudu Pont
  2. La place de la musique dans la programmation du bar
  3. Construction d’une esthétique musicale
  4. Le cas d’un lieu non dédié

L’Histoire du Boudu Pont

Repris en 2014 par Élodie Chenet, le Boudu Pont est un lieu de vie convivial et culturel, qui se veut un bar engagé. Il promeut le tri sélectif et entretient des liens avec plusieurs associations et collectifs (Kawaa, Culture Bar-Bars, Bel Air, C², Cultures en Lutte…). Comme beaucoup de commerces à l’ouverture, le bar a connu des difficultés financières et a mis quatre ans à trouver son équilibre. Aujourd’hui, il propose chaque semaine une programmation riche : concerts, stand-up, théâtre, expositions, karaokés, podcasts ou encore poésie.

Ancienne devanture du Boudu Pont, photo fournie par Élodie Chenet

À l’origine, ce bar était surtout actif en journée, avec des animations jazz ponctuelles. Après le changement de direction, l’objectif a été de développer l’activité culturelle, notamment en soirée, avec de nombreux événements. La programmation est assurée par les deux co-responsables du bar, dont Adrien Fraysse, en charge de la communication et de la programmation culturelle depuis octobre 2024. Le Boudu Pont reste pluridisciplinaire : des concerts de musiques actuelles en priorité, mais aussi des événements variés chaque semaine. Par exemple, le Boudu Comedy, qui existe depuis cinq ans, offre un plateau d’artistes de stand-up et un concours pour élire l’artiste de l’année lors de la soirée “Le Boudu fait sa comédie”. Le bar propose aussi du théâtre d’impro deux jeudis par mois, des DJ-sets et concerts tous les vendredis soirs, des blind-test ou des karaokés les samedis, et un vernissage un mardi par mois. “Le Petit Carré” est un événement mensuel du collectif C² depuis quatre ans, consacré à la scène hip-hop. Des soirées punk avec le collectif Bouquet Garni et des soirées techno-mentale avec le collectif Bel Air sont également programmées.

“Pour nos métiers, adhérer à un collectif est important. Il faut se soutenir pour être plus fort. Aucune condition d’entrée, à part une adhésion et de la culture !”

Le Boudu Pont est adhérent au Collectif Culture Bar-Bars, et ce depuis la reprise du bar par Élodie Chenet en 2014. Ce collectif, créé en 1999, est une fédération nationale née à Nantes et à Rennes, visant à structurer les cafés-culture et à les accompagner lors de l’organisation d’événements promouvant la culture. Le nombre de bars ne faisant que diminuer jour après jour (les rapports sociaux se numérisant), et de nombreux problèmes émergeant (nuisance sonore, problèmes de voisinage, normes, nuisant au développement artistique), le collectif cherche alors à lutter pour permettre aux artistes de se produire et de dynamiser ces lieux. Cependant, la fermeture de nombreux bars à Toulouse suite au Covid, ainsi que des dissonances d’opinions à l’intérieur du collectif, ont contribué à la diminution du nombre d’adhérents. C’est à la suite du festival Culture Bar-Bars qu’Adrien Fraysse a décidé de faire évoluer le collectif en politisant leur engagement et en portant un message plus fort, soutenant par la même occasion le mouvement Cultures en Lutte. Ce mouvement national basé en Occitanie se bat pour réclamer une réelle politique culturelle, en luttant contre les attaques et coupes budgétaires portées à la culture, mais aussi en portant la voix des artistes afin de s’assurer que le secteur perdure et ne soit pas considéré comme dispensable.

Intérieur du Boudu Pont, photo fournie par Élodie Chenet

La place de la musique dans la programmation du bar

Le Boudu Pont est un lieu de diffusion non dédié : en tant que bar, il n’a pas pour vocation première d’accueillir des performances musicales. Pourtant, il a su développer une activité scénique importante, incluant notamment la musique. Une programmation riche et variée dynamise le bar, fidélise les habitués et attire un nouveau public. Chaque mois, le Boudu Pont propose plus de quinze rendez-vous, dont cinq à six concerts mettant en avant des styles et des artistes variés, sur une saison allant d’octobre à juin. En complément de cette programmation régulière, le Boudu Pont participe à des événements majeurs, comme le festival Marionnettissimo en février 2025 et le festival culture Bar-Bars en novembre 2024, auquel il est associé.

“Je trouve qu’on a vraiment l’appellation de bar culturel, c’est ce qui va le mieux représenter le Boudu Pont. […] Il y a une programmation qui est régulière, chaque semaine on a minimum trois événements, voire quatre, qui se passent au bar. Je trouve qu’on a vraiment un truc, comme une salle peut en avoir : une programmation, un agenda… »

La programmation musicale du vendredi soir du Boudu Pont a beaucoup évolué. À ses débuts, elle se limitait à des DJ sets ponctuels ; aujourd’hui, elle inclut aussi des performances live de musiciens et de groupes. Adrien repère les artistes via plusieurs canaux : en concert ailleurs, sur les réseaux sociaux (notamment Instagram) ou grâce aux candidatures spontanées. Certains artistes se proposent directement, preuve que le Boudu Pont est désormais reconnu pour sa place dans la scène alternative et expérimentale. Dans tous les cas, Adrien écoute toujours les propositions reçues, quelle que soit la notoriété des artistes, pour maintenir une cohérence artistique.

Cette reconnaissance s’accompagne d’un processus de cooptation : lorsqu’un créneau est libre, Adrien demande aux artistes déjà programmés s’ils connaissent un autre groupe au style proche pour compléter l’affiche. Le bar s’appuie sur le dispositif GUSO (Guichet unique du spectacle occasionnel) — directement ou via une association qui facture puis rémunère les musiciens — et bénéficie de soutiens financiers (comme ceux du GIP) qui aident à couvrir le coût de certaines soirées, notamment celles regroupant plusieurs artistes.

Depuis quelques mois, la communication du Boudu Pont passe exclusivement par son compte Instagram. Le bar se distingue par une identité visuelle originale et soignée, qui transparaît dans chaque publication. La programmation mensuelle y est mise en avant de façon claire, semaine par semaine. Le compte publie régulièrement des annonces d’événements à venir ou des rétrospectives des soirées passées. Cette régularité et cette richesse éditoriale assurent une activité constante sur les réseaux, renforçant la visibilité du bar et consolidant son image de lieu culturel dynamique. De plus, la communication visuelle valorise les artistes et leur offre une belle visibilité auprès d’un public varié.

Image promotionnelle de « Tout doux (Nothing to Do) » en mars 2025, publiée sur Instagram

La promotion ne se limite pas au numérique : Adrien imprime et distribue des affiches et des flyers dans divers lieux culturels toulousains, souvent en dehors de ses heures de travail. Cette démarche démontre sa volonté de faire exister la programmation musicale du Boudu Pont dans l’espace public et de l’inscrire dans le tissu culturel local.

“C’est aussi le taff des réseaux, si tu regardes l’Instagram du Boudu, tu as l’impression que c’est une salle de concert. J’ai fait exprès d’axer notre comm’ pour que ça soit identifié culture ++. Ce qui n’était pas du tout le cas à l’époque, pas à ce point en tout cas. Ça nous a aidé ça aussi, à ce que dans la tête des gens ça soit identifié plus que comme un bar classique, comme un bar culturel surtout.”

Ainsi, bien que la musique ne soit pas la vocation première du Boudu Pont, elle s’impose comme un élément unificateur et structurant de sa vie quotidienne, renforçant son statut de bar culturel et contribuant à son attractivité au fil des saisons.


Construction d’une esthétique musicale

La programmation musicale dans un espace initialement non dédié à la diffusion musicale, tel qu’un bar, participe activement à la construction de son identité culturelle. Loin de se limiter à une simple animation, elle participe à l’élaboration d’une esthétique singulière, pouvant parfois aboutir à l’émergence de styles musicaux propres à ce type d’espace.

Dans le cas du Boudu Pont, perçu comme un bar culturel grâce à la diversité de ses propositions artistiques, une esthétique musicale particulière s’est progressivement construite au fil des années. Outre les événements récurrents portés par des collectifs comme le « Petit Carré” ou les sessions “Nothing to Do” du dimanche après-midi, le lieu propose désormais des représentations musicales hebdomadaires chaque vendredi soir, une régularité instaurée depuis la saison d’octobre 2024. Toutefois, des DJ-sets ponctuels existaient déjà certains vendredis lors des saisons précédentes, signe d’une volonté progressive de structurer une offre musicale régulière. Ces DJ-sets exploraient un éventail de musiques à visée dansante : électro, reggae ou wave. Aujourd’hui, ces esthétiques musicales, d’abord présentées en format DJ, sont aussi interprétées en performances live avec des instrumentistes, traduisant la diversification des modes de présentation scénique au Boudu Pont.

“Ce qui fait la D.A. du bar, c’est ce que je kiffe. […] J’essaie de garder une ligne alternative et expérimentale.”

Lors de l’entretien, Adrien, co-responsable et programmateur du Boudu Pont, insiste sur l’importance de conférer au lieu une identité musicale forte, notamment par la mise en place de rendez-vous réguliers. Cette stratégie repose sur la valorisation d’esthétiques alternatives et expérimentales, positionnant le Boudu Pont à la marge des programmations plus conventionnelles des autres bars culturels toulousains. Dans une logique proche de celle décrite par Simon Frith (1996), ces choix relèvent autant d’un parti pris esthétique que d’une volonté de fédérer un public spécifique autour de valeurs culturelles partagées (Frith, S. (1996). Performing Rites: On the Value of Popular Music. Harvard University Press.). Les soirées du vendredi, avec trois groupes ou artistes, sans hiérarchisation dans l’ordre de passage, reflètent cette orientation. La programmation, allant du garage punk à la techno weirdo, en passant par le dub ou le cosmic groove, valorise la rareté, la singularité et l’appartenance à des sphères culturelles moins visibles.

La diversité musicale du Boudu Pont attire une pluralité de publics, qui varient selon la programmation. Les soirées comme le « Petit Carré » ou les “Nothing to Do” rassemblent un public ciblé, sensible aux esthétiques spécifiques de ces événements. À l’inverse, les concerts du vendredi soir jouent un rôle d’équilibre entre les différents formats. Cette richesse stylistique favorise la cohabitation de plusieurs types de publics : une clientèle régulière attachée à l’ambiance du lieu, un public spécialisé à la recherche de concerts correspondant à ses goûts musicaux, et des spectateurs de passage curieux ou en quête de découvertes. Ainsi, la programmation musicale du Boudu Pont fédère non pas un seul public, mais un éventail de micro-communautés, chacune attirée par des temporalités, des styles et des réseaux d’artistes variés.


Le cas d’un lieu non dédié

Au Boudu Pont, la configuration du bar dissimule aux premiers abords les représentations musicales, et témoigne de la réappropriation d’un lieu pour la performance des artistes.

L’espace se structure en trois zones principales : l’intérieur, la terrasse et la cave. À l’inverse d’une salle de concert, la scène du Boudu n’est ici pas l’élément central de l’établissement, et se cache sous une terrasse étalée et un intérieur étroit. Les nuisances sonores perçues par les riverains, principalement dues aux éclats de voix de la terrasse, ont conduit les gérants à isoler acoustiquement les événements en cave. C’est dans cet espace souterrain, exigu et inapparent, que se déroulent les concerts.

Cave du Boudu Pont (publiée sur Privateaser)

La cave peut accueillir environ 70 personnes, bien que les débuts de soirée restent souvent calmes, avec un public restreint à une vingtaine de personnes. C’est aux alentours de 22h30 qu’un afflux soudain densifie l’espace, entraînant un passage rapide à une jauge quasi maximale. Les annonces des employés concernant les changements d’artistes provoquent un mouvement visible en terrasse : sans la vider totalement, elles enclenchent une dynamique de déplacement vers le concert. On observe alors les difficultés que soulève la configuration du lieu : la foule déborde dans le couloir d’accès à la cave, contraignant certains spectateurs à assister au concert à distance. Et même si la configuration de cette cave étriquée permet, aux yeux du public, le développement d’un sentiment de proximité plus intimiste avec les artistes – ce qu’une salle de concert de plus grande ampleur peut difficilement proposer – il faut noter que l’espace n’est pas des plus adéquats pour la performance.  En l’absence de scène surélevée, la proximité entre public et artistes est marquée et ces derniers disposent de peu d’espace pour se produire.

Dans le quartier de Saint-Cyprien, le Boudu Pont se distingue de ses concurrents et collègues par plusieurs stratégies assumées. D’une part, par la régularité de ses événements, qu’il s’agisse de concerts ou non. En proposant une programmation d’en moyenne quatre événements par semaine, alliant concerts, stand-up, théâtre, expositions et d’autres, il se démarque déjà de la plupart des autres bars culturels du centre-ville. “Le Vasco, par exemple, c’est beaucoup plus émietté leur programmation, il n’y a pas de régularité”, nous confie Adrien. Également, le bar assume son esthétique aux contours expérimentaux et alternatifs. En se contraignant à ne représenter que des artistes dont les styles arborent cette direction artistique, le Boudu Pont crée une bulle esthétique à laquelle les artistes et le public peuvent s’identifier. Il dénote alors de son voisin proche La Candela, qui propose des styles musicaux plus “accessibles”. “L’idée étant d’avoir une scène pour des musiques qui ne sont pas ou peu représentées ailleurs”, exprime Adrien. “Je voulais faire du Boudu une petite capsule d’expérimentation pour les artistes, qu’ils puissent tester des nouveaux formats.”

“On est que des bars culturels, donc des petits rats, de la petite jauge, qui, en revanche, faisons vivre largement la scène locale. […] On a un rôle qui est hyper important pour tous ces jeunes groupes, même beaucoup qui commencent à faire leur intermittence, ils font leur cachet chez nous.”

Ainsi, le Boudu Pont se distingue d’une scène dédiée à la diffusion de musiques amplifiées, d’une part par l’emplacement souterrain de sa scène, n’en faisant pas l’espace central du lieu, et d’autre part par l’étroitesse de cet espace de diffusion, synonyme de l’appropriation d’un lieu de “dépannage” pour l’émergence d’une scène locale alternative. Mais le Boudu Pont se démarque aussi des autres bars culturels de son quartier, par sa direction artistique particulière, prônant des styles expérimentaux moins représentés, et par la constance et la fréquence de ses activités. Ainsi, le bar culturel arrive à se construire une identité propre, à laquelle les employés, les artistes et les consommateurs participent et s’identifient. Le Boudu Pont représente alors un lieu culturel unique dans le quartier de Saint-Cyprien, et une scène locale alternative authentique pour le centre-ville toulousain.

Préparé et rédigé par : Antoine MARTIN, Lalie REPAIN, Claire SAINT-ANTONIN et Timothée GAUCHET