
Studio de la Trappe
Le studio d’enregistrement constitue un espace souvent méconnu du grand public. Longtemps réservé à des structures professionnelles, ce lieu incarne une forme d’artisanat sonore où expertise technique et sensibilité artistique se rencontrent. Aujourd’hui, alors que les outils numériques permettent à chacun d’enregistrer et de produire depuis un simple ordinateur, le rôle des studios professionnels semble remis en question. À quoi servent-ils encore ? Comment s’adaptent-ils à ce nouvel écosystème où le choix de l’autonomie technologique peut devenir la norme ?
Pour répondre à ces interrogations, nous avons choisi d’enquêter sur un studio qui n’est pas simplement un lieu d’enregistrement, mais une véritable institution de l’univers musical toulousain : le Studio de la Trappe. Depuis plus de trente ans, il résiste à sa manière à l’envahisseur numérique, en cultivant une approche artisanale du son, profondément enracinée dans l’analogique. Nous sommes allés frapper à la porte du studio, avons rencontré Triboulet, son fondateur et âme vive, assisté à une session d’enregistrement avec le groupe Z and the Tiki Twisters, interviewé les musiciens, et consulté les archives de reportages existants.
Voici ce que nous avons découvert en poussant la porte d’un studio pas comme les autres…

Sommaire :
- L’Interview avec Triboulet.
- L’Histoire du Studio.
- Les Spécificités du Studio.
- Le Studio sous un Autre Jour.
- Le Futur du Studio.
- Conclusion.
- Crédits.
Entretien avec Triboulet :
Un entretien avec Triboulet, enregistré dans les locaux de Radio Campus le 30 avril 2025. Un entretien en 3 parties préparé et réalisé par Muriel Roux, Magdalena Skalska et Lucien Manuel Clappier Domenech.

L’histoire du Studio :
Le Studio de la Trappe, c’est avant tout l’univers de son fondateur, Triboulet.
Membre d’un groupe punk toulousain dans les années 1980, il découvre l’enregistrement presque par nécessité : au sein de son groupe, c’est lui qui s’occupe de capter le son. Sans formation académique, mais animé par une curiosité mécanique, il démonte, remonte, expérimente, et développe un savoir-faire autodidacte solide. Très vite, d’autres groupes locaux font appel à lui, et le bouche-à-oreille fait de Triboulet une figure de confiance et une référence dans le milieu.
Le nom du studio est un clin d’œil à ses débuts : son premier local d’enregistrement se trouvait dans un sous-sol accessible par une trappe, en plein cœur de Toulouse. Mais ce choix de nom joue aussi sur une double signification : « la Trappe » évoque aussi ces moments partagés avec les groupes, autour d’une bière trappiste et d’une guitare.
L’aventure prend un tournant majeur lorsqu’il commence à sonoriser un groupe local, The Bubblies, qui part en tournée européenne en première partie d’un groupe américain. Ce dernier est séduit par le son brut et chaleureux de Triboulet, qui est alors engagé pour accompagner leur tournée mondiale. S’ensuit une collaboration durable avec le groupe Half Japanese, qui reviendra plusieurs fois à Toulouse enregistrer leurs albums, attiré par l’identité sonore propre au studio.
En 2001, après des années de nomadisme, Triboulet cherche à poser ses valises. Son ami Floreal Marorell lui propose alors un bâtiment, initialement destiné à enregistrer les groupes de son label Esperanto VINILKOSMO. Triboulet saisit l’opportunité et façonne cet espace à son image, selon ses préceptes, en créant un lieu de création unique. Véritable artisan du son, il aménage son studio avec soin pour que chaque recoin favorise une acoustique optimale. Aucun mur n’est parallèle, et chaque session est guidée par la recherche d’une captation sonore au plus proche du réel. Ainsi, chaque enregistrement est minutieusement conçu selon son credo : la passion de l’analogique et de la prise de son live.

Spécificités du studio : l’analogique, la prise de son live et la recherche de l’authenticité :
Triboulet a découvert presque par hasard la richesse du son analogique, qu’il considère aujourd’hui comme indispensable à son travail. Alors que la plupart basculaient vers le tout-numérique, il collectionnait sur eBay ou récupérait des équipements délaissés : magnétophones à bande, micros vintage des années 50-60, compresseurs, et autres périphériques anciens. Parmi ces trésors, son studio abrite notamment un magnétophone à 4 pistes, le même modèle que celui utilisé par les Beatles lors de leurs sessions d’enregistrement.
Le studio regorge de curiosités, comme les micros à ruban d’époque qu’il utilise pour capter les ambiances. Passionné par ses outils, Triboulet assure lui-même la maintenance courante de son matériel. Pour les réparations plus complexes, il fait appel à des spécialistes, souvent enthousiastes à l’idée de travailler sur ces pièces rares.
Ancien technicien informatique, Triboulet ne rejette pas pour autant le numérique : il utilise un ordinateur pour le mixage, notamment depuis 2003, lorsqu’il a produit la bande originale du film Aucun repos pour les braves d’Alain Guiraudie, à l’aide de Pro Tools. Pour lui, l’essentiel est la qualité finale du rendu sonore, peu importe le moyen utilisé. Artisan du son, il se montre ouvert aux outils numériques quand ceux-ci servent le projet.
Le matériel analogique, selon Triboulet, offre une restitution plus riche et nuancée, grâce aux harmoniques naturelles qu’il génère, impossibles à reproduire numériquement. Il parle souvent de son travail comme celui d’un peintre : « les microphones sont mes pinceaux, les préamplis mes couleurs ».
Dans cette optique, il veille à préserver un son pur et naturel, sans artifices superflus. Il privilégie les prises live, enregistrant souvent les musiciens ensemble dans une même pièce afin de capter l’énergie brute du groupe. Lorsque la séparation des instruments est nécessaire, il laisse les portes ouvertes pour maintenir une certaine « respiration commune ». Il place également des micros anciens pour enrichir le mix final d’ambiances naturelles.
De nombreux groupes apprécient cette méthode qui réduit au minimum les modifications en post-production. Contrairement aux productions souvent standardisées et fortement retravaillées numériquement, Triboulet cherche à révéler la source sonore dans son authenticité. Cette approche confère à chaque projet une identité sonore singulière, ancrée dans la tradition et la spontanéité de la musique.

Le studio vu par les groupes et les producteurs :
Lors de leur dernier enregistrement, nous avons rencontré le groupe Z & the Tiki Twisters. Ce qu’ils apprécient particulièrement dans le travail de Triboulet, c’est sa capacité à placer l’artiste au centre de la démarche. Il ne s’agit pas pour lui de contrôler ou de contraindre, mais bien d’accompagner l’artiste dans sa recherche sonore. Le processus d’enregistrement devient ainsi une véritable collaboration, où chaque choix technique et chaque ajustement visent à sublimer l’interprétation tout en préservant son intégrité. Selon eux, c’est cette approche qui fait que, au Studio de la Trappe, les artistes se sentent non seulement entendus, mais aussi profondément compris.
En examinant les interviews antérieures des groupes ayant enregistré avec Triboulet, un consensus se dégage : il privilégie les sons purs et authentiques. Il ne passe pas des heures à manipuler égaliseurs et effets numériques. Comme le souligne un membre du groupe Half Japanese, « il s’assure que c’est le bon micro au bon endroit, près de la vibration originale ». Son son vintage est particulièrement recherché, mais il est aussi reconnu pour son ouverture d’esprit et son pragmatisme : « il n’est ni fanatique analogique rétrograde, ni du côté des fans du numérique ». Pour lui, « peu importe la manière dont on arrive au résultat, ce qui compte, c’est le résultat » (Michel Cloup, musicien français originaire de Toulouse, connu pour son parcours avec le groupe Diabologum et ses projets solo).
Par ailleurs, Nick Sansano — ingénieur du son ayant travaillé avec des groupes tels que Sonic Youth, Public Enemy, Noir Désir ou Zebda — ne tarit pas d’éloges à son sujet : « with Triboulet, nothing to fix, just to mix ». De même, Jim Diamond, producteur des White Stripes, souligne qu’il possède « l’habileté de donner à celui qui mixe la possibilité de faire ce qu’il veut avec le matériau grâce à la qualité de l’enregistrement procuré ». Ces témoignages constituent une véritable consécration pour cet autodidacte, qui rêvait initialement de devenir le batteur mondialement connu d’un groupe punk.
Triboulet a eu l’occasion de côtoyer plusieurs grandes figures du monde de l’enregistrement, un milieu souvent méconnu du grand public. Parmi elles, on peut citer Nick Sansano, Jim Diamond ou encore Steve Albini. Il a également partagé des expériences avec Ken Scott, ingénieur du son des Beatles et producteur de David Bowie. Ensemble, ils ont pu échanger longuement sur leur vision du métier, mais aussi sur leur regard plus large sur le monde. Pour Triboulet, c’est une expérience très forte de constater que Ken Scott partageait avec lui des valeurs similaires, notamment autour de la passion et du respect du son.
Selon lui, l’une des raisons pour lesquelles les groupes qui viennent enregistrer chez lui repartent toujours satisfaits, quelle que soit leur esthétique musicale, est qu’il se laisse avant tout guider par son intuition et son ressenti. C’est ce qui l’aide à chercher, au-delà de la simple prise, une véritable sublimation du son.
Bien sûr, lorsque l’intervention du numérique devient nécessaire, Triboulet ne recule pas. À titre d’exemple, il accorde une attention toute particulière à la justesse des accents et à la clarté des voix, surtout lorsqu’il travaille avec un groupe du label Esperanto VINILKOSMO — rappelons qu’il est le seul studio dans le monde à être officiellement associé à ce label. Il nous a ainsi confié avoir corrigé un groupe qui avait tendance à mal placer ses accents, non pas pour tricher, mais uniquement afin de rendre leur texte plus intelligible. Cela illustre bien l’avantage que peuvent offrir les outils numériques lorsqu’ils sont utilisés avec discernement et dans le respect de l’œuvre.

Le futur du Studio de la Trappe : transmission et pérennité :
Face à la montée des home-studios, du streaming et des outils numériques accessibles à tous, Triboulet reste lucide : beaucoup de musiciens enregistrent seuls chez eux et publient directement leurs morceaux sur des plateformes. Mais ce n’est pas son combat. Il s’adresse avant tout à ceux qui recherchent une identité sonore forte, ou simplement à ceux qui désirent une prise en main professionnelle.
Le studio s’adapte en proposant des services inédits : restauration et numérisation d’anciennes bandes, et, idée ingénieuse, le RéAmping — repasser des enregistrements numériques sur bande, ainsi que par ses microphones et périphériques de collection, pour leur redonner la chaleur et les harmoniques analogiques chères aux anciens enregistrements, encore tant appréciés aujourd’hui. Une manière subtile de s’adapter sans renier ses convictions.
Triboulet est conscient que le temps passe et que le monde évolue. Si le studio résiste encore aujourd’hui, c’est aussi parce qu’il ne cesse de se renouveler. Le regard se tourne vers l’avenir : comment transmettre ce savoir-faire à la nouvelle génération d’ingénieurs du son ? La formation de jeunes apprentis est envisagée pour assurer la pérennité de cette approche.
Les musiciens du futur, habitués aux environnements numériques, pourront-ils apprécier et perpétuer cette forme d’art sonore ? L’espoir est là, porté par la volonté de transmettre cette expertise à ceux qui sont prêts à remettre en question les standards actuels de production sonore.
Dans un contexte de développement technologique accessible à tous, marqué par la démocratisation des home studios, le Studio de la Trappe poursuit son activité en misant sur une approche artisanale et un son authentique.

Finalement…
La visite du Studio de la Trappe a permis de découvrir bien plus qu’un espace d’enregistrement. Elle a mis en lumière une approche singulière du travail sonore, portée par un professionnel attaché à l’authenticité du geste technique et artistique. Triboulet défend une pratique artisanale de l’enregistrement, dans laquelle la prise de son en direct et l’usage de l’analogique — notamment les micros à bande — jouent un rôle central pour restituer la dimension humaine du son.
Loin d’une opposition dogmatique entre analogique et numérique, il adopte une posture pragmatique : les outils numériques sont intégrés lorsque cela s’avère nécessaire, au service d’une exigence de clarté et de fidélité à l’intention musicale.
Alors, à quoi servent encore les studios professionnels à l’heure du home-studio ? À nous rappeler que derrière chaque bonne prise, il y a souvent bien plus qu’une technique : il y a une oreille, une sensibilité, une intention. Et parfois, une trappe.
Crédits :
Merci à Triboulet pour son temps et son invitation au Studio de la Trappe.
Inteview hébergée et enregistrée à Radio Campus par Thomas Delafosse.
Page web et interview réparées, rédigées, illustrées et montées par Muriel Roux, Magdalena Skalska et Lucien Manuel Clappier Domenech.