NINXY est un trio toulousain composé de Maya Cros, Louis-Nicolas Gubert et Rémy Gouffault (respectivement pianiste, bassiste et batteur). Leur volonté étant de « sortir un petit peu des codes jazz » [1] en « explorant ce côté électronique » [2], il est impossible de les classer dans une unique catégorie. Cependant, on peut rapprocher leur musique des esthétiques Drum n’ Bass, half-time, jungle et techno. Ces classifications sont appuyées par les influences qu’ils déclarent, à savoir Nerve, Mehliana ou encore les différents projets de Mark Guiliana [3], qui eux-mêmes « faisaient plutôt du jazz mais qui mélangeaient aussi des sonorités électroniques dans leurs projets” [4].
NINXY : l’interview
Membres et historique du projet
Maya | Rémy | Louis-Nicolas |
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Maya a suivi des études de piano classique. Rémy a suivi un parcours de percussions classiques. Il est ensuite entré à l’Ecole Dante Agostini de Toulouse où il obtiendra son prix, et au Conservatoire de Toulouse en cursus de batterie. Enfin, Louis-Nicolas a débuté la musique en suivant un parcours de guitare classique et a ensuite pris des cours de basse électrique au conservatoire. Ils ont tous les trois suivi une Licence de Musicologie Jazz à l’Université Toulouse Jean-Jaurès (UT2J).
Membres de la même promotion de Licence, c’est à l’UT2J qu’ils se sont rencontrés. Ils commencent par jouer ensemble pour des « sessions de travail » [5], mais petit à petit se lancent dans la création de leur musique. Le groupe se forme officiellement en mai 2016.
EP Bakemono
L’EP Bakemono se compose de trois morceaux relativement courts,“Bakemono”, “Tipsy” et “Schizophrenic”, enregistrés en novembre 2018. La prise de son, le mixage et le mastering ont été réalisés par Vincent Barcelo, et la pochette par Georges Frédéric Gubert. Contrairement à leur précédent EP, Stairs Stairs Stairs, qui regroupe quatre morceaux en un, sans interruption et avec une cohérence esthétique évidente, l’idée de Bakemono était de faire un “panel de trois types de morceaux avec un même bpm” [6].
« Bakemono »
Comme expliqué dans l’interview, ce morceau a été composé dans le style Drum n’ Bass. Il sont partis de différentes contraintes pour orienter la composition. Comme pour les 2 autres morceaux, le tempo est de 86 bpm. Ils ont également défini une structure entièrement mesurée, structure basique de Drum n’ Bass, pensée en trois grandes parties, sans compter l’outro (voir Tableau Structure Bakemono) [7]. On peut bien-sûr découper chaque grande partie plus précisément (voir Tableau Structure Détaillée Bakemono). On parlera dans cette esthétique de « drops » pour les parties les plus chargées, avec une intensité croissante tout le long de cette même partie, et de « breakdowns » pour les parties plus épurées, qui font redescendre la tension engendrée par les « drops ».
Dans l’esthétique Drum n’ Bass, la majorité des sons sont traités informatiquement pour sonner “électroniques”. Dans ce morceau, les sons de basse et de claviers sont tous issus de traitements informatiques (effets, post-traitement …). Par exemple, Louis-Nicolas utilise divers traitements de sons (qu’il explique dans l’interview[8]).
Cependant, une bonne de la partie batterie est uniquement acoustique. En effet, Rémy utilise quelques astuces pour que certains sons semblent électroniques. Par exemple, les cymbales stacks offrent un son de charleston très sec qui semble artificiel (voir image Stacks)(1’06). On peut également relever les sons des deux caisses claires qui sont obtenus en posant simplement une (ou des) cymbale(s) splash sur la peau de frappe (voir image Caisses Claires)(0’03). Seuls la grosse caisse et les “snaps” sont artificiels, la grosse caisse ayant été triggered [9] et les “snaps” étant générés par un pad.
Comme mentionné dans l’interview, il n’est pas rare que dans ces esthétiques de musiques électroniques les parties mélodiques, harmoniques et de basse n’aient que peu voire pas de lien [10]. Leur idée étant de créer une atmosphère angoissante, ils ont appliqués les procédés suivants pour créer celle-ci: on ne peut relever aucune harmonie (on entend seulement une pédale de basse de Fa #), la ligne mélodique se suffit à elle-même et est plutôt disjointe et dissonante, puis tout le reste est approché de manière bruitiste.
On peut relever différents sons bruitistes réalisés par Maya au clavier, par exemple les sons de cloches (1’10), les samples de voix issus de la vidéo d’ASMR Japonais [11] présents à de nombreux endroits dans le morceau (1’24-1’50-2’11-3’20) ou encore les sirènes (2’18), pour n’en citer que quelques uns.
Pour s’inscrire encore plus dans l’esthétique D’n’B’, le mixage est également typique de cette esthétique, la majorité des sons se situant au centre. Seuls les sons bruitistes, tels que les cloches ou les samples de voix, se situent plus sur les côtés.
« Tipsy »
La contrainte principale pour la composition de ce morceau était de permettre l’ajout d’une mélodie chantée. Ils ont fait appel à Frederika, chanteuse musicienne et compositrice toulousaine, pour composer, chanter et écrire les paroles de cette mélodie.
L’accompagnement ayant été réalisé avant la création de la mélodie, il était nécessaire de laisser suffisamment d’espace pour laisser une place à cette dernière. Ils ont donc pensé le morceau comme un morceau de pop.
En effet, on peut relever différentes caractéristiques d’un morceau pop. Tout d’abord, la structure du morceau est principalement basée sur une alternance de couplets et de refrains (voir Tableau Structure Tipsy et Tableau Structure Détaillée Tipsy ). Ensuite, on peut mettre en avant la grille harmonique composée de seulement deux accords, Mi Majeur et Si Majeur (0’10), avec parfois un accord de La Majeur de passage.
A partir du Pont 2, le tempo est doublé (on passe de 86 à la noire à 172 à la noire). C’est une pratique définissant le style « half-time » (3’19). Et ici aussi, les différentes parties sont basées sur des cycles de 4 ou 8 mesures, caractéristique des musiques de Drum n’ Bass.
Les divers traitements apportés à la voix ont tous été réalisés en post-production [12]. Frederika s’était servi lors de la répétition pré-enregistrement d’un multi-effets « Helicon Voice » (voir Helicon Voice) pour donner une aperçu des traitements qu’elle souhaitait entendre sur sa voix, mais l’enregistrement s’est fait sans le multi-effet. C’est sa voix non traitée qui a été enregistrée, puis en suivant les directives bien précises de Frederika, Vincent Barcelo a réalisé les modifications qu’elle désirait.
Au niveau de la batterie, on peut mettre en avant le lourd et profond (« fat ») de la caisse claire avant la partie D’n’B’ (2’55), puis le changement de caisse claire pour une ayant un son plus sec et aigüe pour la partie half-time (3’28). La basse utilise des effets tels que la distorsion et l’octavieur (1’18).
« Schizophrenic »
Ce morceau est très différent de « Tipsy ». A la différence de ce dernier, l’harmonie est inexistante puisqu’il n’y a pas de tonalité. La ligne de basse jouée au clavier est le pilier de ce morceau avec ce mouvement de triton qui soulève une ambiance très angoissante. « Schizophrenic » est basé sur un jeu entre timbre et son, ambiance et ressenti.
A l’époque de la création de cet EP, les membres du groupe écoutaient beaucoup de Drum n’ Bass et se sont inspirés pour ce morceau d’Alix Perez et de Monty.
Le morceau comporte trois parties principales chacune constitué de sous parties de 16 ou 32 mesures. Le morceau joue dans sa structure sur un effet d’accumulation: différentes couches sonores se rajoutent petit à petit jusqu’à la fin. La partie B se veut en plein contraste avec le reste du morceau, avec notamment un break de batterie qui, couplé à quelques effets de post production relance sur la partie C qui est dans la continuité de la partie A.
Les sons utilisés au synthétiseur ont deux objectifs. Certains sons servent de “nappe sonore », comme dans la partie A (1’52), alors que d’autres ont un rôle rythmique comme on peut l’entendre dans cet extrait (« piou piou » 3’39). De la même façon, la basse est utilisée de façon rythmique comme dans la partie C à (4’02). De plus le son est extrêmement travaillé et complexe. Lors de l’interview [13], Louis Nicolas nous confie qu’il a une utilisé une pédale de Bass Octaver qui passe ensuite dans un Sample Rate Reducer (Bit crusher), puis dans un filtre passe bas contrôlé avec une pédale d’expression, et encore une fois le son passe dans un bit crusher. Enfin, on retrouve ces sons de caisse claire et de grosse caisse identiques à ceux de « Bakemono ».
Mais c’est le choix du sample (1’02) qui résume le mieux ce qu’à voulu faire passer Ninxy à travers ce morceau: une ambiance malaisante et angoissante. En effet le sample est tiré d’un vieux reportage aux états-unis dans un hôpital psychiatrique durant les années 50-60.
Observations
Après les analyses individuelles des morceaux, on peut remarquer des similarités entre ces derniers. Tout d’abord, le bpm est de 86 sur les trois morceaux (bpm récurrent dans les musiques de Drum n’ Bass). On peut relever que le fond musical est assez similaire dans les trois morceaux, ce qui est engendré par l’utilisation des codes Drum n’ Bass, Jungle et “half-time”. On peut également mettre en avant la cohérence du mixage entre les trois morceaux.
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Remerciements:
- NINXY pour nous avoir donné de leur temps ainsi que pour leur très grande sympathie
- Mathieu Chinchole pour l’enregistrement de l’interview
- Le Taquin Toulouse pour nous avoir permis de réaliser l’interview dans leurs locaux
Rédacteurs:
- Noémie Chinchole
- Corentin Solignac
- Mathieu Payet
- Pierre Duverger
- Mehdi Missoum
Note | Time-code interview |
---|---|
1 | 4’02 |
2 | 3’01 |
3 | 4’15 |
4 | 4’28 |
5 | 2’31 |
6 | 8’05 |
7 | 20’35 |
8 | 13’10 |
9 | 13’00 |
10 | 19’04 |
11 | 19’47 |
12 | 24’30 |
13 | 30’13 |