
source : site web de l’Harmonie La Garonne
Fondé en 1973, l’Association Artistique des Cheminots de Toulouse (AACT) est l’une des nombreuses associations culturelles affiliées aux Cheminots français. Regroupées sous l’égide nationale de l’UAICF (l’Union Artistique et Intellectuelle des Cheminots Français), ces associations loi 1901 qui ont pour but de promouvoir et développer les activités culturelles chez les cheminots actifs, retraités et leurs familles, sont dans la lignée des dispositions spécifiques mise en place par et pour les cheminots (en partenariat avec les directions) dès les débuts des chemins de fer, vers le milieu du XIXème siècle. L’idée est de permettre aux cheminots de profiter de loisirs communs. Ces différentes organisations se sont réellement structurées de la manière dont on les connaît aujourd’hui vers le milieu de XXème siècle, après la Seconde Guerre Mondiale. Héritières d’une histoire sociale nationale spécifique à la France, ces associations restent encore de nos jours très dynamiques. Le comité UAICF SUD-OUEST compte par exemple pas moins de 56 associations et 1800 adhérents. Des associations artistiques qui subissent, comme tout le secteur culturel, des baisses de subventions ces dernières années, complexifiant leur mission pourtant d’utilité public : permettre la pratique artistique pour tous.
Sommaire :
- Entretien avec Françoise Bouzet, présidente du pôle musique de l’Association Artistique des Cheminots de Toulouse
- La création de l’école de musique et de l’harmonie
- Le festival de musique d’ensemble
- Les subventions
- Les liens avec le Conservatoire
- Conclusion
I. Entretien avec Françoise Bouzet, présidente du pôle musical de l’Association Artistique des Cheminots de Toulouse
Femme de cheminot, toulousaine, Françoise Bouzet est liée à l’Association Artistique des Cheminots de Toulouse depuis de longues décennies. Bénévole depuis 1985, et longtemps trésorière, elle a pris la direction de l’ « AACT » en 1997. Elle est également présidente de l’harmonie La Garonne depuis cette année-là. Elle a, il y a quelques années, cédé sa place de Présidente (à Benoit David, cheminot actif) et n’est plus « que » Présidente de la section musique (et donc directrice de l’école de musique) , tout en restant vice-présidente de l’Association Artistique (elle me confie qu’elle continue cependant à être la principale coordinatrice de l’association tout entière). Retraitée (après avoir travaillé en cabinet d’architecture et à la préfecture de la Haute-Garonne), Françoise Bouzet est entièrement dédiée à l’école de musique et l’Harmonie, et est réellement multi-casquette au sein de l’association (c’est LA personne référente pour tout soucis ou question).
L’interview s’est déroulé un jour de semaine en mai 2025, en fin de matinée, dans son bureau de la Maison des Associations, bâtiment de l’Association Artistique des Cheminots de Toulouse, rue Louis Plana. (Françoise Bouzet est venue exprès pour moi, un grand merci à elle.)
II. La création de l’école de musique et de l’harmonie
C’est en 1943 qu’une poignée d’habitants du quartiers Soupetard de Toulouse, décident de créer une petite harmonie. « La Chanterelle » (c’est son nom) se développe peu à peu. La grande majorité de la trentaine de musiciens qui la compose à l’époque est cheminote, quartier cheminots oblige. Le nom de cette harmonie change quelques années plus tard pour prendre son nom actuel : La Garonne. C’est en 1973 que deux musiciens de l’Harmonie, François Labadie et George Carrier, constatent le besoin de former de nouveaux musiciens pour intégrer l’ensemble, et décident de concevoir une petite école de musique, à destination des cheminots (actifs et retraités) et de leurs familles. L’Association Artistique des Cheminots est créée, composée de l’unique section musique. La section danse apparaît quelques années plus tard, et c’est à la fin des années 1970 que l’offre artistique s’étoffe véritablement, avec l’ajout de plusieurs autres disciplines comme la photographie, la peinture et le modélisme (les derniers en date étant la magie et les jeux de sociétés). L’association a toujours été installée dans le quartier Soupetard, mais a cependant changé de locaux en 2016, quittance de « vieux bungalows vétustes de la Guerre », pour s’installer dans des bâtiments neufs, négociés avec la SNCF, situés rue Louis Plana (dans une toute nouvelle Maison des Associations flambant neuve). A sa création en 1973, l’école compte seulement une quinzaine de musiciens (contre une centaine actuellement) et est uniquement à destination des familles de cheminots, ce qui évolue au fil des ans dans le sens de l’ouverture aux non-cheminots (ceux-ci représentent aujourd’hui moins de la moitiée des inscrits).
III. Le festival de musique d’ensemble
Journée musicale et festive qui a lieu tous les ans au printemps depuis sept années, le festival de musique d’ensemble est un projet qui correspond vraiment à l’état d’esprit de l’harmonie et de l’école. C’est une grande rencontre, un grand rassemblement pour les ensembles amateurs jusqu’à semi-professionnels de la région toulousaine. Cet évènement a été initié en 2019 par le trompettiste et chef d’orchestre de Timothé Bergez, qui est à la direction de l’Harmonie La Garonne depuis 2015 (repéré directement par Françoise Bouzet lors d’un stage organisé par la FSM31 -Fédération des Sociétés Musicales de la Haute-Garonne-). Cet ancien étudiant en trompette et en direction au Conservatoire de Toulouse et de Perpignan succède alors à Guilhem Boisson et insuffle à son arrivée une nouvelle dynamique à l’Harmonie La Garonne. Les programmes qu’il défend sont très éclectiques, avec une place importante pour le « vrai » répertoire d’harmonie, avec notamment une grande place accordée aux compositions originales, en particulier de compositeurs de la région (dernière en date : une commande au saxophoniste, arrangeur et compositeur audois et ancien étudiant au conservatoire de Toulouse, à la grande carrière nationale, Gilles Arcens -grand ami de Françoise Bouzet). Le nouveau répertoire inclut également des musiques de films ou de jeux vidéos, des arrangements de thèmes jazz ou encore des musiques du monde. De son premier professeur en direction à Toulouse, Jean-Guy Olive, Timothé Bergez a, semble-t-il, gardé la volonté d’explorer touts les genres et les esthétiques, mais aussi celle de pousser en permanence -mais en toute bienveillance- les musiciens à leur maximum, pour créer une véritable dynamique de progression et d’investissement individuel et collectif (qui semble porter ses fruits car La Garonne est aujourd’hui largement reconnue et sollicitée dans toute la région, attirant dans ses rangs beaucoup d’élèves du Conservatoire et plusieurs musiciens semi-professionnels et même professionnels). C’est donc le jeune chef Timothé Bergez qui en 2018 soumet cette idée à Françoise Bouzet, qui l’encourage immédiatement à mener à son terme le projet et lui apporte le soutien de l’école. L’envie du chef d’orchestre de La Garonne est de faire jouer dans la même journée des formations aussi variées que des fanfares, des harmonies, des big bands, des brass bands des ensembles de musique de chambres, des chorales et des orchestres à cordes. Timothé Bergez, désire également organiser cet évènement dans la ville dont il est originaire, Ramonville. La première édition se déroule ainsi à la salle des fêtes de Ramonville, gracieusement prêtée par la ville, et est immédiatement un succès. Depuis, l’évènement s’est « institutionnalisé », et est à présent à l’affiche de l’agenda de la mairie de Ramonville. L’ambition, toujours la même depuis la première édition, est claire et double : faire se rencontrer des musiciens de différents horizons qui ne sont que très rarement amenés à se croiser, et surtout « faire connaître toutes les musiques au public » (comme le dit Françoise Bouzet). Et le pari est à chaque fois rempli : des musiciens admiratifs devant les ensembles qu’ils connaissent le moins et un public conquis qui découvre avec plaisir plusieurs formations instrumentales (ou chorales!) et s’ouvre ainsi à plusieurs styles de musique (l’interprétation de la 7ème symphonie de Beethoven par la Chambre Symphonique de Toulouse en étant, cette année, l’exemple parfait : « même les musiciens qui ne sont pas classiques ont appréciés » affirme Françoise Bouzet avec un peu d’humour). Cette année la programmation allait du Jam’it Big Band à la chorale Babel Canto en passant par l’harmonie H2O (avec de nombreux « interludes » de fanfares en extérieur) et c’est bien sûr l’harmonie La Garonne qui clôturait comme chaque fois la journée! 956 personnes se sont déplacés (en plus des 250 musiciens) et compte parmi elles beaucoup de familles, et des enfants qui souvent assistent à leur premier concert, et découvrent avec un grand sourire les différents instruments de musique et les formations à chaque fois si différentes : pari gagné!
V. Les liens avec le Conservatoire
Les liens entre l’AACT et le Conservatoire de Toulouse sont très étroits, ne fût-ce qu’avec le nombre de musiciens que l’école envoie chaque année au conservatoire, mais aussi avec les venues de plusieurs élèves du conservatoire pour renforcer les pupitres de l’harmonie. On peut aussi noter par exemple, que de nombreux élèves percussionnistes du conservatoire ont également débuté, ou sont passés par les Cheminots avant leur intégration du conservatoire. L’AACT est sans doute l’école qui y fait rentrer le plus d’élèves. Toujours en prenant en exemple cette classe de percussions de l’AACT, particulièrement dynamique grâce à son professeur (également artiste freelance et compositeur) Sébastien Gisbert, les projets s’enchaînent régulièrement entre les deux classes. On peut penser en particulier aux weekends Percu’Ose et Percu&Co, grands rassemblement des classes de percussions de la région chaque année, dans lesquels la classe des Cheminots est particulièrement impliquée et est là encore première pourvoyeuse d’élèves après le conservatoire. On peut également songer à des projets plus exceptionnels, où le conservatoire et l’AACT sont partenaires privilégiés, comme l’événement sur plusieurs jours qui s’est déroulé en mai 2025 : La Halle Percute. Plusieurs jours de percussion au coeur de la Halle de la Machine, avec une grande variété de projet et de propositions (grands ensembles, petits ensembles, morceaux solistes, interventions diverses, etc…), à l’initiative de Sébastien Gisbert (par ailleurs partenaire privilégié de l’équipe musicale de la Halle de la Machine -avec qui il a notamment joué pour la déambulation des Machines dans les rues de Toulouse et co-composé plusieurs morceaux de ceux diffusés dans le lieu pour les visiteurs). Quelques exemples pour souligner à la fois l’intimité de certaines classes avec le conservatoire mais aussi l’importance des projets, des partenariats, de la pratique d’ensemble, et des rencontres dans le cursus musicale de l’AACT. Une dynamique particulièrement insufflée par des professeurs enthousiastes et motivants, aux idées originales (et aux nombreux contacts développés par des vies professionnelles souvent très riches à côté). Toujours par rapport à ces liens avec le conservatoire, on peut aussi tout simplement noter à L’AACT la présence d’un chef d’orchestre de l’harmonie ainsi que de plusieurs professeurs (dont les deux professeurs de percussions Sébastien Gisbert et Clément Mélis) issus de ces bancs. Pour terminer, on remarque que certaines élèves ou grands élèves du conservatoire viennent régulièrement remplacer des professeurs absents, que beaucoup d’anciens élèves des cheminots qui suivent un cursus au conservatoire (notamment en percussion) reviennent souvent prendre des cours aux Cheminots mais aussi que le théâtre Surcouf (salle de répétition et de représentation affilié à l’école) sert de temps à autre de lieu de répétition ou même d’enregistrement pour des élèves du conservatoire (par exemple l’enregistrement d’une ouverture symphonique par une fanfare d’élèves du conservatoire et de l’ISDAT -nommée Brass’eurs Band- au début de l’année 2025).
IV. Les subventions
Pour comprendre qui donne quoi à l’association il faut appréhender la complexité de l’organigramme au-dessus de l’AACT. Je trouve dans un document papier que me donne Françoise Bouzet le montant du budget global de fonctionnement de l’année scolaire 2023-2024 : 51 772€ très exactement. Pour commencer, il faut comprendre que l’association dépend du CASI de Toulouse (le Comité d’Action Social Inter-entreprise), qui dépend lui même du CSE de région (Comité Social et Économique). Le CSE structure les associations, sans pour autant fournir des subventions. Ce sont majoritairement le CASI et l’UAICF (l’Union Artistique et Intellectuelle des Cheminots Français) qui subventionnent indépendamment l’association. De ce côté-là les subventions sont stables, même si Françoise me confie qu’elle remarque que la SNCF (dont dépend l’UAICF), soumise à des restrictions budgétaires nationales, rechigne de plus en plus à fournir des aides à des services où l’on trouve de moins en moins de cheminots (seuls 37% des élèves ont un lien avec les cheminots à l’AACT). On trouve ensuite les institutions locales : le Conseil Départemental avec 1500€ par an puis la Mairie de Toulouse, avec une somme presque dérisoire : 500€ (contre 2000€ sous Pierre Cohen, l’ancien maire). La Région quant à elle n’a pas de budget de subvention annuel mais fournit des aides directement sur des projets précis (comme des achats de piano, m’explique Françoise Bouzet, tout en précisant que ce sont souvent des sommes peu élevées). Ces acteurs réunis représentent seulement 4900€ de subvention sur les 51 700€ de référence de dépenses à l’année. La grande majorité des ressources de la section Musique reposent donc sur le budget propre, d’autres (petites) subventions et en plus grande partie sur la participation des familles pour le paiement des cours de musique. A noter également qu’une partie de l’aide est fournie par la SNCF elle-même : il s’agit de la mise à disposition gratuite des locaux (de la Maison des Associations) et la prise en charge des assurances liées. Viennent ensuite quelques donateurs et entreprises privées (comme Intermarché) ou des magasins de musique (comme Octavent) et des villes (qui en l’occurrence mettent gratuitement à disposition des salles de concerts : la Salle des Fêtes pour la ville de Ramonville et l’Odyssée pour la ville de Balma). D’autres aides sont plus surprenantes mais néanmoins utiles : Françoise Bouzet m’informe par exemple que la FSM31 (la Fédération des Sociétés Musicales de la Haute-Garonne) paye à l’association la moitié des frais de communication. Françoise Bouzet me glisse que certaines organisations, comme l’UDEMD31 (l’Union Départementale des Ecoles de Musique et de Danse de Haute-Garonne) offre stages, formations et réunions, qui ne sont cependant pas forcément tous très pertinents, surtout pour « des petites écoles comme nous », rajoute mon interlocutrice. Les restrictions budgétaires ne sont, selon elle, pas encore trop impactantes : il faut cependant déployer plus d’énergie qu’avant pour obtenir des aides, notamment en montant plus de dossiers pour des demandes qui concernent des projets spécifiques. Les dossiers qui sont souvent très longs et complexes à remplir, entraînent plus d’incertitude, car il faut souvent beaucoup patienter avant d’avoir une réponse. Le systèmes de subventions semble donc basculer dans cette direction beaucoup plus inconfortable et qui rend plus difficile les gros projets, et les projets à long terme.
VI. Conclusion
L’Association Artistique des Cheminots est une institution importante à Toulouse. En liens souvent étroits avec le Conservatoire de Toulouse, elle est néanmoins plus accessible et plus ancrée localement. L’exigence et le dynamisme global est très attractif pour les musiciens débutants, comme pour les plus expérimentés. Avec des locaux spacieux, incluant un théâtre (où se produisent nombre de représentations), mais aussi du matériel de qualité (notamment du côté des percussions) et surtout des professeurs réellement engagés et pédagogues, inscrit dans la vision globale de l’association : permettre la musique pour tous, tout en gardant un niveau d’exigence artistique élevé. Il s’agit donc d’une des structures les plus accessibles de Toulouse, mais aussi des plus en capacité de pousser les élèves au très haut niveau. Le tout dans une agréable ambiance musicale, où tous les styles se cotoient, sans hiérarchie, et où les professeurs ont le réel désir d’apporter la culture et l’intérêt artistique à tous les élèves. Dans cette même ligne, L’Association Artistique des Cheminots de Toulouse continue de nourrir après toutes ces années (et ce depuis sa création) sa force principale : être à l’écoute des publics, des évolutions du territoire, avec la volonté de s’adapter en permanence.
Un grand merci à Françoise Bouzet pour sa disponibilité et sa gentillesse.
Rédaction page Web et interview : Noé Gheur
