Le Bikini



Entretiens

Un entretien avec Pierre Cohen, ancien maire de Toulouse et maire de Ramonville au moment où Le Bikini s’y est établi

Préparé et réalisé par Tom Ceuleneer, Chiara De Giusti, Bernard Lapèze-Charlier, Matys Laur, Tina Ternisien

Un entretien avec Sylvie Mollère, directrice du pôle Culture de la mairie de Ramonville

Préparé et réalisé par Tom Ceuleneer, Chiara De Giusti, Bernard Lapèze-Charlier, Matys Laur, Tina Ternisien

Son Histoire

En 1983, Toulouse voit une de ses plus importantes salles de concert prendre vie, le Bikini. Entreprise privée créée par son directeur Hervé Sansonetto et sa mère Jacqueline, plus tard rejoints par son frère Fabrice, cette salle avait pour but de se démarquer de ce que l’on pouvait entendre dans les différentes salles de concert de Toulouse. En effet, comme nous l’explique Hervé lors d’une interview par Ariane Mélazzini, diffusée sur le 12ème numéro du magazine Ramdam en 1998 à l’occasion des 15 ans du Bikini, c’est à l’âge de 23 ans qu’il découvre ce que l’on appelait des “pubs” en Angleterre, concept qu’il a souhaité reproduire une fois de retour en France. Ils débutent dans un café à St-Gaudens, et ne tardent pas à retourner à Toulouse où ils montèrent un café avec sa mère qu’ils nommèrent Le Coup de grâce. C’est un an plus tard qu’ils achètent la discothèque La Mandragore située au chemin des étroits dans le sud de Toulouse et qu’ils rebaptisent Le Bikini en 1983.

Bikini actuel – Scène principale

Ainsi, non seulement cette salle faisait office de discothèque/boîte de nuit proposant diverses soirées, mais très vite la musique amplifiée commence à s’y faire entendre avec initialement l’intervention de groupes de rock, puis petit à petit celle de groupes de métal & death/heavy métal, de pop, de reggae, de variété, de hip hop, d’électro, de rap,… Ce concept fut une réelle réussite et la salle de concert put accueillir un nombre accru de musiciens plus ou moins connus tels que Louise Attaque, Krabathor, Zebda, The Advent, Liza ‘N’ Eliaz, Fonky Family, La Souris Déglinguée, Axel Bauer, Positive Black Soul, Bérurier Noir, Paul Young, la Mano Negra, Little Bob, Kent, OTH, Jeff Buckley, NoFX, Paul personne, Tool, François Hadji-Lazaro, Cradle of Filth, Placebo, -M-, les Fabulous Trobadors, Arno, Korn, Rachid Taha, les Pogues, Elvis Costello, LKJ, Mickey 3D, Soufly, Jeff Mills, St Germain, Carl Cox,… et ainsi organiser de plus grandes et nombreuses soirées. Daniel Antoine enregistre son disque “Hey You le 25 Octobre 1998 au Bikini accompagné d’une foule enjaillée.

Hervé Sansonetto et son équipe commencent alors à s’ouvrir à des groupes bien moins connus afin de leur donner une chance de briller sur scène et de se faire connaître auprès du grand public. Plus les années passaient et plus grandissait la réputation de la boîte et de la salle de concert, dans la France entière, voire dans le monde (apparition d’Indochine, Rammstein, Coldplay, Muse, Cannibal Corpse…)

Très vite divers projets voient le jour au sein du Bikini tels que des festivals (notons le grand festival du 25 Juin 1998 se déroulant sur une semaine et célébrant les 15 ans du Bikini avec des soirées techno, jungle, reggae, rock, etc. sans invitation !), des défilés de mode (cf. TBM 18/11/1986), des Rave Party… Ces dernières lui coûtera malencontreusement une fermeture de ses portes pendant six mois. En effet, l’organisation de ce type de soirées aurait favorisé le trafic de stupéfiants, en particulier d’ecstasy. Le Bikini a ainsi dû attendre jusqu’au 3 Juin 1997 une décision de la Justice pour enfin pouvoir rouvrir ses portes.

Le site d’AZF après l’explosion

Ancien Bikini

Mais cela n’a en rien freiné l’activité de la salle, le 11 Novembre 1997, dans le cadre du 11ème anniversaire du festival “Les Inrockuptibles”, le Bikini invite trois nouveaux groupes qui puisent leur inspiration dans d’autres styles comme le jazz, dénotant une évolution de la programmation rock-ambolesque du Bikini. (cf. JT Toulouse soir, France 3, 11/11/1997). S’y déroule aussi une pré-sélection du Printemps de Bourges le 06 Novembre 1998 où beaucoup de DJ viennent y proposer de la musique électronique et de la techno, engageant un nouveau mouvement musical et culturel pour la salle. (cf. …)

En 2001, malheureusement, un événement dramatique chamboula la ville de Toulouse et le Bikini n’y échappa pas : l’explosion de l’usine AZF. Le Bikini fût détruit et l’équipe s’empressa de trouver de nouvelles salles afin de ne pas perdre la programmation qu’elle  avait prévue, ce qui aurait entraîné la désaffection de son le public.

Un challenge de taille : 2001 – 2007

InBikini Dura Rock, première soirée après la réouverture du Bikini le 27/01/2007

Après la catastrophe d’AZF, le Bikini n’a pas interrompu sa programmation. Immédiatement après l’explosion, l’entité du Bikini a cherchée de nouveaux lieux où représenter ses concerts pour finir l’année 2001 et passer à la saison de 2002. Les salles devaient remplir différents critères : une capacité d’environ 1000 personnes, le respect de leur programmation déjà mise en place et posséder l’équipement nécessaire à l’exécution de musique amplifiée.

Le Bikini a donc délocalisé la plupart de ses concerts, et a donné un rôle plus important à la banlieue toulousaine. C’est la salle des fêtes de Ramonville qui a joué le rôle le plus important pour les saisons 2001 et 2002 (elle a accueilli la majorité des concerts). Divers bars et restaurants de Toulouse et sa banlieue ont également accueilli des groupes, ainsi que d’autres villes à proximité de Toulouse qui ont organisé des concerts dans leurs salles municipales. Cette délocalisation des concerts dans différentes salles et villes à proximité de Toulouse (pouvant aller jusqu’à Montauban) a permis à un nouveau public de découvrir les concerts organisés par le Bikini.

Enjeux politiques et économiques

Les raisons de la délocalisation du Bikini

En 2001, deux mois après l’explosion d’AZF, Hervé Sansonetto reste très positif. Il pense pouvoir reconstruire la salle du Bikini en 2002 au même endroit. Il confirme également ce qui est avancé précédemment, c’est-à-dire le fait que le public de par la délocalisation des lieux de représentations n’arrive pas à suivre, et que le coût d’organisation des concerts dans des salles extérieures est  beaucoup plus élevé.

Pourquoi le Bikini n’est-il pas situé dans le centre de Toulouse ?

L’état, après l’explosion d’AZF a prévu de faire un “recentrage sur les missions structurantes régionantes ». Cela inclut notamment les théâtres et Opéra. Cependant, la destruction du Bikini n’a pas été comptabilisée comme un élément important du bilan des dégâts causés par l’explosion d’AZF. Par conséquent, ce “recentrage sur les missions structurantes des régions” réduit les subventions que le Bikini pouvait obtenir étant donné la prise de décision de se concentrer sur les structures tels que les théâtres.

De par les relations qu’entretenait le gérant avec le maire de Ramonville, ainsi que les nombreux concerts qui ont été exécutés à la salle des fêtes de Ramonville, la relocalisation du Bikini à Ramonville s’imposa comme un choix évident et pratique. De plus, les différents concerts organisés dans d’autres villes et banlieues de Toulouse ont permis d’intéresser un large public pour la réouverture du Bikini en 2007, en plus des anciens habitués du Bikini.

https://www.ladepeche.fr/article/2007/05/03/385082-le-bikini-monte-sur-la-scene-de-la-defense.html

Pourquoi avoir organisé la majorité des concerts à Ramonville ?

Si la majorité de la programmation du Bikini s’est déroulée à la salle des fêtes de Ramonville, il s’agit d’une conséquence d’un choix politique de la part de la municipalité toulousaine. En effet, la métropole de Toulouse a eu tendance à refuser la propagation d’œuvres de musique actuelle, (et plus précisément musique amplifiée) au sein du centre de la ville (principalement car ils ne voulaient pas un regroupement de « jeunes », ce qui les effrayait). Par conséquent, la métropole toulousaine y a vu une occasion de se démarquer ainsi que de jouer un rôle culturel en faisant émerger ce type de musique.

En plus du rôle politique, il y a également une raison bien plus simple qui a poussé Hervé Sansonetto à effectuer la plupart de sa programmation à Ramonville. Il s’agit tout simplement des relations qu’entretenait ce dernier avec le maire socialiste de Ramonville de l’époque Pierre Cohen. Il faut savoir qu’H. Sansonetto était dans une liste de gauche lors des élections municipales de 1999.

Les conséquences d’AZF sur le public du Bikini

Si, comme énoncé plus haut, la période de reconstruction du Bikini a réussi à attirer un nouveau public de par la diversité de ses lieux de représentations (dont 65% à Ramonville), il faut cependant noter une perte de public évidente. En effet, cet “éclatement géographique” a eu pour conséquence une perte de repères de la part des auditeurs potentiels. Il était plus difficile de repérer les différentes représentations artistiques ainsi que les lieux où ils étaient produits. L’association Bleu Citron a constaté “une perte de fréquentation du public de l’ordre de 10 à 20%”.

Cette perte d’auditeurs entraîne inévitablement une conséquence du point de vue économique. Durant cette période difficile de reconstruction, les budgets nécessaires à la mise en place de concerts sont plus importants, de par les déplacements nécessaires entre chaque salle ainsi qu’au transport du matériel.

Bikini actuel – Scène principale
Piscine du Bikini actuel
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Aménagement d’une scène surplombant la piscine du Bikini actuel à l’occasion du weekend des curiosités du Bikini

Le Bikini est une salle qui peut se prévaloir d’une histoire belle et durable. C’est toutefois un des éléments de cette histoire qui a le plus retenu notre attention et qui nous paraît emblématique de la résilience dont le milieu artistique et le monde du spectacle vivant peuvent faire preuve pour survivre à un événement destructeur comme l’explosion de l’usine AZF. Dans son interview du 21 Avril 2022, le chargé de programmation Antoine Fantuz nous fait part de cette ténacité dont a fait preuve le Bikini, sa capacité à rester fidèle à ses convictions, en plus des aides extérieures et du soutien dont la commune et sa communauté ont pu faire part.

Sources

EuroPresse

Free.fr

federation-octopus.org

Articles de La Dépêche

journal.openedition.org

Dailymotion

  • InBikini Dura Rock, première soirée après la réouverture du Bikini le 27/01/2007, reportage, projet de la salle et réaction des employés et des habitués de la salle  https://www.dailymotion.com/video/x1ze3l
  • Hervé Sansonetto parle de l’explosion d’AZF https://www.dailymotion.com/video/xb7bg8 → pris au dépourvu, ils avaient préparé une grande programmation, leurs premiers réflexes a été d’essayer de sauver celle-ci.

Youtube

Les vieux cons : Site à propos de la programmation du Bikini depuis 1983  http://lesvieuxcons.fr/?p=58440