Rose Festival


Logo du Rose Festival par Malick Simple

Fondé en 2020 par les rappeurs Bigflo et Oli, le Rose Festival a vu se tenir sa première édition les 2 et 3 septembre aux alentours de Toulouse après avoir été reporté deux ans à cause de la pandémie. L’idée des deux frères a été de créer un festival innovant à multiples facettes culturelles pour les toulousains, comme eux. Ils en ont rêvé toute leur jeunesse et ils l’ont réussi. Avec une programmation éclectique de musiques actuelles l’événement a cumulé 50 000 spectateurs.

Aftermovie Rose festival 2022

https://www.youtube.com/watch?v=ecqkWEaMbuw

Crédit – La Dépêche, Valentine Chapuis

Cet événement s’ajoute au rang des festivals saisonniers qui font l’attraction de dizaines de milliers de spectateurs, rien qu’à sa première édition. Cependant, plusieurs nouvelles structures sont créées chaque année avec un accroissement de la concurrence. Nous allons vous décrire des caractéristiques pour constater comment le Rose Festival se différencie des autres et devient un festival unique dans son genre.  

D’un autre côté, depuis quelques années, plusieurs collectifs et associations comme l’Ufpi et Spedidam de l’écosystème de la musique vivante, dénoncent un nouveau mouvement de concentration. Ce mouvement concerne des entreprises du milieu musical occupées auparavant de la diffusion des œuvres (labels et maisons de disques) intéressées par la production de la musique vivante . Plusieurs acteurs concernés ont investi  les festivals et les théâtres, agrandissant ainsi leur activité professionnelle. En 2021, l’Autorité à la concurrence, en réponse à la commission des affaires culturelles, publie un rapport dans lequel elle met en avant un nouveau modèle de fonctionnement dans le secteur des musiques actuelles. Elle dénonce un phénomène de concentration autour de certains labels qui pourrait, à terme, porter en effet atteinte à la “diversité créative et culturelle.” 

Cette concentration occasionnerait un déplacement des synergies imposées par plusieurs entreprises comme Universal Music, produisant des festivals comme Brive festival, Les Déferlantes ou Garorock, sous la direction du groupe Vivendi. Même si la plupart gardent une direction artistique très libre comme nous l’indique Aurélie Lambert, chargée de production sur l’édition 2022 du Rose Festival. Ces structures sont accusées par le syndicat USEP-SV (Concentration de la production musicale, 2021) d’avoir accumulé parallèlement plusieurs branches du milieu artistique. Cette stratégie d’intégration toucherait également des labels indépendants, comme Wagram Music et Because, faisant depuis quelques années la production de spectacles et développant d’autres activités économiques comme la réservation de billets, tout en gérant l’univers de l’artiste. Ces actions donnent la possibilité de mettre en valeur ses propres produits, avec une concurrence plus agressive et une surenchère, selon les collectifs et syndicats.


Le Rose Festival, un contre-exemple ?

Étude de la programmation

Les observations de l’Autorité de la concurrence semblent convenir à la programmation d’une grande partie des festivals. Le rapport met en avant le fonctionnement du groupe Vivendi. Ce dernier produit des grands festivals mentionnés auparavant et s’occupe de la gestion de l’Olympia, mythique salle parisienne. Ces ramifications sont identiques chez le géant Warner Music (production, organisation et promotion de concerts) et Sony Music (maison de disques et organisation de festivals : We love Green…). Comme Gilles Demonet explique dans son livre Les marchés de la musique vivante, ce mouvement de concentration a une puissance à une échelle internationale avec l’arrivée des groupes américains comme Sony et Universal, rachetant des structures en France s’installant à l’hexagone pour une durée indéterminée.

Néanmoins, le Rose Festival donne l’impression d’avoir pris la direction opposée. Pour mieux comprendre le fonctionnement de la première édition nous avons décidé d’analyser la programmation du festival (Voir tableau en annexe.)

Notre première observation porte sur les labels : la programmation réunit de nombreuses maisons de production différentes. Contrairement à ce que l’on pouvait attendre, Bleu Citron, qui produit le festival, ne représente que deux artistes (Bigflo et Oli, Luidgi) Et même avec les autres artistes, il est difficile de mettre en avant une seule Maison de Production. De ce point de vue là, le rose festival peut se définir par son hétérogénéité. 

Cette mixité des labels donne un bon point au festival, par contre si ce n’est pas la maison d’édition qui compte pour nos organisateurs du festival, on peut se demander ce qui justifie ce mélang. Le Rose festival est organisé par des artistes : Bigflo et Oli. Les deux frères toulousains mettent en avant une programmation qui leur ressemble. En effet, pour eux le Rose Festival rassemble les chanteurs·euses qu’il apprécient musicalement et/ou humainement. Ainsi, on retrouve des artistes choisis pour leur musique et non pour leur labels. Cette programmation estampillée Bigflo et Oli fait du Rose Festival un contre-exemple face à la situation générale des festivals. 

Sans mettre en avant ces éléments précis, la promotion du Rose Festival met en avant un événement différent des autres festivals incontournables. Fort de ces différences, les deux soirées sont un succès mais y-a-t-il d’autres éléments qui peuvent le justifier ?


Un festival qui met en avant la promotion culturelle régionale

Dans leurs différentes prises de paroles, Bigflo et Oli promeuvent un festival créé “par les toulousains, pour les toulousains.” La notion de promotion culturelle régionale semble donc essentielle dans le succès de l’événement. Avec leur label toulousain Bleu Citron, les deux frères souhaitent garder un ancrage local même pour leurs gros projets.

Cette décentralisation des scènes de musique actuelle plaît évidemment aux habitants de la région. La Région Occitanie qui soutient financièrement le festival, les Toulousains et les organisateurs du festival, tout le monde semble y trouver son compte. 

Mais qui dit artistes locaux dit parfois artistes moins connus. Néanmoins, le Rose Festival participe aussi de ce côté là à un nouveau paradigme. En mêlant des chanteurs·euses de la région (Mouss et Hakim, Zinée, Laylow) et des grandes têtes d’affiches, le festival permet au plus petits de profiter du public des plus grands. 

De plus, il semblerait que les artistes locaux attirent tout autant que les vedettes. Alors qu’avant les stars étaient les artistes qui ramenaient le plus de spectateurs, aujourd’hui une programmation locale est peut-être tout aussi efficace. 

Le toulousain Laylow au Rose Festival – Aude BRECHOTTEAU & Guillaume GAESSLER

En plus du festival Bigflo et Oli ont aussi créé leur propre structure : l’Association Rose. Ils expliquent sur leur site « ça nous tenait à cœur de créer notre association pour valoriser la culture auprès des jeunes » Cette association a pour but la médiation culturelle avec des interventions scolaires et l’accès à la culture pour le public empêché. Ces éléments peu visibles par le grand public font partie de l’identité du festival qui se veut ouvert à tous et en particulier aux auditeurs de la région, tout comme il met en avant des artistes locaux. 

L’emplacement du festival est un de ses atouts les plus importants. Situé aux portes de Toulouse, le festival a lieu au parc d’exposition MEETT accessible en tram du centre ville. Cette proximité immédiate à la ville permet un afflux facile pour les toulousains, principale cible du festival qui se veut à leur image et qui souhaite répondre à leurs besoins.


Le Rose Festival comme lien entre les artistes émergent et les têtes d’affiches

Comme évoqué plus tôt, le Rose Festival est accompagné par l’Association Rose. Dans ses différentes missions, cette dernière se donne comme but d’aider au développement artistique des jeunes talents. Bigflo et Oli mettent régulièrement en avant cette facette de leur travail, un idée qui rejoint des mutations communes dans le secteur des musique actuelles.

La révolution numérique est un bouleversement total du secteur et donne la possibilité aux musiciens de s’occuper de la diffusion de leurs œuvres, pouvant se détacher des acteurs classiques du domaine des musiques vivantes pour combattre ce mouvement de concentration. Des exemples liés à ce phénomène concernent le mouvement DIY (Do It Yourself) expliqué par Emilie Gouneaud dans son livre L’artiste, le numérique et la musique, ce mouvement explique la situation actuelle dans laquelle les artistes ont la possibilité de s’occuper de la communication de leurs projets ainsi qu’une facilitation de rapprochement avec le public grâce à la technologie en s’appropriant leurs carrières professionnelles. 

Un des effets de ces mutations concerne l’apparition des artistes amateurs plus visibles grâce aux moyens de diffusion de la musique à leur disposition sans avoir besoin d’un acteur intermédiaire comme c’était le cas dans le passé. Le Rose Festival se concentre sur  l’association d’artistes locaux et nationaux mettant côte à côte des artistes émergents (Zinée, Folamour) et des têtes d’affiches (Damso, Laylow.)

Ces collaborations peuvent poser plusieurs questions. Au premier abord elles semblent très bénéfiques pour les artistes moins connus. La plupart des festivals basent d’ailleurs leur programmation sur ce fonctionnement : proposer des artistes qui attirent assurément du public et d’autres qui peuvent en profiter et se faire connaître. Ainsi, le Rose Festival peut-être considéré comme un événement de professionnalisation. 

Cette hétérogénéité va jusqu’à brouiller la distinction entre amateur et professionnel. En effet, à l’échelle locale, on observe souvent une prédominance des musiciens amateurs dans la vie musicale. Pour ce travail, nous avons interrogé Olivier Loubes, professeur d’histoire en classe préparatoire au lycée saint-sernin mais également chanteur dans le groupe de musique “Better Day Blues Band” qui existe depuis 15 ans. Sans être nécessairement rémunérés, ils se produisent de manière amateure dans divers petites salles et bars toulousains. Il nous explique que dans ces milieux, la distinction entre le musicien amateur et professionnel est toujours très fine. Localement, si les quelques artistes les plus célèbres sont payés pour jouer dans les plus grandes salles, la majorité évolue dans une zone très floue car ne pouvant pas être réglementée au vu de la diversité des pratiques. Il peut être compliqué pour un musicien professionnel de demander à être payé alors que des amateurs le font avec joie et bénévolat. De plus, les musiques actuelles sont ouvertes à des pratiques bien plus diverses et moins institutionnalisées de la musique (à la différence du cursus Conservatoire par exemple). Ainsi, la légitimité du statut professionnel s’affine dans le même temps.

Mais de nos jours, cette tendance a été amplifiée par la généralisation d’internet. En effet, si les leaders de l’industrie musicale (les maisons de disques, la télévision, la presse spécialisée, la radio…) avait la main mise sur le, internet a permis une démocratisation de la visibilité en ligne. On parle d’ailleurs “d’artistes internet”, des groupes ou des individus farouchement indépendants et appréciés pour cela. Nés sur internet, ils sont perçus comme plus authentiques. Certains créent donc leur propre label voire pas du tout car se suffisent de leur rayonnement internet et des revenus de streaming”. Tout cela bouleverse les conceptions traditionnelles de la communication culturelle et de l’économie de la musique. Cette démocratisation de l’accession à la célébrité fragilise d’autant plus la distinction entre musicien amateur et professionnel. Bigflo et Oli, qui ont d’ailleurs imaginé le Rose festival pour renouveler la vie musicale toulousaine, sont notables pour avoir construit une grande partie de leur carrière sur internet. Enfants, ils publiaient leurs premières chansons sur un web naissant, ils utilisent beaucoup des références à cet univers dans leur musique. Aujourd’hui, ils multiplient les collaborations avec des youtubeurs “divertissement” comme Squeezie, Mcfly et carlito et encore d’autres. Toutefois, ce festival constitue plus une transition qu’une rupture abrupte avec le fonctionnement passé. En effet , on retrouve le groupe IAM dans la programmation, un groupe de rap “old school”  qui a connu son âge d’or pendant les années 90 et on trouve dans la programmation des labels qu’on pourrait qualifier de plus “classiques” (Sony Music – Ben Mazué / Universal – Ziak)
Ainsi, ce festival démontre que de nos jours, l’industrie musicale a été bouleversée en bouleversant le fonctionnement de l’industrie musicale, a quand même gardé ses dynamiques sociales et ce notamment sur le rapport toujours ambigu entre le professionnalisme et l’amateurisme. Loin d’avoir des épines, le Rose Festival invite son public à aller butiner entre artistes émergents et têtes d’affiche, construisant ainsi leur propre ruche musicale.


Annexes et ressources

LA Programmation du Rose festival

Origine toulousaine ou Occitane 

Artiste·sLabel/Maison de productionStyle 
DamsoUniversal (Etats-Unis)Rap
Bigflo et OliBleu Citron Rap
Polo and PanHamburger Records (Paris)Musique électronique 
Ben MazuéSony Music (Etats-Unis)Chanson/Pop
DeluxeNANANA Production (aix-en-provence /Marseille)Electropop
NTOHungy Music Musique électronique 
L’impératrice Microqlima (Paris)Pop, new-disco
ZiakUniversal (Etats-Unis)    Rap
Mouss et Hakim Blue Line Chanson
ZinéePlay Two (Paris)Rap/Chanson
Laylow Digital Mundo (Paris)Rap
IAMPolydor Rap
Paul KalkbrennerSony Music (Etats-Unis)Musique électronique 
FKJRoche Music (Tours)Chanson
FolamourFHUO Records (Marseille)House
LuidgiBleu Citron  Rap
Bon Entendeur Sony Records (États-Unis)Musique électronique 
Chilla Capitol Music France Rap/Chanson
Ressources

Une page préparée et rédigée par Pierrot Menuge, Noam Houerbi, Julien Boit et Juan Barrios