Pierluigi Basso-Fossali

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L’opération de comparer

Cette intervention vise à éclaircir les pratiques des comparaisons en les comparant. La visée de la comparaison peut être « décrire », « balancer », « imiter », « rendre compatible », ou plus simplement « choisir ». La comparaison est une activité très générale et donc il est difficile l’isoler et l’autonomiser ; elle est introduite, normalement, dans une scénarisation pratique plus vaste.

L’économie même de la comparaison dépend de la spécification thématique de cette scène englobante. Toutefois, la comparaison semble promouvoir des traitements particuliers des identités concernées dans la scène pratique, par exemple (i) en cherchant leur organisation systématique en figures ou composantes (la globalité est plus résistante à la comparaison), ou (ii) en extrayant des diagrammes des relations internes. Les sciences du langage ont cherché de sélectionner et raffiner ces types de traitement des identités.
Le fond critique de l’activité de comparaison est une hétérogénéité qui ne semble pas être immédiatement résoluble dans un acte perceptif intégrateur (observateur) et dans une identité syncrétique majeure. Et pourtant la comparaison semble favoriser une typologisation aussi bien qu’une caractérisation contrastive. On notera immédiatement que cette bifurcation dépend du choix d’une démarche nomothétique ou bien d’une approche idiographique ; une bifurcation serait donc à la base de la pratique comparatiste. Toutefois, la divergence d’attitudes implique l’émergence de différentes valorisations de l’hétérogénéité : un peut donner un ordre à une nuée de différences qui, en tant qu’amas ou rumeur, empêche la reconnaissance du similaire, et donc la constitution de classes. Ou bien, dans la comparaison, on peut apprécier l’émergence de différenciations ultérieures, capable d’enrichir les identités objectales ou subjectales focalisées.
Dans le monde œnologique, par exemple, l’expertise comparatiste est très utilisée, et elle cherche à trouver des différences par rapport à des statuts, des classes ou des ordonnances déjà établies (la même appellation, le même cépage, la même année, etc.). Le dégustateur compare enfin des identités culturelles qui ont déjà subis une comparaison et une classification. Mais la comparaison entre des identités discursives ne peut pas résoudre le problème de la comparaison entre des identités expérientielles. En plus, c’est la confrontation avec l’incommensurabilité des données discursives et perceptives qui construit une limite du comparatisme. Est-ce que la négociation d’une identité culturelle commence dès que sa classification et caractérisation ne sont plus jouées dans le même plan de pertinence ? D’un côté, nous ne devons pas sous-estimer la comparaison, étant donné qu’elle a un rôle important aussi au niveau de la perception : la réélaboration des informations sensorielles se déroule sous le signe d’un « comparatisme projectif » entre différentes scénarisations de l’environnement (Berthoz & Petit 2006). De l’autre côté, nous devons aussi souligner que chaque pratique sociale comparatiste a besoin des certaines négociations à propos de ses critères « économiques » et donc de sa cécité émergente par défault.
Les pratiques comparatives ont aussi des répercussions sur l’identité des observateurs sociaux impliqués dans l’activité ; la possibilité même de comparer démontre une compétence, une attitude et une axiologie. Il y a même des interdits sociaux sur la possibilité de comparer des choses trop disparates pour ce qui concerne leur domaine d’afférence (on pense à l’opposition sacre/profane). En outre, la comparaison entre individus est la base d’un nombre appréciable des passions et elle nourrit les formes de vie compétitives.

Pierluigi Basso Fossali (pierluigibasso@hotmail.com)
Université de Lyon II

Références bibliographiques
Berthoz A. & Petit J.-L. (2006). Phénoménologie et physiologie de l’action, Paris : Odile Jacob.
– Fontanille J. (2011). « Compétition et mauvaise fois », Communication & Organisation, n° 39, pp. 59-76.
– Rastier F. (2011).  La mesure et le grain. Sémantique de corpus, Paris : Champion.
– Zinna A. (2002). « Décrire, produire, comparer et projeter », Nouveaux Actes Sémiotiques, nn. 79-81.