Stéphanie Bertincourt

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Analyse sémiotique d’une adaptation filmique. Le Pays sans étoiles de Pierre Véry

Le récit s’impose encore comme le mode canonique du divertissement populaire. Quoi de plus légitime par conséquent pour le cinéma, et ce dès sa naissance, que de puiser abondamment dans l’écriture romanesque et de la transposer à l’écran ? Si l’idée semble simple, la pratique admise et omniprésente, la comparaison des textes littéraires et de leur adaptation filmique n’est que rarement vue sous un angle approprié ; au contraire, elle suscite débats teintés d’affectivité oscillant entre les catégories de fidélité ou de trahison par rapport à l’oeuvre source. Il faut convenir que l’adaptation filmique en tant que procédure intertextuelle est marquée par l’invisibilité et doit être recomposée à partir de traces manifestes. Parmi celles-ci le scénario semble être le texte de référence médiatisant le passage de la langue au langage cinématographique.

Amené à se faire oublier, texte secondaire et transitoire, le scénario se présente comme le prisme par lequel un contenu est remodelé vers un nouveau complexe de matières de l’expression. Il nous paraît alors comme la manifestation textuelle privilégiée signifiant un procès de transfert et en conséquence peut servir de texte d’arrivée pour la comparaison avec le texte source ; encore de nature linguistique et scripturale mais désormais plus du tout littéraire, l’écriture scénaristique, notationnelle, prescriptive, organise le récit vers la monstration tout en projetant une nouvelle narration. Par la comparaison l’objectif devient alors de retracer en termes d’actes, d’opérations le faire transformatif entre les deux textes. La question devient de savoir d’une part, quelles sont les unités transformées selon les deux grandes dimensions du récit, à savoir le contenu diégétique et sa discursivisation mettant en jeu énonciation, figurativisation et thématisation et d’autre part, d’en déduire en les nommant les procédures responsables de ces changements.

Si aucune théorie du passage en sémiotique n’est disponible encore à ce jour, il reste que certaines procédures de transformation on été décrites dans le passé : ainsi Vladimir Propp au début du 20ème siècle s’intéressait aux transformations des contes merveilleux et retenait une liste d’opérations responsables des formes dérivées : réduction, amplification, déformation, inversion, substitution et assimilation. Il semble qu’une analyse structurale respectant le parcours génératif greimassien de la signification du texte littéraire et la comparaison des unités ainsi dégagées avec leur investissement dans le scénario pourrait alors être une tentative méthodologique pour vérifier la pertinence des opérations de transformation énoncées par Propp. Il s’agit ainsi de transposer son approche des transformations des contes de fées russes en une approche du faire transformatif de l’adaptation filmique d’un récit singulier.

Le point de vue de l’étude pourra donc s’organiser selon les grands mouvements de discursivisation décrits par la théorie sémiotique, des catégories axiologiques élémentaires de la signification jusqu’à la figurativité pris en charge par une énonciation particulière en passant par la modélisation actantielle. Cette analyse s’effectuera sur un corpus constitué par un texte romanesque (texte source) et son scénario prévu pour l’adaptation au cinéma (texte d’arrivée). Le roman choisi pour l’étude est Le pays sans étoiles (1945) écrit par Pierre Véry (1900-1960) et son scénario l’adaptant pour un film du même nom sorti en salles en 1946. Ce récit littéraire conçu comme une enquête policière au registre fantastique permettra de focaliser en particulier les problèmes inhérents au genre -c’est à dire la transposition de la mise en intrigue et celle de la mise en discours de la perception fantastique- pour lesquels on postule que les nouvelles conditions sémiotiques touchant aux modes de narration et d’énonciation commandent une mise en scène particulière.

 Stéphanie Bertincourt (sbertincourt@gmail.com)
CPST, Université de Toulouse

Références Bibliographiques
– Bertrand D. (2000). Précis de sémiotique littéraire, Paris : Nathan.
– Catrysse P. (1992). Pour une théorie de l’adaptation filmique, Le film noir américain, Regards sur l’image, II Transformations, Bern, Frankfurt/M., New York : Lang.
– Gaudreault A. (1999). Du littéraire au filmique, Système du récit, préface de Paul Ricœur, Paris/Québec : Armand Colin/Nota Bene.
– Greimas A.-J. [1966]. Sémantique structurale, Paris : PUF, Formes sémiotiques, 1986.
– Hjelmslev L., (19712). Prolégomènes à une théorie du langage, suivi de « La structure fondamentale du langage », Paris : Minuit.
– Metz C. (1971). Langage et cinéma, Paris : Larousse.
– Propp, V. [1928]. Morphologie du conte, suivi de « Les transformations des contes merveilleux », Paris : Seuil, 1970.
– Todorov T. (1970). Introduction à la littérature fantastique, Paris : Seuil.