Zoom sur l’expérimentation « moutarde »

Une expérimentation de sciences citoyennes avec des jardiniers amateurs de la vallée de l’Orbiel afin non seulement de tester les transferts de pollutions du sol vers la plante mais aussi d’observer ce que l’expérimentation suscite chez ces jardiniers en termes de perception des pollutions.

Qu’est-ce que l’expérimentation « moutarde » ?

Une expérience de sciences participatives a été entreprise avec 6 jardiniers amateurs (au sens où ils ne sont pas professionnels) de la vallée de l’Orbiel. L’Etude avec les jardiniers de Conques-sur-Orbiel du transfert sol-plante des polluants inorganiques. Contexte de pollution historique : ancien bassin minier de la vallée de l’Orbiel (Aude) vise ainsi la co-construction de savoirs et connaissances entre science et société sur la pratique du jardinage en territoire pollué, notamment par des métaux lourds.

Cette étude repose sur l’expérimentation de la culture de moutarde brune par des jardiniers amateurs en vue de procéder à l’analyse de la concentration en métaux lourds des plantes récoltées à maturité.

La co-construction, entre chercheurs et jardiniers, du protocole de l’étude permet non seulement d’adapter le contenu de la recherche aux interrogations concrètes des jardiniers de la vallée mais également de dégager un accord sur l’analyse issue de l’expérimentation.

Cette expérimentation doit permettre, à terme, d’outiller les jardiniers qui pratiquent cette activité nourricière sur des sols pollués, dans leur diagnostic des transferts des métaux lourds des sols vers les plantes.

Plutôt que d’être toujours dans le négatif, on essaye de voilà … c’est même pas une forme de fatalisme, on est bien, on est heureux de vivre ici hein, sinon on s’en va, tant pis. Si pour x raisons on n’est pas bien à l’endroit, parce qu’il y a de la pollution, parce qu’il y a du bruit, parce que si … On s’en va, on va ailleurs. Nous on est bien ici parce qu’il y a plein de raisons qui font qu’on est bien ici et … et on veut vivre ici, et si on arrive à trouver des solutions pour répondre à cette problématique […] (focus groupe du 14 mars 2022)

[…] parce que la question elle est là, est-ce que de vivre dans la vallée de l’Orbiel c’est dangereux ou pas ? C’est la façon dont on le ressent chacun. […] Donc voilà, nous, en ce qui concerne le problème, en ce qui concerne la problématique qui existe dans la vallée de l’Orbiel c’est des gens vont-ils… je suis bien placé pour le dire parce que j’ai été sous les feux de la rampe à ce propos avec [prénom], on nous a pris pour des inconscients [parce qu’] on continue à cultiver des légumes [alors que] ces légumes ils sont empoisonnés. Bam. Le mot « empoisonné » je veux dire, il était [de trop]… Donc voilà, […] qu’est-ce que je fais avec ça ? (focus groupe du 2 février 2023)

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Jardinier d’un collectif à Conques-sur-Orbiel

L’expérimentation « moutarde » a été présentée le 30 septembre 2021 aux jardiniers du syndicat du Vic au Pont Del Gua et de l’association des jardins du Puisard (Conques-sur-Orbiel), en présence du maire de la commune. Une première réunion-observation lors de semis des graines de moutarde dans les parcelles d’expérimentation, avec enregistrement des discussions et photos, a eu lieu le 17 novembre 2021.

Pourquoi la moutarde ?

La moutarde brune accumule, dans ses parties aériennes, les métaux puisés dans le sol. Elle est ainsi particulièrement propice à l’évaluation des transferts des métaux du sol vers les plantes.

©Claude Ruiz

Ces transferts étant en partie dépendants des pratiques culturales des jardiniers, l’objectif de l’expérimentation est ainsi de réaliser des analyses des substances, choisies par les jardiniers participants, de la moutarde brune plantée sur leurs parcelles et d’objectiver leurs résultats au regard de leurs pratiques de culture (amendements, productions antérieures, travail du sol, apports phytosanitaires ou d’engrais, etc.), de la destination de leur production (quantité et fréquence de consommation, diversification des végétaux produits et consommés, etc.) et des données disponibles (concernant la pollution des sols, de l’eau, de l’air, etc.).

Quel est l’objectif sociologique de cette expérimentation ?

Au-delà d’outiller les jardiniers par la co-construction de savoirs et connaissances des jardiniers au sujet du transfert des métaux lourds des sols vers les végétaux qu’ils cultivent, l’expérimentation a aussi pour objectif sociologique de recueillir et analyser les logiques argumentatives des jardiniers en situation d’échange, au fur et à mesure de la mise en œuvre de l’expérimentation et de son interprétation.

La réalisation de focus groupes permet à l’équipe de recherche d’identifier, de façon dynamique, la façon dont se construisent les arguments et points de vue des jardiniers, les appuis auxquels ils se réfèrent, les accords ou désaccords collectifs qui peuvent émerger en situations d’interactions et la façon dont leurs hypothèses se reconfigurent, évoluent ou se stabilisent.

Qui sont les participants de cette étude ?

Les jardiniers amateurs impliqués dans l’étude sont insérés dans le réseau associatif des jardins collectifs de la vallée. Les trois focus groupes organisés au cours de l’expérimentation ont ainsi accueilli jusqu’à une quinzaine de participants.

Parmi eux, six jardiniers se sont portés volontaires pour semer de la moutarde sur leurs parcelles. Compte tenu des aléas propres à la culture des plantes, la sécheresse rencontrée durant l’année 2022 ayant empêché le développement de nombreux semis, les analyses de présence de métaux ont ainsi porté sur la moutarde cultivée dans trois des jardins supports de l’expérimentation.

Qu’est-ce que les jardiniers ont choisi d’expérimenter ?

Le protocole a été défini pas à pas, au regard des besoins exprimés par les jardiniers au cours des réunions et focus groupes successifs. Plusieurs orientations ont ainsi été choisies.

  • Afin de fournir un élément de comparaison, les jardiniers ont décidé que l’un d’entre eux planterai la moutarde dans un bac hors sol dans un substrat de terre provenant de la Montagne Noire.
©Didier Busca
  • Les jardiniers ont rapidement mis en évidence un questionnement sur la partie du légume la plus concentrée en arsenic. Ainsi, tandis que l’équipe des chercheurs envisageait initialement d’analyser la concentration en arsenic uniquement des feuilles et fleurs de moutarde, il a été convenu de procéder également à l’analyse des taux d’arsenic présents dans la racine du plan de moutarde afin de tester l’hypothèse énoncée par les jardiniers d’une capacité de la moutarde à concentrer l’arsenic de façon différente entre les parties aériennes et racinaires.
©Claude Ruiz
  • Les jardiniers s’interrogeaient également sur l’impact de l’irrigation sur la concentration en arsenic des cultures. Les participants ont ainsi énoncé le souhait d’élargir les paramètres de l’expérimentation pour tester l’effet de l’eau d’arrosage sur les taux de pollutions retrouvés dans la moutarde brune. Ce point a émergé dans les discussions pour mettre à l’épreuve un constat réalisé par les jardiniers, suite à leurs propres analyses de légumes, d’une plus forte concentration de métaux dans les légumes non arrosés par l’Orbiel en hiver. Il a ainsi été décidé d’expérimenter la culture de moutarde durant l’été, impliquant un besoin d’arrosage.

Nb : compte tenu de la sécheresse rencontrée durant l’été, un seul plan de moutarde est finalement parvenu à maturité. Ce point de l’expérimentation ne pourra donc pas donner lieu à une analyse, à défaut de disposer d’éléments de comparaison suffisants.

  • Les échanges avec les jardiniers ont mis en évidence une interrogation sur la concentration des plantes en divers métaux lourds, au-delà du seul arsenic. Il a donc été décidé de tester les plantes (racines et feuilles) au regard d’une liste plus large de métaux.

Les analyses ont donc été réalisées sur les substances suivantes : Arsenic total, Cadmium total, Chrome total, Cobalt total, Molybdène total, Nickel total, Plomb total.

Pourquoi réunir des focus groupes ?

Le focus groupe s’appuie sur un scénario construit. Il propose une structure d’animation pour les enquêteurs : introduire le propos et les objectifs pour les participants, présenter des énoncés, des images ou séquences (audio-visuelles, narratives), proposer des questions qui ouvrent la discussion et, si la situation le demande, réaliser des relances. Ce scénario propose donc des modalités de lancement des discussions entre participants mais ne doit en aucun cas les restreindre (dans leur liberté de porter le débat sur un autre sujet, amener d’autres idées, etc.).

Les enquêteurs ne font qu’animer et relancer, le cas échéant, pour favoriser la réflexivité et le partage d’expériences. Ils laissent les participants créer leur dynamique de groupe, décider du glissement des discussions ou de leurs changements d’opinions au fil des échanges, etc. Les enquêteurs doivent, en somme, adopter une technique d’intervention discrète qui permette de recueillir un matériel empirique produit par l’interaction des participants.

Comment se sont déroulés les focus groupes ?

Grâce à leur orientation thématique spécifique, les trois focus groupes successivement organisés dans le cadre de l’expérimentation « moutarde » ont permis aux jardiniers impliqués de faire progresser les échanges, depuis la discussion du protocole d’expérimentation jusqu’à la discussion des résultats.

Quel était l’objectif du premier focus groupe ?

L’objectif du premier focus groupe était de permettre aux jardiniers amateurs de discuter de la pollution de la vallée. Il s’agissait de situer l’activité de jardinage des participants dans leur contexte local et global, par exemple au regard d’évènements climatiques dans la vallée de l’Orbiel mais également au regard d’études nationales comme l’étude Esteban publiée en septembre 2021 sur l’exposition aux métaux de la population française.

Ce premier focus groupe a été réalisé le 14 mars 2022 en présence de 9 jardiniers, autour de 7 thèmes : 

  • La place de l’activité minière dans la vallée de l’Orbiel : hier et aujourd’hui
  • Les inondations d’octobre 2018 : avant/après la catastrophe naturelle, quels changements ?
  • Les tensions dans les débats publics ou privés au sujet des pollutions : qu’est-ce qui fait désaccord ?
  • Les pollutions : quelles pollutions et d’où viennent-elles ?
  • Le(s) liens(s) entre la pollution des milieux et la contamination des habitants – usagers de la vallée ?
  • La possible exposition des habitants lors de la consommation des légumes et fruits de la vallée : quels risques à cultiver à Conques-sur-Orbiel ?
  • L’expérimentation et vous
Quel était l’objectif du deuxième focus groupe ?

L’objectif du deuxième focus groupe consistait à discuter de la mise en œuvre du protocole de l’expérimentation et à en affiner la définition.

Ce deuxième focus groupe a été réalisé le 23 mai 2022. Compte tenu des conditions exceptionnelles de sécheresse rencontrées en hiver et au printemps, seuls trois des jardiniers participant à l’expérimentation ont obtenu des plans de moutarde à la suite des semis réalisés à l’automne. Le deuxième focus groupe a ainsi eu lieu avec ces 3 jardiniers, autour des thèmes suivants :

  • Bilan sur les dernières analyses de légumes des jardiniers et liens avec la contamination des milieux
  • Définition de la stratégie d’analyse
  • Suivi des pratiques culturales des jardiniers par le carnet de culture
  • Récupération des récoltes pour envoi au laboratoire d’analyse
Quel était l’objectif du troisième focus groupe ?

Le troisième et dernier focus groupe avait pour objet de permettre aux jardiniers amateurs de discuter les résultats des analyses de concentration en métaux lourds des plans de moutarde (racines et feuilles) cultivés dans le cadre de l’expérimentation.

Ce troisième focus groupe a eu lieu le 2 février 2023 en présence d’une quinzaine de jardiniers insérés dans le réseau associatif des jardins collectifs de la vallée, autour de cinq thèmes.

  • La santé environnementale : quels cadrages règlementaires et scientifiques ?
  • Les pollutions dans la vallée de l’Orbiel
  • Vos sols et vos légumes : contamination des milieux, transfert des polluants vers les plantes potagères et pratiques culturales
  • La consommation des légumes et la toxicité
  • L’expérimentation et vous