Zoom sur l’enquête par entretiens

Les rubriques ci-dessous permettent de comprendre, de façon synthétique, les enjeux de l’enquête menée par entretiens auprès de la population de la vallée de l’Orbiel.

Sur quel volume de données quantitatives s’appuie l’étude ?

Le protocole de recherche contenait l’objectif de réaliser 30 entretiens. Sur les 604 questionnaires recueillis lors de la phase quantitative de l’étude, 192 personnes ont indiqué leur accord pour nous rencontrer. Cette forte demande sociale des habitant·es de la vallée de s’exprimer dans le cadre de l’étude nous a ainsi amené à augmenter le nombre d’entretiens, doublant presque l’objectif initial pour réaliser 55 entretiens.

Le travail de recueil des données qualitatives par entretiens semi-directifs auprès des habitant·es a été effectué entre juin et octobre 2021. Les entretiens ont été enregistrés avec l’accord des habitant·es. Ils durent d’1h30 à 3h30 et constituent un volume de données discursives avoisinant les 1600 pages dactylographiées une fois retranscrits.

Comment les habitant·es ont-ils·elles été choisi·es ?

Quatre profils d’habitant·es ont été établis à partir des données récoltées durant la phase d’enquête quantitative, en fonction de la préoccupation environnementale et/ou sanitaire énoncée dans le questionnaire.

41 entretiens ont ainsi été réalisés sur la base de ce profilage (représentant 74,5% de la totalité des entretiens). Afin de tenir compte de la demande des habitant·es de participer à l’étude, cette première campagne d’entretiens dépassait déjà largement l’objectif initial des 30 entretiens prévu dans le protocole de recherche.

Quels sont les quatre profils d’habitants?
  • Profil 1 : forte préoccupation en matière de santé et d’environnement (25,5% des entretiens);
  • Profil 2 : forte préoccupation en matière d’environnement uniquement (16,4% des entretiens);
  • Profil 3 : forte préoccupation en matière d’environnement et incertitudes en matière d’impacts sanitaires (21,8% des entretiens);
  • Profil 4 : absence de préoccupation environnementale et sanitaire (10,9% des entretiens).

Il nous est néanmoins apparu nécessaire de renforcer encore les possibilités d’expression des habitant·es de la vallée dans le cadre de l’étude. Nous avons par conséquent choisi de réaliser 14 entretiens supplémentaires (soit 25,5% des entretiens), tous profils confondus, parmi lesquels 11 sont issus de la liste des personnes ayant manifesté leur accord pour nous rencontrer lors du questionnaire et 3 ont été réalisés avec des habitant·es rencontrés au gré du terrain.

Quels sont les thèmes abordés lors des entretiens ?

Les entretiens ont été réalisés selon une méthode inductive à partir d’un guide d’entretien, construit autour d’une question de départ visant à initier la discussion, et fiches thématiques de relance. Il s’agit alors d’identifier dans le discours des éléments qui font sens pour l’enquêté·e afin de poser une question – appelée relance – qui se place dans la continuité de son discours suivant ainsi la structuration du propos de l’enquêté·e.

L’objectif des entretiens consistait ainsi à initier des récits selon quatre thèmes :

Le territoire et ses pollutions

L’objectif était de comprendre, du point de vue de l’enquêté·e, ce qui fait sens dans son rapport aux pollutions lorsqu’il·elle mobilise des argumentaires liés au territoire (histoire de la vallée, attachement au territoire, rapport aux acteurs du territoire, etc.) ou à la qualification des pollutions qui s’y trouvent (définition donnée aux pollutions, autres pollutions sur le territoire, etc.).

Les pratiques ordinaires des personnes rencontrées

L’objectif était de comprendre si, pour les habitant·es rencontré·es, les pratiques – par exemple la pêche, la randonnée ou encore les pratiques de consommation d’eau du robinet ou de produits ramassés dans la vallée – sont un moment/lieu de confrontation aux pollutions liées aux anciennes activités minières. L’objectif était aussi de comprendre en quoi ces pratiques sont liées (ou pas) à des enjeux de santé. Plus encore, quelles sont les expériences et argumentaires, tirées des pratiques, que les habitant·es mobilisent pour exprimer leurs points de vue, notamment sur les pollutions ; en somme comment les habitant·es construisent leurs points de vue et leurs certitudes (appuis).

Les trajectoires personnelles des habitant.es

Lors du récit de l’enquêté·e, il s’agissait de repérer des éléments de trajectoires mobilisées, qu’elles soient familiales, résidentielles, professionnelles ou de santé et ce qu’elles donnent à voir de l’environnement social dans lequel il·elle évolue. Plus encore, comprendre comment des éléments tirés de son histoire sont investis (un déménagement, un divorce, l’arrivée d’un enfant, etc.) pour construire son regard sur les pollutions notamment.

La trajectoire familiale

L’objectif était d’approfondir l’histoire familiale et ses bifurcations, le statut social, la famille aujourd’hui et hier ; et la façon dont les expériences familiales sont mobilisées (si c’est le cas) pour équiper un point de vue sur les pollutions.

La trajectoire résidentielle

Il s’agissait d’approfondir le cas échéant les bifurcations-sédentarités résidentielles, l’appréciation des conditions de vie ou encore les pratiques de l’habitat-habiter ; et la façon dont les expériences résidentielles sont mobilisées (si c’est le cas) pour équiper un point de vue sur les pollutions.

La trajectoire professionnelle

Il s’agissait ici d’approfondir le rapport au travail et le cas échéant les bifurcations professionnelles (changement d’emploi ou de secteur d’activités, par exemple), l’appréciation de la profession aujourd’hui (épanouissement ou précarité d’emploi par exemple) et la façon dont ces expériences professionnelles sont mobilisées (si c’est le cas, pour soi ou un membre de sa famille) pour équiper un point de vue sur les pollutions.

La trajectoire de santé

L’objectif était de comprendre la perception que les enquêté·es ont de leur santé, les incidents ou préoccupations qu’ils·elles peuvent rencontrer, l’estimation de leur état de santé ou celui de leurs proches, les habitudes ou façons de faire concernant leur santé ; et la façon dont ces expériences équipent leur point de vue sur les pollutions, leur sentiment d’inquiétude (ou pas) pour leur santé.

Projection sur l’avenir, solutions envisagées et retour global sur la discussion entre enquêteur et enquêté.e

Lors du récit de l’enquêté·e, il s’agit de repérer les attentes exprimées par les enquêté·es, et sur quels argumentaires/justifications elles se fondent ; plus encore comprendre la façon dont ces attentes peuvent être liées aux pratiques du territoire, à la perception des risques pour l’environnement ou la santé, etc. En fin d’entretien, il s’agissait (si possible) pour l’enquêteur de mener l’enquêté·e à une réflexivité sur les éléments qu’il·elle a mobilisé lors de l’entretien (par exemple lorsque les discussions ont mené l’enquêté·e à se questionner sur un point particulier).

Quels types de discours peut-on recueillir auprès des habitant.es ?

Les appuis et les argumentaires des habitant·es de la vallée diffèrent en fonction de leur expérience du territoire, leurs pratiques ordinaires ou leurs trajectoires personnelles. Voici quelques exemples, donnés à titre illustratif, de la manière dont les habitant·es mobilisent ces appuis dans l’explicitation de leur point de vue sur les pollutions. Au-delà de ces quelques exemples permettant seulement d’illustrer la méthodologie employée, les résultats transversaux d’analyse pourront être consultés prochainement.

  • Un exemple de la manière dont une pratique ordinaire est mobilisée pour exprimer son point de vue sur les pollutions :

Question : Et quand vous parlez de pollutions, c’est quelles pollutions exactement ?

Réponse : Ben les nappes phréatiques, les maladies qui peuvent en découler. Moi j’ai mon chien, j’ai mon border, j’aime bien me balader, je monte un peu dans les hauteurs et tout ça. Et il est vrai qu’au début [après les inondations de 2018] maintenant je n’y pense plus, mais quand il pleuvait ou autre, je sais que le chien, le réflexe s’il a soif, il calcule pas, il va laper l’eau qu’il y a [les flaques]. Donc des fois je me disais « mince, il faudrait pas que le chien il soit perturbé ». Bon il n’a pas été malade, je croise les doigts. Je ne pense pas qu’il y ait de… Mais ça peut arriver.

Question : ça vous a traversé l’esprit quand vous avez fait la promenade ?

Réponse : Oui, notamment après ces inondations. Bon déjà le décor était bon : les arbres arrachés, et tout ça, déjà psychologiquement c’est pas beau, on voit que la nature a fait des choses pas terribles. Et donc forcément c’est cette eau qui stagnait : on se doute que c’est pas très bon quoi. Mais le chien faisait que je me disais « merde » donc des fois je lui disais « arrête » mais bon le chien il a soif, il a soif. Mais voilà, il n’a pas été malade donc je pense qu’il n’y a pas eu de problème particulièrement par rapport à ça.

Jordy

  • Un exemple illustrant la manière dont les trajectoires familiales peuvent être mobilisées pour exprimer la perception des pollutions de la vallée :

Et pour en revenir à la pollution, ma grande mère maternelle était encore en vie, elle habitait [une commune X de la vallée] puisqu’elle est née à [commune Y de la vallée] et ensuite elle s’est mariée avec mon grand-père et ils ont habité à [commune X de la vallée]. Je pense qu’elle a dû habiter [commune X de la vallée], de ses 20 ans, même peut être un peu avant, jusqu’à [un âge supérieur à 90 ans] quand elle est décédée. Et donc elle avait un jardin, enfin la famille avait un jardin sur la route de [commune Z de la vallée], et donc voilà elle cultivait le jardin. Mon père ensuite a pris la suite, mais voilà tout le monde savait que l’eau qui était utilisée, l’eau de l’Orbiel, avec toute la pollution qui descendait de l’usine surtout de Salsigne, voilà on savait déjà que c’était pollué. Mais à ce moment-là on parlait plus de l’eau que de la terre. (…) Mais voilà l’eau par exemple, l’eau il ne fallait pas la boire. Ça c’était sûr et certain. Nous en tant qu’enfants on s’amusait avec, mais après il ne fallait pas la boire. Et après souvent c’est vrai que les légumes ont toujours été beaux, beaux et bons : la preuve, ma grand-mère jusqu’à [un âge supérieur à 90 ans] elle a bien tenu le choc.

Geneviève

  • Une exemple de la manière dont la trajectoire résidentielle peut être mobilisée pour expliquer son appréciation des pollutions :

Question : Vous disiez tout à l’heure, qu’avant de voir ça, vous ne vous méfiiez pas trop ?

Réponse : Non. La seule chose [c’est que] je n’étais pas ici. Je venais en vacances chez mon grand-père. C’est qu’après la retraite, en 2008, que j’ai récupéré la maison. Enfin je l’avais récupérée avant, mais c’est en 2008 que j’y ai habité.

Sami

  • Un exemple d’appui dans le domaine des trajectoires de santé :

Question : Vous me disiez, vous vous posez des questions à propos de la qualité de l’eau?  

Réponse : Oui, j’ai une voisine, parce qu’elle a remarqué, j’ai des soucis de tyroïde en fait, et j’ai eu un contre coup, j’ai rechuté dans ma maladie, pas longtemps après [les inondations]. Et elle m’a dit « Mais tu bois l’eau du robinet, tu sais qu’elle est probablement contaminée ? » et je dis « Bah non ! » et elle m’a dit « Tu devrais peut-être arrêter » mais bon, c’était peut-être déjà trop tard, j’en sais rien.

Agata

  • Un exemple de la réflexivité de la démarche d’entretien sur le rapport au territoire et à ses pollutions :

Oui, en définitive, maintenant qu’on s’exprime, je pense à des choses auxquelles je n’avais pas forcément pensé : sur l’attachement au territoire. Le fait que je sois revenu vivre sur [commune de la vallée], alors qu’on savait quand même la pollution, etc. Je pense qu’il y a quand même un attachement fort, ici, au coin.

Bastien

Quelle méthode pour analyser les entretiens ?

Dans la continuité de la méthode utilisée pour récolter le matériau empirique, son analyse se construit à travers un travail de découpage thématique de chaque entretien sur la base des récits des enquêté·es selon le sens qu’ils·elles accordent à leur expérience des situations vécues. Il s’agit de travailler le matériau tout en cherchant à rester fidèles aux justifications, points de vue, émotions ou encore expériences sociales narrées par les personnes rencontrées. Ce sont bien ces éléments directement issus du discours qui façonnent les thématiques et non pas l’inverse où des thématiques préalablement définies serviraient de structures à la mise en plan. 

Une fois cette première étape réalisée, ces différents éléments sont ainsi reclassés par rapport aux autres entretiens ayant subi le même genre de découpages, selon les différentes thématiques mises à jour, puis mises en discussion au sein de notre équipe permettant d’affiner peu à peu les éléments transversaux apparaissant dans l’ensemble du travail d’analyse. Cette étape permet ainsi de reconstituer un « squelette » ou une structure de discours à travers une mise en plan qui servira ensuite à alimenter les réflexions scientifiques et préparer une future phase plus rédactionnelle.