Les régimes de perception des risques de santé environnementale. Pour une pragmatique de l’expertise citoyenne

Introduction

De nombreux·es habitant·es de la vallée de l’Orbiel invoquent les questions de santé (notamment les maladies chroniques comme les cancers ou les maladies neuro-dégénératives) et questionnent leurs liens de « cause à effet » avec des nuisances liées aux pollutions de leur environnement de vie. Plus ou moins explicites – jugées certaines ou incertaines par les habitant·es – ces mises en cause participent à alimenter les expériences de santé (de soi et des proches). Elles surgissent, de façons variables, dans les récits de vie, comme des prises permettant de donner sens au décès et à la maladie, passés, présents et à venir. Elles illustrent des dynamiques différenciées de mises en relation – des pollutions, de l’imprégnation, de la contamination et de la survenue de problèmes de santé – ne rendant pas compte d’un régime unique de perception des risques de santé environnementale. Une variation dans la fabrique des risques perçus de santé environnementale qui s’observe dans le jeu variable des appuis et des logiques d’argumentation mobilisés par les habitant·es pour en établir la (ou les) réalité(s).

Les risques perçus s’éloignent, ainsi et souvent, de la seule évaluation quantitative des risques sanitaires. Ils ne s’accommodent pas, de façon linéaire, d’une caractéristique des risques élaborée sur la seule évaluation, déterministe ou probabiliste, d’un danger (d’un agent probable de risque), de liens dose-effet (d’un danger quantifiable selon la dose) et de l’exposition au danger (au regard de l’âge des individus ou de leurs pratiques). La réalité des risques perçus échappe en ce sens à la froideur des chiffres, des protocoles et des résultats. Que l’expertise médicale et l’expertise de santé publique rejettent tout risque de santé environnementale – ou qu’à l’inverse elles les établissent – importe peu parfois. Les chiffres n’ont pas de monopole de la réalité-vérité, vécue-éprouvée par les habitant·es.

L’explication de la survenue de la maladie, voire du décès – et surtout l’explicitation des risques de santé environnementale – relèvent d’un processus inhérent au fait « d’habiter la pollution » en d’autres termes de « vivre avec le trouble » (pour reprendre l’expression de Donna Haraway, 2020[1]). La maladie et le décès prennent ainsi sens au regard d’histoires de vie toujours singulières : quand maladies et décès sont mis en lien avec l’histoire personnelle ou familiale (avoir par exemple un parent ancien mineur décédé, être soit même malade, ou avoir vécu la maladie ou le décès d’un proche, etc.), avec des expériences professionnelles (être confronté par exemple à la maladie du fait d’être personnel soignant et développer ainsi son expertise), avec des réseaux de relations interpersonnelles (identifier des décès suspects ou au contraire remarquer la longévité de ses voisins). Les mises en cause peuvent aussi se nourrir, faire écho ou s’opposer parfois, aux revendications des mobilisations associatives que les habitant·es aient participé à des réunions d’information et à des campagnes citoyennes d’imprégnation ou qu’ils·elles y soient confronté·es via les médias (articles de presse, émissions télévisées, etc.). Elles peuvent tout autant être relativisées par une référence à des prédispositions génétiques familiales, par des expertises scientifiques ou médicales pondérant le risque, par l’absence de maladie ou de décès observés dans son environnement social ou par le constat d’une longévité des personnes les plus âgées dans sa famille ou son voisinage, par la confiance que l’on a dans les pouvoirs publics, ou par le fait simplement d’habiter le territoire et de savoir se protéger des pollutions dans le cadre de ses activités (jardiner, pêcher, etc.), etc.

La pollution de l’environnement est rarement niée par les habitant·es rencontré·es. A l’inverse, l’exposition et l’imprégnation des corps – quand celles-ci ne font pas déjà l’objet de doute – sont souvent présentées comme une cause soumise à questionnement lors de la survenue des maladies et des décès. Les habitant·es en explorent les « preuves ». La prise en compte des conduites individuelles à risque (tabac, cumul de pratiques favorisant l’exposition) et/ou des conditions dégradées de travail des anciens mineurs (absence d’équipement individuel de protection augmentant l’exposition, etc. pouvant expliquer les décès) peuvent être des arguments mobilisés par les habitant·es pour circonscrire le risque à l’espace de l’activité professionnelle passée et des conduites individuelles, et l’éloigner ainsi de la population générale, ici et maintenant. A l’inverse, pour d’autres habitant·es, tout concourt à désigner les pollutions environnementales comme une réalité actuelle non discutable et un risque futur de santé avéré, le nombre jugé élevé de décès d’anciens mineurs, dans son environnement social ou familial, pouvant en administrer la preuve. Les mises en causes environnementales peuvent être donc tour à tour relativisées par un déplacement du spectre de la santé – de l’échelle environnementale pour tout un chacun, à l’échelle familiale, individuelle ou professionnelle – ou au contraire être amplifiées par une contraction, des liens entre santé et environnement de vie, faisant d’un passé malheureux (souvent celui des mineurs), un présent anxiogène et un futur accablant (pour soi et les générations futures).

Cette variation de l’appréhension des risques de santé environnementale nous rappelle alors l’importance première de l’expérience et son rôle dans le processus de construction sociale des savoirs situés. C’est en pratiquant des activités sur leur territoire de vie pollué, en observant la nature, en diagnostiquant les risques environnementaux, en questionnant les études environnementales et sanitaires, en interagissant avec leur voisinage, en étant malade, en éprouvant la maladie ou le décès d’un proche, … que l’expérience des risques se façonne, que les risques se perçoivent et sont évalués par les habitant·es. La perception ne relève pas d’une vision de l’esprit d’habitant·es peu rationnel·les ou peu qualifié·es pour opérer un travail d’expertise. PRIOR montre, au contraire, que les risques perçus de santé environnementale, tels qu’ils sont expériencés par des habitant·es – quand ces dernier·ères font face à l’épreuve de la pollution – relèvent d’un travail d’expertise qui vaut autant (voire peut être plus) que toute évaluation quantitative des risques sanitaires. Un travail d’expertise – sensible au pluralisme étiologique (i.e. au pluralisme explicatif) de la maladie et du décès, du risque d’exposition ou d’imprégnation – qui fait monde pour les habitant·es. On utilise ici la notion d’étiologie dans un sens étendu, qui ne se résume pas à l’expression nosographique de la maladie, mais qui qualifie les formes sociales que prennent les raisons invoquées par les habitant·es pour qualifier « leur santé environnementale ». La notion de santé environnementale, telle que nous l’envisageons ici, renvoie aux relations singulières que les habitant·es tissent entre leur environnement de vie et leur santé, aux récits des risques perçus et de leurs impacts sur la santé. C’est en ce sens que la santé environnementale peut être associée à des régimes de perception qui permettent de lier expériences et jugements situés des risques encourus. La notion de régime de perception permet de rendre compte des situations problématiques, vécues et décrites par les habitant·es, telles qu’ils·elles les perçoivent. Elle permet aussi de relier ces situations à des agirs perceptuels qui donnent sens, dans et par l’action, aux risques de santé environnementale. Les agirs perceptuels impliquent ainsi que les savoirs et les connaissances se fabriquent (autant qu’ils orientent) l’épreuve située de santé environnementale (parfois par des agencements entre un passé revisité, un présent vécu et un futur projeté ; parfois par un questionnement sur l’authenticité des études sanitaires menées ; parfois par un déplacement du problème vers le diagnostic environnemental et des adaptations de pratiques qui permettent d’échapper aux risques). Une épreuve de santé située étroitement liée, pour les habitant·es, à des récits de vie marqués par des expériences de la pollution et de l’habiter liées aux lieux, à leurs trajectoires de vie, à l’histoire industrielle du territoire, etc. C’est à la croisée de ces expériences que les risques perçus de santé environnementale s’élaborent, qu’ils s’ancrent dans un ou plusieurs régimes de perception, en d’autres termes que les jugements sur la situation vécue, les responsabilités et les attentes se façonnent, et que l’expertise citoyenne se constitue. L’analyse située des risques perçus de santé environnementale nous conduit, à la suite des entretiens menés auprès des habitant·es de la vallée (N=55), à identifier trois principaux régimes de perception sensibles aux conditions de production des « preuves » et aux usages qui en sont faits, en d’autres termes sensibles à une pragmatique de l’expertise citoyenne (Bidet et.al., 2015[2]) orientée par des savoirs situés et des agirs perceptuels : le catastrophisme critique, le scepticisme attentif, et l’actionnisme pratique. Cette catégorisation d’analyse impose cependant une certaine vigilance méthodologique. Dans les récits sur les risques de santé environnementale, aucun·e habitant·e ne se réfère à un seul régime de perception. Un régime de perception est un ensemble de preuves et d’épreuves auxquelles la santé environnementale se confronte. Un·e même habitant·e peut puiser dans le régime de perception du catastrophisme critique, dans celui du scepticisme attentif ou de l’actionnisme pratique pour rendre compte des risques de santé environnementale qu’il·elle perçoit, même si certaines combinaisons sont plus aisées. Nous reviendrons sur ce point dans la conclusion de cette partie ainsi que sur les tensions entre actions et savoirs dans la fabrique de la perception des risques de santé environnementale. Avant cela, présentons ces principaux régimes de perception.


[1] Haraway, D.-J., 2020, Vivre avec le trouble, Vaulx-en-Velin, Les éditions des mondes à faire, Trad. de l’anglais (É-U) par Vivien García. Staying with the Trouble : Making Kin in the Chthulucene, Durham et Londres, Duke University Press, 2016.

[2] Bidet, A., Boutet, M. Chave, F., Gayet-Viaud, C., et E. Le Méner, 2015, « Publicité, sollicitation, intervention », SociologieS [En ligne], consulté le 05 février 2023, http://journals.openedition.org/sociologies/4941, DOI : https://doi.org/10.4000/sociologies.4941

Le régime de perception du catastrophisme critique
Synthèse

Le catastrophisme critique se construit sur la tangibilité éprouvée des impacts sanitaires actuels et futurs des pollutions liées à l’ancienne activité minière, au travers de l’énoncé de maladies ou de décès jugés suspects et érigés en incarnations des problèmes de santé liés à la pollution des milieux aux métaux lourds. Dans ce régime de perception, une version consolidée de la réalité est énoncée : les effets sanitaires (maladies, décès) sont considérés comme acquis, quand bien même certaines incertitudes demeurent sur la nature exacte des pathologies (dès lors que ces dernières ne sont pas encore survenues). Les critiques sont exacerbées. L’irresponsabilité des acteurs économiques (anciens exploitants) et l’inaction des pouvoirs publics sont érigées en accusations : suspicions de dissimulation sur le territoire de déchets inconnus toujours présents et hautement toxiques pour la santé des riverains, dissimulations des impacts de santé par les autorités publiques pour éviter ainsi le versement d’indemnités et devoir s’engager dans des travaux de dépollution radicale (excavation), prégnance des enjeux économiques sur les enjeux de santé, etc. La posture critique est à ce point forte que la prise en charge même par les pouvoirs publics des situations problématiques (travaux de réhabilitation pour contenir les polluants, recommandations sanitaires, …) fait l’objet de suspicions systématiques. La posture est à la défiance vis-à-vis des acteurs économiques (anciens exploitants) mais surtout vis-à-vis des autorités publiques. La confiance se reporte alors vers les acteurs associatifs ou certaines figures locales, considérés comme des lanceurs d’alerte, ceux jugés à même de dire la réalité sanitaire des pollutions, en contrepoint d’une action publique jugée au mieux erratique, au pire complice de la situation. Ces acteurs seraient seuls capables, en déconfinant la prise charge des problèmes de santé environnementale, de publiciser “la réalité catastrophique” de la situation vécue par les habitant·es et de demander réparation. Cette “réalité catastrophique” implique pour certain·es habitant·es rencontré·es de s’engager dans la critique (participer à des réunions publiques, adhérer à des associations militantes ou à leurs revendications, le cas échéant manifester, participer à des études d’imprégnation, …), à réinterroger leurs expériences du décès ou de la maladie (la leur, celle d’un parent ou d’une connaissance) à l’aune des risques de santé environnementale publicisés, tout cela afin d’administrer la preuve des risques encourus. Tout concourt alors à énoncer l’évidence des risques de santé environnementale. Les liens de « cause à effet », ainsi fortement établis, peuvent amener certain·es habitant·es à opter pour un l’arrêt total de certaines pratiques (comme le jardinage), à énoncer aussi le déménagement (le leur, ou celui d’autres habitant·es) comme une conséquence des peurs vécues. La référence ici au régime de perception du catastrophisme critique rend difficile les possibilités d’échanges contradictoires sur les liens entre pollution, imprégnation-contamination et problèmes de santé. Elle favorise au contraire l’expression d’un jugement radical négatif sur l’irresponsabilité d’autres habitant·es moins convaincu·es par le catastrophisme de la situation vécue et les soupçons pesant sur l’expertise publique (accusée de vouloir cacher la réalité). Une irresponsabilité croisée, largement véhiculée par les associations locales les plus militantes.

« Entre autres reproche qu’on nous fait… Quand je réponds « on a effectué des analyses sur nos propres deniers, on a fait analyser tel et tel métaux » on nous dit « vous n’avez pas fait analyser celui-là, celui-là ». On retrouve toujours une réponse négative par rapport à une démarche positive. Y compris ce qu’on fait aujourd’hui [l’expérimentation moutarde], je suis sûr qu’il y a des gens qui vont dire… […] [J’aimerai] sortir de ce face à face stérile »

Jardinier du collectif de Conques-sur-Orbiel

« « Déni total » La population n’a pas l’air de s’offusquer de ce scandale sanitaire. « J’ai toujours mangé des salades arrosées à l’eau de l’Orbiel et je vais bien », entend-on souvent ici. « Les gens vivent dans un déni total », soupire François Espuche, président de Gratte Papiers, l’une des trois associations locales (hyper)actives sur la question de la pollution, avec Terres d’Orbiel, et l’Association de défense des riverains de Salsigne. Le déni vire parfois la caricature : Stéphane Barthas, maire de Salsigne, « refuse de prononcer le mot qui commence par « p » » et ne parle donc pas de la pollution mais des « effets » de la mine et de l’usine. »

Le Monde, Horizons, samedi 8 décembre 2018, « La vallée de l’Orbiel minée par l’arsenic », Par Henri Seckel

« Le déni … pour seule réponse à l’urgence. Pourtant, l’Etat en vient à  » normaliser  » ce qui ne peut l’être, comme ne pas pouvoir profiter des légumes cultivés dans son jardin, ou ne pas laisser ses enfants jouer en toute quiétude. Le préfet n’y voit que des teneurs d’arsenic  » comparables à celle mesurées régulièrement depuis plusieurs année « , ajoutant  » comme à chaque crue de l’Orbiel, des sédiments concentrés en arsenic ont pu se déposer sur des jardins potagers « . Pour certains, la récurrence vaudrait norme ! Et le déni est renforcé par l’ARS, pour qui  » la voie cutanée est une voie mineure d’absorption de l’arsenic et qu’ainsi il n’y a pas de risque en cas de baignade dans l’Orbiel ou de manipulation de boue déplacée pendant les inondations « . Sur quelles bases scientifiques s’appuie l’ARS ? La question vient de lui être posée3, la réponse – si réponse il y a un jour – ne manquera pas d’être auscultée par Annie Thébaud-Mony, directeur de recherche honoraire INSERM, et d’autres scientifiques reconnus sur la scène internationale. […] Le manque de crédibilité du préfet de l’Aude et de l’ARS. Des services de l’Etat ou des chercheurs et experts indépendants, qui croire ? Pour les habitants de la vallée de l’Orbiel, la question ne se pose même pas ! »  

Communiqué de presse, Mercredi 10 avril 2019, cosignée par Terres d’Orbiel, Gratte papiers et l’association de défense des riverains et de protection de l’environnement des mines et usines de Salsigne et de la combe du saut

 « Terres d’Orbiel, GrattePapiers et l’équipe du Cabardès du Secours Catholique jugent inutile l’étude qui vise à mesurer l’imprégnation à l’arsenic des enfants de la vallée. Et invitent élus et population à ne pas y participer. Le terme, guère flatteur, suffit à résumer le sentiment des associations de défense des riverains et de l’environnement de la vallée de l’Orbiel : une étude « bidon ». Voilà comment Terres d’Orbiel, Gratte Papiers et l’équipe du Cabardès du Secours Catholique ont choisi hier de qualifier l’enquête d’imprégnation sur les enfants de 3 à 11 ans que doit mener le laboratoire montpelliérain HydroSciences en cette rentrée 2020. »

L’INDEPENDANT, 9 septembre 2020, « VALLÉE DE L’ORBIEL, Une fin de non-recevoir à l’étude de l’ARS »

Le rapport au temps – dans la fabrique du discours sur les risques de santé perçus dans le catastrophisme critique – rappelle les travaux de Chollet et Felli sur les discours écologiques autour du changement climatique « […] ce n’est pas parce que les discours […] se construisent prioritairement par rapport au futur qu’ils oublient ou n’entretiennent aucun rapport avec le passé et, surtout, avec le présent » (Chollet et Felli, 2015[1]). Le régime de perception du catastrophisme critique s’appuie en ce sens sur un récit des problèmes de santé environnementale qui fait système : une réalité où les risques sanitaires à venir (quand ils ne sont pas déjà survenus pour soi ou ses proches) sont jugés tangibles au regard d’une lecture imbriquée – s’égrenant au fil des récits – de situations problématiques présentes et passées (personnelles, familiales ou territoriales). Cette lecture alimente l’évidence d’une catastrophe environnementale et sanitaire qui fait de la peur le moteur principal de la perception des risques. Ce résultat d’analyse rejoint les travaux de Catherine Larrère et de Raphaël Larrère pour qui le catastrophisme relève sans conteste du « régime de la peur » (Larrère et Larrère, 2015a[2]). Quelle sens accorder à cette peur ? Selon Bernard Sève (Sève, 1993[3]), dans un usage heuristique, la peur peut être mobilisée comme un outil de la connaissance, elle favoriserait l’enquête et le questionnement. Dans l’usage rhétorique, elle est mobilisée comme un instrument visant à convaincre « l’autre » d’une réalité à laquelle on adhère. Tout concourt dans le régime de perception du catastrophisme critique à positionner le curseur de la peur sur un usage principalement rhétorique. La peur n’est en rien simulée ou calculée. Elle vise plutôt, ici et dans une plus grande mesure, à donner un sens aux récits sur les risques et la catastrophe (à la constituer et à la porter comme une cause), qu’à générer une connaissance au service de sa mise en débat et de sa prise en charge collective. Une vision du monde plus dysphorique qu’euphorique – pour reprendre la distinction opérée par Nataly Botero dans ses travaux sur le double statut de la peur dans le catastrophisme en écologie (Botero, 2017[4]) – qui véhicule selon nous, dans le catastrophisme critique, un sentiment perceptible d’injustice environnemental. Ce sentiment d’injustice est à la fois une force, il permet de solidariser des collectifs autour d’une cause, et de la porter mais il peut apparaitre aussi comme une faiblesse. Le catastrophisme critique s’éloigne ainsi du « catastrophisme éclairé » de Jean-Pierre Dupuy (Dupuy, 2002[5]) : le sentiment d’injustice déplaçant l’action sociale d’une « logique de projet » multipartite – qui a pour vertu de renforcer les capacités collectives de mobilisation, de coordination et d’action permettant d’échapper à « une prophétie de malheur » (pour reprendre l’expression de Hans Jonas, 1990[6]) – à une logique de crise, face à une prophétie de la catastrophe déjà réalisée.

Le passage pour certain·es habitant·es – et les associations militantes locales – à une perception des risques de santé environnementale centrée sur le régime du catastrophisme critique est sans conteste associé à l’histoire des mobilisations locales mais aussi aux inondations de 2018. L’évènement climatique, en générant l’accident – i.e. le transfert des pollutions chroniques vers les lieux de vie et notamment les écoles – a permis un plus fort basculement des perceptions du risque de santé vers le catastrophisme critique où la pollution aiguë et concentrée révèle une situation de crise présente et aussi à venir (face aux inondations futures et à leurs impacts). Le basculement vers le catastrophisme critique explique que certain·es habitant·es adhèrent aujourd’hui à l’urgence de solutions totales (dépollution par excavation des sols, etc.) et cèdent parfois à l’impatience. D’autres, moins confiant·es en l’avenir, considèrent que les problèmes, notamment de santé, ont peu de chance d’être reconnus et les solutions totales de dépollution mises en œuvre, face aux enjeux financiers et économiques qu’elles impliquent. Un résultat qui nous rappelle que face à la crise certain·es habitant·es, dans le régime de perception du catastrophisme critique, peuvent également se ranger derrière un certain fatalisme (business as usual) : quoi espérer puisqu’on n’y peut finalement rien ? Dans tous les cas, le basculement dans le catastrophisme critique favorise l’émergence d’un régime de justification de l’action plus centré (pour certain·es habitant·es et pour les associations militantes) sur la judiciarisation de la pollution et la quête de responsabilité que sur la participation à des dispositifs collectifs et pluralistes de gouvernance des problèmes (participation à laquelle pourraient adhérer celles et ceux dont les récits situés de la pollution s’ancrent dans les régime de perception du scepticisme attentif et de l’actionnisme pratique). Finalement, catastrophisme critique et scepticisme attentif s’oppose radicalement dans la perception des risques de santé environnementale. Dans le catastrophisme critique, les victimes-habitant·es – celles et « ceux qui en souffrent et qui en sont les moins responsables » (Larrère et Larrère, 2015b[7], p286.) – sont en quête d’une justice corrective des risques de santé environnementale (mise en responsabilité et réparation). Dans le scepticisme attentif, mais aussi dans l’actionnisme pratique, les habitant·es sont dans une plus grande mesure en quête d’explication (amélioration des connaissances sur la pollution ou sur l’efficacité des pratiques adaptées) et de justice distributive : « si responsabilité il y a, elle porte sur ce que l’on peut faire désormais » (Larrère et Larrère, op.cit., p.286). Penchons-nous plus en détail sur le régime du scepticisme attentif.

Cette synthèse est issue de l’analyse de l’ensemble des données de l’enquête. Pour accéder à cette analyse détaillée, vous pouvez vous reporter à la partie ci-après « Présentation détaillée. Le régime de perception du catastrophisme critique« .


[1] Chollet, A. et R. Felli, 2015, « Le catastrophisme écologique contre la démocratie », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], Volume 15 Numéro 2 | Septembre 2015, mis en ligne le 05 octobre 2015, consulté le 01 février 2023. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/16427 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.16427

[2] Larrère, C. et R. Larrère, 2015a, « Peut-on échapper au catastrophisme ? », in Catherine Larrère et Raphaël Larrère (éds), Penser et agir avec la nature. Une enquête philosophique, Paris, La Découverte, pp. 239-262.

[3] Sève B., 1993, « La peur comme procédé heuristique et comme instrument de persuasion », in Gilbert Hottois (éd.), Aux fondements d’une éthique contemporaine. H. Jonas et H.T. Engelhardt en perspective, Paris, Vrin, 1993, 107-125.

[4] Botero, N., 2017, « Catastrophisme en écologie : le double statut narratif de la peur », in Zinna A. et I. Darrault-Harris (éds), Formes de vie et modes d’existence « durables », Collection Actes, Toulouse, Éditions CAMS/O, p. 41-65 ⟨hal-03126063⟩.

[5] Dupuy, J-P., 2002, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain, Paris, Seuil.

[6] Jonas, H., [1979] 2003, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, trad. Jean Greisch, Paris, Champs Flammarion.

[7] Larrère, C. et R. Larrère, 2015b, « Quelle justice environnementale ? », in Catherine Larrère et Raphaël Larrère (éds), Penser et agir avec la nature. Une enquête philosophique, Paris, La Découverte, pp. 279-300.

Le régime de perception du scepticisme attentif
Synthèse

A l’inverse du catastrophisme critique, les effets sanitaires des pollutions font l’objet de questionnements et de doutes. Le scepticisme attentif se construit sur l’incertitude des expertises scientifiques ou techniques, et de leurs dispositifs de mesure, à dire les risques de santé environnementale des pollutions liées à l’ancienne activité minière. Les études ou tests d’imprégnation (protocoles et résultats) – qui viseraient à établir la présence-toxicité de l’arsenic dans les corps – sont largement critiqués. Ils seraient jugés non-explicatifs des risques de santé encourus. La question du ou des seuils, au-dessus desquels le risque de toxicité serait avéré, serait jugée trop incertaine. Certaines mesures différenciées entre enfants et parents d’une même famille, certaines variations inexpliquées entre communes de résidence ou lieux d’habitation génèreraient un trouble sur la capacité explicative des tests à mesurer les risques. L’absence d’un suivi sur un temps long des taux d’imprégnation (versus des mesures ponctuelles en période de crise) et l’absence parfois d’une population témoin – vivant hors du territoire de la vallée et à laquelle les résultats pourraient être comparés – renforcent le doute quant à la pertinence de l’usage des mesures d’imprégnation et de leur l’efficacité à dire les risques. Les tests d’imprégnation seraient alors jugés, par certain·es habitant·es, plus polémiques que capables d’élucider pleinement la question sanitaire – ils génèreraient parfois des « fantasmes », pour reprendre le terme d’un habitant enquêté, sur les risques de santé, notamment des plus jeunes –.

Dans le scepticisme attentif, la non-observation significative de pathologies cancéreuses – en nombre plus important de cas ou directement imputables à une exposition chronique aux métaux lourds – favorise une mise à distance des risques de santé environnementale en population générale. La présence d’une population âgée dans la vallée et l’expérience, pour soi ou les autres, d’une absence de maladie dans son entourage semblent rendre les liens de causalité, entre santé et pollutions environnementales d’après-mine, peu plausibles. Quand bien même des cas de cancer peuvent être identifiés ou probables – et que l’environnement est énoncé comme un facteur de risque –, les sceptiques attentifs considèrent dans une très grande mesure que les problèmes de cancer sont généraux et non spécifiques aux pollutions minières de la vallée et que les risques de vivre dans une grande ville sont a priori plus élevés (notamment au regard des pollutions atmosphériques). Certes, des cas des cancers ont pu, ou peuvent survenir localement mais, dans le scepticisme attentif, les situations sont résolument circonscrites. Ils peuvent être reconnus pour d’anciens mineurs – ayant occupé des postes de travail à risque soumis à des conditions de travail, à l’époque moins précautionneuses –. Ils peuvent être aussi associés à des modes de vie ou à des pratiques à risques accrus de santé : certaines communautés (e.g. gitanes) pourraient se confronter de façon plus régulière à un environnement pollué (eau vive, poussière, alimentation). La consommation de tabac ou d’alcool serait par ailleurs présentée comme un facteur de risque non négligeable – comme le fait de vivre au plus près des anciens lieux d’exploitation ou au plus proche des zones inondées-inondables et d’y cultiver-consommer ses légumes –. Ils peuvent être aussi associés à un environnement pollué par les produits phytosanitaires, utilisés en viticulture, qui présenteraient un facteur de risque accru de maladies, plus que les pollutions minières. Plus encore, la toxicité de l’arsenic présent dans l’environnement peut être évaluée de façon différenciée selon son caractère naturel ou non, ses formes spécifiques et leur niveau variable de bioaccessibilité ou de biodisponibilité pour l’homme, voire selon le métabolisme et la génétique de chacun·e.

Tout concourt finalement, dans le scepticisme attentif, à ne pas faire des pollutions d’après-mine et de la dépollution du territoire de la vallée (revendiquée comme solution dans le catastrophisme critique), l’alpha et l’oméga des risques de santé environnementale. Pour autant, la présence de métaux lourds dans l’environnement, la capacité des dispositifs de mesure à en apprécier la présence dans les corps, les effets cancérigènes de l’exposition-imprégnation à l’arsenic et les facteurs connexes des pathologies cancéreuses… font l’objet d’une forte réflexivité. Il ne s’agit pas, en ce sens, dans le scepticisme attentif, de mettre à distance les risques sans les questionner. Il s’agit pour une grande part des sceptiques attentifs de mobiliser une expertise expérientielle des lieux et du territoire, dans lesquels ils·elles vivent, pour critiquer et façonner leurs propres savoirs et leurs points de vue sur la situation vécue. Les sceptiques sont ainsi attentifs à ce que les études et recherches, celles disponibles, soient plus accessibles et diffusées auprès des populations de la vallée, et que les savoirs d’expertise soient renforcés (suivi de la contamination des milieux ; élargissement de la mesure à d’autres polluants ; mesure plus régulière de l’imprégnation et de ses risques ; appréciation plus fine des liens entre consommation des produits du jardin et santé). Ils considèrent les expertises – leur élargissement et leur facilité d’accès – comme nécessaires pour permettre, à tout un chacun, de s’émanciper des polémiques et de fabriquer son propre point de vue en croisant sa propre expertise des situations vécues et celles des expert·es scientifiques et techniques.

Dans le régime du scepticisme attentif, le temps n’est pas à la défiance-méfiance envers les pouvoirs publics. Au contraire, les sceptiques sont en attente d’élucidation, de travail collaboratif avec les expert·es scientifiques et techniques afin que certaines énigmes autour des pollutions et de leurs effets sanitaires soient documentées, voire que les problèmes soient tranchés, si cela est possible. Les sceptiques attentifs s’avèrent finalement plus critiques vis-à-vis des polémiques soulevées par certaines associations locales militantes. Si ces dernières ont permis aux problèmes d’être soulevés (d’être mis à l’agenda des autorités publiques), une trop grande accusation de l’État, sa mise en responsabilité systématique, enfermerait le débat dans un espace clivant peu propice à l’élucidation des situations problématiques et à la co-construction de solutions partagées.

Dans le régime du scepticisme attentif, les habitant·es s’inscrivent résolument sur un axe dialogique de perception orienté vers la connaissance et l’hybridation des savoirs, en d’autres termes vers la co-construction des problèmes dans leurs phases de définition et de résolution. Dans le scepticisme attentif, la synergie de formes d’expertises complémentaires pour définir les situations problématiques vécues est donc souhaitée : une expertise profane liée aux savoirs locaux issus de l’expérience des lieux, des territoires dans lesquels les habitant·es vivent et de leur parcours de vie ; et une expertise scientifique et techniques issue des savoirs professionnels (Corburn, 2005 [1]). Dans ce régime, les habitant·es se positionnent, de façon originale, à l’intersection de ces savoirs professionnels et locaux ou expérientiels. Ces derniers sont mobilisés-activés de façon ad hoc pour résoudre des troubles que les savoirs professionnels favorisent, malgré eux, quand ils n’arrivent pas pleinement à élucider les risques de santé environnementale encourus et que les habitant·es se confrontent à une lecture « catastrophique et critique » de la situation – véhiculée par les associations locales les plus militantes et les médias – dans laquelle ils·elles ne se retrouvent pas.

Peu de recherche en sociologie de l’environnement et de la santé souligne une telle dynamique. Quel sens accorder au régime de perception du scepticisme attentif ? Les recherches nord-américaines sur la Justice Environnementale (JE) ont largement documenté des mouvements sociaux qui mêlent généralement des questions de santé environnementale et de droits civiques des minorités. Elles s’appuient sur des « récits » de l’exposition et des impacts sur la santé des populations vulnérables (noires et/ou à faible revenu) à la pollution de l’industrie chimique (Bryant et Mohai[2], 1992 ; Bullard, 1994[3] ; Capek, 1993[4] ; Taylor, 2000[5] ; Walker, 2009[6]). La notion d’expertise profane, dans le domaine de la santé environnementale, a ainsi émergé dans la recherche, initialement nord-américaine, comme une « dynamique de prise collective » sur les problèmes permettant à des mobilisations citoyennes de type grass-roots (ou communautaires) de contester les résultats des enquêtes menées par les autorités publiques, notamment quand celles-ci ne permettent pas d’établir la réalité perçue des dommages de santé causés par les pollutions environnementales. Ils ont ouvert le débat, et des réflexions se sont développées en France, pour attirer l’attention sur le lien entre justice sociale, problèmes environnementaux et action publique (Busca et Lewis, 2015[7]). Pour autant dans le scepticisme attentif, les dynamiques sociales de l’expertise profane n’adoptent pas la même trajectoire.

  • En premier lieu, le régime de perception du scepticisme attentif regroupe des citoyen·nes (constituant une « communauté informelle d’attention ») – non-érigé·es en public (au sens de Dewey, 2010) – qui se trouvent dans l’incapacité de porter leurs attentes d’élucidation dans l’espace public du débat et auprès des autorités publiques.
  • De façon concomitante, et en deuxième lieu, l’expertise profane des sceptiques attentifs – et les savoirs expérientiels sur lesquels elle se fonde – est au stade de la pré-configuration ou de la fabrique individuelle, un stade de pré-enquête et non d’enquête qui advient seulement quand le public se constitue, s’allie avec des expert·es et s’impose comme un interlocuteur des autorités publiques. Il ne s’agit donc pas d’habitant·es qui enquêtent (ou contre-enquêtent) collectivement et qui s’organisent, mais qui – sur la base d’une critique du discours jugé clivant des associations locales les plus militantes et de la difficulté des autorités publiques à mesurer les risques – élaborent des hypothèses et mettent à l’épreuve les savoirs professionnels et les discours d’alerte des associations locales pour élaborer leur jugement.
  • Troisièmement, le résultat de la pré-enquête, dans le régime du scepticisme attentif, ne conduit pas généralement à un processus de victimisation mais à un processus de problématisation réflexive portant sur la complexité de la situation vécue et une attente de réponse collective, processus éloigné de ce qui est généralement observé dans le travail de pré-enquête (Akrich et.al., 2010[8]). C’est bien parce que les troubles ne peuvent atteindre l’espace public du débat que les attentes d’élucidation se fabriquent, et c’est bien parce que le catastrophisme critique sature l’espace public – par des effets de bulles de filtrage (Parisier, 2011[9]) – que le scepticisme se développe comme une forme de réactivité du social à une situation problématique de clivage. Cette situation d’élucidation non satisfaite génère des troubles qui demeurent confinés dans l’espace privé, ce que Cefaï nomme des « malaises vécus en silence (private troubles) » (Cefaï, 1996[10], p.57). Ces troubles peuvent, à terme, se transformer en critique, s’ils n’arrivent pas à atteindre l’espace public du débat et/ou s’ils s’amplifient au gré des situations médiatisées de crise.

Cette synthèse est issue de l’analyse de l’ensemble des données de l’enquête. Pour accéder à cette analyse détaillée, vous pouvez vous reporter à la partie ci-après « Présentation détaillée. Le régime de perception du scepticisme attentif« .


[1] On retrouve notamment cette catégorisations des savoirs et une analyse de leur imbrication dans les travaux de Jason Corburn. Corburn, J., 2005, Street Science : Community Knowledge and Environmental Health Justice, Cambridge, MIT Press.

[2] Bryant, B., and P. Mohai, eds, 1992, The Incidence of Environmental Hazards. A Time for Discourse, Boulder, CO: Westview Press.

[3] Bullard, R. D., 1994, Dumping in Dixie. Race, Class, and Environmental Quality, Boulder, CO: Westview Press.

[4] Capek, S. M., 1993, “The ‘Environmental Justice’ Frame: A Conceptual Discussion and an Application.” Social Problems, 40 (1), Special Issue on Environmental Justice, 5–24.

[5] Taylor, D. E., 2000, “The Rise of the Environmental Justice Paradigm: Injustice Framing and the Social Construction of Environmental Discourses.”, American Behavioral Scientist, 43 (4), 508–580.

[6] Walker, G., 2009, “Beyond Distribution and Proximity: Exploring the Multiple Spatialities of Environmental Justice.” Antipode, 41 (4), 614–636.

[7] Busca, D. et N. Lewis, 2015, « The territorialization of environmental Governance. Governing the environment based on just inequalities? », Environmental Sociology (Routledge), vol. 1, n°1, pp. 18-26.

[8] Akrich, M., Barthe, Y. et C. Rémy (dir.), 2010, Sur la piste environnementale : Menaces sanitaires et mobilisations profanes, Paris, Presses des Mines.

[9] Pariser, E., 2011, The Filter Bubble : How the New Personalized Web is Changing What We Read and How We Think, Londres, Penguin Books, cité par Badouard R., Mabi C. et L. Monnoyer-Smith, 2016, « Le débat et ses arènes », Questions de communication, n°30.

[10] Cefaï, D., 1996, « La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des arènes publiques », Réseaux, vol. 14, n°75, pp. 43-66

Le régime de l’actionnisme pratique
Synthèse

Dans le régime de perception de l’actionnisme pratique – plus que dans les régimes du catastrophisme critique et du scepticisme attentif – le temps est à l’action adaptative pour répondre à la difficulté des autorités publiques et des mobilisations associatives à accorder un sens collectif aux risques environnementaux et sanitaires. Les actionnistes-pratiques ont pour point commun de vouloir maîtriser leurs risques d’exposition-imprégnation aux métaux lourds, en modifiant leurs pratiques de consommation, de jardinage, de cueillette en pleine nature, de bricolage, de balade sur le territoire de la vallée, d’éducation-protection de leurs enfants, etc. Les adaptations relatées dans le régime de l’actionnisme pratique sont étroitement associées à un agir perceptuel attaché aux épreuves sensorielles, à la mesure, aux consignes environnementales et de santé publique. Elles sont orientées par des diagnostics environnementaux (état des milieux et des voies d’exposition les plus à risque) que les habitant·es élaborent. L’actionnisme pratique est marqué par les évènements climatiques. La crue de 2018 a accéléré la capacité des habitant·es à intégrer les risques d’exposition liés à leurs pratiques, à s’adapter afin de mettre à distance les risques sanitaires, ceux relayés par les pouvoirs publics ou les mobilisations locales.

L’originalité de l’actionnisme pratique réside ainsi dans un accord sur la réalité des pollutions des milieux. Il diagnostique le milieu de vie afin de mieux définir l’espace de mise en relations problématiques de l’homme à son environnement. Un espace de relations dans lequel les habitant·es peuvent agir. Dans le régime de l’actionnisme pratique, le diagnostic environnemental sert donc d’appui à l’action. Il prend aussi appui sur des moyens probatoires permettant d’identifier les pollutions-problématiques et d’y répondre par l’action. Ces moyens probatoires relèvent à la fois du sensoriel et de la mesure, mais aussi de la conformité aux consignes environnementales et sanitaires produites par les autorités publiques. Revenons plus précisément sur les moyens probatoires activés par les habitant·es pour « évaluer la pollution » et y « faire face ».

Le diagnostic environnemental de la situation vécue peut se fonder sur l’expérience sensorielle de la pollution. C’est le cas lorsque des habitant·es vigilant·es relatent avoir observé des changements dans la nature qui les environne – un changement de la couleur d’une plante, du sol, de l’eau du robinet ou de la rivière, un champignon à la taille inhabituelle, etc. – ; ou avoir ressenti une autre forme de gêne sensorielle – liée par exemple, à une odeur dérangeante (provenant d’une lagune de rétention des eaux proche d’un ancien site minier) ou liée à l’empreinte visuelle troublante d’un ancien site (ou de ce qu’il en reste dans le paysage de la vallée).

Le diagnostic environnemental peut se fonder aussi sur l’expérience de la mesure de la pollution : par l’activation de dispositifs ad hoc (équipement technique de mesure de la pollution, expérimentation) permettant d’évaluer la contamination de son environnement de vie, évaluation à laquelle participent les analyses de sol ou des légumes du jardin que les habitant·es commanditent, ou les études environnementales et sanitaires dont ils·elles se saisissent (et auxquelles ils participent, parfois).

Le diagnostic environnemental peut se fonder sur l’expérience des consignes environnementales et sanitaires : le fait que ces consignes soient formulées par les autorités publiques légitimes, le fait qu’elles soient diffusées au moment des crises (inondations de 2018) et qu’elles fassent l’objet parfois de reconduction dans le temps, favorisant l’alerte, activant la vigilance des habitant·es et leur volonté de se protéger des risques annoncés. Elle les rend réels, car saisissables dans leur énoncé.

Le diagnostic environnemental peut aussi se fonder sur l’expérience des trajectoires de vie, notamment résidentielle, quand les habitant·es se saisissent d’une exposition à des pollutions, ailleurs et par le passé, pour mieux évaluer la pollution de la vallée, ici et maintenant, et orienter leurs choix en limitant leur consommation de poisson notamment, ou en se protégeant d’un air, qu’ils respirent et qu’ils jugent chargé de particules à risque pour la santé.

Les sens éprouvés, les dispositifs et les analyses ad hoc mis en œuvre, les études environnementales mobilisées, les consignes environnementales et sanitaires auxquelles les habitant·es se conforment généralement, les éléments de la trajectoire personnelle… peuvent être analysés comme autant d’artefacts ou d’indices de la pollution, au sens où « ils en disent quelque chose de toujours singulier » (pour la notion d’indice se référer à Peirce, 1978, cité par Nicolaï, 2017[1]). Ces indices, de façon isolée ou cumulée, sont saisis-énoncés et interprétés par les actionnistes-pratiques pour évaluer à la fois, le niveau de contamination des milieux – des sols de leur jardin, des arbres, des végétaux prélevés dans la nature, des espaces publics – mais aussi, la capacité de transfert entre les contaminants et le corps par l’ingestion, par le contact de la peau ou par les inhalations de poussière – dans le but d’orienter les adaptations de pratique.

Le diagnostic environnemental est ainsi fondamentalement situé, une pollution évaluée-située au regard des lieux que les actionnistes-pratiques investissent et des pratiques qui s’y déroulent de façon singulière : les moyens probatoires, relevant du sensoriel et de la conformité aux consignes environnementales et sanitaires, étant souvent mobilisés pour évaluer l’empreinte des pollutions sur les milieux pour les promeneurs, les sportifs amateur·trices, les cueilleurs et les parents de jeunes enfants ; ceux, relevant de l’expérimentation ou de la mesure, se concentrant plus aisément dans l’espace domestique du jardin et de la famille (quand les parents font tester l’imprégnation aux métaux lourds de leurs enfants).

Le diagnostic environnemental n’évalue pas ainsi une pollution en soi – à partir d’un ensemble de données ou de références qui se suffiraient à elles-mêmes pour définir la pollution dans son essence (sa portée générale pour tout un chacun) –, mais une pollution pour soi – au sens où le diagnostic participe à donner existence à la pollution, de façon située, au regard des problèmes singuliers auxquels les habitant·es se confrontent dans leurs pratiques –. C’est ainsi, dans le régime de l’actionnisme pratique, que le diagnostic environnemental de la pollution s’entend. Il est associé à des pratiques que le diagnostic permet de mettre à l’épreuve de la pollution, à une évaluation des situations problématiques auxquelles les cueilleur·euses, les promeneur·euses ou les sportif·ives, les bricoleur·euses, les jardinier.ères amateur·trices ou les parents… tentent de répondre. C’est ainsi que le diagnostic environnemental est aussi étroitement lié à l’action, à la pratique comme expérience de la pollution, et à l’adaptation des pratiques face à un problème identifié : celle de porter un masque pour éviter d’inhaler des poussières quand on perce un mur constitué de remblais jugés contaminés ou quand on observe des poussières sur les arbres de son jardin ; celle d’adopter des gestes barrières, par exemple porter des bottes – et les stocker dans le coffre de sa voiture– ou jeter ses vêtements quand on va nettoyer les dégâts occasionnés par les crues de 2018, afin de confiner la pollution ; celle d’éviter les zones proches de l’Orbiel ou des anciens sites miniers pour prélever des herbes aromatiques, des champignons ou des asperges sauvages ; celle de délocaliser sa pratique de la cueillette ou de la course à pied dans des lieux jugés moins contaminés ; celle d’excaver-gratter une partie du sol de son jardin pour éliminer la pollution ; celle de cultiver les parties hautes de son jardin pour éviter de jardiner dans les zones basses jugées plus polluées par les effets du ruissellement ou par la proximité de la rivière ; celle de limiter l’exposition de ses enfants aux métaux lourds, contenus dans les sols quand ils jouent en extérieur, par un contrôle du respect des gestes barrières et le lavage des mains ; celle de se protéger d’un ré-envol de poussière en fermant la fenêtre de sa voiture quand on circule à proximité des anciens sites miniers ; celle de renoncer au contact de l’eau de la rivière quand la peau est blessée ; etc.

Si les moyens probatoires sont divers, le diagnostic environnemental que les habitant·es élaborent n’est pas pour autant stabilisé : il est évolutif et dépend des connaissances, auxquelles les actionnistes-pratiques accèdent, et des savoirs expérientiels qui se façonnent au gré de leurs pratiques et des adaptations qu’ils expérimentent. Il en est de même pour les adaptations. Elles demeurent réellement variées et montrent toute l’inventivité du social et la capacité des habitant·es, qui vivent la pollution, à tenter de la contrôler. Elles peuvent aussi se modifier, se réadapter au gré de leur mise en œuvre ou de l’évolution du diagnostic environnemental des situations problématiques que les habitant·es éprouvent par des expériences nouvelles de la pollution (de nouvelles mesures, de nouveaux troubles sensoriels, de nouveaux événements climatiques, de nouvelles études, de nouvelles polémiques, etc.).

Face à une telle variabilité, le couplage entre diagnostics et adaptations des pratiques n’est pas toujours aisé. Il peut être source de troubles pour les actionnistes-pratiques. Les troubles peuvent porter sur des éléments de diagnostic environnemental dont l’incomplétude réinterroge la pertinence des adaptations adoptées – c’est le cas d’un habitant qui s’interroge sur l’eau d’irrigation de son puits, comme vecteur de transfert des polluants, alors qu’il cultive sur les hauteurs de sa parcelle pour éloigner sa production de la pollution – ; sur l’exagération, à l’inverse, des adaptions mises en œuvre quand de nouvelles expérimentations apportent la preuve qu’elles ne seraient pas si nécessaires – c’est le cas notamment d’un habitant qui renonce à sa serre hydroponique considérant, suite à une expérimentation, que les poussières et l’eau de pluie auraient peu d’effet contaminant – ; sur l’effacement dans le temps des pratiques adaptatives et des gestes barrières – quand les consignes environnementales et sanitaires diffusées par arrêtés préfectoraux disparaissent de l’espace public, et ce faisant, de la mémoire des habitants·es et de leur espace de calcul-maîtrise des risques – ; sur l’incertitude qui pèse parfois, de façon plus générale, sur l’efficacité, en moyen et en finalité, des adaptions adoptées – quand des doutes émergent sur la capacité, réelle et entière, des pratiques modifiées à éloigner les risques de santé liés à la contamination des légumes du jardin que l’on consomme, par exemple.

Dans le régime de perception de l’actionnisme pratique, c’est vers l’authentification (Chateauraynaud, 2004[2]) des adaptations concédées-imaginées et vers, implicitement, leur capacité à protéger les habitant·es des risques de santé que le trouble se déplace. Le problème ne réside pas alors dans la capacité des adaptations à évoluer – l’expérimentation et l’essai-erreur sont inhérents au régime de l’actionnisme pratique – mais sur la peur que les habitant·es ont de « mal faire, sans le savoir ». La peur ici est heuristique (Sève, 1993, op. cit, p.45). Elle invite à l’échange sur les pratiques adaptatives et les diagnostics environnementaux qui les fondent. L’expertise citoyenne, celle qui lie étroitement le diagnostic à l’adaptation des pratiques, est ainsi fondamentalement relationnelle. Et, les relations sont diverses. Elles lient les habitant·es à leur propre histoire, les habitant·es entre eux – au sein du jardin, au sein de la famille, dans le voisinage, dans l’échange avec un·e expert·e, etc –. Elles lient aussi les habitant·es avec des entités non-humaines (l’eau, le sol, les végétaux, la poussière, la boue…), avec des objets permettant la mesure de la pollution, avec des études et des consignes mises à l’écrit par les autorités publiques légitimes. Les relations façonnent l’expertise, le diagnostic et les adaptations, et leur stabilisation éloigne le trouble et la peur « de mal faire » : le couplage problème-solution apparaissant alors justifié car en cohérence avec la situation vécue-évaluée de la pollution et les façons de s’en protéger. C’est bien la déstabilisation partielle de ces relations qui fragilise l’expertise citoyenne dans sa capacité à s’adapter aux situations problématiques de la pollution. Les actionnistes pratiques ne s’y trompent pas. Leurs attentes de mise en relation est forte. Elles peuvent porter sur la formalisation et l’institutionnalisation des échanges, au sein de communautés de pratique (communautés de jardinier.ères, de randonneur·euses, de pêcheur·euses, etc.), afin de permettre au diagnostic environnemental et aux adaptions de s’allier de façon pratique et partagée. Elles peuvent aussi porter sur l’amplification d’études et d’expertises scientifiques appliquées permettant d’alimenter les adaptations déjà expérimentées, les rendre plus robustes, les équiper ou les faire évoluer en écho. Elles peuvent aussi s’orienter vers une demande de partenariats avec les expert·es scientifiques et les expert·es professionnel·elles, à la condition que les expertises produites renvoient à des problèmes pratiques et demeurent sensibles à l’expertise citoyenne issue des adaptations éprouvées, ceci afin d’optimiser les retours et les partages d’expérience (hybridation des expertises), afin aussi d’ériger les communautés de pratique en partenaires de l’action publique (hybridation des espaces d’expertise et d’action). L’actionnisme pratique nous renseigne, de façon plus générale, sur la fabrique de l’expertise citoyenne dans ses dimensions pragmatique et praxéologique : les indices de la pollution, permettant d’évaluer-diagnostiquer les situations problématiques, se fabriquent tout autant pour orienter l’action adaptative face aux risques qu’ils se reconfigurent « pratique faisant ». La variété des dynamiques d’articulation et de stabilisation des indices (indexalité) – en tant qu’elle rend compte des logiques et des capacités diversifiées des pratiques-adaptées à répondre aux enjeux de la pollution – visibilisent des savoirs expérientiels à l’œuvre, saisissables par les liens qui les articulent à l’action. Par ailleurs, l’expertise citoyenne, dans sa dimension écologique, rend compte d’une attention plus forte des habitant·es (réflexivité) à la « transformation de l’espace de la gouvernance des risques induit par cette variété des positions [au-delà de ce que les expertises scientifiques et techniques disent] » (Barbier et.al., 2013[3], p.15), une transformation plus en lien avec les communautés de pratique – qui font d’ores et déjà face aux pollutions et y répondent – et qui pourraient être érigées en publics légitimes des autorités publiques.

Cette synthèse est issue de l’analyse de l’ensemble des données de l’enquête. Pour accéder à cette analyse détaillée, vous pouvez vous reporter à la partie ci-après « Présentation détaillée. Le régime de perception de l’actionnisme pratique« .


[1] L’indice, l’indexicalité, ici est appréhendée dans sa dimension pragmatique au sens où est pris au sérieux le contexte de production et de réception des signes, et où les signes sont définis par leur action sur celui qui les mentionne et les interprète. « [Un indice est] un signe ou une représentation qui renvoie à son objet non pas tant parce qu’il a quelque similarité ou analogie avec lui ni parce qu’il est associé avec les caractères généraux que cet objet se trouve posséder, que parce qu’il est en connexion dynamique (y compris spatiale) et avec l’objet individuel d’une part et avec les sens ou la mémoire de la personne pour laquelle il sert de signe, d’autre part » (p. 158), Peirce, C. S., Écrits sur le signe, Éd. G. Deledalle, Paris, Seuil, 1978, cité par Nicolaï, R, « Contextes et acteurs », dans Nicolaï, R., 2017, Signifier. Essai sur la mise en signification : Parcours dans l’espace épistémique et dans l’espace communicationnel ordinaire, Lyon, ENS Éditions.

[2] Comme nous le rappelle Francis Chateauraynaud (2004) « ils [les acteurs] s’efforcent d’ajuster leurs perceptions et leurs représentations via des expériences marquantes fonctionnant comme des gages d’authenticité. ». Chateauraynaud, F., « L’épreuve du tangible : expériences de l’enquête et surgissements de la preuve », dans Chateauraynaud, F., La croyance et l’enquête : aux sources du pragmatisme, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2004.

[3] Barbier, M., Cauchard, L., Joly, P., Paradeise, C. et D., Vinck, 2013, « Pour une Approche pragmatique, écologique et politique de l’expertise », Revue d’anthropologie des connaissances, vol.7, n°1, pp.1-23.

Présentation détaillée
Transition(s) (conclusion partielle)

Nous avons fait le choix, de ne pas utiliser le terme de « conclusion » pour cette partie du rapport et avons privilégié le terme de « transition(s) ». Il nous semblait, en effet, problématique de clôturer ainsi, et de façon aussi définitive, des modes d’existence de la pollution et des régimes de perception des risques de santé environnementale qui ont pour propriété d’être extrêmement fluides. Comment comprendre une telle fluidité ?

Les risques environnementaux et de santé publique, qu’ils soient définis par les autorités publiques – légitimes à décider des mesures permettant aux habitant·es de se protéger (confinement des pollutions, consignes sanitaires) –, ou qu’ils soient énoncés par les associations locales militantes – légitimes, comme toute forme de mobilisation sociale, à contester l’efficacité des moyens publics mis en œuvre –, ne sont pas érigés, par les habitant·es de la vallée, en réalité commune et partagée. Le travail général, toujours situé, d’authentification (ou de véridiction) de la pollution et de ses impacts sanitaires s’observe de façon différenciée dans les trois régimes de perception du risque de santé environnementale. Comme indiqué dans l’introduction de cette partie, les régimes ne renvoient pas à une typologie d’acteurs mais à une cartographie d’indices et d’actions à partir de laquelle les habitant·es composent pour élaborer leur point de vue sur les risques perçus et agir (Thevenot, 2006, op.cit.). En identifiant les indices de la pollution, en d’autres termes en s’appuyant sur un ensemble de signes auxquels ils accordent un sens, les habitant·es évaluent-diagnostiquent les risques environnementaux ou sanitaires qu’ils encourent, les authentifient, mobilisent des savoirs expérientiels, les confrontent parfois aux savoirs professionnels, élaborent des critiques et formulent des attentes, et s’engagent dans l’action. Les régimes de perception renvoient en ce sens à un plan dialogique (de mise en dialogue de la pollution) qui s’ordonne autour de deux axes structurants : celui de l’expertise citoyenne et celui de l’action. Ils nous renseignent sur la spécificité de l’expertise citoyenne et de l’action, mais aussi sur leurs modes d’articulation : L’expertise citoyenne mobilise des savoirs expérientiels différenciés. Des savoirs expérientiels critiques qui visent à remettre en question la capacité des savoirs professionnels et de l’action publique à protéger les populations (catastrophisme critique) ou à l’inverse qui participent à générer du scepticisme vis-à-vis des études sanitaires et de la réalité des risques de santé environnementale (scepticisme attentif) ; et des savoirs expérientiels pratiques ou liés à un univers de pratiques (jardiner, protéger ses enfants, se balader, cueillir, etc.) qui ordonnent et façonnent en retour les savoirs (actionnisme pratique). L’originalité de ces formes d’expertises est qu’elles se saisissent d’indices de la pollution de façon différenciée, pour énoncer en d’autres termes des réalités sensiblement différentes. En effet, si les indices s’avèrent parfois similaires, leur interprétation s’oppose selon les régimes . Par exemple, les décès et les maladies peuvent apporter la preuve, dans l’activisme critique, de l’urgence sanitaire ; être fortement relativisés dans leur capacité à dire les risques de santé, dans le scepticisme attentif ; ou, être relativement absents des indices mobilisés pour authentifier la situation vécue, dans l’actionnisme pratique. Par ailleurs, les expertises citoyennes, dans les trois régimes, s’articulent de façon différente avec les expertises scientifiques et techniques (ou expertises institutionnelles). Là où dans le catastrophisme critique, l’expertise citoyenne entre en collision avec les expertises institutionnelles et tend à leur remise en cause, dans les deux autres régimes, c’est quasiment l’inverse qui s’observe. Dans le scepticisme attentif l’expertise citoyenne est en attente de plus de connaissances sur l’impact ou le non-impact des pollutions sur la santé environnementale des populations, dans l’actionnisme pratique les expertises institutionnelles devraient, selon les attentes, accompagner les pratiques adaptatives éprouvées par les habitant·es afin d’en valider-renforcer l’efficacité.

  • L’action est alors fondamentalement conséquentialiste. Un pas de côté dans l’analyse des régimes nous permet de saisir pleinement la conséquence de l’expertise citoyenne – au regard de sa capacité à produire un niveau d’interprétation de la réalité vécue de la pollution et de ses risques – sur les modes d’action dans lesquels les habitant·es s’engagent. Que fait-on face à ce que l’on sait ou à ce que l’on croit ? L’action, dans les trois régimes de perception, s’avère in fine réparatrice. Mais cette recherche de réparation prend des trajectoires différentes. Dans le régime de perception du catastrophisme critique, l’action réparatrice s’alimente d’une quête de responsabilité et de judiciarisation face aux préjudices vécus. Dans le régime de perception du scepticisme attentif, l’urgence de la situation n’est pas avérée, la prise en charge par les pouvoirs publics des problèmes de pollution et, en contre-point, la montée en puissance des polémiques portées par les mobilisations associatives locales, génèrent un scepticisme et une action réparatrice de mise en attente : une attente de recherches et d’études, scientifiques ou techniques, qui permettraient de stabiliser la nature réelle des risques notamment sanitaires. Dans l’actionnisme pratique l’action de réparation est performative au sens où l’énonciation de la réparation s’accompagne de pratiques adaptatives permettant de la réaliser. C’est dans l’adaptation des pratiques au contexte de la pollution que la réparation s’opère.

Ces tensions entre régimes rendent compte d’une perception des risques de santé environnementale non stabilisée et non partagée, d’autant plus que dans leurs récits, les habitant·es ne sont pas attaché·es à un seul régime. S’il est alors difficile de quantifier la part de chaque régime dans les récits de la pollution (approche qualitative par entretiens), il nous semble cependant que, de façon tendancielle, le scepticisme attentif et l’actionnisme pratique sont des régimes de perception dans lesquels les habitant·es puisent le plus d’arguments. Ces régimes ne renvoient pas à des catégories d’habitant·es, ils ont pour caractéristique de s’hybrider. Nous avons ainsi souhaité interroger, plus en détail, les régimes de perception au regard d’une pratique symptomatique, celle du jardinage. L’idée était de saisir, les raisons multivariées qui pourraient rendre compte soit d’une décision d’arrêt de la pratique du jardinage, ou à l’inverse de poursuite de cette même activité (avec ou sans modification de pratique).

Sur la base du questionnaire d’enquête (N=604), huit variables explicatives permettant de questionner ce choix ont été sélectionnées : elles portent sur les liens entre les pollutions liées à l’ancienne activité minière et la santé, et plus généralement sur la santé perçue des habitant·es enquêté·es. Nous avons par ailleurs sélectionné un ensemble de six variables descriptives permettant de décrire si « les choix de jardinage et leurs justifications », pouvaient être éclairés par des caractéristiques sociales des habitant·es liées à l’âge, à l’âge d’arrivée dans la commune, à l’ancienneté de résidence, au genre, à la présence-absence d’enfants mineur·es au sein du ménage, ou à la localisation géographique du répondant (zone de résidence)[Figure 1].

Figure 1 Variables d’analyse des pratiques de jardinage

(Zone de résidence 1) Concernant la liste des communes par zones se reporter au détail des zones.


L’analyse multivariée s’est appuyée sur une analyse factorielle des correspondances (AFC). Elle a été réalisée à partir du Logiciel SPAD® et selon une méthode de traitement et d’interprétation des données proposée par Busca et Toutain (Busca et Toutain, 2009[1]). Seules les variables significatives, sur le plan statistique, apparaissent dans le graphique (ou plan factoriel P1-2[2]) [Figure 2]. Le graphique oppose sur l’axe horizontal des abscisses deux profils (Profils 1 et 3, en jaune clair et plus foncé, dans le graphique), et de la même façon deux profils s’opposent sur l’axe vertical des ordonnées (Profils 2 et 4, en bleu et gris, dans le graphique). Les oppositions identifiées par l’AFC permettent de mieux saisir les couplages entre « les choix de jardinage et leurs justifications » et de rendre visibles des hybridations entre régimes de perception des risques de santé environnementale, quand on applique cette lecture à la seule pratique du jardinage.

Figure 2 De la perception des risques de santé environnementale aux pratiques de jardinage

Soyons attentifs aux caractéristiques de ces profils, à ce qui les oppose ou les relie. Que nous apprennent ces profils ? Profil 1- C’est par le prisme du genre, de l’âge et du parcours de vie que le rapport à la santé, lié aux pollutions minières, se décline ici dans la sphère familiale. En effet, le profil des habitant·es qui expriment un trouble sur l’impact potentiel des pollutions sur leur santé ou celle d’un proche – et qui interrogent le corps médical ou s’informent plus généralement sur le sujet – sont de façon descriptive des femmes âgées de moins de 41 ans avec des enfants mineur·es  au sein du foyer. Elles ont pu naitre sur le territoire ou y être arrivées au moment d’un parcours de vie marqué par la mise en couple et l’arrivée d’enfants au sein du ménage. Le trouble est, semble-t-il, érigé en risque à cette occasion – comme le résultat d’une dynamique liant perception du risque et parcours de vie –. Il est aussi étroitement lié à l’action. Il conduit les habitantes (et pour partie, celles résidant dans la zone 2 du territoire d’enquête) à modifier, et parfois à interrompre, leurs pratiques de jardinage afin de se protéger des risques liés à la consommation des produits du jardin, face notamment à des incertitudes liées à la nature des risques de santé. Ce profil appelle à une analyse genrée d’une relation – entre trajectoire familiale (mise en couple et arrivée des enfants) et perception des pollutions environnementales sur le territoire où l’on vit – travaillée par la médiation de pratiques de consommation alors jugées potentiellement à risque pour la santé.

Le profil 1 mêle ainsi les troubles éprouvés par les catastrophistes-critiques quand les habitant·es consultent pour avoir un avis médical ou stoppent leur pratique de jardinage, des attentes en termes d’élucidation des liens entre les pollutions environnementales et la santé (la leur et celle de leurs enfants) propres au scepticisme attentif, mais aussi parfois, par souci de précaution, des modifications de leur pratique du jardinage afin de contrôler-maitriser le risque, ce qui relève d’une caractéristique propre à l’actionnisme pratique. Le profil 1 s’oppose, sur l’axe horizontal (abscisses), au Profil 3. Profil 3- Dans le profil 3, les habitant·es à l’inverse rejettent fondamentalement la possibilité que des problèmes de pollution puissent avoir un quelconque impact sur leur santé. Ils·elles se disent, ni leurs proches, concerné·es par un problème de santé lié aux pollutions minières. Ils·elles n’éprouvent pas, ni leur proche, le besoin de consulter un médecin concernant les risques de santé environnementale liés aux pollutions des anciennes activités minières. Ils·elles se disent par ailleurs informé·es sur l’impact sanitaire des pollutions et ne cherchent pas, en ce sens, plus d’information. Le diagnostic ainsi posé – ou l’absence de doute sur les risques de santé – fait que les habitant·es n’éprouvent pas le besoin de modifier leurs pratiques de jardinage. De façon descriptive, il semble que ce profil regroupe pour une plus grande part des hommes plus âgés, arrivés (ou revenus) sur le territoire de la vallée à un âge avancé, peut être au moment de la retraite, et résidant pour partie en zone 3. Cela pourrait certainement expliquer qu’ils se sentent suffisamment informés de la situation des pollutions – ayant peut-être vécus, eux et leur famille, dans la vallée depuis leur plus jeune âge –, et qu’ils estiment que les risques de santé environnementale sont faibles du fait de leur localisation dans des communes sur le territoire plus excentrées des anciens territoires miniers. Le profil 3 mêle à la fois des traits caractéristiques du scepticisme attentif, notamment au regard du scepticisme lié aux risques de santé environnementale, mais aussi de l’actionnisme pratique et ce, dans un sens inédit – puisqu’ici les modifications de pratique ne s’imposent pas, les pratiques actuelles de jardinage n’exposeraient pas à des risques –. Il peut donc s’agir d’habitant·es qui soit ont déjà adapté leurs pratiques de jardinage et considèrent qu’en l’état ces modifications suffisent (scepticisme pratique), soit émettent des doutes sur le diagnostic environnemental et sanitaire, en d’autres termes sur la pollution des milieux et/ou la capacité de cette pollution à contaminer les produits du jardin ou à imprégner les corps, là où ils·elles habitent (scepticisme revendiqué). Nous n’avons pas rencontré d’habitant·es strictement associés au profil du scepticisme revendiqué. Cela est certainement lié au fait que ces habitant·es éprouvent peu le besoin d’échanger sur leur expérience de la pollution considérant certainement qu’elle n’est pas réellement problématique ou, qu’à l’inverse, les fortes polémiques ont découragé de prendre part au débat.

De façon plus générale, l’analyse factorielle montre une opposition sur l’axe horizontal (abscisses) entre des habitants essentiellement sceptiques (proches du régime du scepticisme attentif mais qui s’en détachent du fait d’une position tranchée de rejet des risques de santé environnementale ; ou proches de l’actionnisme pratique mais moins soucieux de voir leurs adaptations confortées par l’expertise professionnelle) (profil 3, P3) ; et des habitantes attentives (sans pour autant être sceptiques) qui peuvent être parfois critiques – quand elles s’inquiètent des risques de santé environnementale, pour elles et leurs enfants, et arrêtent parfois le jardinage –, mais aussi (actionnistes) pratiques du fait qu’elles peuvent continuer à jardiner en adaptant leurs pratiques (sans pour autant que cela suffise à atténuer leurs interrogations sur les risques sanitaires) (profil 1, P1).

De façon synthétique [Figure 3], l’axe horizontal oppose un scepticisme revendiqué ou pratique à un attentisme pratique ou critique (ce qui souligne bel et bien un phénomène d’hybridation des régimes de perception).

Figure 3 Hybridation des régimes de perception des risques de santé environnemental (axe horizontal)

Plus précisément, les oppositions sur l’axe horizontal (abscisses), entre les profils 1 et 3, montrent que l’attentisme se détache du scepticisme quand on interroge les pratiques de jardinage. L’attentisme (pratique ou critique – P1) s’avère alors étroitement relié aux profils 2 et 4 qui apparaissent comme une déclinaison du rapport aux risques de santé[3], l’axe vertical (ordonnées) autour duquel les profils 2 et 4 se structurent renvoyant, plus spécifiquement, aux liens différenciés entre la santé perçue et les risques environnementaux qui peuvent ou non y être associés, en d’autres termes entre santé perçue et facteurs environnementaux de la maladie (que ceux-ci soient jugés comme établis ou suspectés par les habitant·es). Quand l’attentisme bascule plus encore dans la critique (P1 à P4), voire dans le catastrophisme critique, les pollutions dues à l’ancienne activité minière sont directement associées à la dégradation de l’état de santé des habitant·es : des troubles pouvant apparaître sur les liens, non établis mais probables, entre la maladie des proches et leur exposition à un environnement pollué. Les liens généraux entre pollutions de l’ancienne activité minière et problèmes de santé sont alors jugés comme certains, même si les habitant·es n’établissent pas nécessairement (ou du moins, pas encore) de liens directs de causalité pour elles-mêmes ou eux-mêmes. On retrouve cet effet de basculement dans le profil 4 où les habitant·es jugent que leur santé perçue se dégrade dans le temps (« pire à bien pire » sur les cinq dernières années). Et c’est bien l’évolution de l’état de santé qui génère la critique, voire un basculement dans le catastrophisme critique : le fait de ne pas jardiner, d’avoir arrêté sa pratique du jardinage ou de la modifier (toutes ces possibilités apparaissent dans le profil 4) ne permettant de résoudre ni le trouble lié à la dégradation de son état de santé, ni celui lié à la suspicion des liens de causalité entre la survenue des problèmes de santé et les pollutions environnementales. De façon descriptive, il s’agit plutôt d’hommes (particularité commune avec le profil 3 des sceptiques) âgés de 42 à 54 ans (plus jeunes que dans le profil 3) dont l’âge d’arrivée et la durée de résidence dans leur commune apparaissent plus diversifiés : il peut s’agir d’hommes arrivés récemment (à l’âge de 41 à 55 ans) ou résidant dans leur commune depuis 11 à 20 ans. Ils semblent habiter en zone 2 du territoire d’enquête (particularité commune avec le profil 1). Le profil 2 donne à voir, quant à lui, une autre dimension du lien entre problèmes de santé et facteurs environnementaux : un glissement (P1 à P2) de la critique vers plus de réflexivité. On retrouve dans le profil 2, des habitant·es déclarant que leur état de santé est « mauvais à très mauvais », même si pour certain·es d’entre elles·eux, il semble s’être amélioré durant les cinq dernières années. De façon descriptive, ce sont plutôt des femmes plus âgées certainement nées sur le territoire de la vallée. Elles déclarent avoir un problème de santé lié aux pollutions des anciennes activités minières, et que l’un de leurs proches peut rencontrer le même problème. Elles, ou leur proche, ont eu l’occasion de consulter un médecin à ce sujet. Cependant, elles ne sont pas catégoriques sur le fait que les pollutions minières puissent être associées à l’apparition de problème de santé (« peut-être »). Si cette réalité est jugée « vraie », pour elles ou un proche, elle ne semble pas être si facilement généralisable, à toutes et tous, au regard certainement de la difficulté à établir le diagnostic médical des maladies et de ses facteurs environnementaux, ou peut-être aussi du fait de connaître dans son environnement de vie d’autres femmes plus âgées en bonne santé (attentisme réflexif).

Figure 4 Scepticisme et attentisme – Variations liées aux problèmes de santé suspectés ou jugés avérés

Les profils 2 et 4 montrent in fine [Figure 4] le rôle que peuvent avoir la santé et la maladie que cette dernière soit suspectée (Profil 4), ou déclarée-jugée certaine par les habitant·es (Profil 2) : le risque de santé à venir semblant accentuer l’urgence de la situation vécue et favoriser l’expression d’un régime de perception des risques de santé environnementale orientée vers le catastrophisme critique (Profil 4) ; le risque déclaré de santé jugé certain semblant générer de la réflexivité relative au rôle des facteurs environnementaux dans la survenue des problèmes de santé et une demande d’élucidation des risques sanitaires plus proche de l’attentisme (Profil 2). 

L’idée selon laquelle le catastrophisme critique serait la seule forme d’expression des risques de santé environnementale ne semble pas ainsi renvoyer à une réalité d’analyse. Si le catastrophisme critique est le seul régime apparaissant (visible dans son entièreté) dans l’AFC, cela est certainement dû à sa plus grande difficulté à s’hybrider : le catastrophisme critique étant animé par des positions critiques fortes et une demande sans compromis de recherche de responsabilité et de réparation. Au-delà du catastrophisme critique, la présence de deux autres régimes de perception des risques et leurs formes diversifiées d’hybridation montrent l’importance à accorder aux attentes d’élucidation des risques sanitaires (études de santé) et d’accompagnement des pratiques adaptatives-adoptées (études environnementales) afin à la fois que les plus sceptiques (sceptiques revendiqués) ne se désintéressent pas (ou plus encore) des risques de santé environnementale mais aussi que les autres profils d’habitant·es puissent être accompagné·es dans leur choix d’adaptation et leur travail de réflexivité. Les attentes d’élucidation des risques et d’accompagnement des pratiques (propres au scepticisme attentif et à l’actionnisme pratique), leur formulation dans ce rapport de recherche, invitent l’ensemble des parties-prenantes (services de l’État, élus, associations, communautés de pratique, citoyens ordinaires, etc.) à s’engager dans un mode de gouvernance des problèmes publics plus ouvert à la diversité des points de vue, un mode de gouvernance permettant une prise en charge plus collective des pollutions (hybridation des expertises et des espaces d’action) en lien avec les attentes exprimées d’élucidation des risques de santé mais aussi d’accompagnement des changements de pratique.

Dans la suite du rapport de recherche, dans une partie connexe intitulée « Focus », nous avons souhaité centrer notre attention sur deux interrogations soulevées par l’analyse :

  • Si les problèmes de santé et la maladie sont des indices des risques de santé environnementale qu’en est-il des signes qui permettent aux habitant·es de « dire » les risques environnementaux d’exposition aux pollutions de l’ancienne activité minière ? Les relations interspécifiques entre les humains et non-humains (les entités naturelles végétales et animales), les objets et les supports de ces relations, et les pratiques qui donnent l’occasion à ces relations d’exister, apparaissent, de façon transversale, dans chacun des régimes de perception des risques. Une attention particulière sera donc apportée aux liens entretenus entre les habitant·es et la nature, ces liens étant appréhendés comme autant de médiations entre elles·eux et la pollution (Focus n°1).
  • Comment la dimension « pratique » de l’activité de jardinage – en d’autres termes l’action conduisant à expérimenter des alternatives à ses pratiques afin de circonscrire les risques d’exposition – s’exprime-t-elle alors qu’elle est commune à deux profils qui semblent s’opposer, celui du scepticisme pratique (P3) et celui de l’attentisme pratique (P1) ? (Focus n°2)

[1] Busca, D. et S. Toutain, 2009, Analyse factorielle simple en sociologie. Méthodes d’interprétation et études de cas, Coll. Ouvertures sociologiques, Eds. De Boeck Supérieur.

[2] L’AFC est stable (89,69 % de taux d’inertie sur le plan factoriel P1-2, concentrée principalement sur l’axe 1).

[3] Les profils 2 et 4 viennent compléter les deux principaux profils (1 et 2) de la perception des risques de santé environnementale. Ces deux profils ont des traits propres mais aussi des caractéristiques qui les lient principalement au profil 1 (et au profil 2 de façon marginale) par des variables explicatives ou descriptives communes. Ces caractéristiques communes sont visibles dans le graphique, il s’agit des variables ayant un dégradé de deux couleurs du fait de leurs liens à deux des profils, et non pas à un seul : 1 un dégradé bleu et jaune foncé pour les variables liées aux profils 1 et 4 ; 2 gris et jaune foncé pour celles liées aux profils 1 et 2 ; et enfin 3 jaune clair et bleu pour celles liées aux profils 3 et 4. Les valeurs 1 à 3 sont indiquées dans le graphique afin de mieux identifier ces variables ou caractéristiques communes [Figure 2].