La difficile authentification des impacts des pollutions d’après-mine sur la santé
Des résultats d’imprégnation non explicatifs des risques de maladies ou de décès
Dans le régime du scepticisme attentif, les tests d’imprégnation de l’homme ou de contamination des animaux et des végétaux aux pollutions ne sont pas jugés explicatifs des liens linéaires entre exposition et problèmes de santé. Les résultats d’imprégnation, même s’ils sont élevés ou dépassent les seuils fixés en matière de santé sur une mesure réalisée, sont souvent relativisés. Par exemple, Andrea estime qu’elle ne peut pas évaluer les risques de toxicité associés aux « taux d’arsenic élevés » retrouvés chez des enfants de la vallée de l’Orbiel lors d’une étude de santé menée par l’ARS après les inondations d’octobre 2018. Elle renvoie aux incertitudes scientifiques, relatées par son médecin, concernant le seuil d’arsenic au-dessus duquel un risque de santé est avéré.
« Alors je sais qu’il y a beaucoup plus de réunions depuis 2018. Moi je n’y ai pas assisté mais j’ai vu dans la presse. Il y a eu plus de réunions. L’ARS a été plus présente, il me semble. Je crois qu’il y a des échantillonnages de faits chez des enfants parce que je crois qu’à un moment il y avait des taux d’arsenic, chez des enfants, un peu plus élevés. Mon médecin m’en avait parlé. Sauf qu’il y avait des enfants qui avaient des taux d’arsenic élevés, mais il m’expliquait qu’on n’a pas actuellement, dans les études, on ne sait pas ce qu’est un taux d’arsenic normal dans le sang. On ne peut pas dire qu’un taux est élevé du moment où on ne sait pas trop quel est le taux toléré. Il m’avait dit que c’était compliqué. »
Andrea
Thierry et Corinne ont, quant à eux, fait tester la concentration en arsenic dans les urines de leurs deux enfants, dans le cadre de cette même campagne menée par l’ARS[1]. Ils se fient à l’avis rassurant, délivré par leur médecin généraliste : les taux d’arsenic retrouvés dans les urines de leurs enfants ne seraient pas alarmants. Ils ont eu connaissance d’un « seuil de 10 »[2] (même s’ils ont une incertitude sur l’unité de mesure) : un taux qui serait peu pertinent pour la population spécifique des enfants (ce taux pouvant varier en fonction de l’âge des jeunes enfants) et qui permettrait alors difficilement de juger de la toxicité de l’arsenic (quand bien même les taux d’imprégnation dépasseraient ce seuil)[3].
« [Corinne] Et donc on n’a jamais trop su, on a fait des tests puisqu’on a fait des prises, des tests urinaires sur les enfants, on nous a demandé de faire un test urinaire pour vérifier le taux d’As qui était pour nous bon, pour les deux. Mais après voilà, on ne sait pas… La pollution… […] [Thierry] Je ne sais pas si tous les élèves ont été testés, je sais qu’on a testé les deux enfants, et nous personnellement, elles étaient en dessous de la norme. […] [Corinne] Oui, c’est l’ARS qui avait financé parce que c’était financé, on n’avait pas eu à payer quoi que ce soit, c’était totalement pris en charge par l’ARS, c’est à l’initiative de l’ARS. […] [Corinne] Nous personnellement on a été rassuré par les analyses du coup… […] [Thierry] Après y a des enfants avec des parents qui étaient remontés parce que les enfants avaient un taux… [Corinne] Oui c’est vrai, mais après on nous a dit qu’il ne fallait pas dépasser le seuil de 10, 10 mg je sais plus quoi… Ensuite on nous a dit que chez les enfants il pouvait y avoir des seuils plus élevés sans que ça soit forcément mauvais pour la santé. Mais on ne sait pas trop parce qu’il n’y a jamais eu vraiment de recherche là-dessus sur les taux d’As chez l’enfant. C’est très spécifique, et y a vraiment jamais eu trop de recherches et de données là-dessus. Donc bon, on n’a jamais trop su exactement, on s’est fié au seuil de 10, on s’est dit à 10, voilà… […] [Thierry] Notre médecin généraliste, et il a dit qu’il n’y avait rien d’alarmant… Et que le corps, même nous, possédait déjà de l’As à des taux très faibles… Pour lui ce n’était pas alarmant… […] Oui, oui, quand on a fait les analyses, avant qu’on fasse les analyses on était un petit peu bon… Mais c’est vrai que les analyses nous ont rassurés. On s’est dit « bon voilà ». Là c’est vrai qu’on devient un petit peu individualiste mais on se dit « Nos enfants ils n’ont rien » voilà, c’est… […] [Corinne] Ouais mais bon… Ce seuil, soi-disant, ce seuil de 10mg, enfin 10… je crois que c’était des mg par je ne sais pas quoi, qui ne devait pas être dépassé, soi-disant, sinon c’était anormal… Sauf que voilà ! Est-ce que vraiment ce taux il est réellement inquiétant au-delà de 10… […] [Thierry] Est-ce que c’est la vérité aussi ? Parce qu’après les gens dépassaient 10, on vous dit « C’est normal, parce que nanani, nanana, y avait l’âge de l’enfant qu’il fallait prendre en compte, y a ça aussi… » C’est ça qui est compliqué… »
Thierry et Corinne
Nael, quant à lui,est père d’une fille de 17 ans au moment de l’entretien, scolarisée dans la vallée de l’Orbiel jusqu’en 2016. Il ne se dit pas préoccupé, au jour le jour, par les effets sanitaires des pollutions de l’ancienne activité minière[4] – même si la réalité des pollutions demeure un des « inconvénients majeurs » à vivre sur le territoire de la vallée (incertitudes liées aux incidences de santé de l’exposition aux polluants) –. Il désapprouve, surtout, la réalisation ponctuelle de tests d’imprégnation des enfants scolarisés dans la vallée, notamment à la suite des inondations de 2018. Non seulement il ne sait pas ce que cette imprégnation ponctuelle suggère en termes d’effets sanitaires, et elle ne dit rien non plus de l’exposition chronique des enfants et de son évolution dans le temps[5].
« Inconvénient majeur, être sujet ou pas à cette fameuse pollution et quelles en seront les conséquences plus tard ? Est ce qu’il y a plus de cancers ou pas ? Ca je ne pourrai pas vous le dire. Est ce qu’il y en aura plus ou pas, on ne sait pas. Donc voilà. […] De temps en temps on y pense, mais pas plus. Tant qu’on a des projets et qu’on avance, on ne se pose pas trop de questions. Pas quotidiennement, loin de là. Peut-être qu’il faudrait. […] Quand on se retrouve entre amis et qu’on en parle ou qu’un nouvel article parait dans la presse locale, ou quand on se retrouve avec des chercheurs ou chercheuses [comme vous]. Mais bon, on va en parler aujourd’hui mais demain et après-demain on n’en parlera pas. […] Oui ce que je trouve anormal, c’est qu’ils ont fait uniquement les prélèvements pour les gosses qui étaient là, sur l’année de l’inondation. Et ils auraient pu faire des prélèvements sur des gosses qui étaient là depuis le début. Ils auraient pu remonter quelques temps avant pour voir s’il y avait une différence ou pas. Ma fille c’était 2 ans avant les inondations donc elle n’a jamais été testée ; ni elle, ni les gosses de sa génération. […] [Je pense] Qu’une fois de plus, ils se foutent de nous. Parce que là ils vont les comparer à quoi les données qu’ils vont recueillir ? J’en connait des enfants testés et qui ont des taux importants. Mais les taux, comme je ne sais pas à quoi ils les comparent, je ne sais pas trop ce que ça veut dire. [E : ça, vous en discutez avec les autres parents ?] Non, je ne suis pas trop dans cette dynamique-là. Et si j’ai quelque chose à dire au maire, je vais le voir et je lui dis. [E : Et les adultes vous voudriez qu’ils soient testés aussi ? Quelles seraient vos attentes en termes d’analyses ?] Qu’ils les généralisent sur une ou deux générations différentes pour pouvoir faire des comparaisons : savoir si c’était plus avant, ou moins… Pour avoir un élément de référence. Alors que là, la référence je ne sais pas par rapport à quoi… Parce que des vallées de l’Orbiel, il n’y a pas 50 : il n’y en a qu’une. Une mine d’or en France, il n’y en a qu’une. [E : Vous pensez qu’il faut comparer ?] Oui, par rapport aux facteurs de la vallée. Pas comparé à d’autres choses qui n’existent pas. Tester sur une ou deux générations, ça aurait pu être bien. Mais bon je ne suis pas scientifique. »
Nael
Si les résultats des tests d’imprégnation sont interrogés, c’est aussi au regard des insuffisances perçues du protocole de ces études de santé et de leur interprétation. Patrick s’interroge sur le sens à accorder aux résultats d’imprégnation à l’arsenic et sur les « fantasmes » (pour reprendre ses termes) qu’ils font naître chez les parents, puisque notamment les niveaux de créatinine n’auraient pas été considérés. Nadine se questionne, quant à elle, sur l’absence de comparaisons possibles avec une population témoin qui ne serait pas soumise à la pression environnementale de la vallée de l’Orbiel afin de prendre la mesure des analyses réalisées sur les enfants de la vallée. Jean-Philippe et Nadine discutent des variations de concentration de l’arsenic dans les corps au sein d’une même famille (parents et enfants) alors même que le lieu d’habitation et les habitudes alimentaires sont jugés uniformes. A l’aune de ces variations, la portée de ces résultats serait, pour certain·es habitant·es, à relativiser : « […] quoi en dire, à ce stade… Pas grand-chose », nous raconte Nadine. Marie se questionne au sujet des taux d’arsenic retrouvés dans les corps d’enfants de la vallée habitant sur les hauteurs d’un village. La connaissance même de leur imprégnation ouvre la possibilité d’une contamination plus large du territoire (par l’air et les poussières, selon elle) et réinterroge les perceptions antérieures de cette habitante des risques d’exposition corrélés jusque-là aux risques d’inondation. Thierry est également dérouté d’apprendre que les taux les plus élevés retrouvés chez les enfants concernent ceux qui habitent les hauteurs du village, laissant planer un doute quant aux risques d’exposition aux métaux lourds dans la vallée. Jacynthe estime par ailleurs que mesurer l’imprégnation ne suffit pas, il faut également savoir différencier ce qui relève d’une exposition aux pollutions d’après-mine, de potentielles expositions par les modes de vie et de travail (alimentation, exposition professionnelle, pollutions de l’air par les automobiles).
« Le taux d’As, qui dépend du taux de créatinine… Les taux d’As urinaires ne sont pas les mêmes chez l’enfant et chez l’adulte et y a une grosse polémique sur les enfants de Conques. Y a des médecins d’ailleurs qui ont dit « c’est n’importe quoi, il faut le pondérer avec la créatinine » ça a été impossible de savoir. […] Moi je veux bien comprendre qu’il n’y ait pas suffisamment d’études pour statuer sur quelque chose. Le problème c’est que […] les actions qu’on va mener dépendent d’un certain nombre d’études et de savoir quelle est la réalité de la chose en fait. […] ce flou, d’un point de vue informatif, il génère forcément… C’est la porte ouverte a des fantasmes, des peurs qu’on peut trouver légitime. »
Patrick
« Sauf qu’on ne doit pas en tester beaucoup des enfants hors contexte de pollution donc c’est vrai que le référentiel… »
Nadine
« On a quand même l’impression que ça augmente le risque de pollution par le risque d’inondation et que les deux sont vraiment liés. Même si, effectivement, toutes les données concernant la pollution aérienne qui, là, ne serait pas forcément liée aux inondations… ça reste une donnée un peu incertaine étant donné les taux qui ont été trouvés chez les enfants, apparemment, ce n’était pas des enfants qui habitaient à côté de l’Orbiel et qui habitaient plutôt en hauteur… Donc ça veut dire, comment la pollution elle agit vraiment ? »
Marie
« Je ne sais pas si tous les élèves ont été testés, je sais qu’on a testé les deux enfants, et nous personnellement, elles étaient en dessous de la norme. Par contre, après a priori, il y avait d’autres enfants qui étaient au-dessus et puis qui explosaient… Alors bon, c’est pour ça qu’on avait du mal à comprendre, parce que… Les gens n’habitaient pas spécialement en bas du village, y en a qui habitaient un peu en haut… »
Thierry
« [Jean Philippe] on parlait aussi des imprégnations des résultats sur les gens, et il n’y a pas un seul profil… [Nadine] Oui la mère et le fils n’ont pas du tout le même [taux]… alors qu’ils mangent la même chose depuis plusieurs années. [Jean-Philippe] Donc quoi en dire, à ce stade… Pas grand-chose”. »
Jean-Philippe et Nadine
« J’ai pensé [lors de la campagne d’analyse des métaux lourds dans les cheveux] que c’était une très bonne initiative de les faire, que tout le monde a le droit de savoir à quoi il est exposé. Après, ça ne suffit pas. Il faut savoir identifier les causes de l’exposition. Est-ce que c’est notre alimentation, nos habitudes de vie ? Après tout on peut très bien rouler au diesel et s’intoxiquer tous les jours ? Est-ce que c’est notre travail qui nous intoxique aussi ? C’est possible. Ou est-ce que c’est simplement le fait de vivre sur un lieu ? Il faut donc investiguer. »
Jacynthe
Pour Jean, s’il est encore possible qu’aujourd’hui les habitant·es, et notamment les enfants, soient exposé·es aux pollutions d’après-mine par les poussières, ce ne serait qu’à faible dose. Il estime que les enfants imprégnés de la vallée ne craignent pas d’impact sanitaire sérieux, malgré la visibilité récurrente de cet argument dans l’espace médiatique local, participant à exagérer les risques plutôt qu’à dire leur réalité
« Et aujourd’hui je pense que c’est de voir les débordements de polluants sur Conques ; et la poussière par exemple [pour] des enfants. La poussière est partout. Donc les gamins sur la cour d’école, ils ont aussi ramené de la poussière dans les classes et tout ça, et les taux de métaux de cyanure et d’arsenic étaient assez élevés, mais je ne sais pas dans quelle mesure ni jusqu’à quelle mesure c’était très dangereux pour les enfants. Je pense que c’était assez mineur mais dès qu’on touche aux enfants, il y a tout un « branque belin » médiatique qui se met en route. […] Bon ils n’ont rien les enfants hein. Ils s’en remettront. Il n’y a pas des taux importants. »
Jean
Par analogie avec la contamination des poissons à l’arsenic, Jean-Philippe estime d’ailleurs que les résultats d’analyses d’imprégnation ne permettent ni de prédire ni de quantifier les risques de santé qui y seraient liés. Ils permettraient seulement de poser le constat de la présence de polluants dans les corps ou les milieux à un moment T, et d’amorcer des recommandations sanitaires (ne pas pratiquer la pêche dans le cas de la contamination des poissons). Le recours aux analogies avec le monde animal est régulier pour appréhender la toxicité de l’arsenic. L’interrogation sur le sens sanitaire à accorder à l’imprégnation est alors jugée paradoxale au regard de la présence de truites, pourtant sensibles aux métaux lourds, dans les cours d’eau de la vallée.
« Les prélèvements sur les poissons avaient généré les interdictions de pêche. Mais ça a été compliqué parce qu’il n’y a pas vraiment de taux officiels. Il y a des recommandations. Et de la même manière, sur les enfants qui ont été prélevés, le problème c’est qu’on n’a pas les … On ne connaît pas le niveau toxique. C’est-à-dire qu’on connait le niveau moyen d’imprégnation, et qui est beaucoup plus faible chez les enfants. Or ici en l’occurrence, c’est au-dessus. […] Il y a un niveau d’imprégnation en tous cas qui est moyen avec des dépassements mais sans pouvoir quantifier finalement les effets sur la santé c’est … C’est juste qu’on constate un dépassement. […] est ce que c’est anormal ? est-ce que ça va déclencher ou quoi… des effets sur la santé ? Donc en fait la problématique est extrêmement compliquée sans qu’on ait les réponses. […] Sans qu’on ait forcément les réponses enfin en tous cas, ça ne peut pas se résumer à normal/pas normal. Après on peut avoir des discours très simplistes un peu comme sur le vaccin c’est… Je trouve que c’est… »
Jean-Philippe
L’absence d’une diminution de la population piscicole ou d’une surmortalité liée à une exposition diffuse aux métaux lourds participe-invite Nadine à mettre à distance les effets sanitaires d’une exposition aux métaux lourds pour les animaux mais certainement aussi pour l’homme. La truite a ici un statut d’espèce-sentinelle des pollutions mais aussi des risques de santé humaine à laquelle on se réfère pour évaluer les risques encourus.
« [Jean-Philippe] Oui, oui. […] j’ai participé aux réunions de la préfecture et notamment sur les prélèvements qui avaient été fait sur les poissons, alors poissons et potagers moins parce que c’était plutôt le service [inaudible] qui était concerné. Donc 99 et il y avait aussi, à l’époque, par le service vétérinaire des campagnes de prélèvement sur les poissons qui avaient été conduites et donc j’avais toute l’histoire. Et donc effectivement c’est à ce titre là que j’avais participé notamment aux CLI et à d’autres réunions avec d’autres éléments d’informations. Mais qui se voulaient rassurants parce que notamment côté BRGM, alors je connais un peu le responsable là mais surtout aussi … côté DREAL. Alors maintenant il est à la retraite, mais le … La personne qui était là depuis 30 ou 40 ans se voulait très rassurante, sur le fait que l’arsenic était largement présent aussi avant, de façon naturelle, et que finalement les taux qui étaient constatés étaient pas plus importants qu’ailleurs, notamment pour traiter dans les granges pour les trucs comme ça. Donc euh… voilà, ça se voulait plutôt rassurant… après à tort ou à raison… [Nadine] Après c’est vrai qu’on a toujours pris comme une bonne nature d’avoir des truites quoi. Parce qu’on nous dit que c’est une espèce sensible. »
Jean-Philippe et Nadine
Les parents enquêtés s’inquiètent, pour près de la moitié d’entre eux (46,6%), des risques d’imprégnation de leurs enfants mineur·es. Mais, 29,2% des habitant·es seulement – affirmant ne pas avoir observé de changements de la faune dans la vallée (augmentations des cas d’animaux morts ou malformés, diminution des populations animales…) – pense que, de façon générale, il y a un risque d’imprégnation de leurs enfants aux métaux lourds et notamment à l’arsenic, contre 46,6% toute population confondue (soit -17,4 points d’écart). Les deux variables sont dépendantes au sens du khi-deux de Pearson [15,86 ; ddl=6 ; p=0,015]. [Graphique 7 ; Tableau croisé 8] Cette dépendance montre que les entités naturelles peuvent être appréciées, par les habitant·es, comme des indices de la pollution, et en l’absence d’observation troublante, comme une prise pour minimiser les risques de santé.
Avez-vous observé des changements de la faune naturelle ? |
Jean-Philippe mentionne, des résultats d’études (menées à la fin des années 90 par les services vétérinaires, nous dit-il) de suivi des taux de contamination des poissons sur la vallée. Il en a eu connaissance lors de sa participation à différentes réunions (où la préfecture, le BRGM et l’ADEME étaient représentés) dans le cadre de son métier (vétérinaire). Si ces résultats d’études indiquent, selon lui, que les poissons sont contaminés, il relativise cette contamination du fait de la stabilité des taux de métaux lourds dans les poissons dans le temps (sur plusieurs dizaines d’années), du fait de la présence naturelle de ces polluants sur le territoire et de l’absence – a priori – de surcontamination des poissons de la vallée en comparaison à d’autres territoires ; des arguments rassurants issus d’un échange avec la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement).
Les études d’imprégnation génèrent finalement un ensemble d’énigmes (de nouvelles questions) à propos du lien causal entre contamination des milieux-exposition/imprégnation et problèmes de santé. Si les études ne permettent parfois de ne pas tout éclairer, pour autant les habitant·es, dans le régime du scepticisme attentif, sont plus troublé·es par l’incapacité de l’expertise à dire les problèmes que par la possibilité que des risques de santé environnementale soient encourus. A cet égard, 59,3% des habitant·es déclarant ne pas savoir s’ils·elles sont rassuré·es ou non par la mise en place d’études environnementales et/ou de santé sur la vallée, estime possible mais incertain que les pollutions liées à l’ancienne activité minière puissent être associées à l’apparition de problèmes de santé, contre 38,7% toute population confondue (+20,6 points). Les deux variables sont dépendantes au sens du khi-deux de Pearson [13,74 ; ddl=4 ; p=0,008] [Graphique 8; Tableau croisé 9]. Ainsi la difficulté des études environnementales et sanitaires à circonscrire les risques peut renforcer le doute des habitant·es sur les liens entre pollutions minières et problèmes de santé.
Un rapport rassurant vis-à-vis des études environnementales et/ou de santé ? |
Les habitant·es soulignent en ce sens les incertitudes marquées concernant la tangibilité des problèmes de santé environnementale, actuels ou à venir, dans la vallée. Les habitant·es demeurent également sceptiques sur les études d’imprégnation. Ils·elles restent ainsi attentif·ves à la fois à la robustesse des protocoles d’étude et aux les risques qu’ils permettraient ou pas d’énoncer. Ils·elles s’en saisissent également pour requestionner leur évaluation des risques liés aux modes de transfert des polluants et de contamination des populations. En se saisissant des études de santé (qu’elles soient menées par les pouvoirs publics ou les associations) et en les « critiquant » (en les discutant), ils fabriquent une expertise citoyenne sur la capacité de l’expertise scientifique ou publique (celle issue des organismes de gestion et des organismes d’expertise, en santé et en environnement) à énoncer la réalité des situations qu’ils vivent.
[1] Thierry et Corinne ne sont pas isolés. 14,4% des habitant·es interrogé·es dans le cadre de l’enquête par questionnaire déclarent avoir fait tester leurs enfants [Tableau 7].
[2] Sans qu’ils ne le précisent, cela semble concordant aux seuils (d’imprégnation) préconisés notamment par la Haute Autorité de Santé (HAS) : La HAS, dans son rapport de recommandation de bonne pratiques intitulé « Dépistage, prise en charge et suivi des personnes potentiellement surexposées à l’arsenic inorganique du fait de leur lieu de résidence », en date de février 2020 estime qu’ « Il est recommandé de retenir 10 µg/g de créatinine comme valeur de la somme des concentrations urinaires de l’arsenic inorganique, de l’acide monométhylarsonique (MMA) et de l’acide diméthylarsinique (DMA) (ΣAsi-MMA-DMA), au-delà de laquelle l’exposition à l’arsenic inorganique doit être considérée comme excessive, après vérification du respect de l’éviction des produits de la mer, pendant les 3 jours précédant le prélèvement (grade B). Chez les enfants de moins de 12 ans, la surexposition est caractérisée par le double dépassement du seuil de 10 µg/g de créatinine et de son équivalent en µg/L, soit 11 µg/L. »
[3] Si l’on met en perspective le récit de ce couple avec la documentation recueillie dans le cadre de l’enquête PRIOR, le débat sur le seuil de toxicité de l’arsenic renvoie à une controverse, ayant animé la vallée de l’Orbiel durant l’été 2019, au sujet du bienfondé de l’utilisation du seuil de 10mg/l pour les enfants : notamment, au regard des réactions de certains médecins sur l’inadaptabilité de ce seuil, non seulement à traduire une intoxication et aussi à exprimer les risques sanitaires pour la population spécifique des enfants. Source : La dépêche du Midi Aude, « 10mg, un seuil « erroné » pour les enfants ? » du 3 septembre 2019.
[4] Les questionnements de Nael demeurent dans un background, activés occasionnellement dans son quotidien de vie par des discussions entre amis, des articles de presse ou encore par la venue de chercheurs (comme la venue de chercheurs du programme PRIOR et la discussion en situation d’entretien).
[5] Nael vit par ailleurs un sentiment d’injustice : sa fille n’a pas été inclue dans la campagne de test de l’imprégnation après les crues d’octobre 2018, n’y étant plus scolarisée depuis 2 ans au moment des inondations.
Des risques de santé désincarnés : de l’absence de preuve matérielle des risques de santé
Les risques de santé ont besoin d’être incarnés pour exister. Dans le régime du catastrophisme critique, les risques de santé trouvent leur incarnation dans les maladies et décès, observés par exemple chez des proches ou des voisins, qui rendent les impacts sanitaires d’une exposition-imprégnation presque évidents. Au contraire, ici dans le régime du scepticisme attentif, l’incertitude est de mise : les risques de santé semblent peu concrets, peu matériels, et empreints de doutes. L’accumulation des phénomènes de différente nature – la poly-exposition, les controverses entre médecins sur l’observation professionnelle de cancers dans la vallée, l’absence de décès ou de maladies observables ou encore l’insuffisance des études-données sur les impacts sanitaires des pollutions d’après-mine – rend finalement difficile de juger de la réalité de la situation sanitaire et des liens causaux entre exposition et maladies/décès. Nombre d’habitant·es soulignent ainsi qu’ils·elles n’ont pas observé ou senti les effets des pollutions d’après-mine sur la santé, tenant ainsi à distance les craintes pour leur propre santé[1]. Léon explique qu’il ne « se sent pas plus malade qu’ailleurs » et qu’il n’observe pas de maladies cancéreuses sur le territoire : rien d’anormal, donc. Selon lui, de nouveaux·elles habitant·es estiment éprouver physiquement les pollutions du territoire – notamment une gêne à la respiration attribuée à la présence d’arsenic dans l’air – mais Léon ne semble pas y attribuer de crédit et juge ces propos exagérés, certainement parce que le territoire est stigmatisé dans les médias (notamment sur internet). Léon estime qu’à l’heure actuelle, rien ne lui indique que les risques de santé soient bien là.
Léo est vigneron dans la vallée. Il mobilise son expérience professionnelle et familiale de l’exposition aux métaux lourds, ainsi que la figure des mineurs globalement en bonne santé, pour énoncer ses incertitudes sur la réalité des impacts des pollutions d’après-mine sur la santé. Il estime être exposé dans le cadre de sa profession de vigneron et plus particulièrement de ses pratiques de culture : ses précautions à l’égard des pulvérisations de produits phytosanitaires à base d’arsenic (port de gants, utilisation d’un lance main pour la pulvérisation, réduction des doses pulvérisées sur les vignes) ne lui semblent pas suffisantes pour exclure son imprégnation, ceci-dit il ne semble pas en percevoir les effets. Les pathologies que pourraient suggérer une imprégnation à l’arsenic sont incertaines. Léo se demande si cela pourrait se rapprocher du saturnisme, une pathologie caractéristique de l’exposition au plomb, sans pour autant pouvoir répondre à cette question. Et pour cause, il n’a jamais observé de pathologies liées à l’exposition chronique à l’arsenic : pas de pathologie « marquée » dans sa famille de vignerons, ayant pourtant utilisé de façon « répétée » des produits phyto sanitaires à base d’arsenic, sur 2 ou 3 générations. Pas non plus de « soucis de santé réels », apparus « de façon massive », chez les anciens mineurs qu’il connait et qui ont travaillé à la mine sur des périodes plus ou moins longues et sont aujourd’hui âgés d’une soixantaine d’années. Sans preuve observée ou sentie des risques de santé, les inquiétudes sont mises à distance.
« Je ne suis pas spécialement inquiété, parce qu’on ne se sent pas plus malade qu’ailleurs. […] Je ne vois pas de cancer spécialement, comme des cancers de la peau. Ici, il y a des gens des nouveaux qui arrivent, qui nous disent « oui, on voit le truc ». Il y en a une qui est venue, deux mois elle est restée : elle est partie, parce qu’elle n’arrivait pas à respirer. Elle a dit « ici, on ne peut pas respirer, on ne respire que l’arsenic ». On dit des choses quand même un peu graves. […] Elle disait quelque chose qu’elle avait lu. Le problème, c’est que quand on tape Salsigne sur internet, c’est la pollution qui sort. »
Léon
« Bah au niveau de la santé si vous voulez, moi j’ai eu passé de l’arsenic sans masque. Je vais vous dire je faisais gaffe. A la lance-main, avec les gants. Et je vais vous dire, ça m’arrive encore de faire des choses à la lance-main avec des produits phytopharmaceutiques sans mettre de masque. Je le fais deux fois dans l’année mais au début on met des doses qui sont moindre mais parce que justement j’arrive à diminuer réellement la dose parce que je passe de la dose homologuée à 30% la dose recommandée, par 2 fois. Alors que j’ai beaucoup de collègues qui vont passer les deux fois après avec des gros outils, le tracteur fermé, par contre, la camionnette et tout ça mais deux fois la dose donc eux ils vont passer en 2 lorsque moi j’aurais utilisé 0,6. Euh donc… La santé par rapport à la mine quelque chose qui… moi j’ai toujours considéré qu’ici, autant si on faisait une prise de sang j’en aurais [de l’arsenic] mais est-ce que ça serait alors du fait que j’en ai passé sur les vignes, parce que ça reste. La question l’arsenic c’est un problème d’accumulation ça je le sais. L’arsenic quand on l’ingurgite on ne le ressort pas, le corps ne le retraite pas. […] Les problèmes de santé liés à l’arsenic… C’est une bonne question […] d’un point de vue de pathologie, je vais vous dire, je ne saurais que dire. Enfin bref, je ne sais pas si ça peut se rapprocher par exemple du saturnisme lorsqu’on a des canalisations en plomb, je ne saurais pas dire comment ça peut se manifester quoi. […] Sincèrement vous voyez, étant donné ce qu’on a utilisé dans les vignes, les grands-parents en ont utilisé, des dérivés d’arsenic du moins, des produits à base d’arsenic de façon répétée. Sur nos générations à nous, enfin, sur 2/3 générations quoi là, les dernières qui sont arrivées avant que l’on arrête quoi, on n’a pas entendu dire qu’il y en a un qui avait eu trois pieds ou… Non mais pas de chose marquée quoi. […] Ensuite je ne connais pas suffisamment de monde sur Conques pour savoir s’il y a des antécédents aussi ou pas sur les 100 ans d’exploitation. Je n’ai pas entendu de façon massive… Je connais des personnes qui ont travaillé à la mine, j’ai [un membre de la famille] qui a travaillé à la mine, qui est à la retraite maintenant […]. Je connais deux personnes de Villeneuve qui ont pris leur retraite, de la mine… Enfin qui ont pris leur retraite… Non je connais une personne qui a travaillé puis ensuite elle a monté son entreprise de BTP. Deux autres personnes qui ont dû arrêter depuis qu’elle a fermé. C’est des gens qui ont la petite soixantaine aujourd’hui, avec a priori pas de… Enfin moi je n’ai pas entendu parler personnellement de soucis de santé réel dû à ça. »
Léo
Au-delà des preuves que les corps (et que l’absence de maladie ou de décès) fournissent, certain·es habitant·es interrogent les connaissances scientifiques ou expertes en santé environnementale. Ici encore, les connaissances ne permettraient pas, pour certain·es habitant·es, d’attester d’un impact des pollutions aux métaux lourds sur la santé [Encadré 36]. Gladys estime qu’en absence de « preuves » ou d’« études » établissant des liens entre pollution du territoire à l’arsenic et maladies, elle ne peut pas trancher sur les risques de santé environnementale à habiter ce territoire d’après-mine. Marie souligne aussi l’insuffisance des données-études, ici sur les liens entre poly-exposition (à différents métaux lourds) et problèmes de santé, alors même qu’elle estime avoir des relais privilégiés pour questionner ce lien de causalité (des « copains scientifiques » nous dit-elle). Les scientifiques et experts n’auraient finalement pas plus d’éléments à apporter, pour dire les problèmes auxquels les habitant·es pourraient être confronté·es, ce qui semble pour certain·es déplacer les risques de santé environnementale dans un espace de calcul-mesure peu appréhendable.
« J’ai vu des photos de la mine. Il y avait une grande cheminée, je ne sais pas si c’est vrai, c’est ce qu’on m’a raconté, mais en tout cas tout ça, ça a du amener quand même de la pollution. Après la maladie ça n’a jamais été prouvé, ou étudié même. […] ça doit avoir un impact qui n’a pas du tout été étudié. […] Moi je pense qu’il doit il y avoir un impact mais ça n’a jamais été étudié. Après, quel impact ? Je ne sais pas. […] Je ne sais pas ce que ça peut faire l’arsenic. »
Gladys
« Après par rapport à la pollution ce que j’ai en tête aussi de manière répétée c’est quand même le fait que j’ai l’impression qu’il y a peu de données ou d’études qui portent aussi sur l’aspect cumulatif de la pollution aux différents métaux lourds. On parle de l’As, mais y a pas que l’As manifestement. Et là où y a peu de données. Même si on va interroger, on a des copains scientifiques qui peuvent nous aider à avoir des informations etc. et en fait on ne sait pas trop justement quel peut être l’impact de ces cumuls de pollution aux différents métaux et quel peut être l’impact sur la santé etc. Les effets cocktails… »
Marie
Cette difficulté à définir un espace de calcul-mesure des risques est également mentionnée par le corps médical. Patrick, médecin cardiologue, [Encadré 37] estime qu’il est impossible d’établir un lien entre une exposition chronique aux métaux lourds et une sur-représentation de cancers dans la vallée, sur la base de son expérience professionnelle et celle de ses collègues médecins. Au cours de son activité professionnelle, il n’a pas constaté plus de cancers dans la vallée que sur d’autres territoires dans lesquels il a exercé. Pour autant, il estime que cela ne lui permet pas « d’avoir une certitude » (selon ses propres termes) sur l’absence d’effets sanitaires. Quand bien même les pollutions généreraient des cancers, Patrick estime qu’ils sont quasiment indétectables puisqu’ils concernent un nombre réduit de personne. Ne tirant pas de conclusions de ses observations professionnelles, il tente de trouver des réponses auprès de ses amis et confrères médecins. Selon Patrick, certains médecins auraient la certitude qu’il y a d’ores et déjà une surmortalité par cancer et d’autres estiment le contraire. La question demeure difficile pour Patrick, alors même qu’il dit avoir la chance de pouvoir questionner directement des collègues-médecins. Il est d’autant plus complexe de rattacher exposition aux pollutions d’après-mine et cancer, que certain·es habitant·es établissent que les maladies cancéreuses ne sont pas spécifiques à la vallée de l’Orbiel mais bien un problème généralisé de santé.
« C’est hyper difficile. Moi ce que je trouve très difficile, c’est que j’ai la chance d’avoir des interlocuteurs médecins dans le coin, mais ils disent une chose et son contraire. J’ai des confrères médecins qui sont persuadés qu’il y a une surmortalité par cancers dans la vallée de l’Orbiel et d’autres qui sont persuadés du contraire. Moi, en tant que médecin, je ne constate pas une explosion du taux de cancers dans la vallée de l’Orbiel par rapport à d’autres endroits de l’Aude ou d’autres zones de mon expérience professionnelle. Mais comme je sais très bien que statistiquement les enjeux dont on parle c’est quelques milliers d’habitants soumis à une pollution chronique, ça va faire 1, 2, 3, 10 cancers de plus. Tout le monde ne va pas mourir d’un cancer, c’est évident que ce n’est pas comme ça. Je sais très bien que ça sera difficile d’avoir une certitude.”
Patrick
Pour Paola [Encadré 38], le cancer serait un problème de santé environnementale répandu, touchant finalement « tout le monde », dans la vallée de l’Orbiel, comme ailleurs. Alors, trouver des cancers dans la vallée, ne pourrait être interprété comme un signe spécifique des impacts sanitaires des pollutions liées aux anciennes activités minières. Paola souligne également que des anciens ayant toujours habité la vallée sont toujours en vie aujourd’hui, faisant appel au vieillissement des habitant·es de la vallée comme un élément de relativisation des risques perçus de santé environnementale.
« Ça ne m’inquiète pas. Tous les gens qui sont là depuis longtemps et qui y sont nés, sont toujours vivants. Bon ben évidemment, il y a plein de gens évidemment qui ont plus de 50 ans qui ont des cancers. Mais il y a plein de gens qui ont des cancers qui habitent dans des endroits où il n’y a pas de pollutions. Et puis ou qui ont je ne sais quoi, comme tout le monde. Après, ils sont tous toujours là donc euh… Ça ne m’inquiète pas plus que ça. Ben non. »
Paola
Le récit de Paola se retrouve à de nombreuses reprises dans les argumentaires du scepticisme attentif. Nombre d’habitant·es mobilisent l’argument du vieillissement et de l’âge avancé de celles et ceux qui habitent la vallée pour dire la relativité perçue des risques de santé liés aux pollutions d’après-mine [Encadré 39]. Pour renforcer cette relativité perçue, Séverine, Francis, Thierry et Jordy mobilisent tous la présence de personnes âgées habitant le territoire. Séverine fait appel à la figure de l’ancien, cet·cette habitant·e à l’ancrage résidentiel long et décédé·e à un âge avancé (97 ans pour sa mère), qui a toujours consommé les aliments autoproduits au jardin. Le vieillissement est perçu comme la cause des décès, éloignant les craintes pour les risques de santé environnementale liés aux métaux lourds. Francis mobilise également cette figure de la personne âgée en bonne santé, malgré les pratiques de jardinage et de consommation des produits du jardin, comme un élément rassurant. Cet argument est renforcé par les routines de la vie quotidienne et leur insertion dans le temps long : malgré quelques précautions vis-à-vis de ses petits-enfants, Francis concède ne pas pouvoir les éloigner de manière certaine d’une exposition éventuelle à la pollution, le quotidien ne pouvant pas faire continuellement l’objet de contrôle. L’argument du vieillissement des personnes consommant pourtant des aliments cultivés dans la vallée a une signification dans la figure du scepticisme attentif. Le seul vieillissement des habitant·es, quelles que soient leurs pratiques de consommation, a aussi un poids dans les logiques argumentatives de relativisation des impacts de santé environnementale dans la vallée. Pour Thierry, la présence de nombreuses personnes âgées, en outre en bon état de santé (absence de cancer, bonnes facultés motrices), est par nature rassurante ; qu’ils·elles aient toujours vécu ici ou soient revenu·es habiter la vallée à l’âge de la retraite. Jordy érige ces habitant·es âgé·es en un élément de preuve d’une absence d’impact des pollutions d’après-mine sur l’espérance de vie des habitant·es du bassin minier de la vallée de l’Orbiel, mobilisant de façon complémentaire le défaut d’ « enquête » établissant des liens entre pollutions d’après-mine et décès prématurés. Non seulement les habitant·es ne parviennent pas à établir la réalité des impacts de santé environnementale dans la vallée – leur tangibilité restant à prouver –, mais leur observation dans la vallée de personnes âgées – parfois en bonne santé, ayant toujours consommé les légumes du jardin – semblent administrer la preuve d’un faible impact des pollutions d’après-mine sur la santé des riverain·es. Cet impact est jugé d’autant plus relatif qu’il serait circonscrit à des modalités spécifiques d’exposition, à des formes d’arsenic particulières ou encore au métabolisme et à la génétique de chacun.
« Je l’ai dit, il y a le pour et le contre, mais moi je suis contre la pollution. Parce que je vous dis quand ma mère a 97 ans, s’il y avait eu la pollution, je crois que … et il y en a beaucoup de personnes âgées. Mais l’année 2020 il y en a beaucoup qui sont décédées mais à cet âge-là c’était … ce n’était pas la pollution. »
Séverine
« Je ne suis pas inquiet pour mes petits-enfants. Je vous le dis, quand ils viennent, ils jouent au jardin après quand ils rentrent, tout le monde se lave les mains, c’est sûr qu’on ne va pas y faire laver les mains toutes les 5 minutes quand ils cherchent dans la terre, même s’ils sont un peu plus grands maintenant quand même ! je vais vous dire, c’est encore un truc tout à fait personnel, s’il est démontré que tel enfant ou tel enfant… aller voir [cet habitant], 85 ans, il fait toujours du vélo, il fait tout. Il a toujours été [dans cette commune], il a toujours traficoté la terre, il a un jardin magnifique ! Et combien de personnes dans son genre [dans cette commune]ont été élevées [dans cette commune], ont tapoté la terre [de cette commune], ont bu l’eau [d’une petite source de la commune], et puis… Et puis ils sont toujours là ! […] »
Francis
« Après ce qui me rassure aussi, c’est que je vais à la messe régulièrement et je vois qu’il y a encore des personnes âgées, beaucoup, et j’me dis que si y en a encore autant qui habitent souvent à Conques, soit à Villemoustaussou, soit à Villegailhenc, soit à Mas donc voilà ! Si maintenant y en avait plus j’me poserais des questions, mais là y en a encore pas mal ! Et puis des gens qui ont vécu, qui ont grandi ici, qui ont quitté la vallée, qui ont travaillé et qui sont revenus passer la retraite parce qu’ils ont récupéré la maison familiale et tout. Et voilà quoi… […] t’as quand même une petite mamie qu’on connait qui a 83 ans… […] Qui avait son potager là-bas, son mari à l’époque et pi voilà et ce n’est pas pour ça qu’il est mort d’un cancer ! Elle, elle a 83 ans, elle a encore ses deux yeux, elle marche, voilà ! »
Thierry
« Moi je vous dis des gens de Salsigne qui ont 90 ans et qui ont tout le temps vécu à proximité, apparemment ça ne les a pas empêchés de vivre vieux, vous voyez ? Je ne pense pas qu’il y ait une enquête qui dise qu’à Salsigne les gens meurent à 65 ans plutôt qu’à 80. Vous voyez ce que je veux dire ? Donc voilà, pour moi le problème existe, il y est, c’est sûr. Il ne faut pas faire n’importe quoi c’est sûr. Maintenant, est ce qu’il y a matière à vraiment être inquiet plus que ça ? Je ne sais pas. »
Jordy
[1] 89,6% des habitant·es interrogés dans le cadre de l’enquête par questionnaire estime que leur état de santé est bon ou très bon. [Tableau 8]
Des risques de santé circonscrits…
Les risques de santé sont parfois circonscrits à des modalités d’exposition particulières. Ainsi, la référence aux risques professionnels, à des modes de vie jugés à risque ou encore à l’exposition variable selon le lieu de résidence participe à la mise à distance des risques de santé : les habitant·es de la vallée ne seraient pas alors égaux vis-à-vis de l’exposition aux pollutions d’après-mine, rendant indéniablement variables les effets sur la santé qui y sont liés.
…À des modalités d’exposition spécifiques
L’exposition accrue dans le cadre professionnel du travail à la mine
Dans l’argumentation du scepticisme, les risques de santé sont généralement circonscrits à une surexposition professionnelle[1] – conditions de travail non adaptées, postes à risques élevés d’exposition, etc. – et détachables ainsi de risques de santé environnementale pour la population générale. Les anciens mineurs sont alors qualifiés comme une population à l’espérance de vie réduite et en mauvaise santé du fait de la survenue de cancers, comme nous le raconte Geneviève au sujet de son grand-père.
« Mais à l’usine mon grand-père [travaillait]. Mon grand-père paternel qui est décédé – alors de ce qu’on m’a dit, parce qu’il est décédé j’avais 1 an, en 68 – d’un cancer de la gorge. Voilà par rapport à l’usine… »
Geneviève
Pierre rappelle que cette population masculine n’a généralement pas « dépassé les 60-80 ans », argument indéniable de problèmes de santé avérés, sans pour autant que des certitudes causales soient définitivement établies.
« Ce n’est peut-être pas lié à la pollution, c’est ceux qui travaillaient au fond, même ceux qui travaillaient autour de l’usine, qui ne sont jamais descendus au fond, y a des exceptions, certains qui ont vieilli, mais malheureusement, y en a pas beaucoup qui ont dépassé les 70 voire 80 ans. Par rapport après à la population générale où l’espérance de vie quand même, au Mas, ceux qui ont travaillé à la mine, l’espérance de vie, eux, elle était beaucoup plus réduite, c’est indéniable. Conditions de travail, pollution ou pas, je ne sais pas, je ne suis pas assez fin pour le déterminer, mais y a quelque chose qui se jouait là, c’est certain »
Pierre
Robin souligne que nombre d’entre eux sont « décédés jeunes » avant même de pouvoir prendre leur retraite. Les mineurs toujours en santé auraient toujours une épée de Damoclès au-dessus de la tête : les maladies cancéreuses pouvant se déclarer jusqu’à « 20 ou 30 ans après » l’exposition, selon les termes de Robin. En cause : les conditions de travail. Pour Robin et Suzanne, l’inhalation répétée de poussières aurait généré nombre de silicoses, qualifiées par Robin de « maladie du mineur ». Pour Suzanne, le travail à l’usine est identifié comme la cause du décès de son grand-père. D’ailleurs, nombre d’habitant·es nous racontent des décès de membres de la famille, anciens ouvriers, du fait des expositions professionnelles : le père de Robin mort de la silicose à 68 ans, l’ex beau-père de Suzanne de la même cause à une cinquantaine d’années, … Parfois, les risques de santé sur certains postes de travail sont énoncés comme considérablement plus élevés.
« Je n’en ai connu des mineurs avec des problèmes de santé, mais il y en a beaucoup qui sont morts aussi. Le premier, c’est mon père qui est mort de ça. Il travaillait à la mine, oui. Il était mineur de fond et à 69 ans, il est mort de la silicose. La maladie du mineur, c’est la silicose, c’est les poussières. Les poussières, ça vous fout le poumon… ça s’appelle la silicose, les poussières, les poussières. Il n’y a pas eu que mon père qui a eu ça. Tous ceux qui sont décédés jeunes, ils n’ont même pas pris la retraite, ils n’ont même pas fait, comment dire, ils n’ont pas touché même le trimestre de la retraite. Ils ont pris la retraite et trois mois après, ils étaient morts. […] Moi, disons que j’ai la chance de ne pas avoir travaillé dans l’arsenic, ceux qui faisaient les bidons, là. Le laboratoire [où j’ai travaillé], on me l’a proposé, mais après, l’arsenic, ce n’était pas pour moi. […] Ceux qui travaillaient dans l’arsenic, il ne fallait pas passer derrière eux à la douche, comme on dit. […] Ils allaient à la douche, mais ceux qui passaient derrière eux, ils chopaient des boutons. Ça m’est arrivé une fois de passer après une personne comme ça et d’avoir des boutons aussi, comme eux. […] Aujourd’hui il y a des risques de cancer, peut-être. Ça peut arriver. Des fois, 20 ou 30 ans après, on peut le choper le truc de la mine. C’est lié à ce qu’on a fait à Salsigne, au travail qu’on a fait. Oui, c’est lié au travail. […] Ce n’est pas obligatoire que ce soit dans un mois, ou dans un an, ça peut être dans 10 ans. […] »
Robin
« Je pense qu’il y a beaucoup de gens anciens qui sont morts de la silicose parce que la poussière, oui dans les mines ils respiraient ça pendant des heures et des heures. C’était la même maladie que pour le charbon, tout ça. […] Oui c’est la silice, c’est comme le sable et après je ne sais pas, ça fait du mal aux poumons. Moi j’ai mon ex-beau-père qui est mort de la silicose, assez âgé. Je crois que [quand] sa silicose s’était déclarée, il avait une 50aine d’années. Et ouais mais bon c’est des gens qui travaillaient… »
Suzanne
Robin a travaillé au laboratoire de la Combe du Saut et s’estime chanceux de ne pas avoir été au poste du remplissage de bidons d’arsenic, comme certains de ses collègues l’ont été. Il nous raconte que les ouvriers à ce poste étaient si fortement exposés à l’arsenic qu’il ne fallait pas prendre la douche après eux dans les locaux de la mine, au risque d’avoir des boutons sur le corps sur la seule base des résidus d’arsenic laissés après la douche. L’exposition professionnelle des mineurs, dans le cadre de leurs conditions de travail, auraient même fait grimper le taux de cancer dans les communes de la vallée et jusqu’à Carcassonne (des enquêtes épidémiologiques en apporteraient la preuve, selon Robin). Son récit semble faire référence aux études de surmortalité par cancer menées en 1998, 2001 et 2007 par SpF et l’Inserm[2].
Cette augmentation significative des cancers de la plèvre et des poumons serait rattachée, pour Jean, à l’inhalation de poussières cyanurées et arséniées sur le lieu de travail. Le défaut de vestiaires et de douches dans les locaux de la mine aurait favorisé le transport de poussières polluées du lieu de travail à la maison, contaminant par là-même les familles des mineurs qui auraient développé, elles aussi, des « cancers de type mineur ». La diminution des taux de cancers après la fermeture de l’activité minière attesterait alors de la prévalence de risques sanitaires professionnels, plus que de risques de santé environnementale pour la population générale.
« De ce que j’ai pu suivre, il y avait des cancers de la plèvre, des cancers pulmonaires, qui étaient bien plus importants sur les communes ou les mineurs travaillaient. Donc il y avait beaucoup de mineurs, qui travaillent à Salsigne, à Carcassonne, à Conques ; et le taux de cancers était plus importants. Je sais que la dernière enquête épidémiologique donne un taux de cancer légèrement inférieur sur le bassin de Salsigne maintenant que la mine est fermée. Les mineurs, avec la poussière qu’ils avaient sur eux, ont ramené le cancer chez eux. C’est à dire que leurs femmes aussi ont eu des cancers de type « mineurs » parce qu’ils ramenaient la poussière, les habits poussiéreux. Il faut savoir qu’il n’y avait pas de vestiaires et pas de douches à la mine, ce qui parait quand même assez incroyable. C’est à dire que les mineurs arrivaient avec leurs habits et repartaient avec leurs habits sales. Voilà. […] Le cancer le plus courant étant le cancer de la plèvre pulmonaire, et qui est dû à l’ingestion de poussières arsénisées, cyanurisées, et voilà. Et chez les mineurs, mais aussi chez les familles de mineurs qui ne travaillaient pas à la mine mais voilà. […] A Salsigne […] les mineurs ramenaient les cancers à la maison. »
Jean
Par ailleurs, pour Robin, avoir travaillé à la mine l’a « habitué » aux pollutions et participerait aujourd’hui à mettre à distance, à réduire les risques d’exposition, en tant que simple riverain : ça ne lui fait « ni chaud ni froid ». La fermeture de la mine ayant aussi réduit considérablement les nuisances environnementales : il se remémore les « fumées toxiques » émises par l’usine d’incinération des minerais : odeur nauséabonde ambiante, maladie des chênes verts qui devenaient marrons et brûlaient suite au dépôt du « poison » transporté dans les airs, … Aujourd’hui, les émissions de pollutions lui semblent considérablement moins importantes et il n’en craint donc pas les conséquences sanitaires.
« Non ça ne me préoccupe pas [les pollutions liées aux anciennes activités minières]. Ça ne me fait ni chaud, ni froid. Je suis habitué à la pollution, oui. J’étais dedans, j’ai travaillé là-dedans. Je dirais qu’il y a moins de pollution qu’avant, vu qu’il n’y a plus d’activités à l’usine, aussi. Il n’y a plus de fumée, tout ça. Ça fait du bien, aussi. Il y a moins de pollution, surtout la pollution de l’air. Avant, il rejetait les fumées, les fumées toxiques. Ça fait plus de 15 ans qu’il n’y a plus. Donc, c’est beaucoup mieux. […] quand ils brûlaient les minerais, tout ça, c’était une fumée [de couleur] marron. Ce n’était pas terrible. Ça sentait le poison. Je ne sais pas, moi, comment vous dire, le poison… Un truc pourri, quoi… Une odeur pourrie. […] Depuis que ça a fermé, c’est mieux. Parce que les arbres aussi, ils crevaient aussi. C’est les fumées toxiques qui empoisonnent l’arbre, ça leur donnait la maladie. Il y a plein d’arbres comme ça qui ont crevé, des chênes verts en plus. Oui, autour de l’usine, il y a plein d’arbres qui ont crevé. Le chêne vert, il est vert, comme on dit. Il y avait plein de chênes qui étaient marrons. Disons qu’après, il y a moins d’arbres qui ont crevé, vu qu’il y avait moins de rejets. Ça les brûlait. Ça les brûlait, quoi. C’est des poisons, ça brûle. La pollution, elle y est toujours mais elle est diminuée. »
Robin
Chacun n’associe pas de façon aussi linéaire travail à la mine et exagération des risques de santé (mort prématurée, maladie) [Encadré 42]. Pour Francis, les conditions de travail sont volontiers reconnues comme difficiles, en référence à l’absence d’équipement de protection individuelle, notamment pour certaines tâches professionnelles, à l’image du nettoyage de fours. Ceci dit, les risques de santé pouvaient être sous maîtrise relative par des comportements et des pratiques adaptés : Francis fait référence ici à la consommation de lait qui permettrait de se désintoxiquer. L’association des risques professionnels de santé environnementale à une catégorie de travailleurs (les mineurs) est ainsi un argument souvent adossé à des profils de morbidité étroitement liés au non-respect individuel des “précautions” qui auraient permis à l’époque de se protéger des risques d’intoxication ou, pour Gérard, au suivi médical qui pourrait permettre, par analogie aux problèmes de l’amiante, de surveiller aujourd’hui leur état de santé et la survenue de maladie chez les anciens mineurs.
« Je ne connais pas des mineurs qui sont morts pendant l’exercice de leur profession qui sont morts d’un cancer, je n’en connais pas, mais je dis pas qu’il n’y en ait pas ! J’ai connu énormément de mineurs ici qui ont 80-75 ans… Dans les normes ! et qui ne sont pas morts de cancers, qui sont morts de trucs de cardiaque, de vieillesse etc. On ne nous a jamais dit « ah tiens lui il est mort », y en a eu hein ! Je sais qu’à Salsigne à la mine y avait des anciens qui quand ils ont nettoyé les fours à l’époque, y avait pas de masques chirurgicaux sur le visage, ils nettoyaient les fours, on leur disait qu’il fallait boire du lait, ils en buvaient et puis voilà. […] Quand j’étais gamin, j’avais entendu dire ça, on leur recommandait de boire du lait ! C’était peut-être une bêtise des anciens vis-à-vis des jeunes m’enfin… C’est vrai qu’à Salsigne on a toujours entendu parler que l’usine c’était de la pollution. »
Francis
« Moi en travaillant à la mine de Salau, là-bas c’était l’amiante. Donc depuis que je suis plus en activité, avec la pneumologue que j’ai, tous les trois ans on fait passer des scanners pour voir comment c’est les poumons. Bon. Je n’ai rien. »
Gérard
[1] A contrario, dans le régime du catastrophisme éclairé, les mineurs sont mobilisés à la fois comme preuves des liens directs entre maladies et expositions aux pollutions minières mais aussi comme un emblème des sacrifices de la classe ouvrière au développement économique de la vallée.
[2] « Une étude de mortalité par cancer a été initiée en 1998 en collaboration avec l’Inserm, mise à jour et complétée à 2 reprises en 2001, puis en 2007. L’objectif de cette étude était de vérifier si l’on observait dans la région de Salsigne un éventuel excès de mortalité par cancer. Une comparaison a été faite entre la zone exposée constituée des 20 communes suivies dans l’étude d’imprégnation et une zone témoin de l’Aude, puis par rapport à la France entière pour l’ensemble des cancers et pour différentes localisations tumorales. La première étude qui portait sur la période 1968-1994 a montré en zone exposée un excès de risque de cancers (tout type de cancers) et cancers respiratoires, ainsi qu’un excès de cancers digestifs chez les femmes. En 2001, une nouvelle analyse (publiée en 2005) couvrant la même période a été réalisée, concluant que les excès de cancers observés ne pouvaient pas être expliqués exclusivement par des expositions professionnelles. En 2007, la réactualisation de l’étude pour la période 1995-2003 a permis de constater une diminution de l’excès de mortalité par cancer dans la zone exposée par rapport à la zone témoin pour la mortalité globale tous cancers, pour les cancers du poumon, de la trachée et des bronches, ainsi que pour les cancers digestifs chez la femme. Ainsi, elle ne mettait plus en évidence d’excès de risque, hormis pour les cancers du pharynx en zone exposée mais soulignait l’importance de rester prudent dans l’interprétation des résultats compte-tenu des faibles effectifs concernés. ».
Source : Santé publique France, « DOSSIER PEDAGOGIQUE, Vallée de l’Orbiel : enquêtes de santé publique », septembre 2021.
Les modes de vie et l’accumulation des conduites à risques
Le fait même que le risque de santé environnementale ne puisse être généralisé, pour toutes et tous de façon identique, s’appuie sur des exemples qui dépassent le seul cadre de l’activité professionnelle. La mise en échec d’un risque supposé généralisé de santé, qui serait lié à une exposition environnementale aux métaux lourds, s’accommode de comparaisons entre des personnes ou des communautés – ici une communauté gitane – dont les pratiques sont jugées à risque de cumul des contaminations (via la baignade, la pêche, l’irrigation avec l’eau de rivière…). Pour Thierry et Corinne, le risque semble ainsi circonscrit puisque, plus que le lieu de vie, c’est le mode de vie qui se trouve ici questionné.
« [Thierry] avant qu’on fasse les analyses on était un petit peu bon… Mais c’est vrai que les analyses nous ont rassurés. On s’est dit « bon voilà ». Là c’est vrai qu’on devient un petit peu individualiste mais on se dit « Nos enfants ils n’ont rien » […] [Corinne] Après peut être ça serait intéressant de voir avec… Y a des populations gitanes qui vivent au bord de la rivière à Conques et eux par contre je pense qu’ils ont une tout autre vision des choses : les enfants se baignent dans l’eau de la rivière, ils mangent des légumes qu’ils cultivent, ils pêchent le poisson, ils le mangent… Ils sont pas du tout dans la psychose, bien au contraire ! […] [Thierry] C’est ce que nous disait le médecin traitant, il disait « voilà y a certaines parties de la population qui arrose leur jardin avec l’eau de la rivière, qui mange le poisson, qui se baigne… là c’est sûr que quand y a les trois critères-là qui sont réunis, c’est sûr que l’enfant au niveau de l’As il va exploser ! » j’ai demandé « et nous ? – Vous ne vous vivez pas à côté de la rivière, vous avez pas de légumes, voilà… ». »
Thierry et Corinne
Le mode de vie représente alors un risque mais aussi une prise sur les incidences sanitaires d’une pollution : il serait possible de s’extraire de la contamination, en étant soit même éloigné de pratiques jugées à risque (le jardinage, la proximité des cours d’eau, …) [Encadré 44]. Ben estime qu’il échappe aux risques d’exposition aux pollutions minières étant donné qu’il ne pratique pas la pêche. Il éloigne alors l’inquiétude pour d’éventuels risques de santé, qu’il n’associe pas à sa situation mais à celle d’autres habitant·es.
« Je sais qu’il y a cette usine là-haut, enfin, cette mine… En discutant, on sait. Parce qu’il y a des problèmes, quand on va sur Internet, qu’on ressort ce que j’ai sorti moi-là. [L’enquêté a préparé un petit papier avec des notes sur la situation de la vallée de l’Orbiel] Les inondations amènent l’eau qui vient de là-haut, et l’eau descend, donc qui va venir sur le secteur de Trèbes et tout ça. C’est sûr qu’on se pose des questions. Si ça charrie, c’est que forcément, ça va descendre. Ça ne va pas rester là-haut. Donc, je vois des gens qui pêchent là, au niveau du canal et tout ça. Est-ce que c’est normal ? Est-ce que… Voilà. Après, moi, je ne pêche pas donc à la limite, c’est que je m’en fiche. Mais ça peut être sujet à des questionnements. »
Ben
La pratique, ou l’absence de pratique, de la chasse et de la pêche fait apparaître des liens avec le sentiment d’exposition exprimé par les habitant·es. Ainsi 28,3% des habitant·es déclarant n’avoir jamais pratiqué la chasse ou la pêche dans la vallée de l’Orbiel, s’estiment moins exposé·es à la pollution liée à l’ancienne activité minière, contre 33,1% toute population confondue (-4,8 points). La non-pratique de la chasse ou de la pêche s’apparente alors à un non espace de confrontation aux risques d’exposition : 34,7% des non pratiquant·es disant finalement ne pas savoir si ils·elles sont, ou pas, particulièrement exposé·es à la pollution, contre 30,4% toute population confondue (+4,3 points). Les deux variables sont dépendantes au sens du khi-deux de Pearson [26,06 ; ddl=6 ; p.<0,001]. [Graphique 9 ; Tableau croisé 10].
Pratiquez-vous la chasse ou la pêche ? |
Dans cette même perspective, l’explication comportementale des pathologies échappe par ailleurs au simple rapport que les habitant·es entretiennent à leur environnement de vie pollué puisque les arguments des conduites à risques, ou de leur cumul, telle la consommation de tabac ou d’alcool, peuvent être invoqués comme facteurs d’explication ou d’aggravation du risque sanitaire. Pour Gérard, Patrick ou Thierry, les conséquences d’une exposition à la pollution du territoire de la vallée ne peuvent être appréciées qu’à partir de causes multi-facteurs et donc sur le long terme. Finalement, les conduites à risques viennent, par effet de cumul, brouiller les pistes des facteurs environnementaux. Cet argumentaire construit autour des conduites à risques est d’ailleurs souvent mobilisé au sujet des mineurs. Robin, lui, estime que les cancers ne peuvent pas être attribués aux seules pollutions minières : les conduites à risques comme le tabagisme pouvant tout aussi bien en être la cause.
« J’ai des collègues qui sont morts de l’asbestose, là-bas à Salau. J’avais un copain qui en est mort, mais il fumait comme un pompier en même temps qu’il respirait tout ça donc je veux dire… Lui il a chopé le truc et il en est mort…»
Gérard
« C’est des choses cumulatives, sur le long terme [les effets d’une exposition à la pollution] … Ce n’est pas un effet spectaculaire. Quand on regarde l’histoire des maladies professionnelles c’était ça : comment prouver que les mineurs faisaient plus de cancers du poumon par exemple, pour le prouver il a fallu du temps parce que tout le monde disait au début « Mais non, regardez, ils fument tous, bien sûr c’est le tabac ! » Oui c’est le tabac, mais tabac, plus mineur ça fait encore plus de cancers. Et peut-être un jour on dira que sur le long terme, si on pouvait faire des études vraiment longues avec une grande population, on pourrait dire peut-être y a 0,0 quelque chose de chance en plus d’avoir un cancer de la vessie à 40 ans… C’est dans ces termes là que ça va se poser. Ce n’est pas dans les termes spectaculaires. Tout le monde ne va pas… le problème c’est ça, comme tu dis, c’est super compliqué de dégager une certitude parce que les gens manipulent les choses dans un sens ou dans l’autre potentiellement. »
Patrick
« Oui voilà, lui il a travaillé pendant 20 ans chez Salsigne là-bas maintenant il a un cancer de la gorge et un cancer de je sais plus quoi, mais maintenant il fume, il boit, tout ça… Alors est ce que c’est le tabac est ce que… C’est pareil, c’est ça qui est dur à définir… »
Thierry
« Il y en a qui ont des maladies aussi et qui n’ont jamais travaillé à Salsigne aussi, des gens comme n’importe qui. Pour le cancer, ce n’est pas obligé qu’on ait travaillé à Salsigne. Ça peut venir d’ailleurs, il y en a qui fument. »
Robin
Ici, Patrick nous explique qu’il relativise l’impact des pollutions d’après-mine sur une diminution de son espérance de vie – donc sa crainte de décéder du fait des pollutions aux métaux lourds – au regard de sa pratique tabagique sur le long terme (36 ans) et de son âge. C’est comme si le fait d’avoir eu des conduites à risques choisies, consommation de tabac, éloignait l’inquiétude des risques de santé liés à la pollution aux métaux lourds. Thomas et Jacynthe échangent, lors de l’entretien, sur la possible expositions aux métaux lourds par la consommation de produits du jardin. S’il semble simple pour Jacynthe de tester cette exposition par des tests d’imprégnation des personnes qui consomment et ne consomment pas de légumes du jardin, Thomas rappelle qu’il peut tout aussi bien être imprégné à l’arsenic par ses 40 années de tabagisme ; rappelant qu’il n’est pas si simple d’incriminer les pollutions minières dans l’exposition-imprégnation des corps aux métaux lourds.
« Très clairement il y a une contamination par l’arsenic. Moi ça m’embête un peu l’idée de manger des légumes contaminés par l’As. Je ne pense pas que ça réduirait grandement mon espérance de vie personnelle. J’ai plus de 50 ans, j’ai fumé 36 ans. Je serais un peu malhonnête en disant ça. »
Patrick
« [Jacynthe] toi par exemple, on sait que t’es une personne qui ne mange pas de légumes locaux, tu fais les mêmes mesures chez le monsieur qui le mange tous les jours et tu vois les affections qu’il y a chez lui, chez toi et à une certaine échelle, moi je pense… [Thomas] C’est plus compliqué ! Peut-être que moi j’ai fumé pendant 40 ans donc j’en ai peut-être bouffé de l’arsenic et lui ne l’a pas fait ! »
Jacynthe et Thomas
L’exposition variable selon la localisation de l’habitat
Le lieu d’habitation (la commune et sa localisation dans la vallée) fait aussi varier le sentiment d’être soumis – ou pas – aux risques de santé environnementale (quand bien même ces risques sont jugés réels pour d’autres). Le territoire de la vallée n’est alors pas égal de toutes parts : certains espaces, jugés contaminés, sont perçus comme problématiques d’un point de vue sanitaire, alors que d’autres en paraissent finalement éloignés. Vivre à distance de l’Orbiel, des anciens sites d’exploitation minière et des sites de stockage de déchets miniers – des zones perçues comme largement contaminées – écarte les craintes pour les risques de santé environnementale (exposition, problèmes de santé). L’attention portée à la rivière de l’Orbiel et aux inondations, comme premier facteur de transfert des pollutions des sites miniers vers les milieux naturels, circonscrit la perception des risques de santé (exposition-maladies/décès) aux zones géographiques traversées et/ou inondées par cette rivière. Le simple nom de l’Orbiel peut même s’apparenter à un « gros mot », selon Peter : une rivière polluée, en mauvaise santé environnementale, qui porte les stigmates de la mine (par exemple, une eau rougeâtre qui traduit les pollutions à l’arsenic, nous dit Valérie).
« Le mot Orbiel déjà, pour certains déjà, c’est un gros mot mais… Quand on dit Clamoux, quand on dit Trapel ça va. Mais quand on dit Orbiel tout de suite ça interpelle. »
Peter
« [L’enquêteur montre une photo à l’enquêtée, ici P1*] Ça c’est ferrugineux […] C’est l’arsenic dans l’Orbiel. »
Valérie
Cette rivière peut transférer ses maux aux milieux qu’elle atteint et aux hommes qui les habitent, et en exempter ceux qui n’entrent pas en contact avec elle. A cet égard, 42% des habitant·es résidant dans la zone 1 s’estime particulièrement exposé·es aux pollutions liées à l’ancienne activité minière, contre 33,1% toute population confondue (+8,9 points). Au contraire, 19% des habitant·es résidant dans la zone 4 s’estiment particulièrement exposé·es aux pollutions liées à l’ancienne activité minière, contre 33,1% toute population confondue (-14,1 points). Les deux variables sont dépendantes au sens du khi-deux de Pearson [14,73 ; ddl=6 ; p=0,022]. [Graphique 10; Tableau croisé 11] Si la proximité de l’Orbiel renforce le sentiment d’exposition aux pollutions ressenti par les habitant·es de la vallée, le fait de vivre plus éloigné·es de l’Orbiel tend, à l’inverse, à modérer ce sentiment.
Votre zone de résidence ? |
Maurice, Suzanne, Yassin et Mathéo délimitent drastiquement la pollution aux zones traversées, potentiellement inondées-inondables, par l’Orbiel. Puisqu’ils n’habitent pas ces lieux, ils ne se disent pas inquiets d’une exposition aux métaux lourds.
Dans l’enquête par questionnaire, 50,8% des habitant·es n’ayant pas du tout été touché·es par les inondations de 2018 (ou non concerné·es par cette question) ne s’estiment pas particulièrement exposé·es aux pollutions liées à l’ancienne activité minière, contre 36,4% toute population confondue (+14,4 points). Les deux variables sont dépendantes au sens du khi-deux de Pearson [52,77 ; ddl=6 ; p.<0,000] [Graphique 11 ; Tableau croisé 12] L’absence d’exposition directe aux inondations de l’Orbiel conduit en effet certain·es habitant·es à se considérer à distance des risques d’expositions aux pollutions, et inversement[1].
Avez-vous été touché·es par les inondations de 2018 ? |
Maurice habite ainsi une commune, traversée par l’Orbiel mais pas, selon lui, dans le périmètre de la zone inondable, ce qui fait que son lieu de vie serait plus « sain ». Suzanne habite plus en amont des sites de stockage des déchets miniers (au Nord du territoire d’étude) et elle s’y sent en sécurité, « à l’écart des pollutions ». L’attention accrue, par la forte médiation des pollutions (notamment à Conques-sur-Orbiel), vis-à-vis des communes inondées en aval des zones de stockage des déchets miniers (que l’Orbiel traverse, se chargeant alors en métaux lourds), renforce par effet miroir son sentiment de vivre en sécurité dans une commune située en amont des sites de stockage et éloignée de l’Orbiel. Yassin, quant à lui, habite la vallée du Trapel. Il a été inondé en 2018, mais pas par l’Orbiel. Le relief du bassin versant[2] et plus particulièrement les hauteurs entre les vallées (les versants), formerait selon lui une cloison hermétique et protectrice des eaux de l’Orbiel : pas de risque de pollution dans la vallée du Trapel, nous rappelle Yassin. Les bornes géographiques de la pollution sont si solidement ancrées que Yassin énonce ne s’être jamais questionné sur sa potentielle exposition. Même raisonnement pour Mathéo, pour la vallée de la Clamoux, arguant une « indépendance » hydrique avec la vallée de l’Orbiel. D’autres estiment qu’ils sont protégés des pollutions puisqu’ils habitent des points culminants de la vallée (des zones plus en altitude).
Thierry et Jean estiment être protégés des pollutions puisqu’ils habitent en hauteur : pour Thierry, des hauteurs à distance de l’Orbiel et de Salsigne ; pour Jean, sur les hauteurs de Salsigne à distance du site de Montredon. Si Thierry centre son attention sur la commune de Salsigne, Jean estime que sa commune est stigmatisée comme « polluée » sans fondement et y attache un sentiment d’injustice fort.
« Il n’aurait jamais dû il y avoir cette mine parce que ça a été néfaste. […] ça a été tellement nocif. Ça a fait tellement de dégâts après. […] Toute la pollution. […] Ah pour moi, ça n’est pas un problème, non. Non. Mais ici, le centre du village n’est pas pollué. Ce qui est pollué c’est le lit du fleuve, de la rivière l’Orbiel. Et certains abords. Oui, là où elle a débordé et ben c’est pollué, y a de l’arsenic partout. Après le village ça va encore, c’est sain. »
Maurice
« Nous on est en amont donc à part les vents… S’il y a des pollutions ici c’est par le vent, parce qu’on a deux vents dominants : le marin, et le vent du nord, le Cers. Donc le marin peut éventuellement faire venir des choses de Salsigne, mais c’est dû à l’activité, aux fumées de l’usine par exemple. Mais après en aval, par rapport à toute cette dissolution, cette lixiviation, ce lavage des terres ; ils sont plus à risque par le ruissellement des eaux que nous. Moi il me semble qu’ici on ne risque pas grand-chose. […] Je pense oui qu’ici nous sommes à l’écart des pollutions. Et il me semble que chaque fois qu’on a vu des choses dans les reportages, c’est Conques, parce qu’il y a eu l’Orbiel qui a débordé et tous ces jardins autour. Il y avait l’ancienne école sur les bords de l’Orbiel, tout ce qui se passe c’est l’eau qui pollue, qui est chargée en arsenic. L’eau se déverse sur les terrains et puis voilà. Moi je n’ai pas été touchée par les inondations de 2018. »
Suzanne
« Le problème dont on parle, c’est le problème de l’Orbiel. Ici on a eu des inondations mais ce qui est passé ici, je n’ai jamais pensé qu’il pouvait il y avoir des problèmes de pollutions au niveau d’ici. Enfin peut-être d’autres problèmes mais pas des problèmes comme à Conques, d’arsenic lié à l’exploitation de l’usine. Non ce n’est pas la même vallée, ça ne peut pas remonter ici. Ce n’est pas possible. Ici c’est le Trapel. […] la pollution dont on parle elle ne peut pas venir ici […] Parce que les vallées sont complètement séparées quoi. Par l’écoulement des eaux, les eaux de l’Orbiel ne peuvent pas arriver ici, ce n’est pas possible. »
Yassin
« Nous ici d’un point de vue hydraulique on n’est pas concernés, mais je pense encore une fois à Lastours, Salsigne, Conques et tous les villages en aval, ou à Villalier tout ça. Eux ont été impactés à plusieurs titres quoi, atmosphérique mais aussi environnemental, enfin hydraulique et tout et tout. […] nous ici on n’est pas concernés par l’eau. On a un bassin versant, nous c’est la Clamoux, qui est indépendante de l’Orbiel. Ce sont deux cours d’eau qui sont dans le bassin de la montagne noire, mais qui ont des bassins versants différents. »
Mathéo
« La pollution elle vient pour nous précisément du site de l’ancienne mine de Salsigne. […] Avec les inondations maintenant… Maintenant je dis qu’on est dans les hauteurs, je ne pense pas qu’on soit touché, maintenant acheté à côté de la rivière ou à coté de Salsigne ou par-là, je pense pas que j’achèterais… »
Thierry
« Non, non moi je veux dire que, pour revenir sur le site minier de Salsigne, le puits d’extraction se situe à Villanière, un petit village à la même altitude que Salsigne, […] L’usine est à 6 km à l’Est du village, déjà à une centaine de mètres en contrebas. […] De cette usine en fait il était, du concassage et de l’extraction des minéraux, il y avait des résidus d’arsenic et de cyanure. Ceux-là [les résidus] sont stockés encore un petit peu plus loin, donc dans des montagnes de déchets qui sont maintenant végétalisés. Mais à chaque fois qu’il y a un épisode méditerranéen [d’inondation] qui se concentre sur cette zone – il y en a eu un en 1999 et un autre en 2018 – il y a des ravinements importants qui en découle et qui tombe dans l’Orbiel, qui est à 6 km de Salsigne, qui est à 200m [d’altitude] en contrebas, et cette rivière déborde sur les communes de Conques, de Villemoustaussou, de Trèbes. Voilà. Elle ne débordera jamais sur la commune de Salsigne qui est à 800m d’altitude alors que la mine est à 120. Voilà. […] Tout ce que je sais, c’est que les quelques viticulteurs qui sont à Salsigne, qui font régulièrement analyser leur terrain, n’ont jamais trouvé ni d’arsenic ni de cyanure à Salsigne. Mais les bureaux de la mine étaient à Salsigne, donc de façon quasi administrative, le nom de la mine d’Or c’est La mine d’Or de Salsigne. »
Jean
Ces récits soulignent que la contamination aux métaux lourds du bassin minier n’est pas un fait, selon les habitant·es, aussi facilement généralisable à l’ensemble des communes du territoire : la localisation géographique de sa commune et la localisation de son habitat dans une commune exposée pouvant être mobilisées comme des arguments permettant de repousser les risques de santé environnementale. Dans le scepticisme attentif, les « frontières de la pollution » peuvent être identifiées à l’échelle de zones très limitées (au sein d’une même commune) ou bien plus élargies (une vallée, un bassin versant). La mise en frontière de la pollution montre bien la capacité d’expertise des habitant·es à localiser-authentifier les risques de santé environnementale, en d’autres termes à les qualifier ou à les disqualifier.
[1] 48,1% de ceux et celles pleinement concerné·es par les inondations de 2018 s’estiment particulièrement exposé·es à la pollution (contre 33,1% toute population confondue, soit +15 points d’écart).
[2] A titre informatif, le bassin versant est composé des 3 vallées suivantes : Orbiel, Trapel, Clamoux.
…À des formes spécifiques d’arsenic
Les risques de santé dépendraient aussi de la plus ou moins grande capacité du corps à assimiler certaines formes d’arsenic. Ainsi, quelques habitant·es soulèvent la question de la bioaccessibilité ou de la biodisponibilité[1] de l’arsenic. Gladys estime que la majeure partie de l’arsenic présent dans les sols de son jardin « n’est pas assimilable par l’homme », puisqu’il serait naturel. Par conséquent, si les analyses de ses sols ont révélé des taux d’arsenic élevés, elle ne s’inquiète pas de la consommation des légumes qui y poussent ; un argument renforcé par les propos rassurants de l’expert qui a réalisé les relevés. De plus, Gladys décentre l’attention portée aux pollutions de l’industrie extractive en faisant référence à une couche géologique naturellement chargée en arsenic, dépassant largement le cadre de la vallée de l’Orbiel[2].
Finalement, tout le massif central et le narbonnais seraient concernés, dé-singularisant la situation de la vallée de l’Orbiel et relativisant l’attention à des risques de santé supposés accrus sur le territoire de la vallée. Thomas estime que la bioaccessibilité ou la biodisponibilité d’une substance chimique (ce qui est assimilé par le corps, notamment par voie digestive) varierait non seulement selon le type de polluant, sa forme (spéciation), mais aussi selon sa dérivation (issue de la chauffe du polluant par exemple) ou sa combinaison avec d’autres éléments chimiques (ici, le souffre). Pour ces raisons, Thomas nous dit que « le poison c’est une chose, mais sa biodisponibilité c’en est une autre » : les risques de santé seraient alors plus dépendants de la bioaccessibilité ou biodisponibilité de l’arsenic – qu’il juge moins forte pour l’arsenic naturel – que de la concentration totale ingérée. Les récits de Gladys et Thomas nous apprennent que toutes les formes d’arsenic ne se vaudraient pas du point de vue des risques de santé perçus.
« C’est avec ce couple… Eux aussi ont fait une sérologie et voilà ça s’est recoupé comme ça. Après moi je ne m’en suis pas plus occupée que ça mais je sais que naturellement ici il y en a de l’arsenic. […] Et il dit qu’une grosse part c’est de l’arsenic naturel. Tout comme il y a des endroits qui sont riches en autres choses, et ici c’est l’arsenic. Donc on ne peut pas y faire grand-chose non plus, on ne peut pas enlever 2 km d’épaisseur de sol et puis remettre tout [nouvelle terre]. C’est là naturellement quoi. […] Ben tout ça, ça interpelle mais après on ne sait pas trop comment s’y prendre. Moi après je relativise parce que je sais que c’est naturel, une certaine partie de l’arsenic. […] Ce monsieur a été plutôt rassurant. Il disait que c’était naturel. Donc on ne pouvait pas… Et dans l’arsenic naturel, je crois qu’il y a une partie qui n’est pas assimilable par l’homme. […] Il dit que lui il a été plutôt rassurant donc que l’arsenic c’est naturel, qu’il y en a partout et que tout ce bas du Massif central, il y en a tout le long. Il y en a sauf à Narbonne et autour de Narbonne ou il y en a bien moins. Mais sinon il y en a partout, c’est une langue comme ça de roche. Voilà quoi. Pour lui, il n’y a pas vraiment grand-chose à faire par rapport à l’arsenic en tout cas. »
Gladys
« Je distingue donc l’arsenic d’origine naturel, que je ne considère pas comme une pollution, et celui qui va se sur ajouter si on se limite à l’arsenic parce qu’il a été produit par l’activité humaine. […] Et pour les polluants c’est super complexe parce que trouver la présence d’un polluant c’est une chose, mais comment il va être assimilé ce polluant ? y a une notion qui est… faut voir ce qu’il se passe dans le tube digestif en fait. Certains polluants vont être à tant de % absorbés par une certaine partie du tractus digestif ou d’autres non, et y en a une partie qu’on va éliminer et ça change selon le polluant. Même au sein d’un même polluant ça change. Par exemple, l’arsenic, selon que c’est du trioxyde d’arsenic ou de l’arsenic minéral pur, ce n’est pas pareil. Et c’est même pire, c’est que tu peux avoir une contamination par exemple, tu bouffes un poireau qui a été mal lavé, tu l’as jeté dans la casserole comme ça donc y a de l’arsenic minéral dedans, mais tu le chauffes avec la terre dans la casserole, cet arsenic minéral va se combiner et ça va devenir autre chose. Et puis si y a un peu de souffre ou autre parce que t’as mis du sel ou autre, et bah ça devenir encore un composé différent qui lui va être plus facilement assimilable et plus facilement se répandre dans les cellules. Et là-dessus, mais je suis encore en train d’apprendre, d’ailleurs on est tous en train d’apprendre, on n’a pas fini de découvrir plein de trucs sur ce sujet-là. Le poison c’est une chose, mais sa biodisponibilité s’en est une autre. »
Thomas
[1] L’arsenic bio accessible est celui qui est « susceptible d’être mis en solution dans les fluides digestifs s’il est ingéré » et l’arsenic biodisponible est celui qui est « susceptible d’être absorbé s’il est ingéré » (HAS, 2020).
Source : Haute Autorité de santé, « RECOMMANDATION DE BONNE PRATIQUE (RBP), Dépistage, prise en charge et suivi des personnes potentiellement surexposées à l’arsenic inorganique du fait de leur lieu de résidence. », février 2020.
[2] A cet égard, parmi les habitant·es ne s’estimant pas préoccupé·es par la pollution liée à l’ancienne activité minière, 42,6% répondent que c’est, entre autre, parce que l’arsenic et les autres molécules incriminées ne sont pas des polluants puisqu’elles sont présentes naturellement dans la nature [Tableau 9]
…Au métabolisme ou à la génétique de chacun
Dans ce régime de perception, le développement de maladies ne serait pas uniquement lié à l’intensité ou à la durée d’exposition, mais aussi à la génétique et au métabolisme individuel. Cela participerait à expliquer que plusieurs personnes, exposées de la même façon, ne développeraient pas toutes des problèmes de santé. Pour Thomas et Agata, deux habitants de la vallée, si la maladie peut être liée à l’exposition aux métaux lourds, les prédispositions génétiques et métaboliques auraient une influence notoire sur la probabilité de développer (ou pas) une maladie. Certaines personnes exposées à de fortes doses de métaux lourds sur le long terme – en référence à la figure du mineur – pourraient ne pas développer de cancers, alors que paradoxalement un·e habitant·e ordinaire exposé à court terme pourrait développer un cancer rapidement. La référence à la génétique de chacun, aux facteurs héréditaires, renforce l’idée que le développement d’une maladie serait finalement aléatoire, et n’aurait pas de lien causal généralisable à une exposition chronique et élevée.
« Oui, mais en plus y a la génétique, on ne réagit pas pareil. Peut-être que moi avec l’arsenic, je vais faire un cancer en trois semaines, et un gars qui a été mineur 40 ans après, il ne l’a pas… […] Moi ce dont je me suis aperçu, c’est que, le problème est très compliqué. Ce n’est pas parce que le sol est plein d’arsenic que forcément en vivant dessus on va être impacté et on va finir par avoir un cancer. Il y a certaines personnes qui en fonction de leur génétique, ou autre chose, réagissent plus ou moins bien, en fonction de leur métabolisme. Donc déjà on n’est pas tous égaux. Ça c’est un gros bordel. […] C’est très complexe. En plus, y a la génétique qui s’en mêle. »
Thomas
« L’imprégnation aux pollutions c’est inquiétant oui… Nous qui venons d’emménager là, on trouve ça inquiétant, c’est sûr. […] on ne réagit pas tous pareil. Les organismes ne réagissent pas tous de la même façon. De par rapport à la même pollution, on ne réagit pas tous pareil. Y a des personnes âgées qui ont bossé dedans et qui n’ont rien. Probablement par contre que quelqu’un de fragile qui va rester que quelques années, lui, ça ne va pas lui faire du bien… Ce qui à mon avis est mon cas ! »
Agata
Maurice, un ancien mineur, fait ainsi référence, comme Thomas et Agata, à la variabilité des corps, selon leur métabolisme, à développer des maladies liées à l’arsenic. Il s’appuie sur son expérience des intoxications à l’arsenic, dans le cadre de son métier. Lui, comme nombre de ses collègues, ont été intoxiqués à l’arsenic, nous dit-il. Il explique qu’une intoxication se repère parfois par des démangeaisons causées par la sudation de la substance toxique, et d’autres fois ne se repère pas étant donné qu’il ne serait pas évacué par la sueur. Autrement dit, certains métabolismes élimineraient l’arsenic par sudation et seraient ainsi protégés des problèmes de santé. D’autres, a contrario, le stockeraient dans le corps : une intoxication invisible sur le moment mais probablement plus problématique en termes d’effets sanitaires. Ainsi, chacun·e ne serait pas égal·e face à une exposition puisque suivant le métabolisme, l’arsenic serait stocké dans le corps ou évacué, générant parfois une forme de protection. Il tire ses connaissances de discussions avec d’autres mineurs et de dires rapportés d’un médecin (probablement celui qui s’occupait de la santé de certains mineurs). Bien que Maurice énonce douter de l’authenticité de ces arguments, cela participe quoiqu’il en soit à pondérer son inquiétude : « inquiété pour ma santé […] oui et non », nous dit-il.
« Trois fois j’ai été intoxiqué à l’Arsenic. […] Ah bah ça se sent. Ça se ressent. Ça se ressent sur les parties où on sue. Parce que la sueur rejette l’arsenic. Et là où elle sort cet arsenic est humide, donc il est légèrement corrosif et avec l’oxygène, et bah il démange. Et ça fait mal hein. […] Sous les bras, entre les jambes ! Là alors… Parce qu’on sue et sur les parties où l’on sue, c’est là… […] Inquiété pour ma santé par rapport à la pollution, oui et non. Quand j’ai quitté Salsigne, j’avais passé… j’ai eu des intoxications. Alors on m’a dit ceci : c’est pénible mais moi j’en doute… il parait que nous n’avons pas tous la même façon, quand on est intoxiqué, parce que je n’étais pas le seul intoxiqué, à l’atelier il y en avait d’autres qui allaient faire les réparations… Alors il y en avait qui allaient travailler avec de l’arsenic et qui n’étaient jamais intoxiqués. Alors ils disaient « Oui, mais le docteur m’a dit que j’avais un organisme qui ne rejetait pas l’arsenic. Donc je ne le sue pas et il ne m’intoxique pas. Je suis peut-être intoxiqué mais je ne m’en rends pas compte ». Et d’autres, ça serait mon cas, qui l’arsenic véhiculé par la sueur et on le rejette par la sueur. Donc on est soi-disant un peu immunisé. Enfin, ça c’est des on-dit hein ! »
Maurice
Décentrer le regard des pollutions minières face au contexte généralisé des pollutions
La situation de pollution de la vallée de l’Orbiel par les anciennes activités minières est généralement relativisée au regard d’une pollution généralisée, dépassant le seul territoire de la vallée : pesticides, radioactivité, particules fines, perturbateurs endocriniens, … autant de sources de pollutions, locales comme globales, qui décentrent l’attention accordée aux risques de santé environnementale suggérés par l’exposition aux métaux lourds[1]. L’attention peut parfois se porter, en majeure partie, sur l’exposition aux produits phytosanitaireset les risques de santé qui y sont liés, que ce soit par la consommation de produits de l’agriculture conventionnelle (légumes, vin) ou l’inhalation lors des traitements de la vigne, une culture très développée localement [Encadré 52]. Les risques de santé liés à l’exposition aux pesticides sont connus et documentés. Ces risques de santé, incarnés et établis, sont alors source d’une plus grande inquiétude, plus que ne peuvent l’être les pollutions aux métaux lourds issus des anciennes activités minières. Agata a une maladie thyroïdienne, qui s’est déclarée, selon elle, en raison d’une exposition aux produits phytosanitaires. La priorité est alors donnée à l’autoproduction alimentaire, dont elle maîtrise les conditions de production biologique (contrairement aux produits achetés en grandes surfaces), lui permettant alors d’avoir « la meilleure santé possible », nous dit-elle. Quand bien même son jardin a été inondé en 2018 – et qu’elle estime que ses légumes pourraient avoir été contaminés par des métaux lourds – elle assimile moins la consommation des légumes qu’elle produit à un risque qu’à une façon de maîtriser son exposition à des résidus de traitements phytosanitaires contenus dans les légumes mis sur le marché.
« [E : Dans votre quotidien, vous essayez de vous protéger de la pollution ? D’une manière ou d’une autre ?] A la maison on fait attention. Au jardin, je vous, je n’utilise pas de produits : si ça pousse tant mieux, si ça pousse pas tant pis. Je ne vois pas l’intérêt de faire un jardin si c’est pour manger des produits avec des pesticides. [E : Donc c’est bio quoi !] Oui ! Donc voilà. On essaie d’avoir la nourriture la plus saine possible. On fait attention aux produits qu’on achète. Tous les produits chimiques, on essaie de réduire au maximum. Et puis voilà. [E : Et vous faites pousser quoi ?] Des légumes ! [Rires] des arbres fruitiers aussi et puis tous les légumes bons : salades, tomates, navets, betteraves… [E : C’est un jardin pour le plaisir ?] C’est pour essayer d’avoir la meilleure santé possible. Pas forcément le plaisir. […] Parce qu’on sait bien que les produits qu’on achète dans le commerce ils sont bourrés de cochonneries. De pesticides notamment, et on veut au maximum ça [que cela soit biologique], donc on fait soit même. Mais c’est sûr que l’eau des pluies, on ne maitrise pas trop la qualité, après on se dit que même si y a des problèmes de contamination, d’infiltration de la pollution, des pesticides tout ça, c’est toujours moins élevé que ce qu’on va acheter dans le commerce où là on a des pesticides qui sont balancés systématiquement. [E : Ça fait longtemps que vous faites attention à ça ?] Depuis que je suis malade de la tyroïde [rires], depuis qu’on m’a dit qu’il y avait certainement un lien avec toutes ces pollutions [phytosanitaires], donc oui je fais attention. […] Nous on a été inondé, dans le jardin y a eu plus de 30 cm d’eau. [Un enfant arrive] On a quand même mangé les légumes du jardin et on ne sait pas en fait si ce qu’on a mangé était contaminé, si l’eau du robinet était contaminée, ça non plus on ne sait pas. »
Agata
Adam estime, lui aussi, que le risque sanitaire lié à l’ingestion ou l’inhalation de produits phytosanitaires est un enjeu plus important que celui des pollutions d’après-mine. En effet, il souligne que le problème des produits phytosanitaires est trop peu débattu, alors même qu’il est réel dans la vallée. La présence de nombreux vignobles serait à l’origine d’une multi-exposition aux pesticides (par la consommation de vin, la promenade à proximité des vignes en période de traitement). D’autant plus qu’il s’agit, selon Adam, d’une pollution plus dérangeante au quotidien (odeur désagréable, même à distance des vignobles) et sur laquelle il serait plus facile de développer des prises collectives (boycott de la consommation des produits conventionnels vs. la pollution minière sur laquelle on ne pourrait plus réellement agir à la source).
« Après pour le relativisme sur la pollution des mines, il y a quelque chose de très simple à faire, c’est de prendre des chemins qui longent les vignes. Il y en a certains qui sont en culture raisonnée, et toujours d’autres qui sont en utilisation de produits phytosanitaires. A la sortie du printemps, quand ils désherbent au début de l’été, on voit encore les traces dans les zones hors vigne ou ils sont passés avec leur aspergeur qui goutait encore. L’herbe ou c’est tombé, elle n’a pas repoussé. C’est des choses qu’on consomme. Parce qu’ici le vin on va le consommer. Donc ces cochonneries-là, mettre en avant la pollution liée à la mine c’est une chose, mais ces cochonneries-là elles sont peut-être plus graves à mon sens, parce que plus sournoises et plus quotidiennes. Le vin local on en boit, on en consomme beaucoup plus que les fruits ou les légumes qui viennent de Conques. Là-dessus, on n’en parle pas : Le Cabardès c’est le terroir et on peut continuer à polluer les sols avec des produits phytosanitaires. […] Il faudrait boycotter ce type de produits, oui ! ça les mettrait rapidement à l’agriculture raisonnée ou de la viticulture raisonnée. Quand ils sont entrain de sulfater ou de traiter, il y a des circuits, en allant vers Conques, que je ne fais plus en courant parce qu’ils sont entrain de traiter. […] Et c’est ce type de pollutions me dérange plus, au quotidien, que la mine. Je sais que la mine ça y est, les dégâts sont faits, et celle-là, on pourrait avoir plus d’action dessus je pense. Ça, ça me dérange le plus et de celles-là. On n’en cause pas trop parce que les viticulteurs, il n’y a que ça ici. […] ceux qui ont le vieux pulvérisateur, c’est le nuage ! ça se voit assez loin. Et même, comme ici c’est assez venté, ici vous pouvez être loin que ça sent et c’est bien présent quoi. […] Et du coup, quand il y a ces périodes de traitement moi je change, je vais dans les Capitelles […] pour éviter ces problèmes-là quoi, pour éviter [de respirer] ces aérosols. […] Classiquement, on dit bouillie bordelaise, souffre et tout ça ; mais quand ils mettent le coup de souffre, c’est bien présent. Vraiment ouais. Surtout quand on sort alors qu’il y a encore la petite rosée pour que ça reste fixé sur les plantes, là je trouve que les odeurs sont plus présentes, plus fortes ; ça les fait ressortir. Là c’est bien marqué quoi. »
Adam
Jamie, ainsi que sa conjointe Sophie et leur fille Georgina, discutent des expositions aux métaux lourds, notamment à l’arsenic, via la consommation d’eau de source. Jamie exprime son sentiment que les cancers apparus dans la vallée de l’Orbiel sont plus rattachés à l’arsenic provenant des traitements phytosanitaires des vignes, que des anciennes activités minières. Il déplace ainsi la cause des problèmes de santé observés dans la vallée vers les pollutions d’origine agricole. Tout concourt, pour Adam, Agata et Jamie, à énoncer une préoccupation plus forte pour les risques de santé liés aux pollutions phytosanitaires qu’à celles liées aux anciennes activités minières.
« [Sophie] Pendant des années on a bu l’eau de la source hein. [Georgina] mais s’il faut il n’y a pas de pollutions, comme il faut attendre les résultats et qu’il n’y a jamais eu d’études, s’il faut il n’y a pas d’arsenic dans cette source. [Sophie] Non mais tu peux avoir d’autres choses, on dit l’arsenic parce que c’est devenu le mot générique mais il peut y avoir d’autres polluants. Enfin moi je le perçois comme ça. [Jamie] Moi les cancers actuels je les attribue plutôt au monde agricole. Ah oui au monde agricole, on a beaucoup aspergé, traité, avec des produits… […] Beaucoup [d’arsenic dans les vignes] oui. »
Jamie, Sophie et Georgina
On retrouve une tendance au renforcement du doute ou de l’attention dans les réponses apportées au questionnaire. L’identification de pollutions agricoles sur le territoire de la vallée semble venir accentuer l’attention portée par les habitant·es à l’impact sanitaire des pollutions minières, et inversement. Par exemple, 39,8% des habitant·es estimant que la présence de certaines molécules dans les milieux est liée à des pollutions d’origine agricole (pesticides à base d’arsenic ou autre) estiment (encore) possible le fait d’être personnellement ou un membre de leur foyer (conjoint·e, enfants), concerné·es par un problème de santé lié à la pollution de l’ancienne activité minière, contre 31,2% toute population confondue (+8,6 points). A l’inverse, 76% des habitant·es qui estiment que leur territoire n’est pas du tout affecté par des pollutions d’origine agricole, ne s’estiment pas concernés par des problèmes de santé liés aux pollutions minières (contre 58,8% de la population totale, soit +17,2 points d’écart). Les deux variables sont dépendantes au sens du khi-deux de Pearson [31,54 ; ddl=6 ; p.<0,001]. [Graphique 12 ; Tableau croisé 13].
Le territoire de la vallée est-il marqué par des pollutions d’origine agricole ? |
Pour Nael, comme pour d’autres habitant·es, la présence de pollutions aux métaux lourds dans la vallée de l’Orbiel est relativisée puisque ce territoire serait exempt d’autres sources de pollutions, jugées plus risquées pour la santé, par exemple, celles liées à la pollution de l’air dans les grandes villes [Encadré 53]. Il est alors jugé préférable de vivre dans la vallée de l’Orbiel qu’ailleurs.
« Je mange des asperges sauvages quand ma femme et ma fille en ramassent. Elles m’obligent [rires]. Donc comme je ne veux pas divorcer ni m’engueuler avec ma fille que j’adore, je mange leurs récoltes. Mais bon, comme elles n’en ramassent pas non plus des quantités astronomiques. Et qu’est-ce qu’on va faire… Pour une paire d’omelette dans l’année, avec quelques patates et voilà. On en mange une fois par mois. […] Moi personnellement je n’irai pas les ramasser là, mais bon. Elles ça leur va bien, c’est à côté. […] On se dit que bon, qu’est-ce qu’il doit il y avoir sur une petite tête d’asperges comme quantité de polluants ? C’est peut-être plus nocif de respirer les pots d’échappements dans les grandes villes, alors… »
Nael
De façon générale, 60% de la population pensent ne pas être concernés (ni un membre de leur foyer) par des problèmes de santé liés aux pollutions minières [Tableau 11]. En parallèle, 92,8% considèrent que leur cadre de vie dans la vallée est bon à très bon [Tableau 12]. L’enquête par questionnaire montre d’ailleurs que 73,7% des habitant·es – jugeant très bonne la qualité de leur cadre de vie – pensent ne pas être personnellement (et, son ou sa conjoint·e et ses enfants) concerné·es par un problème de santé lié à la pollution de l’ancienne activité minière, contre 60% toute population confondue (+13,7 points). Les deux variables sont dépendantes au sens du khi-deux de Pearson [55,08 ; ddl=6 ; p.<0,001]. [Graphique 13 ; Tableau croisé 14].
La qualité de vote cadre de vie est-elle… ? |
Francis pense même qu’il pourrait être bénéfique pour la santé de ses petits-enfants de venir vivre dans la vallée de l’Orbiel et de quitter les grandes villes polluées. Force est de constater, dans le régime du scepticisme attentif, que les risques de santé environnementale sont à la fois empreints de relativisme (des risques dissociés selon la localisation de sa commune ou de son habitat, la génétique, les modes de vie, le niveau d’exposition professionnelle, de l’observation des corps âgés et en bonne santé, d’une comparaison ville-campagne, etc.) mais aussi d’énigmes irrésolues (interprétation des résultats des études d’imprégnation, de leur protocole, etc.). Les risques environnementaux font l’objet d’une hiérarchisation, et les pollutions liées à l’après-mine ne sont finalement pas toujours (ou peu souvent) jugées comme étant linéairement, et de façon isolée, associées à des risques de santé.
« Ah non ici il n’y a pas de risque ! Ni pour ma santé ni au contraire, si mes petits enfants pouvaient venir vivre ici, je serais heureux de les avoir avec moi, mais je suis sûr par rapport aux grandes villes où ils vivent, y a peut-être moins de pollutions ici. Encore une fois, je parle de [ma commune de résidence]. »
Francis
[1] 73,5% des habitant·es déclarent être plutôt d’accord ou tout à fait d’accord avec l’affirmation selon laquelle le territoire est concerné par plusieurs pollutions (industrielles, agricoles, etc.). La conviction d’une poly-exposition aux pollutions est ainsi largement répandue chez les habitant·es de la vallée [Tableau 10].
Des attentes renforcées d’élucidation de la réalité des risques environnementaux et sanitaires
La demandes d’élucidation (études, information), par les autorités publiques, des risques de santé environnementale à habiter la vallée
Les habitant·es estiment qu’en l’absence d’informations précises sur les risques environnementaux (localisation exacte des pollutions, accès facilité aux études environnementales, etc.) et sanitaires [1] (expertises en santé publique pour dire les risques de cancers et les risques d’exposition-imprégnation de façon précise, etc.), ils ne peuvent évaluer clairement la réalité de la situation. Certain·es habitant·es regrettent ainsi un défaut d’accès aux informations sur la situation environnementale et sanitaire de la vallée de l’Orbiel[2], notamment les résultats d’études menées par les pouvoirs publics. Pour Thomas, l’accès aux études environnementales menées par le BRGM peut être rendu difficile. Il s’y confronte rapidement lorsqu’il cherche à les consulter, une démarche qui lui prend 2 mois, même avec l’aide du secrétariat de la préfecture, nous dit-il. L’accès à l’information n’est pas seulement un enjeu de consultation, rappelle Thomas, il renvoie aussi à un enjeu de vulgarisation : leur lecture étant jugée complexe pour des citoyens non spécialistes. Plus que de critiquer une inertie dans la réalisation d’études, c’est la diffusion de l’information vers le grand public qui est désignée comme problématique. Une situation qui peut maintenir les habitant·es dans une relative « ignorance » sur la situation environnementale et sanitaire.
« Il y a un manque d’informations en fait, il y a clairement un manque d’information à tous les niveaux. L’information il faut aller la chercher soi-même. C’est un travail long, fastidieux, en plus il faut s’y connaitre. Lire une étude du BRGM c’est quand même costaud, c’est dur, il faut aller la pêcher. Heureusement qu’il y a la secrétaire du préfet qui m’a envoyé des liens, parce qu’elle… Ça lui a pris plusieurs semaines, 2 mois je crois, pour réussir à trouver à quels endroits dans le site du BRGM étaient planquées les infos qui me manquaient. Après des mois de recherche, je n’avais pas trouvé et elle a réussi elle. C’est bien. Ce n’est pas que l’information n’existe pas, elle existe mais de manière imparfaite, elle est partielle. Il y a des informations partielles. Il y a quand même un certain degré de transparence de la part… Moi c’est mon feeling, un certain degré de transparence de la part des pouvoirs publics, un certain degré. Mais cette information elle n’est pas diffusée facilement, c’est la merde, c’est très, très compliqué pour les gens. Or comme la plupart des gens n’ont pas le temps, ou ils ont la flemme, bah voilà, on est dans l’ignorance. On est donc maintenu, volontairement ou non, dans l’ignorance et je trouve ça regrettable. »
Thomas
Nael pointe aussi des ambiguïtés dans la communication, auprès de la population, des résultats d’études menées par les pouvoirs publics. Il dit avoir participé à une réunion publique organisée par la préfecture où est annoncé le lancement d’une étude sur la pollution de l’air aux métaux lourds dans la vallée. Cependant, les autorités publiques énoncent que les résultats ne pourront pas être communiqués à l’ensemble de la population, nous dit-il. Cette situation est énoncée par Nael comme générant une incompréhension ou un trouble. Malgré tout, Nael ne bascule pas dans ce qu’il qualifie être une posture « polémique » mais il demeure en attente d’expertise.
« C’est ce qui m’intrigue le plus [la pollution de l’air] et sur lequel on n’a aucune information. Je crois qu’ils ont mis un détecteur sur la mairie ou ailleurs. Et il y a 7 ou 8 ans, j’ai participé à une réunion qui était organisée par la préfecture, avec des chercheurs dont j’ai oublié le nom et de quelle université ils étaient. Ils nous avaient surtout dit « vous n’aurez aucun retour sur les résultats de nos recherches, on n’a pas le droit de vous les communiquer ». Alors forcément ça ne peut que rendre… On n’en devient pas dingue, on n’est pas dans une polémique comme pour le covid mais les pouvoirs publics je ne sais pas si on peut leur faire confiance. […] On a beaucoup parlé, ils nous ont beaucoup exposé ce qui posait problème dans la vallée. Ils devaient faire des prélèvements, une enquête et tout ça, mais on n’a jamais été tenus au courant de la conclusion de l’étude. Qu’est-ce qu’on se dit ? Que ça n’a servi à rien quoi, une fois de plus. […] On a, plus ou moins, évoqué les craintes…, ce qu’on savait, ce qu’on ne savait pas, ce qui était de la rumeur, de la réalité scientifique, etc. Mais on n’a jamais eu de retour. Même la mairie, à cette époque-là, n’avait pas eu de retour non plus. »
Nael
Pour Andrea, la question de l’information est aussi essentielle à la construction d’une culture du risque qui ferait défaut à l’échelle de la vallée de l’Orbiel. Elle déplore qu’il faille attendre une situation de crise pour que les autorités publiques réagissent (« c’est quand il y a un gros pépin que l’on réagit »). Il faut, pour Andrea, prévenir les risques de santé environnementale avant que les situations de crise ne se présentent. Elle n’est pas dans une posture de défiance : elle n’accuse pas l’état d’inaction et n’est pas dans une logique de mise en responsabilité juridique. Pour elle, les pouvoirs publics tentent « de faire le maximum » face à une situation héritée dont ils ne sont pas à l’origine responsables. Il leur revient cependant selon elle d’informer, de communiquer et de favoriser l’émergence d’une culture du risque, à l’instar des territoires où sont installées des centrales nucléaires.
« L’exploitant n’a pas fait ce qu’il fallait comme dans la plupart des gros sites industriels : on ferme les portes, on part et puis voilà. L’État a fait ce qu’il a pu, le BRGM avec des études : il y a déjà beaucoup d’argent qui a été investi pour essayer de faire le maximum. Mais voilà, la situation elle est là. […] Pour moi, je pense qu’on a pendant trop longtemps voulu mettre ce problème de côté et l’oublier. C’est ma façon de voir les choses. […] Je ne dis pas que tout est simple mais je dis simplement que le fait qu’on ait voulu absolument mettre une chappe de plomb sur ce problème : l’erreur elle vient de là. L’erreur vient du fait qu’on ait voulu mettre une chappe de plomb sur le problème. Et voilà maintenant malheureusement le passé nous rattrape un peu. Quand il y a eu ces inondations de 2018, il y a un moment où il y a un état des lieux et la pollution elle est toujours là. […] Malheureusement c’est quand il y a un gros pépin que l’on réagit. Dans les centrales nucléaires, l’information, la communication s’est vulgarisée après Tchernobyl et même assez longtemps après en France. On a mis du temps à réagir : ces pastilles d’iode on ne les avait pas. Il fallait les fabriquer. […] Pour moi, les services perdent de la crédibilité à partir du moment où on fait silence. […] je pense que c’est ce qui se passe dans la vallée de l’Orbiel. »
Andrea
Bien souvent, l’attention des habitant·es se déplace vers les risques de santé liés aux pollutions. Ils·elles soulignent parfois les limites de l’expertise scientifique à dire les risques de santé environnementale. Francis remarque notamment l’incapacité de l’expertise à renseigner d’un point de vue quantitatif le risque de santé environnementale, en établissant des corrélations claires entre certaines pratiques (à l’instar du jardinage ou de la consommation des produits locaux : eau, légumes, poissons) et la survenue de certains décès liés à des pathologies cancéreuses. En l’absence d’un diagnostic éprouvé de la situation sanitaire, Francis se replie sur ses propres observations, considérant alors que les risques sont surévalués.
« « les gens de la vallée de l’Orbiel meurent de cancer dû à l’As du au Pb » ; personne, autant que je sache, personne à l’heure où je vous parle ne peut me dire qu’il y a tant de personnes qui sont mortes parce qu’elles ont bu l’eau de l’Orbiel ou parce qu’elles ont mangé des truites ou trop de légumes… […] je ne sais pas si les gens meurent pour autant de ça, mais ici les gens ont toujours consommé l’eau des sources, ont toujours arrosé leur jardin avec l’eau de l’Orbiel… voilà… Et autant que je sache, je ne connais pas de décès dus à des cancers dus à l’arsenic ou le plomb. »
Francis
Parfois, les interdictions ou les recommandations sanitaires énoncées dans la vallée (interdictions d’usage de stades ou de parcs publics après la crue d’octobre 2018, recommandations de ne pas pratiquer la cueillette) sont jugées trop standardisées.
« Alors, quand on a découvert […] l’arrêté préfectoral, on a dit « Mais attendez là, je crois que vous avez eu un problème d’identification géographique là, parce que nous on n’est pas dans le bassin versant de l’Orbiel. Qu’est ce qui se passe ? ». [Ce à quoi la préfecture a répondu : ] « Ah mais on veut être surs qu’il n’y aura pas de problème. » Là ils avaient une pétoche dingue ! Là ce n’est pas un parapluie, c’est un barnum qu’ils avaient ouvert. [L’enquêté a un air outré] Les équipes locales sportives locales ont été interdites de terrain pendant 6 mois, au titre que voilà, il y avait peut-être [l’enquêté insiste], un lien direct entre les pollutions de la vallée de l’Orbiel et la vallée de la Clamoux ! Alors, les maires qui n’étaient pas concernés [par la pollution liée aux crues] ont été concernés par ça [les interdictions]. […] Ces maires-là n’ont pas compris : « Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Qu’est-ce que vous nous obligez maintenant à interdire l’accès [aux espaces dédiés au sport et aux enfants] ? ». [La préfecture a répondu : ] » Ah ouais non mais voilà, à titre de [prévention]. Il faut voir ». Alors il y a eu des prélèvements de sol qui ont eu lieu : ils sont venus faire des carottages. Alors il s’est avéré qu’il y en avait un tout, tout, tout petit peu, peut-être, mais que oui non mais oui, non ça va. Bon euh, en attendant vous alarmez les gens pour rien ! Parce qu’il a fallu qu’on le diffuse auprès de la population ! Accès interdit des jardins d’enfants, des parcs d’enfants et des stades ! Et les gens [disaient] : « ah bon mais c’est si pollué que ça ? ». [Et nous répondions : ] « On n’en sait rien ». […] Alors et tout ça pour rien quoi ! On a eu beau leur expliquer qu’hydrauliquement il n’y avait pas de [problème], mais non ils ont ouvert large [leurs mesures d’interdiction]. […] Rien n’interdisait que [nous ayons les usages des lieux] quoi. On a été pénalisés. Au point de mettre en péril les clubs sportifs hein ! Tous les championnats qui devaient se tenir n’ont pas pu avoir lieu, il fallait qu’ils s’exportent dans les villages à 30km pour pouvoir jouer. Enfin un truc… La vie associative et sportive ça lui a mis un sacré coup de frein hein. Et puis, le maire a plusieurs reprises, a sensibilisé le préfet sur cette aberration, il disait « on ne comprends pas ». [La préfecture a répondu :] « Oui non mais n’ayez pas peur. Oui mais non… ». Et puis l’interdiction a été levée. Mais vous voyez comme quoi on voit tout et n’importe quoi.»
Mathéo
« Oui, et on vit, celles qui sont un peu sensibles au sujet, on vit dans l’incertitude, donc moi j’aimerais évidemment, j’habite ici dans les campagnes et j’adore aller cueillir, mais toujours dans la frustration de « c’est interdit ». Donc ça doit être dangereux quand tu vois… Finalement, c’est des arrêtés qui sont faits comme ça : tout le monde dans le même sac pour se protéger des histoires comme ça peut être, comme à Lastours, Conques, etc. »
Jacynthe
Les réponses au questionnaire laissent apparaître un lien statistique entre le sentiment de ne pas être suffisamment informé sur l’impact sanitaire des pollutions minières et un sentiment d’injustice de devoir vivre avec des restrictions. Ainsi, 26,4% des habitant·es qui estiment qu’ils·elles ne sont pas suffisamment informé·es sur l’impact sanitaire des pollutions minières trouvent tout à fait injuste de devoir vivre avec les restrictions liées aux pollutions minières, contre 21,8% toute population confondue (+4,6 points). A contrario, ceux et celles qui s’estiment suffisamment informé·es sur ces impacts sont 10,7% à ressentir cette injustice (-11,1 points). Les deux variables sont dépendantes au sens du Khi deux de Pearson [39,24 ; ddl= 8 ; p.<0,000] [Graphique 14 ; Tableau croisé 15].
Êtes-vous suffisamment informé·e sur les impacts sanitaires des pollutions ? |
Plus que la recommandation sanitaire en elle-même, c’est l’administration de sa pertinence au regard de données d’étude précises qui est désignée comme posant problème, la pollution selon certain·es habitant·es pouvant varier selon la localisation des lieux. Cet argument, lorsqu’il se déploie dans les discours, est fréquemment associé au sentiment d’injustice d’être soumis administrativement à des interdictions d’usage de lieux publics[3] alors même que des habitant·es ont le sentiment que les espaces concernés ne sont pas, ou peut-être pas, pollués. Mathéo critique l’application trop systématique d’interdictions d’usage des espaces publics après la crue d’octobre 2018, ici des parcs pour enfants et un stade de sport collectif situés dans la vallée de la Clamoux, en zone non inondable : une « aberration » nous dit-il. Selon lui, cette décision ne serait pas fondée sur des relevés environnementaux établissant concrètement l’état de contamination des espaces publics. Mathéo estime que les associations sportives de sa commune ont été impactées par cette interdiction et qu’elle a généré une alerte importante des populations, sans raison concrète. Jacynthe corrobore le récit de Mathéo, concernant la recommandation de ne pas pratiquer la cueillette. Elle ne doute pas qu’il existe des dangers liés à cette pratique, mais ils ne seraient pas généralisables à l’ensemble du territoire. Les récits de Mathéo et Jacynthe mettent tous deux en avant le sentiment que ces interdictions d’usage renverraient à une volonté des autorités publiques de se protéger de toute mise en responsabilité, plus qu’à une réalité environnementale et sanitaire. Mathéo explique que les autorités publiques auraient eu, au moment des inondations, une « pétoche dingue ». Jacynthe estime que ces interdictions sont énoncées pour « se protéger des histoires comme ça peut être, comme à Lastours, Conques »[4]. Il semble que le contexte polémique et médiatisé de tension et de mise en responsabilité des autorités publiques se trouve en filigrane dans les récits des habitant·es : ils·elles peuvent notamment estimer que ce contexte pousse à des décisions parfois disproportionnées « prises en réaction ». Le rapport des habitant·es aux autorités publiques dans le régime du scepticisme attentif est radicalement opposé à celui du catastrophisme critique. La confiance remplace la défiance même si l’élucidation de la situation environnementale et sanitaire est jugée partielle.
« Oui, oui. Alors, quand on a découvert ce courrier du préfet, et l’arrêté préfectoral, on a dit « Mais attendez là, je crois que vous avez eu un problème d’identification géographique là, parce que nous on n’est pas dans le bassin versant de l’Orbiel. Qu’est ce qui se passe ? ». [Ce à quoi la préfecture a répondu : ] « Ah mais on veut être surs qu’il n’y aura pas de problème. » Là ils avaient une pétoche dingue ! Là ce n’est pas un parapluie, c’est un barnum qu’ils avaient ouvert. [L’enquêté a un air outré] Les équipes locales sportives locales ont été interdites de terrain pendant 6 mois, au titre que voilà, il y avait peut-être, peut être [l’enquêté insiste], un lien direct entre les pollutions de la vallée de l’Orbiel et la vallée de la Clamoux ! Alors, les maires qui n’étaient pas concernés [par la pollution liée aux crues] ont été concernés par ça [les interdictions]. Il y a Villeneuve aussi il me semble qui a été concerné. Ces maires-là n’ont pas compris : « Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Qu’est-ce que vous nous obligez maintenant à interdire l’accès [aux espaces dédiés au sport et aux enfants] ? ». [La préfecture a répondu : ] » Ah ouais non mais voilà, à titre de [prévention]. Il faut voir ». Alors il y a eu des prélèvements de sol qui ont eu lieu : ils sont venus faire des carottages. Alors il s’est avéré qu’il y en avait un tout, tout, tout petit peu, peut-être, mais que oui non mais oui, non ça va. Bon euh, en attendant vous alarmez les gens pour rien ! Parce qu’il a fallu qu’on le diffuse auprès de la population ! Accès interdit des jardins d’enfants, des parcs d’enfants et des stades ! Et les gens [disaient] : « ah bon mais c’est si pollué que ça ? ». [Et nous répondions : ] « On n’en sait rien ». […] Ah beh ouais ! Alors et tout ça pour rien quoi ! On a eu beau leur expliquer qu’hydrauliquement il n’y avait pas de [problème], mais non ils ont ouvert large [leurs mesures d’interdiction]. […] Rien n’interdisait que [nous ayons les usages des lieux] quoi. On a été pénalisés. Au point de mettre en péril les clubs sportifs hein ! Tous les championnats qui devaient se tenir n’ont pas pu avoir lieu, il fallait qu’ils s’exportent dans les villages à 30km pour pouvoir jouer. Enfin un truc… La vie associative et sportive ça lui a mis un sacré coup de frein hein. Et puis, le maire a plusieurs reprises, a sensibilisé le préfet sur cette aberration, il disait « on ne comprends pas ». [La préfecture a répondu :] « Oui non mais n’ayez pas peur. Oui mais non… ». Et puis l’interdiction a été levée. Mais vous voyez comme quoi on voit tout et n’importe quoi. »
Mathéo
« Oui, et on vit, celles qui sont un peu sensibles au sujet, on vit dans l’incertitude, donc moi j’aimerais évidemment, j’habite ici dans les campagnes et j’adore aller cueillir, mais toujours dans la frustration de « c’est interdit ». Donc ça doit être dangereux quand tu vois… Finalement, c’est des arrêtés qui sont faits comme ça : tout le monde dans le même sac pour se protéger des histoires comme ça peut être, comme à Lastours, Conques, etc. »
Jacynthe
Le rapport aux pouvoirs publics dans le régime du scepticisme attentif est caractérisé par l’absence de mise en accusation et de suspicion radicale. S’il existe des défauts dans l’action publique locale, ils ne sont pas jugés intentionnels ou malveillants. Concernant la prise en charge de la situation sanitaire de la vallée de l’Orbiel, pour Yassin, si certain·es de ses voisin·es semblent convaincu·es que la santé environnementale dans la vallée est, ou a été, sacrifiée pour des enjeux économiques de façon délibérée et volontaire, Yassin n’y attache pas de dimension intentionnelle. C’est bien le niveau d’intentionnalité qui fait dissensus dans les débats avec d’autres habitant·es de la vallée dont le discours est jugé parfois complotiste. Yassin compare ces discours jugés complotistes à ceux entendus lors de la pandémie du Covid 19, qui faisaient état d’une plus grande propension des personnes vaccinées à développer des formes graves du covid qui nécessiteraient une hospitalisation, alors que Yassin nous dit se fier aux données gouvernementales prouvant le contraire. En synthèse, Yassin peut adhérer à une critique de la gouvernance des problématiques de santé environnementale dans la vallée (ou plus généralement), mais se refuse à entrer dans une posture de défiance totale envers les pouvoirs publics, considérant que l’on peut globalement se fier aux données qu’ils produisent. Jordy quant à lui ne vit pas dans la peur, nous dit-il, et fait plutôt confiance aux autorités publiques, aux scientifiques ou experts qui les orientent, pour énoncer les problèmes de santé environnementale ; alors même que cette confiance semble plus fragile vis-à-vis des « politiques » qui auraient plus tendance à politiser les problèmes. Quoi qu’il en soit, Jordy ne s’inquiète « pas plus que ça » et n’est pas dans une posture de défiance, considérant que les autorités publiques ne mettraient pas volontairement en danger la santé des populations.
« De façon générale. Moi j’ai des amis que j’aime bien, mais de temps en temps je les trouve insupportables. Des théories… […] les théories complotistes elles existent. Il y en a des gens qui sont très bien, et ne regardent pas assez la télé ou enfin si mais ne l’analysent pas. Les gens complotistes c’est des gens qui s’imaginent que la vérité elle est l’inverse de ce qu’on voit à la télé. Ça va tellement loin que c’est, des fois, affolant. Qu’est-ce qu’il m’a raconté là dernièrement ? Ah oui, à propos des vaccins : qu’il y avait de plus en plus de gens à l’hôpital qui arrivaient aux urgences et étaient vaccinés. Il me sort ça en disant qu’il est persuadé. Et moi j’ai l’application Tous Anti Covid, je suis d’assez près. Et je sais que c’est l’inverse : 80% des gens en réanimation sont des gens qui ne sont pas vaccinés. Il me dit l’inverse. Et je ne me cache pas, des fois c’est un peu difficile à supporter. […] Ouais sur les anciennes exploitations minières dans l’Orbiel, le problème c’est que la théorie est simple et pas complètement folle, c’est de dire qu’il y a un grand complot des dirigeants qui sont là pour tirer le maximum de fric et qui se foutent royalement de la santé des gens. Et que c’est normal, même voulu, la situation qui arrive. Ça peut aller même jusqu’à penser que c’est voulu, c’est là que ça devient un complotisme. Je pense qu’il y a des négligences c’est sur ; mais enfin aller jusqu’à penser qu’on a planifié tout ça, il ne faut pas déconner. Il y en a qui vont très loin. Mais tout ça pour dire que les échanges avec les voisins ce n’est pas toujours facile de ce point de vue. Tout dépend le milieu avec lequel on est en contact mais il se trouve que c’est comme ça que je vois les choses. »
Yassin
« On sait que ça existe mais en même temps ça ne nous empêche pas de vivre. Regardez, moi le premier, je suis venu faire construire ici. Si vraiment j’avais eu peur de ça, j’aurai fait construire de l’autre côté de Carcassonne ou autre. Mais quelque part on se dit qu’il ne faut pas être fataliste. On espère aussi que les gouvernants, nos cerveaux, nos ingénieurs, sont là quand même pour dire que s’il y a un gros souci, ils auraient la décence de dire qu’il y a quelque chose qui ne va pas, que le village est en danger. Quelque part on fait confiance. Obligé. Si on ne fait absolument pas confiance, on ne vit plus quoi. On est là, on sait que ça existe, mais en même temps bon, on psychote pas trop quoi. C’est mon ressenti. […] moi personnellement je ne m’en inquiète pas plus que ça, même si je sais qu’il ne faut pas faire n’importe quoi. Mais là aussi, je fais quand même confiance, il y a des experts, des gens qui sont là pour faire des analyses. Si vraiment il y a un gros souci, je pense qu’ils vont quand même… pas laisser faire. Même si les politiques par-dessus vont tempérer, je reviens un petit peu là-dessus, mais bon ce n’est pas non plus des assassins. S’il y a vraiment un truc sérieux, je pense qu’ils vont faire ce qu’il faut. »
Jordy
Force est de constater que dans le scepticisme attentif, les arguments ne tendent pas vers la défiance radicale envers les autorités publiques, et ce même lorsqu’une critique est énoncée (défaut d’information, défaut de promotion d’une culture du risque, etc.), les attentes étant plus orientées vers l’information et une meilleure formalisation des risques ou des non-risques encourus. Dans ce régime, les habitant·es formulent expressément leur attente d’une élucidation de la situation par les pouvoirs publics, sans présupposer de la réalité problématique de la situation vécue. L’impossibilité selon elles·eux d’affirmer l’existence d’une condition environnementale – clairement définie comme nuisible ou dommageable pour la santé – ne permet donc pas d’attribuer aux revendications relatives à la dépollution du site un caractère public, organisé et légitime (Zask, 2008[5]). La critique faite alors n’est pas de dépolluer, comme c’est le cas dans le régime du catastrophisme éclairé, mais d’élucider la situation. Ainsi, les habitant·es qui adhèrent au scepticisme attentif ne sont pas convaincus, comme dans le catastrophisme critique, que la dépollution soit l’alpha et l’omega des risques de santé environnementale. La dissémination des polluants sur le territoire, jugée parfois diffuse, laisse penser qu’aucune solution technique ne serait capable de protéger les populations des pollutions. Bastien considère en ce sens que la dépollution n’est ni urgente ni possible, même s’il considère que certains lieux très ciblés pourraient être probablement dépollués afin d’atténuer les effets de transfert. Andrea estime aussi qu’une dépollution est irréalisable à court terme, et qu’il vaudrait mieux mettre en place un ensemble de mesures (sans qu’elle n’en précise la nature). La dépollution peut aussi sembler improbable au regard des coûts trop élevés qu’elle pourrait suggérer. Pour Patrick et Marie, la faible densité de population de la vallée, les coûts à mettre en œuvre pour une dépollution effective – mis en perspective avec l’existence de nombreux autres territoires d’après-mine pollués en France – rend la mesure de la dépollution peu réaliste. D’autant plus que les risques de santé associés à la pollution de la vallée ne génèreraient, selon eux, « que » quelques cancers, ce qui renverrait selon Patrick et Marie à un calcul coût-bénéfice disproportionné. Prenant acte de l’impossibilité de dépolluer le site, ces habitant·es font état de la nécessité d’élucider plus encore la situation environnementale et sanitaire du territoire de la vallée.
« De toute manière, ce qui est fait est fait. S’il y a eu un impact sanitaire, ça ne va rien changer maintenant. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’on va claquer des doigts et régler ce problème. A mon sens, la dépollution du site de Salsigne est quelque chose d’incohérent. Enfin incohérent, [plutôt] impossible. Je veux dire par là : je pense que le site est trop pollué, ou a trop disséminé pour que l’on puisse dépolluer. Si la pollution a été aussi importante que ce que l’on peut craindre qu’elle ait été ; elle s’est tellement disséminée dans la vallée de l’Orbiel qu’aujourd’hui avec les pluies, ruissèlements, eaux etc. ce n’est pas demain qu’on va dépolluer. Donc d’accord ? Donc vous dire qu’il y ait une nécessité aujourd’hui d’urgence, je ne sais pas. Peut-être retirer certaines choses effectivement, je ne sais pas. […] Ce n’est que pour ce genre de pollutions de la vallée de l’Orbiel, que maintenant de toute manière est indéniable mais c’est difficile d’en mesurer l’impact, et de toute manière on ne pourra maintenant plus rien y faire pour l’annihiler : elle y est pour des années, voire peut-être plus que ça. »
Bastien
« Pour moi il y a un ensemble de choses à mettre en place. Le site on ne va pas le dépolluer en quelques semaines ou mois. »
Andrea
« C’est d’ailleurs là-dedans que s’engouffre aussi les pouvoirs publics qui gèrent en fonction… les pauvres, d’un certain point de vue, ils héritent d’un truc dont ils ne sont pas responsables […] voilà on parle de l’Orbiel, mais Saint-Laurent-le-Minier, c’est 50km d’ici c’est pareil. Et j’imagine que des vallées polluées comme ça y en a des dizaines et des dizaines en France… [Marie] 3500 apparemment… 3500 sites qui seraient comme ça… [Patrick] Quand on te dit que pour dépolluer vraiment bien l’Orbiel, Salsigne tout ça il faut 1 milliard d’euros, 3500 milliards, bon… ça va être un peu compliqué. Juste pour dépolluer ! […] Pour 15 000 habitants ? Pour quoi ? 10 cancers en plus ? enfin voilà. »
Patrick et Marie
En ce sens, ils·elles demandent que soient poursuivies les recherches et que soient formulées des expertises : le diagnostic devrait, selon certain·es habitant·es, interroger un périmètre de substances plus large que l’arsenic[6] et établir plus précisément les périmètres pollués. Par exemple, à défaut de mesurer la sur-représentation de cancers dont la mesure peut apparaître complexe, Patrick et Marie souhaitent que soit évaluée et mesurée la poly-exposition des habitant·es aux métaux lourds présents dans leur environnement de vie. Plus précisément, ils·elles formulent une demande de production de « données précises », concernant les situations d’exposition-imprégnation aux pollutions. Selon Patrick et Marie, accéder à des information tangibles, simples, accessibles, sans exagérer ni sous-estimer les problèmes sanitaires (« un arbitrage clair ») est un droit. A leurs yeux, cela permettrait à chacun·e de constituer son point de vue sur les risques environnementaux et sanitaires et d’agir s’il·elle le souhaite, selon sa convenance.
« [Patrick] J’attends des données sur la façon dont la pollution agit vraiment… Moi effectivement je m’étais que le plus important c’était quand même d’agir au niveau des populations et de savoir si y avait vraiment un impact, et de quelle nature il était. Dans la mesure où je ne crois pas trop à une espèce d’action majeure qui ferait qu’on dépolluerait complétement le site, mais sur un bassin de 15000 personnes, j’imagine que peut être c’est là où il peut y avoir des actes, posés, plus réalistes et qui en plus permettraient des mesures concrètes de cet impact. Et puis justement, ça permettrait de mesurer peut-être l’impact mais pas que de l’As mais justement de quelque chose de plus général, plus global, et ce cocktail de métaux lourds, parce que y a pas que l’As évidemment… […] Il y a du mercure, Cadmium, du plomb… Y a une trentaine de métaux en quantité importante. Donc lesquels sont cancérogènes ou pas… Ça serait intéressant de savoir sur une population ciblée si y a une augmentation globale de l’incidence des cancers ça serait vraiment intéressant… J’ai tendance à penser que ça va être difficile à prouver, à montrer… Surtout qu’il y aura des contradicteurs… Je n’attends pas forcément ça… […] [Marie] Moi j’attendrais ça parce que je pense que c’est une donnée qui peut être aussi ensuite utilisée dans un autre contexte en fait. Quelque chose de plus vaste aussi. [Patrick] J’entends ça ! Vous me posez la question, moi je n’attends pas… je n’espère pas une réponse de ce type-là, je l’aurai pas. Moi j’aimerais bien avoir une réponse précise pour dire comme la cartographie des sols de l’eau c’est ça. Ce qui est prouvé dans la littérature de façon admise par un consortium de scientifiques c’est de dire qu’au-dessus de tant de particules par million, il est admis que c’est déconseillé de faire pousser quelque chose, c’est déconseillé d’y vivre, c’est déconseillé qu’un enfant mange… Comment est-ce qu’on peut se prémunir tout simplement et que les gens concernés puissent avoir des réponses comme ça… En tout cas moi c’est ce que j’espèrerais. »
Patrick et Marie
Les habitant·es peuvent aussi demander un suivi régulier de la situation environnementale (contamination des milieux et des lieux de vie). Thomas et Jacynthe estiment qu’il faut suivre l’état de pollution des milieux, notamment des espaces publics (écoles, …) pour déterminer les lieux les plus impactés en temps normal, pour mieux prévenir leur impact exacerbé en temps de crise. Il faudrait alors, selon eux, dépasser la seule mesure évènementielle des polluants après les inondations, qui génère selon Jacynthe une exacerbation des risques, une panique générale et une incapacité à dire les variations de l’état de pollution des milieux. Suivre, dans le temps long et de façon réitérée, la contamination des milieux serait alors une clé pour dire les risques de surcontamination lors de périodes de crise (prévenir « les accidents ») et réduire les positions polarisées d’hyper alerte ou de déni. Cette demande de suivi régulier de la situation est d’autant plus forte que ce couple estime finalement ne pas savoir ce à quoi ils sont concrètement exposés et les vecteurs qui favorisent cette exposition.
« [Jacynthe] Oui, et parce qu’à chaque fois, le sujet ressort grâce à un accident. Grâce à quelque chose de mauvais qui s’est passé. Parce que si on fait ces analyses de façon quotidienne, on peut montrer à quel point il y a des endroits [impactés] et qu’il faut faire attention, et on évite les accidents comme ces histoires de Lastours par exemple. Parce qu’on sait qu’après une grosse pluie, il y a un risque où l’eau est passée, donc il faut faire gaffe à tout ce qui a été inondé. Faire déjà une démarche qui soit normale, qui prévient les accidents. Mais si à chaque fois ça part de quelque chose de dangereux, évidemment ça met toujours en panique et ça créée cette sensation qu’on est dans un gros danger et tout est pollué et on va tous mourir, finalement. [Thomas] […] le problème majeur c’est qu’on ne sait pas vraiment, on ne sait pas vraiment à quoi on est exposé, de quelle manière on s’expose soi-même… L’ignorance est la mère de toutes les conneries. »
Thomas et Jacynthe
Une autre demande porte sur une mesure régulière des risques d’imprégnation[7]. Pour Nael, il faudrait mesurer l’imprégnation de plusieurs générations d’enfants scolarisés dans la vallée et comparer ces résultats entre eux pour en connaitre les variations dans le temps. En somme, il souhaiterait que soit créée une base de données de référence sur l’imprégnation, propre à la vallée.
« Ce que je trouve anormal, c’est qu’ils ont fait uniquement les prélèvements pour les gosses qui étaient là, sur l’année de l’inondation. Et ils auraient pu faire des prélèvements sur des gosses qui étaient là depuis le début. Ils auraient pu remonter quelques temps avant pour voir s’il y avait une différence ou pas. […] Je pense qu’une fois de plus, ils se foutent de nous. Parce que là ils vont les comparer à quoi les données qu’ils vont recueillir ? J’en connait des enfants testés et qui ont des taux importants. Mais les taux, comme je ne sais pas à quoi ils les comparent, je ne sais pas trop ce que ça veut dire. […] J’aimerais qu’ils les généralisent sur une ou deux générations différentes pour pouvoir faire des comparaisons : savoir si c’était plus avant, ou moins… Pour avoir un élément de référence. Alors que là, la référence je ne sais pas par rapport à quoi… Parce que des vallées de l’Orbiel, il n’y a pas 50 : il n’y en a qu’une. Une mine d’or en France, il n’y en a qu’une. […] Je pense qu’il faut comparer, oui, par rapport aux facteurs de la vallée. Pas comparé à d’autres choses qui n’existent pas. Tester sur une ou deux générations, ça aurait pu être bien. Mais bon je ne suis pas scientifique. »
Nael
De plus, selon certain·es habitant·es, les protocoles des études d’imprégnation devraient globalement être améliorés. Francis souhaite la mise en place d’études comparatives avec d’autres territoires, afin de rendre compte des éventuelles spécificités des problèmes de santé environnementale dans la vallée. Thomas souhaite un élargissement des campagnes d’imprégnation à la réalisation d’études « isotopiques » qui permettraient, selon lui, d’analyser les propriétés des substances retrouvées dans les corps (les isotopes d’un élément chimique) permettant de retracer d’où vient la substance (la source) et ainsi d’éclairer les habitant·es sur les meilleures façons d’éviter leur exposition-imprégnation, si ces substances s’avéraient dangereuses. C’est donc l’élucidation des sources principales d’exposition qui doivent être tracées à partir de marqueurs dans les analyses d’imprégnation.
« Moi ce que je souhaiterais, c’est qu’on fasse des études [comparatives] avec d’autres endroits en France, pour dire « effectivement, là il y a quelque chose ». Bon maintenant, qu’on fasse des études effectivement »
Francis
« Ces analyses d’imprégnation c’est très bien, chacun a le droit de savoir à quoi il est exposé. Pour moi c’est juste un point de départ. C’est le premier pas. Le deuxième pas, c’est maintenant identifier clairement, par une étude isotopique, les sources de pollution pour pouvoir s’en affranchir. »
Thomas
Pour celles et ceux qui pratiquent le jardinage, un meilleur éclaircissement des liens entre consommation des produits du jardin et risques d’exposition-imprégnation est formulé. Sylvie rappelle par exemple qu’il est nécessaire de mener des études scientifiques de la pollution de l’eau et sur les risques de santé liés à la consommation de produits du jardin. Cette demande envers les autorités publiques est d’autant plus forte que le caractère scientifique des données diffusées par les associations locales l’interroge.
« Et bah on habite sur cette vallée principalement, donc je pense que c’est important qu’on ait des avis éclairés et que des recherches soient faites pour que nous après on puisse faire la part des choses. Parce que je sais qu’il y a des collectifs, des associations qui ont étudié le dossier… Est-ce que c’est un avis scientifique ou pas scientifique ? Et là on ne le sait pas trop. […] Ce qui m’inquiète le plus c’est la pollution de l’eau surtout. Parce que bon, l’eau c’est essentiel à la vie. Donc surtout la pollution de l’eau. Et ce qu’on laisse pour nos enfants aussi. Et au niveau de notre consommation : on a des jardins potagers, quels sont les risques, qu’est-ce qu’on encourt… »
Sylvie
[1] Dans l’enquête par questionnaire, 72,7% de la population générale déclare ne pas être suffisamment informée sur l’impact sanitaire des pollutions liées à l’ancienne activité minière [Tableau 13].
[2] 80,6% de la population générale estime qu’elle est préoccupée parce qu’elle n’a pas toutes les informations sur la pollution liée à l’ancienne activité minière [Tableau 14].
[3] De façon générale, 48,9% de la population générale déclare qu’ils trouvent injuste de devoir vivre avec toutes ces restrictions à cause des pollutions [Tableau 15].
[4] Ces deux communes sont très souvent citées dans la presse comme des zones où les tensions se cristallisent : campagne d’imprégnation des enfants, fermeture de l’école, etc.
[5] Zask, J., 2008, « Situation ou contexte : Une lecture de Dewey », Revue internationale de philosophie, 245, pp. 313-328.
[6] Dans l’enquête par questionnaire, 65,7% de la population déclare que développer des études de santé en lien avec les pollutions minières et/ou avec les métaux lourds est le plus important [Tableau 16] Parmi eux·elles, 82,2% estiment qu’il faut qu’elles concernent « tous les polluants possibles » [Tableau 17].
[7] 60,1% de la population générale estime que « mettre en œuvre sur du long terme un suivi médical des populations en lien avec l’impact sanitaire des pollutions » face aux pollutions liées à l’ancienne activité minière dans la vallée est une des mesures les plus importantes à prendre [Tableau 18].
Face à la polarisation des points de vue, des attentes d’élucidation multi-acteurs
Dans le régime du scepticisme attentif, la polarisation des points de vue est généralement vivement critiquée. Elle participerait à maintenir les habitant·es dans un monde incertain où les pollutions et les risques de santé environnementale demeurent peu définis, la situation d’échange entre pouvoirs publics et associations locales étant jugée peu constructive parce que trop polémique. Est alors formulée une attente d’élucidation concertée, multi-acteurs et pluraliste – en somme hybride – permettant à la fois de réduire les écarts entre expertises et surtout d’énoncer les risques (ou les non-risques) afin de favoriser l’action collective et de limiter les polémiques. Dans un contexte marqué par de fortes polémiques, la discussion publique – souhaitée ouverte à la pluralité des points de vue et des acteurs (pouvoirs publics, habitant·es ordinaires, etc.) – est ainsi parfois présentée comme compliquée, voire impossible, par certain·es habitant·es. Pour ces dernier·ères, les effets de posture ne permettraient pas de répondre aux enjeux de la construction collective des solutions aux problèmes environnementaux et sanitaires de la vallée. Ils bloqueraient le travail pratique d’élucidation des problèmes et génèreraient parfois des doutes portant, pour Bastien et Léo, sur la « sincérité » des discours, sur la « pertinence » ou sur la « surestimation » des risques encourus. Patrick et Marie nous expliquent qu’à la suite des inondations d’octobre 2018, qui ont impacté leur maison, ils ont participé à une réunion organisée par les associations locales de la vallée de l’Orbiel pour rencontrer des « gens qui pouvaient avoir une vision décalée par rapport à ce qui était dit de manière officielle sur la contamination », pour savoir aussi « quel était réellement l’impact » de la crue. Le couple nous raconte la façon dont ils ont vécu la réunion : les informations délivrées par un chercheur militant affilié aux associations locales leur semblent alors trop nombreuses, compliquées, voire inaudibles ; le discours formulé de façon choquante semble, selon eux, braquer l’auditoire et notamment celles et ceux qui ont « toujours vécu là » ; l’ambiance est jugée « conflictuelle », le discours mobilisant « en permanence une mise en accusation des pouvoirs publics […] qui allait très, très loin », selon Patrick et Marie. La façon dont se déroule la réunion semble finalement générer de la défiance : « j’ai du mal à être sûr qu’il est complètement sincère », nous explique Patrick. Selon le couple, les propos sont clivants au risque de freiner l’engagement vis-à-vis des problèmes et d’empêcher le travail d’échange et de concertation. Patrick énonce, en ce sens, qu’il « considère qu’il y a un moment donné, quand c’est trop clivant, c’est plus audible » [1]. Pour Marie, l’accumulation d’envoi de mails et de pièces jointes, jugées peu lisibles, sature également l’information.
« Je pense que d’un côté, certaines associations vont surestimer la chose. Il y a des enjeux derrière qui dépassent la simple pollution, à mon avis je dis bien. »
Bastien
« Informés oui. Pas assez je ne sais pas. Euh … Après est-ce que les informations sont pertinentes ? Est-ce que les gens qui font des collectifs, est-ce que les gens qui font des associations sont réellement sincères ? »
Léo
« [Marie :] Après on s’est aussi informés, on est allés à quelques réunions du SMMAR et puis des réunions de gens qui pouvaient avoir une vision décalée par rapport à ce qui était dit de manière officielle sur la contamination. Et puis essayer de voir un petit peu comment ça se passe, juste après l’inondation pour voir quel était réellement l’impact. Et là ce n’est pas forcément évidant… […] [Patrick :] C’est un chercheur à la retraite qui est assez particulier. Qui est un mélange de quelqu’un de très objectif et très professionnel avec une formation scientifique tout à fait valable. Mais qui j’ai l’impression met une espèce de sens à sa vie dans sa façon de lutter. En luttant pour ça ? Qui est d’un point de vue très bien, et d’un autre un peu bizarroïde parce que moi j’ai du mal à être sûr qu’il est complétement sincère… Il envoie beaucoup de mails, il informe beaucoup des choses compliquées… j’arrive plus à lire ses mails, je ne comprends pas très bien. Et quand il avait fait une réunion qui était d’un certain point de vue très claire et d’un autre avec une formulation et une présentation qui étaient, un petit peu, choquantes et du coup ça a aussi braqué les gens… Parce que y en a qui ne veulent pas entendre parler de pollution dans l’Orbiel parce qu’ils ont toujours vécu là etc. […] [Marie :] Moi j’ai du mal à considérer que quand le discours est trop radical que ça puisse servir une action possible en fait. Je considère qu’au contraire ça fait partie des freins. Et c’est contreproductif. Et là en l’occurrence, qu’il y avait en permanence une mise en accusation des pouvoirs publics etc. et qui allait très, très loin. Et en fait c’est trop clivant d’un certain point de vue. Et moi je considère qu’y a un moment donné quand c’est trop clivant c’est plus audible et on arrive plus… Peut-être que je suis très naïve et que je me dis que tout ça est instrumentalisé. Mais le problème c’est ça. C’est qu’on n’arrive pas ensuite, ça débouche pas sur un acte concerté, ça débouche pas sur une action collective… Et donc à la suite de cette réunion, on s’était interrogés de savoir ce qu’on pouvait faire à titre individuel et on était arrivé à cette conclusion que déjà on pouvait se faire tester nous même pour avoir des données, pour alimenter quelque chose. Mais on ne l’a pas fait. […] [Patrick :] Entre M […], le BRGM ou à l’ARS parce que c’est eux les représentants, c’est super compliqué de se faire une idée précise entre les deux. […] [Marie :] Il me semble qu’on avait envoyé Mme. […] vers lui aussi. C’est celle qui était en Licence […]. Elle avait été contactée par M. […] qui pareil, c’est un type charmant et gentil mais au bout d’un moment je trouve que c’est compliqué d’interagir avec lui parce qu’on sent le type super énervé quoi. Je vous dis : il passe son temps à m’envoyer des mails avec des Fwd de je ne sais pas quoi d’analyses toxicologiques avec des tableaux et je ne capte rien à ce qu’il m’envoie. Ça dessert. Je les mets en indésirables quoi… »
Patrick et Marie
Patrick et Marie trouvent finalement peu de réponses à leurs questions. Ils énoncent leur lassitude, c’est « toujours la même chose, cette même ambivalence, ce même flou de tous les côtés ». Cette opposition forte – entre la posture jugée clivante des associations et le manque parfois de cohérence des recommandations ou le défaut d’information délivrée par les autorités publiques – génère une critique de l’opacité dans laquelle les habitant·es ordinaires évoluent. Authentifier les risques de santé environnementale semble impossible dans ces conditions. Les nombreuses informations circulant dans l’espace public ne sont pas jugées crédibles : la défiance est de mise. Une distance peut même sembler nécessaire pour Marie, pour ne pas se perdre dans des informations qu’elle juge peu fiables et trop polémiques.
« [Marie :] je n’ai pas l’impression que y aura à un moment ou un autre un arbitrage clair disant « c’est dangereux, ce n’est pas dangereux parce que telle et telle choses. » J’ai l’impression qu’on n’arrivera pas à ça. Mais chacun peut se faire son faisceau d’arguments. […] En fait, quelque part ça oblige, parce qu’on ne peut pas non plus consacrer toute sa vie à ça, et ça oblige à un moment donné à prendre de la distance. D’une part pour ne pas se perdre dans le fait d’écouter des informations comme ça, qu’on va avoir du mal à trier, dont on va se méfier de la source, on a une espèce de problème de crédibilité comme ça. Et puis ensuite moi j’ai l’impression que ça met à distance les actes possibles. Y a quelque chose comme ça. Je ne sais pas quelle action collective on pourrait avoir, mais le fait qu’il y ait une espèce de flou sur les informations fait que y a pas d’action, y a peu d’action réellement. […] On n’arrive pas à avoir une espèce de convergence comme ça sur des actions qui seraient les plus favorables, que ça soit en termes d’inondation ou en termes de pollution. »
Patrick et Marie
Au-delà de la posture clivante des acteurs associatifs, jugée parfois problématique, les modalités d’action qu’ils développent peuvent poser question à certain·es habitant·es. Andréa s’interroge sur l’action en annulation d’un arrêté préfectoral restreignant la pratique de la cueillette et du jardinage [Encadré 67]. Quand bien même cette démarche est « de bon droit », selon Andrea, cette dernière estime que l’arrêté avait pour mérite d’alerter les habitant·es, notamment les nouveaux·elles arrivant·es, de la situation environnementale et sanitaire de la vallée, comme ce fut le cas pour elle. Andrea juge donc cette modalité d’action paradoxale puisqu’elle ne répondrait pas aux enjeux d’information, de défense de l’environnement et de la santé des habitant·es, alors que les associations locales se disent engagées vis-à-vis de ces enjeux. Elle tente d’alerter la préfecture sur l’intérêt de maintenir ces arrêtés[2], puis se détourne des associations locales.
« Après les associations de défense de l’environnement… Je vous dis, je n’y suis pas allée parce que la démarche me dérangeait. […] C’est vrai qu’au niveau du droit, il pouvait le casser parce qu’il n’avait pas à être pérenne. C’est sûr. Là-dessus, il n’y avait pas d’ambigüité. Mais moi j’en voulais un peu aux associations d’avoir supprimé ce document qui certes ne pouvait pas résoudre les problèmes, mais qui pour moi était important. […] j’avais pensé à un moment m’investir un peu plus et je ne l’ai pas fait parce que je trouvais qu’il y avait un paradoxe entre les associations de protection de l’environnement qui a priori militaient pour informer les habitants etcetera., et le fait que ces mêmes associations aient attaqué l’arrêté préfectoral pour le casser. Pour moi il y avait un non-sens. Parce que si je ramenais à mon histoire, moi j’avais appris qu’il y avait des mesures à prendre parce que cet arrêté existait. Donc si vous voulez, pour moi, il y avait un non-sens. Donc je ne me suis pas investie plus que ça parce que je trouvais pas, au sein des associations dites militantes, de vraies raisons de le faire et je ne trouvais pas ça très sérieux. Ça c’était mon opinion. C’était un petit peu mon ressenti à ce moment-là. […] Il a été cassé, je dirais en 2017 peut être. À vérifier. Il existait depuis je crois 1995-96. Si vous voulez, si on voit ça avec un œil du droit : l’association avait raison parce que cet arrêté, ces arrêtés, tels qu’ils étaient constitués, ne peuvent pas être pérennes. Et là il était reconduit d’années en années, depuis plus de 10 ans, donc effectivement il était arrêté sur ce principe du droit et c’est pour ça qu’il a été cassé. Si on allait chercher un peu plus loin, c’était à cause de ça. Mais pour moi ça faisait partie quand même… il y avait cette info qui circulait pour les nouveaux arrivants, ça pouvait alerter, les gens pouvaient avoir envie de se documenter. Et je vous dis pour moi c’était carrément à contre… Ce n’était pas dans le mouvement tel qu’on pourrait dire « je protège l’environnement, etcetera. ». J’ai vraiment déploré ce phénomène, le fait que cet arrêté soit cassé. J’avais même envoyé un mail au préfet, lui demandant de faire appel. Parce que du fait de ma profession, j’avais vu qu’il y avait quelque chose qui pouvait être abdiqué s’il faisait appel. Bon a priori le préfet n’a pas souhaité aller plus loin. Il s’en est tenu au fait que l’arrêté soit cassé par le tribunal administratif. Mais voilà j’ai vraiment déploré cette situation. »
Andrea
Thomas, quant à lui, déplore la polarisation des positionnements d’élus de la vallée [Encadré 68] : selon lui, certains maires souhaiteraient taire les problèmes de pollution et d’autres les exemplariser, ce qui réduirait systématiquement les avis divergents au silence, que l’on adhère ou pas à l’urgence de la situation. En somme, les habitant·es peuvent se sentir pris au piège de définitions jugées clivantes sur la situation environnementale et sanitaire de la vallée. Elles ne permettraient finalement ni d’éclairer la réalité de la situation, ni d’esquisser une solution commune.
« Il y a une omerta, on ne parle pas de ça. Toute tentative de mettre en place un débat sur le sujet est systématiquement fracassé par les élus locaux. Ils ne veulent pas. Ou alors ils veulent contrôler totalement tout ce qui est dit là-dessus. Et quand ils le contrôlent, ils le contrôlent à la façon du maire de la commune de […], c’est à dire « C’est moi qui dis ce qui peut être dit et ce qui ne peut pas être dit et on va dans la direction que je veux et le reste, je ne veux pas en entendre parler ». »
Thomas
Dans le régime du scepticisme attentif, l’attente est celle d’une élucidation concertée et multi-acteurs [Encadré 69]. Selon certain·es habitant·es, des solutions ne pourraient être trouvées que de façon collective, en réduisant les écarts entre expertises. Ils·elles demandent, en d’autres termes, que soient laissées de côté les postures trop clivantes, pour laisser place à des propos mesurés et des solutions concertées. C’est ainsi que Bastien invite à dépasser l’opposition radicale entre les points de vue, pour laisser la place à la fabrique d’informations concrètes permettant de lever les indéterminations sur les situations vécues de pollution. Bastien aimerait avoir des éléments concrets – « une vérité vraie, ni exagérée, ni sous-estimée », nous dit-il – produits de concert par les institutions et les associations. Il invite alors ces acteurs à collaborer pour dire les risques tels qu’ils sont. Comme pour Bastien, Andrea nous explique clairement que « le problème est tellement important qu’il faut que les personnes […] travaillent ensemble ». Pour elle, devraient être associés à la fois les élus locaux (maires) pour relayer les informations auprès de la population, les agences régionales de santé (ARS) avec la réalisation d’études de santé pour objectiver les risques, la préfecture comme acteur de la coordination (au travers des Commissions Locales d’Information) et les associations environnementales (sans préciser le rôle qu’elles doivent tenir dans cet agencement d’acteurs). Andréa souligne – pour « faire avancer les choses » en santé-environnement – que chacun se doit d’être constructif et ne pas toujours être « contre », ce qu’elle observe chez les associations qu’elle juge « systématiquement contre les services de l’État ou contre ses représentants ».
« Il ne faut pas être manichéen, tout n’est pas tout blanc ou tout noir. A un moment donné, il faut savoir raison garder, avoir une vigilance concrète donc ne pas être dans le déni et ne pas hurler avec les loups et se dire qu’il y a quelque chose, qu’il y a forcément quelque chose, qu’il y a forcément eu quelque chose, qu’il est probable que ça ait eu des conséquences sur la santé des gens et le mode de vie des gens qui ont été confrontés à ça, comme je l’étais et comme les gens d’autres villages de la vallée de l’Orbiel l’ont été. Il est probable que ça ait eu des conséquences, maintenant est ce que c’est très grave ou ça ne l’est pas du tout ? Je ne suis pas capable de le dire et je vais pas aujourd’hui, je ne suis pas du genre à faire des articles de presse […], alors qu’on ne sait pas. Moi ce que j’aimerais avoir effectivement, c’est un petit peu plus de renseignements concrets. Je fais confiance aux institutions, à la différence d’autres peut être. Mais pour avoir été dans le domaine administratif, je fais assez confiance encore aux institutions françaises et aux associations pour faire en sorte que la vérité se fasse ; mais une vérité vraie : ni exagérée, ni sous-estimée. »
Bastien
« Pour moi le problème est un peu multiple. Les maires évidemment, qui sont en première ligne et qui sont les relais auprès de la population. Après je pense qu’il y a les maires et qu’il faudrait un investissement important de l’ARS aussi, peut-être avec des études. Peut-être qu’il y a des études en cours je ne sais pas. Mais c’est pareil pour le nucléaire on a fait des études dans les périmètres pour voir s’il y avait une augmentation des cancers dans certains. Et après on dit les choses : par exemple on savait que dans une région il y avait 200% en plus de cancer de la tyroïde et on a su expliquer aussi paradoxalement qu’on sait mieux les détecter. Les 200% ce n’est pas uniquement parce qu’il y a une centrale nucléaire. Ce n’est surement pas ça parce qu’il y a aussi d’autres facteurs. Et donc je pense que l’ARS a un rôle important à jouer, et les CLI je pense qu’il faut qu’elles se tiennent régulièrement ; parce que je pense qu’à un certain moment elles ne se tenaient plus. Et peut-être que les associations environnementales… Mais je pense qu’il faut des gens investis, mais positivement. Ce n’est pas parce qu’on est une association environnementale qu’il faut que l’on soit systématiquement contre les services de l’État ou contre ses représentants. Pour moi, le problème est tellement important qu’il faut que les personnes elles travaillent ensemble. […] Mais avant 2018, elles ne donnaient pas l’impression de travailler ensemble. Après c’était peut-être qu’une impression mais ça ne donnait pas non plus l’impression, non. Souvent dans la presse bon les associations tiraient à boulet rouge sur l’État. A un moment j’avais même vu un préfet qui avait répondu assez sèchement. Donc bon voilà à un moment c’était un peu l’escalade verbale et ce n’est pas ça qui fera avancer les choses. »
Andrea
[1] Cela peut peut-être participer à expliquer (hypothèse) que 61% de la population générale déclare ne pas consulter habituellement les associations locales et leurs représentants pour se renseigner sur l’impact sanitaire de la pollution de la vallée [Tableau 19].
[2] 26,8% de la population générale estime qu’il faudrait « interdire la vente ou la consommation d’aliments issus de la vallée de l’Orbiel (fruits, légumes etc.) ou prélevés dans les espaces naturels (thym, escargots, etc.) par arrêtés préfectoraux » pour faire face aux pollutions liées à l’ancienne activité minière dans la vallée [Tableau 20].