L’exploitation réussie de la religion par Meloni a été cruciale dans la croissance de son parti. Son positionnement stratégique sur les questions religieuses et l’utilisation habile du symbolisme religieux expliquent cette réussite. Ces éléments créent des liens avec un électorat qui adhère aux valeurs chrétiennes. À partir d’un extrait, d’un discours marquant de Giorgia Meloni, nous proposons de vous révéler comment une remise en perspective critique de sa « stratégie religieuse » permet d’éclairer les implications de ces tactiques politiques.

Discours de Giorgia Meloni sur la place San Giovanni à Rome le 19 octobre 2019 lors d’un rassemblement de la droite italienne.

Position sur le catholicisme et les valeurs traditionnelles

Giorgia Meloni, actuelle présidente du Conseil, est une femme politique italienne, leader du parti politique conservateur Fratelli d’Italia. Elle est très attachée à la foi chrétienne et souligne l’importance de la religion chrétienne en tant que fondement de la culture italienne.

Lors de la campagne électorale pour la présidence en 2022, Giorgia Meloni s’est présentée comme une figure maternelle qui souhaite gouverner l’Italie avec amour, en alignant son image sur les valeurs familiales traditionnelles et la foi chrétienne. Elle a exprimé des opinions tranchées sur les changements sociaux liés aux droits des minorités, indiquant une position conservatrice sur ces questions. En outre, le choix de ses vêtements et de son style pendant la campagne électorale pour la présidence a été utilisé pour transmettre des messages non verbaux d’autorité et de lien avec les valeurs traditionnelles, ainsi que pour gagner l’approbation des gens par le biais de la communication visuelle. Cela correspond à sa position politique conservatrice et souligne l’influence des valeurs chrétiennes dans sa personnalité politique. En effet, on l’a vue porter des longues jupes et des couleurs pastel telles que le bleu clair et le vert clair, qui donnent une impression de tranquillité et de confort, ce qui la rend plus proche du peuple et plus féminine.

Giorgia Meloni lance sa campagne pour l’élection présidentielle de 2022 lors d’un rassemblement à Ancône le 23 août 2022.

Cependant, au cours des trois premiers mois de son mandat de Premier ministre, Meloni s’est mise à porter des vêtements strictement masculins, avec des couleurs sombres et saturées qui véhiculent une image plus autoritaire et androgyne, présentant implicitement le pouvoir comme une affaire d’hommes. Ce changement de garde-robe s’aligne parfaitement sur son conservatisme autoproclamé, renforçant sa position politique par ses choix vestimentaires.

Giorgia Meloni et Mario Draghi lors de la cérémonie de la campanella le 23 octobre 2022.

La position politique de Giorgia Meloni reflète donc un engagement en faveur des valeurs conservatrices et traditionnelles, en particulier celles associées à la religion catholique, ce qui fait d’elle une figure influente dans le paysage politique italien contemporain de droite.

Après avoir donné un aperçu de la position politique de Meloni, entrons dans le vif du sujet de son discours à Rome.


Exploitation du symbolisme religieux

Dans cette déclaration, Giorgia Meloni exprime une position claire sur les symboles religieux. Elle laisse entendre que ceux qui se sentent offensés par la présence de symboles religieux, tels que le crucifix ou la crèche, devraient envisager de vivre ailleurs. La déclaration reflète la défense vigoureuse de la présence de ces symboles religieux dans les espaces publics ; mais cela suggère également qu’il y a une certaine attente ou exigence pour les individus de respecter et d’accepter les normes culturelles et religieuses de l’héritage catholique. Toutefois, regardons de plus près ce que représentent la croix et la crèche en Italie afin de comprendre son importance.

Le crucifix

Le crucifix dans les espaces publics en Italie témoigne d’une nation ancrée dans l’identité religieuse du passé, puisque jusqu’en 1984, avec l’accord de la Villa Madame, l’Italie était un État catholique. Ce symbole divise toutefois la population italienne, certains estimant qu’il s’agit d’un symbole de prosélytisme religieux, tandis que pour d’autres, il s’agit simplement d’un symbole historico-culturel. Le crucifix accroché au mur, dans les espaces publics, est donc à la fois une question juridique basée sur des dispositions et une question d’histoire. Une histoire qui va du Moyen Âge au XXe siècle; en effet, la représentation du Christ cloué sur la croix a commencé à dominer à partir du XIVe siècle. De plus, l’Italie a toujours été liée à l’Église catholique, que ce soit avant l’unification, par le biais d’accords et de la proximité géographique, ou après l’unification, par le biais des pactes du Latran signés le 11 février 1929.

Les accords entre le Saint-Siège et l’Italie, signés le 11 février 1929, par le cardinal Gasparri, secrétaire d’État, et le premier ministre Mussolini, créent l’État de la Cité du Vatican.

Il convient toutefois de préciser que l’exposition du crucifix repose sur une disposition qui trouve son origine dans la loi Casati n° 3725 du 13 novembre 1859 du Royaume de Sardaigne, entrée en vigueur en 1861 et étendue, avec l’unification nationale, à l’ensemble de l’Italie. Cette loi, qui porte le nom du ministre de l’éducation Gabrio Francesco Casati, prévoit notamment la présence du crucifix dans le mobilier scolaire. Par la suite, en 1924 puis en 1926, l’exposition du crucifix a été étendue à d’autres bâtiments publics, tels que les hôpitaux et les tribunaux. Cependant, ce symbole, comme nous l’avons déjà mentionné, ne fait pas l’unanimité en Italie, c’est pourquoi il y a des débats constants sur la pertinence du crucifix dans les espaces publics. L’affaire Lautsi illustre bien cette situation. Malgré les débats, le crucifix reste aujourd’hui exposé dans les espaces publics, témoignant d’un fort enracinement dans les racines chrétiennes de l’Italie.

Un crucifix accroché dans une salle de classe en Italie.

Meloni s’insère donc simplement dans un débat déjà existant sur le crucifix afin de faire parler d’elle, en se positionnant du côté des partisans de l’exposition du crucifix, qui sont majoritaires. Les statistiques de 2021 indiquent que 80 % de la population italienne est chrétienne et que seulement 15 % est athée, ce qui est intéressant car ce sont surtout les athées qui intentent des actions en justice contre l’exposition des crucifix. Se positionner en faveur de l’affichage du crucifix est donc une stratégie politique efficace car elle permet de mobiliser un large électorat parmi les chrétiens et les conservateurs.

Une salle du tribunal en Italie avec le crucifix.

Et la crèche ?

Outre le crucifix, la crèche est également un symbole de l’héritage chrétien de l’Italie. La crèche trouve son origine dans les représentations sacrées qui se tenaient dans les églises à Noël, auxquelles se rattache probablement aussi la crèche vivante reconstituée par saint François à Greccio. En fait, la diffusion de la tradition de la nativité en Italie, met en évidence son rôle de patrimoine identitaire et sa présence sous diverses formes montre à quel point la nation italienne est ancrée dans son patrimoine religieux. Le palais du Quirinal, par exemple, a rassemblé des crèches de toutes les régions italiennes, avec l’initiative de faire connaître et de valoriser les traditions culturelles, historiques et artistiques des différentes régions pendant les festivités de Noël, de manière à représenter l’unité du pays à travers la pluralité de ses expressions.

Reproduction historique de la première crèche du monde, en 1223 – par le Pro-Loco de Greccio en 2019.

Défense de la famille traditionnelle

Outre la mobilisation de symboles religieux dans son discours, on remarque que Meloni s’appuie également sur les valeurs chrétiennes en promouvant la famille traditionnelle.

La famille traditionnelle est une famille hétérosexuelle fondée sur le lien du mariage, dans laquelle chaque rôle au sein de la famille est défini par le genre. Meloni s’oppose donc aux lois LGBTQIA+ car elles tendent selon elle à effacer l’identité italienne, pour faire de tous des égaux, des étiquettes. Meloni résiste donc à la menace de voir disparaître le modèle traditionnel d’inspiration catholique, sans pour autant évoquer les raisons pour lesquelles la famille traditionnelle est en crise. En effet, nombreux sont ceux qui ne se reconnaissent pas dans ce modèle familial, sans que cela concerne nécessairement les couples de même sexe. Nous constatons en effet qu’à l’époque moderne, les divorces, les familles monoparentales, les familles recomposées et les cohabitations sont de plus en plus fréquents dans toutes les zones géographiques italiennes et dans toutes les classes sociales. En d’autres termes, le modèle familial traditionnel est en crise en Italie depuis les années 1970, avec une escalade au cours des quinze dernières années, avant même que les revendications des droits civils des LGBTQIA+ se renforcent.

Dans son discours, elle souligne ainsi son soutien aux structures familiales traditionnelles en exprimant ses préoccupations au sujet des propositions visant à supprimer les termes « père » et « mère » des documents officiels, et plaide plutôt pour l’importance de protéger l’unité familiale traditionnelle. Tout en faisant appel aux sentiments de son auditoire, utilisant le symbole du drapeau tricolore, élément de patriotisme, pour souligner l’importance des valeurs italiennes traditionnelles et de l’héritage historique de la nation. Grâce à ces méthodes, elle établit des liens efficaces avec des personnes qui valorisent la culture italienne traditionnelle et cherchent à préserver l’héritage chrétien du pays.

Giorgia Meloni lors de son discours sur la place San Giovanni à Rome le 19 octobre 2019.

Bibliographie

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