Que ressentiriez-vous si, durant toute votre vie, vous aviez été qualifié de beauf en raison de votre ascendance ou de votre milieu social ? Comment vous seriez-vous construit, notamment durant l’adolescence ? Ces deux questions ne sont pas si rhétoriques car c’est le cas des « cholos » au Pérou ainsi qu’en Bolivie. Malgré le mépris qu’ils continuent de subir jusqu’à aujourd’hui, nous voyons émerger un discours propre auxdits « cholos », discours qui renverse les stigmates et revendique la « cholité ». Grâce aux chapitres « Fetichismo Tardio » et « The new sexy » de l’essai No soy tu cholo de Marco Avilés, nous chercherons à mesurer les enjeux de la construction et déconstruction de l’identité « chola ». Être « cholo » est mal vu mais comment renverser les stéréotypes et embrasser cette identité pour en faire un nouveau site d’identification positive ?

Marco Avilés, auteur péruvien

A travers cette dénomination héritée de l’époque coloniale et du système de castes qui existait dans les colonies espagnoles, le « cholo » désigne une personne issue de l’union entre un indien et une métisse ou l’inverse. Ce terme a survécu au long des années et bien que son sens ait évolué, ce dernier est resté fortement péjoratif et méprisant. De fait, être cholo signifie depuis le 16e siècle quelque chose de peu enviable: c’est être en bas de l’échelle sociale.

Le « cholo » entre honte et acceptation

Cette contextualisation nous permet de comprendre le poids de ce mot et sa portée péjorative. Dans le chapitre « The new sexy » qui nous sert pour notre étude, Avilés dit : ««Hay veces que la publicidad te tiene que hacer soñar un poco», dijo con sorprendente sinceridad el presidente de la Asociación Peruana de Agencias de Publicidad, Alberto Goachet, cuando le preguntaron sobre este asunto. «Y eso no se logra poniendo a una persona promedio». O sea, los cholos jamás podremos soñar con ser cholos. ». Cette citation qui parait anodine, semble être le nœud de notre réflexion dans cette partie. Être un cholo c’est ne pas être désirable et désiré, ne pas se voir représenté. C’est être discriminé et c’est chercher à s’intégrer pour se fondre dans la masse. Malgré tout, même avec ce processus d’intégration ou d’effacement de soi, le « cholo » peut être identifié comme tel et être victime de mépris de la part de ces concitoyens. Au niveau sociétal, être vu « cholo » c’est être vu comme une personne arriérée, en marge du progrès et de la modernité. Bref, tout mais pas « cholo ». En clair, toutes ces choses ne participent pas à l’amour de soi mais elle favorisent plutôt des sentiments pouvant aller de la honte à la haine de soi. Ce sentiment de honte, Avilés le décrit dans le chapitre  » Fetichismo tardio  » de son ouvrage No soy tu cholo. Cette honte que produisait l’identité qui leur était attribuée était due à un poids et à un stigmate historique. On peut dire qu’être « cholo » c’était comme être racialisé. On est « cholo » dans le regard de l’autre et ce regard fait mal, de fait, on fait tout pour ne pas être vu comme tel.

Malgré tout, Avilés se saisit du terme afin d’en avoir et de proposer une autre vision. Dès lors, nous assistons aux prémisses d’une parole « chola », parole en voix propre. Cette voix propre permet de s’auto-qualifier et de s’autodéterminer. Cette appropriation en voix propre permet, en quelque sorte, de sortir de l’identification pour accéder à l’identité. En effet, nous pourrions, de façon simple, définir l’identification comme la façon dont on est perçu et l’identité comme une construction volontaire de soi. A partir de ces définitions, nous pouvons aisément affirmer qu’il y a une acceptation de cette appellation. A la manière de Didier Eribon dans Retour à Reims, qui finit par accepter son origine sociale tout en se rendant compte du fait qu’il n’appartient plus à cette classe; les « cholos » d’aujourd’hui effectuent un retour à leur origine en ayant en tête le chemin parcouru par leurs parents et grands-parents pour les éloigner le plus possible de cette origine. En effet, retourner volontairement vers une identité stigmatisante fait partie du processus d’auto qualification et d’auto revalorisation de soi. Les discours en voix propres participent à un glissement sémantique des termes ayant un passif dépréciatif.

« El fenómeno se llama revalorización. En Lima, estamos aprendiendo a revalorizar lo que antes producía vergüenza. O sea, la choledad. »

Marco Avilés,extrait de « fetichismo tardio », No soy tu cholo
No soy tu cholo, livre de Marco Avilés

Le « cholo » : l’identification face à l’identité

Un peu plus haut nous avons défini ces deux termes. Être « cholo » c’est avant tout l’être dans le regard de l’autre. On nous perçoit comme « cholo ». Cette perception est capitale pour notre sujet. En effet, nous pourrions presque dire que le stigmate n’est pas porté par le « cholo » lui-même mais lui est attribué par celui qui le voit comme tel. Le « cholo » se fait identifier. A travers cette idée d’identification, il y a l’idée d’un processus, le « cholo » est victime du regard de l’autre, cela le place dans une position de subalterne. Dans son ouvrage, Avilés nous raconte la fois où il n’a pas pu rentrer dans une boîte de nuit, du fait de sa supposée condition de « cholo ». Cet événement est une clé de compréhension: l’identité supposée de quelqu’un peut être une source de discrimination, de fait, pour ne pas se sentir marginalisée, la personne cherche à adopter une autre identité. Cette volonté peut aller jusqu’à effacer des pans de son histoire familiale. C’est pourquoi, souvent, les descendants de « cholos » cherchent à se faire identifier autrement, notamment comme métis, car c’est une position mieux considérée au Pérou ainsi qu’en Bolivie. En effet, en plus d’avoir été un projet politique, le métissage était mieux perçu car synonyme de progrès, de nouveauté et de beauté tandis que le lien, assumé ou non, avec l’indigénéité était synonyme d’arriération.

En se saisissant du terme et en utilisant le discours en voix propre, Marco Avilés propose de créer une nouvelle identité « chola » ou au moins de l’affirmer ou de l’affiner. A travers le chapitre intitulé « The new sexy » de son ouvrage No soy tu cholo il procède à l’auto valorisation. A travers l’expression « Cholo is the new sexy », un peu à la manière des afro-américains avec l’expression « Black is beautiful », Avilés propose d’affirmer sa « cholité » en dehors des cadres imposés par la société. A travers cette volonté d’assumer son identité, nous remarquons que le processus d’identification change: s’auto identifier comme « cholo » permet de changer le sens de ce mot et permet d’affaiblir son côté stigmatisant, il y a une volonté de renforcement positif. Être « cholo » de façon volontaire c’est reprendre son identité en main, c’est avoir conscience de ce que porte le thème tout en lui donnant un sens nouveau. Nous assistons dans ce cas à une inversion de stigmates, un peu à la manière de Césaire avec la Négritude. En opposant l’identification à l’identité, on passe de l’expérience subie à l’expérience choisie: à travers ce choix on assiste à une déconstruction du terme qui amène à sa revendication.

Déconstruire le terme pour le revendiquer

Malgré le travail mené par des auteurs comme Marco Avilés, nous constatons que l’appropriation de l’identité « chola » continue d’être quelque chose de difficile pour les personnes qui sont vues comme telles. Pour embrasser l’identité « chola » il faut accepter le terme au niveau individuel. Il s’agit aussi de questionner ou même de bousculer un héritage colonial afin de passer de l’insulte au canon. En fait on peut dire que l’on passe du fait d’être « cholo » à travers le regard de l’autre au fait d’être cholo de façon choisie: j’ai choisi d’être un « cholo » et j’ai choisi de construire ou de me réapproprier mon identité chola de telle ou telle façon. En clair, je passe de l’identification comme « cholo » à l’affirmation de cette identité, ce qui implique une démarche volontaire qui commence au niveau personnel. Pour accepter ce « terme », il faut le déconstruire pour lui donner une noblesse nouvelle, ou a minima, lui donner un sens neutre. En fait, être cholo passe par une double déconstruction: une déconstruction au niveau individuel qui permettra une déconstruction au niveau sociétal. Déconstruire le terme permet de SE déconstruire et de sortir des normes imposées.

« La piel blanca es un símbolo aspiracional en un país que aspira entrar en el club del primer mundo. »

Marco Avilés,extrait de « the new sexy », No soy tu cholo

Ces déconstructions permettront, a terme, comme nous l’avons mentionné plus haut, de donner un sens autre au terme que nous étudions. De fait, déconstruire le terme de « cholo » permettra aux personnes qui sont vues comme telle de choisir ou non de revendiquer ce terme. Si elles choisissent de le revendiquer, elles seront actrices de leur identité tandis que si elles ne le revendiquent pas, le fait d’avoir déconstruit le terme, permettra de ne pas se sentir honteux et/ou de ne pas être victime de préjugés et de discriminations. En clair, déconstruire le terme est une nécessité car il permet aux « cholos » d’avoir une liberté de choix. En se penchant sur la notion de déconstruction du terme « cholo », nous remarquons que ce terme peut devenir objet de fierté pour les personnes qui le revendiquent.

En bref

Être « cholo » c’est porter un poids, c’est porter des stigmates et des préjugés, c’est se faire identifier. Cependant, en s’appropriant le terme et en lui ôtant son sens péjoratif, être « cholo » peut devenir objet de revendications. Se pencher sur le terme permet de lui donner un sens nouveau et fait que les personnes qui portent l’identité « chola » la portent autrement, cela permet de déconstruire la subjectivité du sujet, à la manière de Fanon dans Peau noire, masques blancs. En définitive, avec des travaux comme ceux d’Avilés, être « cholo » peut, à terme devenir quelque chose de désirable aux yeux des propres « cholos ». Nous assistons ici, avant tout à un travail d’acceptation de soi qui passe par la déconstruction et la reconstruction d’une identité.

Bibliographie

  • Avilés, Marco. No soy tu cholo, Lima, Pinguin Random House, 2017
  • Eribon, Didier. Retour a Reims, Paris, Flammarion, 2010
  • Eribon, Didier. Une morale du minoritaire, Paris, Flammarion, coll. Champs, 2015 (2001)
  • Fanon, Frantz. Peau noire, masques blancs, Paris, Editions Points, 2015 (1952)
  • Soruco Sologuren, Ximena. La ciudad de los cholos : Mestizaje y colonialidad en Bolivia, siglos XIX y XX. Lima, Institut français d’études andines, 2011. Web. <http://books-openedition.org.gorgone.univ-toulouse.fr/ifea/810>.
  • Weismantel, Mary. Cholas y pishtacos, relatos de raza y sexo en los Andes, Pérou, IEP, 2016