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Les Majas: premières influenceuses espagnoles ?

Flash info: Les Majas de Goya sont la cible d’activistes écologistes. Elles s’inscrivent dans la continuité polémique dans laquelle elles ont été pétries depuis leur création entre 1797 et 1803. Qui sont-elles ? Des femmes très en vogue appartenant aux classes populaires. Goya dévoile le phénomène du majismo où les hautes sphères de la société ont tenté « d’imiter » les classes populaires. Unique en son genre n’est-ce pas ? Au cœur de ces grandes polémiques, les majas sont-elles les premières influenceuses espagnoles ?

Figure 1: Collage à partir de l’œuvre La Maja Vestida De Francisco De Goya y de Lucientes, Huile sur toile, 1798, Madrid, Musée National du Prado
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Majas et Majismo : Késako ?

Figure 2: La Maja desnuda, Francisco De Goya y de Lucientes, huile sur toile, 1797-1800, Madrid, Musée National du Prado.

Dans notre imaginaire collectif d’hispanistes, nous pensons aux deux œuvres entreprises par Goya entre 1797 et 1803. Elles ont été la source d’une polémique sulfureuse au début du XIXème siècle en Espagne. Cette dernière débute en 1815, moment où l’artiste est convoqué par le tribunal de l’Inquisition pour justifier ses deux représentations retrouvées dans le cabinet du ministre Godoy. Débute une enquête afin de comprendre qui est la fameuse figure féminine représentée dans les deux portraits.

Qui sont les Majas ?

Figure 3: La Maja vestida, Francisco De Goya y de Lucientes, huile sur toile, 1800-1803, Madrid, Musée national du Prado.
Figure 5: Détail du portrait de La duchesse d’Albe en noir. Source l’Observateur.
Figure 4: Source GIPHY

Première hypothèse:

Formulée vers 1815, elle est considérée comme un mythe dans l’histoire de la peinture espagnole. Serait-ce la duchesse d’Albe (muse de Goya) représentée sur ces toiles ?

« Quand elle passe, tous courent à la fenêtre, elle est encore splendide comme au soleil de sa jeunesse »

Fleuriau de Langle dans sa correspondance publiée en 1796 à publié en 1796 à Propos de la duchesse de alba.
Figure 6: Portrait de Pepita Tudó, Juan de Madrazo, huile sur toile, 1812, Madrid, Musée national du Prado

Deuxième hypothèse:

Cette dernière, émise bien des années plus tard, prétend que notre figure féminine serait l’actrice espagnole Pepita Tudó, maîtresse du ministre Manuel Godoy. Leur liaison est dévoilée au grand jour.

Rassurez-vous cher.e.s lecteur.ice.s, le mystère a été élucidé: il s’agit de Pepita Tudó représentée sur les deux compositions. Sans le savoir ce personnage féminin restera des décennies durant l’idéal de beauté incarné par la femme espagnole.

Les Majas comme sujets picturaux, seront très présentes tout au long de la vie de Goya. Elles vertèbrent la vie du peintre: une source d’inspiration inépuisable. Elles soulèvent la question de la représentation du nu féminin: la Maja Goya est l’une des premières… Quel scandale en Espagne !

« Ce tableau implique une révélation, peut-être une vengeance désirée de la part de l’artiste. »

LUNDKVIST Artur, « Goya », chapitre dédié à la maja desnuda Suède, Éditions albert bonniers Förlag, 1974. Traduction de V.Bessieux.
Figure 7: Autoportrait dans l’atelier, Francisco de Goya y de Lucientes, huile sur toile, 1790-1795, Madrid, Académie Royale des beaux-arts de San Fernando. Source Wikipédia.

Qui sont les Majas d’un point de vue social ? Elles sont le symbole d’une société en transition entre le XVIIIème et le XIXème siècles durant la période de la Ilustración. L’étymologie du terme vient du mot « maya » signifiant « classe populaire ». Elle est associée à l’objet du désir charnel. Sa grande influence sur l’ensemble de la société a donné naissance au phénomène du majismo.

Qu’est-ce que le majismo ? Puisque nous sommes dans la tradition, restons-y ! Le majismo se définit comme un mouvement esthétique et social né en Espagne durant la deuxième moitié du XVIIIème siècle. Il touche l’ensemble de la population. Mesdames, Messieurs pas de jaloux.se.s ! Le terme s’applique pour tous les genres (sous le terme de majo). Mais ici, les dames sont à l’honneur !

L’émergence du phénomène peut s’expliquer en raison d’un facteur principal:

Un désir de réaffirmation identitaire face aux normes esthétiques et vestimentaires venues de France. Ce dernier est un acte de rébellion de la part des femmes. Mesdames, marre des corsets ? Alors adoptez le style des majas : sur-jupe, manches plus larges… Simplification de la tenue et de la silhouette sont au rendez-vous. Idéal en plein contexte de quête de liberté ! Ce dernier attirera l’œil de nombreux voyageurs européens durant tout le XIXème siècle…

Ce costume féminin est voyant: en effet, il est composé d’une jupe courte ornée de perles ainsi que d’une mantille accrochée autour du cou et de bas de soie. Pour finaliser la tenue: optez pour des souliers de velours dorés. La mantille se distingue comme un symbole purement espagnol : elle voile et dévoile les charmes des visages qu’elle orne.

CONSEILS DE LA RÉDACTION: Pour une effet encore plus raffiné optez une mantille de couleur blanche ornée de dentelle.

Le majismo est aussi un art de vivre ! Il définit la façon dont nous nous comportons dans la société. Cette façon d’agir, nous la trouvons représentée dans les portraits de Goya. Les femmes ont des airs plus détachés, symbole d’une quête d’indépendance et d’affirmation. Les majas sont les « girls power » de l’époque. Comme tous les grands mouvements identitaires (ici à l’échelle nationale) ce dernier a été très controversé par les hautes sphères de la société espagnole. Il s’agit également d’un phénomène d’imitation où la noblesse a tenté de « s’inspirer » des femmes issues des classes modestes. S’agit-il d’une imitation par pur plaisir esthétique ou comme outil de communication politique ?

Figure 8: Tenues de Majas, source Marie Durant au musée d’art du costume de Madrid.
Figure 9: Mantille espagnole, source site Noblesse et Royauté.

 » La mantille espagnole est donc une vérité (…) elle est en dentelle noire et se pose à l’arrière de la tête sur le haut du peigne. (…) L’ancien costume est si approprié au caractère de beauté des espagnoles, qu’il est vraiment le seul possible. »

Gautier Théophile, Voyage en espagne, paris, Éditions
flammarion, 1843.
Figure 10: Les Majas au balcon, Francisco de Goya y de Lucientes, huile sur toile, 1808-1814, Madrid, Musée national du Prado.

LE MAJISMO COMME OUTIL DE COMMUNICATION POLITIQUE.

UN STYLE RÉVOLUTIONNAIRE…

Nous sommes en plein contexte où l’Espagne tente d’endiguer le phénomène révolutionnaire français. Le terme Ilustración, est l’équivalent espagnol pour traduire la période des Lumières, qui s’implantera tardivement sur la Péninsule Ibérique.

Pourquoi le vêtement peut-il être considéré comme une outil de communication politique ? Contextualisons quelques éléments:

  • Il était reproché au système monarchique français d’être trop éloigné des problématiques rencontrées par son peuple. Le mot d’ordre: l’excentricité. Mis en lumière par la figure de Marie-Antoinette, la reine française a eu une réelle influence sur l’ensemble de l’Espagne.
  • Notre peintre, intervient précisément au moment où l’Espagne se situe au point de bascule entre la société d’Ancien Régime vers une société de Nouveau Régime. À l’instar d’une Comédie Humaine, Goya représente toute les catégories sociales et plus particulièrement des femmes appartenant à l’aristocratie. Ces dernières se sont prêtées au jeu de jouer les majas le temps d’une représentation.
Figure 11: Portrait de marie-Antoinette à la rose, Vigée Le Brun, huile sur toile, 1783, Versailles, Palais Royal.

Cher lecteur.ice.s voici la Duchesse d’Alba et la reine Maria Luisa de Parma, deux personnages féminins essentiels dans l’œuvre de Goya. Maintenant que les présentations sont faites, passons à l’analyse de leurs tenues.

En 1797, telle une « fashion victime » la Duchesse d’Alba porte un costume traditionnel de Maja: celui-ci est divisé en deux parties. Elle porte un pourpoint près du corps surplombé d’une sur-jupe. Elle respecte la tradition ! La question réside quant aux valeurs revendiquées par le sujet de la composition. Nous avons une figure très influente et très ancrée dans la société de son temps. C’est la raison pour laquelle la piste de l’affirmation identitaire est plausible. La duchesse expose ses richesses avec ses accessoires: c’est la « Alba’s touch ». Les boutons dorés, les broderies sur les manches ainsi que le port de la mantille confère à la tenue un caractère raffiné et aérien.

À présent observons le portrait de la Reine Maria Luisa de Parma vêtue telle une Maja. Au premier abord, la composition de la tenue est similaire à celle de la duchesse d’Alba. Mais si nous jouions au jeu des différences certains détails sauteraient aux yeux. En effet, la structure de la robe fait penser au style de « la robe à la française » datant des années 1780. La reine n’est donc pas à la mode. Quant aux valeurs revendiquées la question de la considération du port du vêtement entre en ligne de compte. le tissu peut-il être utilisé comme un outil de coalition entre le peuple et la royauté ? Dans ce cas là, le costume s’apparenterait à un outil de communication politique. Le majismo est un phénomène au cœur du système monarchique, mais également au cœur des actualités…

Figure 12: Portrait de la duchesse d’Albe en noir, Goya, huile sur toile, 1797, New-York, Société Hispanique d’Amérique.
Figure 13: Portrait de la Reine María Luisa en noir, Goya, huile sur toile, 1800, Madrid, Musée du Prado.
Figure 14: Robe à la française, Palias musée Galliera de Paris.

Les Majas au cœurs des actualités contemporaines.

Les Majas de Goya sont encore au cœur de l’actualité : en octobre 2022 elles ont été la cible d’activistes écologistes. Le choix de ces œuvres n’est pas anodin : elles continuent d’incarner le symbole de l’identité féminine espagnole. Les Majas ont donné naissance au concours de beauté Miss Goya dans les années 1950, se déroulant au Musée du Prado. Notons que leurs tenues ont été des sources d’inspiration notoires chez des couturiers tels que Balenciaga. Elles laissent donc un héritage culturel considérable ! Elles incarnent l’idée de créer quelque chose de moderne avec des éléments empruntés à l’Histoire. Nous ne pouvons que nous émerveiller face à leur beauté et aux scandales qui émanent d’elles. C’est pourquoi cher.e.s lecteur.ice.s nous pouvons les considérer comme les premières influenceuses espagnoles !

BIBLIOGRAPHIE:

  • BARRIOS, Manuel, Majas y duquesas: las mujeres en la vida de Goya, Madrid, Éditions Temas de Hoy, 2002
  • DE LANGLE, Fleuriot, Correspondance française, Paris, Archives Nationales, 1746.
  • GASSIER, Pierre, WILSON, Julie, Goya vie et œuvre, Paris, Éditions Vilo, 1970.
  • GAUTIER, Théophile, Voyage en Espagne, Paris, Éditions, Flammarion, 1843.
  • LUNDKVIST, Artur, Goya, Suède, Éditions Albert Bonniers Förlag, 1974.

Figure 16: Tendance automne hiver en Espagne en 1958 par le couturier Garuncho.
Figure 17: Balenciaga y la pintura española, interview du commissaire d’exposition Eloy Martínez de la Pera en 2019 au musée Thyssen Bornemisza, source du site internet du musée Thyssen.

3 Comments

  1. lauries

    Un article qui met à l’honneur l’affirmation des femmes. Quête de liberté, abandon des normes et volonté d’indépendance sont toujours d’actualité même deux siècles après las majas. Comme Marcela Said dans le cinéma, Goya donne, d’une certaine manière, la possibilité aux femmes de s’exprimer en les représentant telles qu’elles sont.

  2. Sarah Salamanca

    Mêler le XVIIIe avec les influenceuses et l’écologie, voilà qui n’est pas une tâche facile ! Tu rends très accessible l’oeuvre de Goya et… c’est passionnant !

  3. lour

    Encore une voie de l’histoire des femmes à explorer ! Et elles ont tant à nous dire.
    Merci pour cette présentation haute en couleurs et remplie de pertinence Valentine !