Saviez-vous qu’il existe plusieurs écritures de l’exil ?

La thématique de l’exil est très présente en littérature, notamment dans des œuvres autobiographiques, mais qu’en est-il de l’écriture de l’exil par un auteur non exilé ? Contrairement à Zoe Valdés, qui écrit l’exil cubain depuis sa terre d’accueil, nous avons sélectionné un roman de Leonardo Padura : Como polvo en el viento (2020) pour étudier cet aspect singulier de l’exil cubain écrit depuis l’intérieur des frontières.

L’exil politique cubain traditionnel en littérature

  • Une écriture depuis l’extérieur des frontières

L’exil est un terme générique qui est rattaché à chacun des pays du monde par le biais de l’histoire propre à chaque peuple. C’est un phénomène social qui se résume à un mouvement physique de migration d’un pays d’origine vers un pays d’accueil.

L’exil politique fait souvent l’objet d’un récit à cause de la violence physique et psychique qui lui est associée. Les exilés écrivent de façon postérieure leur parcours depuis l’île des Caraïbes jusqu’à leur terre d’accueil. Ces récits d’exil sont alors centrés sur une perspective personnelle, vécue par l’exilé, et attestent d’une grande humanité malgré la dureté des événements vécus. Les sentiments et émotions surprennent et envahissent le lecteur. Cependant, au-delà de la réécriture de l’histoire vécue, le trauma engendré par la violence de l’exil accorde une place importante à l’Histoire.

« L’exil est un drame qui poursuit l’histoire cubaine »

Leonardo padura

  • Les causes traditionnelles de l’exil politique cubain

Dans l’écriture de l’exil politique, les causes historiques sont communément partagées avec le lecteur. Grâce à la prose, l’auteur fait part des événements politiques dont il a été victime et qui ont engendré son exil. En ce qui concerne l’histoire cubaine contemporaine, l’exil politique se résume en deux périodes historiques récurrentes. Au XIXe siècle, la migration était très souvent liée à des phénomènes pré-indépendantistes et indépendantistes. Jusqu’en 1898, Cuba était une colonie espagnole. La deuxième moitié du XIXe siècle a été marquée par des phénomènes d’organisation sociale clandestines qui luttaient pour une émancipation face à l’Espagne Coloniale. Les Cubains qui luttaient pour une indépendance face à la Couronne se voyaient catégorisés d’opposants politiques. L’exil était leur unique alternative pour survivre.

Plusieurs décennies plus tard, au XXe siècle, c’est la Révolution Cubaine qui a été à l’origine de différentes vagues migratoires depuis l’île. Tout d’abord l’élite cubaine s’est vue contrainte à l’exil pour fuir le nouveau régime. Cette idéologie politique les tenait pour responsable des maux de l’île. Les exilés cubains qui ont écrit leur parcours dans un roman autobiographique ont évoqué la politique à l’origine de leur migration. Les plus récurrents sont ceux énoncés ci-dessus. Cependant, le trauma engendré par la violence de l’exil laisse souvent lieu à un certain parti pris politique dans les romans d’exil…

  • L’expression d’une idéologie politique en opposition avec le gouvernement fui

Les récits d’exil se centrent sur la trajectoire migratoire, l’acclimatation dans le pays d’accueil, les souvenirs, mais une idéologie politique peut se lire entre les lignes ou être clairement exposée. S’exiler pour des raisons politiques signifie fuir un gouvernement, une politique pour survivre, ou vivre plus décemment. Certains sont en danger de mort, d’autres fuient leur terre natale par opposition idéologique au système politique mis en place. La population cubaine a subi au XXe un fort exode, c’est pourquoi il lui est associé l’image de diaspora. Les cubains s’exilaient par milliers vers les États-Unis. La littérature d’exil se voit alors attribuer une valeur dénonciatrice, une opposition.

Zoé Valdés, précédemment nommée fait partie de ces exilés politiques qui voient l’écriture de l’exil comme un outil de lutte contre la politique cubaine qu’elle a dû fuir. Protégée du régime politique cubain fui grâce à l’exil, ses récits mettent en lumière ce qu’elle a vécu, tout comme ses concitoyens. Dans ce cas, l’éloignement géographique est un outil conséquent qui permet d’agir pour son pays natal malgré l’exil, pour qu’un changement puisse avoir lieu. La littérature apparaît alors comme une preuve de résistance face à la politique cubaine.

La littérature de l’exil propre à Leonardo Padura

  • Une écriture depuis l’intérieur des frontières cubaines

Leonardo Padura est un auteur cubain contemporain né en 1955 à La Havane. Suite à des études littéraires et une carrière journalistique, il s’est fait une place dans l’écriture singulière de l’exil. La première caractéristique qui fait de son écriture de l’exil une écriture à part entière est qu’il écrit depuis l’intérieur des frontières cubaines.

Contrairement aux récits autobiographiques traditionnels, Leonardo Padura écrit l’exil sans jamais ne l’avoir vécu. Ainsi, plus que de partager avec le lecteur une trajectoire personnelle, Leonardo Padura écrit l’histoire de l’exil cubain à travers une représentation littéraire des mouvements migratoires des XIXe et XXe siècles. On retrouve cependant l’expression des sentiments dans ses œuvres à travers l’écriture de la nostalgie des personnages de façon récurrente. Il dresse un portrait de l’île quittée à contre cœur pour des raisons politiques qui sont semblables à celles présentées dans des romans d’exil autobiographiques. Cependant, écrire l’exil politique sans quitter l’île qui est sujette au contexte politique amène à une singularité dans la façon d’écrire l’exil.

« En ce qui me concerne, chacun de mes romans est juste le meilleur que je peux écrire au moment où je l’écris »

Leonardo padura

  • Une écriture de l’exil sans positionnement politique

Écrire l’exil politique depuis l’intérieur des frontières et au sein du régime politique présenté comme cause de cet exil ne fait pas partie des exercices littéraires les plus simples. Pour ce faire, Leonardo Padura écrit l’exil grâce à différentes caractéristiques qui varient d’une œuvre à une autre : son expérience journalistique, l’emploi du genre policier ; l’entremêlement de différentes périodes historiques ; ou encore l’absence de références au système politique en place.

Son écriture de l’exil porte aussi bien sur la migration ultra-contemporaine du début du XXIe siècle que sur l’exil sous le castrisme. L’écriture de la migration d’origine politique se fait par la représentation littéraire de différentes idéologies politiques pour une même période temporelle. Cependant, il ne témoigne d’aucune appartenance ou positionnement politique personnel. Ces stratégies d’écriture lui permettent de contourner la censure, phénomène pourtant présent sur l’île durant de longues années. Ces caractéristiques font toute la richesse de sa production littéraire. Il écrit l’exil tout en tissant une narration qui lui permet de dire l’exil politique et ses causes sans franchir les frontières cubaines. Leonardo Padura est parvenu à écrire l’exil politique même lorsqu’il était tabou sur l’île. Ses récits d’exil politique sont singuliers, tant dans son positionnement géographique que dans sa manière de l’écrire.

  • Vers l’écriture d’un exil politique singulier

Leonardo Padura utilise la prose pour représenter les phénomènes migratoires qu’a subi l’île. Cependant, dans ses publications, l’exil est également une thématique qui lui permet d’interroger la société cubaine. Dans le roman publié en 2020 et intitulé Como polvo en el viento, L. Padura présente les différentes facettes de l’exil politique cubain que nous avons déjà étudiées plus haut.

Cependant, ce roman est également un tremplin qui amène le lecteur à un questionnement plus moderne de la migration politique : celle qui est engendrée par l’identité de genre. Dans cette œuvre, genre littéraire et identité de genre s’unissent grâce à la thématique de l’exil. L’exil écrit par Leonardo Padura se différencie en décrivant cette île de la fin du XXe siècle où l’on ne peut vivre son identité de genre si cette dernière ne correspond pas aux normes hétérosexuelles. Il nous présente alors une société cubaine où l’homosexualité est un tabou et ou la différence liée à l’identité de genre est source de violences physiques et morales envers ceux qui sont différents. Leonardo Padura fait alors vivre par la littérature l’exil à des personnages qui vivent une identité de genre qui ne correspond pas à la norme. L’exil est alors synonyme de liberté. Cet exil peut être l’occasion de vivre une identité de genre sans avoir peur de subir des violences ou l’occasion d’assumer et d’affirmer une identité de genre en dehors de la norme hétérosexuelle. (jacksonholebagels.com) Ainsi, cette écriture de l’exil politique par un auteur qui n’écrit pas le genre apparait comme une rénovation de l’écriture contemporaine. On s’aperçoit ainsi que l’exil politique évolue en fonction du temps. De par son évolution existentielle sur l’île, Leonardo Padura met en lumière cette facette de l’exil politique encore trop ignorée par le monde entier.

Pour conclure, nous pouvons affirmer que l’exil politique peut s’écrire depuis l’intérieur et l’extérieur des frontières géographiques. Cette caractéristique fondamentale oriente l’écriture. Bien que l’expression des sentiments soit récurrente, la nuance repose sur le rapport à la politique et au positionnement de l’auteur. Une écriture post-exil repose sur un engagement pour un changement politique et à l’encontre du régime en place. L’écriture depuis l’intérieur, elle, a pour but de décrire la vie sur l’île et les causes politiques qui mènent à l’exil. Cette dernière forme d’écriture de l’exil permet de mettre en lumière des causes plus singulières de l’exil politique cubain et qui sortent des standards autobiographiques. L. Padura écrit l’exil politique en lien avec l’identité de genre et illustre grâce à la prose une réalité sociale cubaine, mais aussi internationale.

Bibliographie

Blosh V., 2006, « Situation d’attente : les impasses de l’imaginaire national cubain, hier et aujourd’hui », Hérodote, n° 123, vol. 4.

Duchatel A., 2011, « Les littératures de l’exil », Entre les lignes, le plaisir de lire au Québec, n° 1, vol. 8.

Laporte A., 2021, « Leonardo Padura : ‘‘La littérature m’a sauvé du désespoir et de l’exil’’ », France Culture.

Léauthier A., 2021, « Leonardo Padura : ‘‘L’exil est un drame qui poursuit l’histoire cubaine’’ », Marianne.  

Payan S., 2010, « Du déplacement au sentiment d’exil », Recherches en psychanalyse, n° 9, vol. 1.