Au XIXe siècle, pouvait-on être femme et avoir un positionnement politique et l’exprimer sans être une femme aristocrate féministe et engagée socialement et politiquement comme Josefa Amar y Borbón ? Toutes les femmes n’avaient pas les moyens, la force morale et le soutien des hommes pour participer, pour exprimer publiquement leurs visions de la politique. Les rôles que la société attribuait aux femmes étaient liés à la maternité et vie maritale. Mais pouvaient-elles, malgré les restrictions morales et sociales, exprimer un positionnement politique au moins dans le domaine privé, entre femmes ? María Micaela de Zavala était une femme anonyme, épouse et mère d’hommes politiques, et dans ses lettres elle exprime son propre positionnement politique.

El ángel del Hogar, 24 de febrero de 1865. Source : https://journals-openedition-org.gorgone.univ-toulouse.fr/argonauta/479

Une femme entourée d’hommes politiques

María Micaela de Zavala est une femme entourée d’hommes, surtout d’hommes politiques. Son frère, Manuel José Zavala, comte de Villafuertes, était un homme politique très engagé dans le camp libéral. Il a été député général de Guipúzcoa à plusieurs reprises pendant le règne de Carlos IV, chef politique et gouverneur civil de Guipúzcoa. En outre, son mari, qui est décédé en 1838, était un homme politique libéral, qui avait étudié à la Sociedad Vascongada de Amigos del País, et il intégra cette association en 1796 comme surnuméraire.

Portrait de José Joaquín Salazar Sanchez Samaniego. Source : AGUINALDE OLAIZOLA, F. (adarsus.com) B. (1985). Vida y política cotidiana. La sociedad vasca del siglo XIX en la correspondencia del archivo de la casa Zavala. (Vol. II). San Sebastian

Cependant, sa belle-famille était d’un autre avis. Son oncle par alliance était absolutiste. Il était ministre de la Marine pendant les périodes de la restauration absolutiste (1814-1816 et 1823-1832). Pendant cette dernière période, il avait protégé son neveu par alliance, le comte de Villafuertes, suite aux persécutions judiciaires qu’il avait subies après son mandat durant le Trienio Liberal (1820-1823).

Selon les études basées sur la biographie réalisée sur ce personnage par son meilleur ami Fernández de Navarrete, Luis María de Salazar y Salazar était un excellent bureaucrate, obéissant, qui s’est retrouvé dans le camp absolutiste, se trouvant dans l’obligation d’accepter la fleur de Lys de Vendée, symbole de la restauration absolutiste en Europe.

D’autres soutiennent la thèse de sa fidélité à la reine et au camp libéral, en basant leurs recherches sur les informations collectées dans la Enciclopedia General de Marina. En revanche, aucune étude sur Luis María ne s‘est intéréssée à ses échanges épistolaires privés. Il est pertinent de signaler que Luciano Salazar Zavala, fils de María Micaela, devint lui aussi diplomate et protégé de son oncle Luis María Salazar dont la recommandation directe lui permit de commencer sa vie de diplomate en 1827. Véhiculaient-ils ces idées au sein de leur famille ?

Un positionnement politique ? Lequel ?

Nous pouvons nous demander si María Micaela pouvait être influencée par les idées des hommes qui l’entourent. Or, à travers ses lettres nous apprenons qu’elle est lectrice de périodiques et de feuilletons hebdomadaires. Ainsi disait-elle dans une de ses lettres :

« Labastida 5 mars de 1848. […] Nous avons vécu avec beaucoup d’anxiété les nouvelles de France, qui commence à se calmer, malgré les mensonges, et le fait que les journaux sont très rares ; Ignacio est abonné au Faro, avec un autre, de sorte que nous sommes au courant de ce qui arrive […] ».

Archivo Euskadico; fondo: archivo de la casa Zavala, sección de correspondencias; Sección: María Micaela de Zavala; Signatura: 40.08; Número legajo: 6173.

Nous comprenons que María Micaela lit les journaux et s’intéresse aux nouvelles françaises. Ceci est possible grâce à son fils qui est abonné à un journal, c’est grâce aux hommes qui l’entourent qu’elle peut porter un intérêt à la politique nationale et internationale, en l’occurrence, la troisième révolution française. Cela rappelle à María Micaela, et aux femmes espagnoles, le conflit dont l’Espagne venait de sortir (la guerre carliste 1833-1839), et la tension politique et sociale palpable dans la société et dans l’entourage de María Micaela.

Ses enfants et sa famille politique parlaient-ils des événements politiques et sociaux des autres pays voisins dans leurs réunions ? En parlaient-ils durant les tertulias auxquelles elle assistait et celles qui se célébraient chez elle ? Nous pensons que ces sujets étaient présents dans son entourage, où l’idéologie libérale étaient communes. Mais était-elle libérale ou absolutiste ? Avait-elle un positionnement ? Dans ses lettres, à la fin de la guerre carliste, elle exprime de manière explicite sa joie pour la victoire de la reine, elle assiste même aux défilés de la reine à Madrid. Elle écrit cela à sa belle-sœur en 1839 :

« Madrid 4 septembre […] Nous pouvons nous féliciter réciproquement des satisfaisantes nouvelles de notre pays ; hier l’extraordinaire est arrivé avec une partie des bataillons qui se sont rendus, avec la convention célébrée entre Maroto et Espartero ; toute la population a manifesté une grande réjouissance pour cet évènement aussi rejouissant, il y eut une illumination générale [en ville], tous les musiciens sont allés au palais […] Les sénateurs et les députés ont eu un grand repas au [restaurant] Fontana de Oro, avec beaucoup de joie […] de sorte que cela fait plaisir de sortir dans la rue, pour voir des gens aussi animés, et joyeux ; Et si c’est comme cela ici, alors qu’en est-il à Bilbao et à Vitoria etc. […] »

Archivo Euskadico; fondo: archivo de la casa Zavala, sección de correspondencias; Sección: María Micaela de Zavala; Signatura: 40.03; Número legajo: 6103

Elle se revendique du camp de la reine Isabel II, donc du camp libéral. Pourquoi ? Était-elle en faveur du règne d’une femme, un règne libéral et féminin ? Ou avait-elle été plutôt influencée par les hommes de son entourage ? Le faisait-elle par sympathie ? En tirait-elle profit ? Quoi qu’il en soit, ce que nous savons est que la fin de la guerre la soulage.

Un intérêt pour la politique, ou un bénéfice tiré de la politique?

María Micaela portait un intérêt aux hommes qui occupaient des postes de la fonction publique de l’État, surtout ceux qui font partie de sa famille. Dans ses lettres, elle se renseigne souvent au sujet des élections, des postes administratifs, judiciaires et politiques occupés dans la province et par qui ils sont occupés. Cet intérêt, au-delà de la volonté de se mettre à jour, cet intérêt répondait à un objectif fonctionnel et pragmatique. En effet, un membre de la famille qui occupe un poste haut gradé dans la fonction publique, peut être un moyen d’aide judiciaire, autrement dit un contact précieux. Par exemple, en février 1840, María Micaela avait hérité une petite somme d’argent d’une parente. Or, durant des années, elle ne put recevoir cet héritage auquel elle avait droit. Quelques mois après la mort de cette femme, elle écrit ceci à sa belle-sœur, Escolástica Salazar :

« Torrecilla 13 septembre. Ma chère sœur : Je n’ai pas répondu à tes deux lettres, puisque j’attendais de savoir si le sujet de l’héritage avait eu un résultat favorable, en réalité c’est une chose étrange puisque les nièces de la défunte l’ont déjà récupéré […] ; je vois bien qu’Ascensio ne peut faire plus que ce qu’il fait déjà, de sorte que tu le remercieras de ma part, et qu’il pardonne mon dérangement […] »

Archivo Euskadico; fondo: archivo de la casa Zavala, sección de correspondencias; Sección: María Micaela de Zavala; Signatura: 41.3; Número legajo: 6349.

Photo de Ascensio Ignacio Altuna. Source: AGUINALDE OLAIZOLA, F. B. (1985). Vida y política cotidiana. La sociedad vasca del siglo XIX en la correspondencia del archivo de la casa Zavala. (Vol. II). San Sebastian.

Mais, qui était Ascensio ? Ascensio Ignacio Altuna était son gendre par alliance et aussi un des aristocrates et un des plus grands hommes politiques de la région, et même du pays. Durant plusieurs années il occupait un poste de député aux cortes, homme libéraliste fuériste (comme son beau-père) très influent au sein des Juntas Generales de la province, il avait occupé des postes législatifs et politiques entre 1840 et 1850. Au sujet dudit héritage de María Micaela, en 1845, Ascensio Ignacio Altuna écrivait une lettre à Escolástica de Salazar où il expliquait avoir des renseignements au sujet dudit heritage.


Nous comprenons donc, grâce à ces témoignages écrits, que les hommes politiques influents de son entourage pouvaient lui donner des informations officieuses auxquelles elle n’aurait pas eu accès.

Cependant, il faut prendre en compte le contexte politique. La guerre carliste a eu un impact très négatif sur la vie de María Micaela. Durant la guerre elle avait perdu son mari José Joaquín, son oncle par alliance Luis María, elle avait donc perdu les hommes qui lui assuraient une aisance financière et une sécurité au sein de la société. Comme si ce n’était pas suffisant, son fils décide de s’emparer de tout le mayorazgo, sans même lui laisser la maison qui l’abritait, ignorant le testament de son défunt père. Elle a droit à une pension de veuvage, mais durant la guerre carliste les pensions n’étaient, pour une grande partie, pas payées. Nous ne savons pas si elle a pu les réclamer, mais nous savons qu’elle vivait avec des grands problèmes financiers, une violence financière subie de la part des hommes de son entourage.

Par ailleurs, cette violence, elle la subit également par les femmes de son entourage qui se mettent parfois d’accord pour empêcher les hommes de l’aider. Voici ce qu’une de ses belles-sœurs, María Manuela, disait à l’autre, Escolástica, au sujet du conflit entre María Micaela et son fils Gabino :

«Bayonne 10, […] Je suis entièrement de ton avis en ce qui concerne les problèmes de María Micaela et j’ai écrit de même à Iñigo : elle me parle à moi aussi du même [problème] dans sa dernière lettre, en me demandant en plus que je dise à Iñigo de raisonner Gabino, puisque je pense qu’il [Iñigo] à beaucoup à voir dans cette histoire : Je ne dirai rien à Iñigo, je ne lui répondrai rien à ce sujet pour ne pas répéter ce que vous lui direz, [et aussi] pour qu’elle ne pense pas que nous nous sommes mises d’accord […]»

Archivo Euskadico; fondo: archivo de la casa Zavala, sección de correspondencias; Sección: María Micaela de Zavala; Signatura: 40.09; Número legajo: 6204

Il est clair que María Micaela a demandé l’aide des hommes de son entourage, en l’occurrence Iñigo qui semble être ami avec Gabino, pour régler ce problème à l’amiable. Iñigo était le beau-fils de María Manuela qui avait donc une influence sur lui. Nous comprenons donc que les deux sœurs ne veulent pas aider María Micaela, et donc empêchent les hommes de leur entourage de le faire. Pendant les trois années qui suivent le décès de son mari, María Micaela mènera une bataille judiciaire contre son fils pour demander le partage de l’héritage. En 1841 elle obtient gain de cause. Le libéralisme, la reine et un système judiciaire libéral, étaient peut-être sa dernière chance pour survivre avec ses enfants financièrement et se réapproprier son patrimoine. Elle n’aurait certainement pas pu gagner le procès contre son fils si les absolutistes avaient gagné la guerre, il est donc clair que son positionnement politique n’est pas seulement issu des positionnements politiques de sa famille, mais bien de sa position sociale; elle espérait vivre sous un système politique et judiciaire qui ne nuise pas à son niveau de vie, ni à celui de sa famille.

Les autres femmes et leur positionnement politique

Nous connaissons le cas de María Micaela, mais qu’en est-il des autres femmes ? Lors des élections des conseillers municipaux en 1849, María Micaela dit ceci de la participation des femmes :

« Je suppose que chez vous les élections se sont faites pacifiquement. Ici [les élections] ont été très disputées entre les partis Libéral et Carliste, puisque [les partisans des partis politiques] ont beaucoup travaillé et les femmes aussi s’[y] sont intéressées ; le premier [parti politique] a triomphé, mais les vaincus gardent encore des espoirs »

Archivo Euskadico; fondo: archivo de la casa Zavala, sección de correspondencias; Sección: María Micaela de Zavala; Signatura: 40.09; Número legajo: 6204.

Il est clair que l’intérêt des femmes, ainsi que leur positionnement politique n’était pas étonnant ni exceptionnel. Mais ce qui est étonnant, en revanche, c’est l’influence carliste qui augmente parmi les femmes, et qui suscite la préoccupation de María Micaela.

Pour répondre à la question que nous nous sommes posées au début, les femmes qui avaient accès aux informations politiques avaient un positionnement politique. La politique n’était pas un sujet fait pour les femmes, mais grâce aux échanges épistolaires de María Micaela nous comprenons que c’était un sujet de discussion dans les échanges privés des femmes, dans la mesure où la politique avait un impact sur elles, et où les hommes politiques et influents pouvaient leur servir dans leurs démarches. María Micaela avait pris le parti de la reine, du libéralisme, mais selon ses lettres, d’autres femmes s’étaient positionnées du côté des carlistes.  

Bibliographie :

  • AGUINALDE OLAIZOLA, F. B. (1985). Vida y política cotidiana. La sociedad vasca del siglo XIX en la correspondencia del archivo de la casa Zavala. (Vol. II). San Sebastian.
  • GOMEZ SEIBANE, S. (2017). Cartas escritas por mujeres vascas en la primera mitad del siglo XIX. Estudios sobre el aprendizaje y práctica de la escritura por mujeres en el ámbito hispánico (1500-1900), 133-149.
  • MANZANOS ARREAL, P. F. (2001). Las mujeres en Vitoria-Gasteiz. Vitoria: Eusko Ikaskuntza.
  • O’DONNELL Y DUQUE DE ESTRADA, H. ( 2007). Luis María de Salazar, capitán de navío y ministro de marina. La Armada y sus hombres en un momento de transición: XXXIV Jornadas de Historia Marítima, 115-127.