L’édition critique de textes littéraires occitans contemporains :
l’exemple des œuvres poétiques Jean Boudou
L’histoire littéraire occitane apparaît sous la plume des chercheurs comme une histoire clivée, déchirée entre deux pôles de représentations antagonistes de la langue et de la littérature : d’abord le Moyen-âge troubadouresque senti comme un âge d’or, ensuite les XIVe-XVIIIe siècles qui, en dépit de la parenthèse baroque, ont été compris par les grammairiens, et en premier lieu Alibert, comme une période d’abâtardissement de la langue.
Les auteurs des XIXe et XXe siècles échappent à ces deux représentations du littéraire, en particulier Boudou que beaucoup considèrent encore comme leur parfait contemporain et dont les œuvres sont présentées comme consubstantielles aux revendications occitanistes.
Or, établir l’édition critique d’une œuvre moderne c’est la faire entrer définitivement dans l’Histoire, dans la mesure où sa lecture se trouve élargie à une analyse scientifique : cette entreprise ne doit pas être comprise comme une soustraction de l’œuvre aux événements du XXe siècle. Il ne s’agit que de reconnaître à l’œuvre son altérité esthétique et linguistique. Aussi, l’éditeur de textes modernes ne doit-il plus être suspecté de vouloir donner des auteurs modernes soit l’image lointaine (et précieuse ?) d’un troubadour, dont les œuvres sont antérieures et de ce fait parfaitement étrangères aux luttes occitanes, soit de les ravaler au rang d’obscurs écrivains « patoisants ».
C’est une double rupture vis-à-vis de la tradition critique que nous avons cherché à opérer, en établissant les éditions critiques des deux premiers recueils de Boudou, Lo frescun del nóstre Viau (1945) et La canson del paìs (1948). Notre approche est d’une part philologico-linguistique et d’autre part littéraire. Nous considérons ces deux orientations méthodologiques ainsi que le dialogue qu’elles doivent entretenir l’une avec l’autre comme une urgence épistémologique. L’édition critique, en tant que méthode d’investigation, s’est imposée à nous comme la démarche la plus fructueuse d’étudier Boudou. Celle-ci amène selon nous la recherche en domaine occitan à renouveler ses approches et ses conclusions.
Elodie de Oliveira. Occitaniste et romaniste, chargée de cours à Sorbonne-Université, Elodie de Oliveira est l’auteure d’une thèse de doctorat, soutenue en novembre 2012 : « La première œuvre poétique de Jean Boudou : édition philologique, commentaire littéraire et glossaire lexicologique ». Ce travail a donné lieu à la parution de deux volumes : Jean Boudou,La canson del paìs (1948), Édition critique et commentée d’un recueil poétique par Élodie de Oliveira, Toulouse, S.F.A.I.E.O., 2012 et Jean Boudou, Lo frescun del nóstre Viau (1945), Édition critique et commentée d’un recueil poétique par Élodie de Oliveira, Toulouse, S.F.A.I.E.O., 2020.