Appel à contribution – Un siècle de santé sociale. Forme et traitement des vulnérabilités (1880-2010)

Lundi 31 janvier 2011  |  Lyon (69000)

Depuis les années 1950, la notion de « vulnérabilité » s’est progressivement imposée dans le lexique des politiques de protection sociale comme dans celui des sciences humaines et sociales. Confortée par des années de crise économique et par l’ébranlement des États-providence, elle s’est installée comme une référence obligée des politiques publiques d’insertion et d’activation. Désignant une multitude de réalités (situations de pauvreté, de précarité, de dépendance, de souffrance physique et psychique, de désocialisation, de domination ou d’inégalité)…, elle semble rendre compte de l’émergence d’un champ d’intervention interstitiel à la croisée des problèmes sociaux et de santé.

Appel à contribution pour le colloque final du projet « Lyon vulnérabilités », mené par le LARHRA, cofinancé par la DREES-MiRe et l’ANR, Grand amphi Lyon 2, 17 et 18 novembre 2011

Comité scientifique et de pilotage :

  • Axelle Brodiez,
  • Isabelle von Bueltzingsloewen,
  • Benoît Eyraud,
  • Christian Laval,
  • Bertrand Ravon

Depuis les années 1950, la notion de « vulnérabilité » s’est progressivement imposée dans le lexique des politiques de protection sociale comme dans celui des sciences humaines et sociales. Confortée par des années de crise économique et par l’ébranlement des Etats-providence, elle s’est installée comme une référence obligée des politiques publiques d’insertion et d’activation, tendant à reporter sur les usagers eux-mêmes une partie des missions d’assistance, d’éducation et de soin. Devenue depuis les années 1990 un véritable « mode de lecture du social », elle apparaît toutefois comme un terme fourre-tout désignant une multitude de réalités : situations de pauvreté, de précarité, de dépendance, de souffrance physique et psychique, de désocialisation, de domination ou d’inégalité… « Mot-valise » ou « mot-éponge », le terme offre l’avantage d’articuler, dans des approches tant interdisciplinaires que multi-factorielles, les dimensions biologique, psychique et sociale ; individuelle et collective. Reste que son succès semble surtout s’expliquer par sa capacité à rendre compte de l’émergence d’un champ d’intervention interstitiel, situé au croisement des institutions sanitaires et sociales, dans un contexte de reconfiguration et de fragilisation de celles-ci.
Mais ce phénomène est-il si neuf qu’il y paraît en première analyse ? Ne peut-on postuler que le développement des institutions sanitaires et sociales, dont la mission est de suppléer aux défaillances du corps social, a toujours procédé par la création d’espaces interinstitutionnels  (socio-éducatif, médico-social, médico-psycho-pédagogique…) susceptibles de répondre à de nouveaux besoins ? Contre les lectures trop hâtives ou généralisantes qui verraient dans la notion de « vulnérabilité » le paradigme d’un nouveau mode de prise en compte/charge des personnes les plus fragiles, ce colloque envisage de restituer, sur un long XXe siècle et en questionnant les ruptures chronologiques traditionnellement retenues, les dynamiques institutionnelles à l’œuvre dans les pratiques sanitaires et sociales de l’assistance, de l’accompagnement, de l’éducation ou du soin. Cette démarche implique une approche pluri-disciplinaire convoquant des travaux issus de l’histoire, de la sociologie, de la science politique et/ou de l’anthropologie. Une attention particulière sera notamment prêtée aux dispositifs de « traitement » des vulnérabilités, des premières actions publiques républicaines aux montages les plus contemporains, pour saisir la complexité des agencements entre éléments institutionnels (interdépendances entre les échelles politico-administratives de l’action, les publics, les acteurs, les disciplines, les techniques, les référentiels…), entre générations d’institutions et de réglementations qui se juxtaposent/superposent bien qu’elles renvoient à des temporalités contradictoires.
En définitive, la notion de « vulnérabilité » pourrait désigner l’actualité d’un maillage institutionnel complexe aux fondations anciennes, caractéristique d’une action publique qui se déploie à des rythmes différents, par ajustements successifs, et parfois par approximations ; en un mot, qui ne cesse d’éprouver ses limites. En ce sens, la catégorie « vulnérabilité » pourrait rendre compte de la fragilité (historique) de nos sociétés et de leurs façons de traiter les problèmes sanitaires et sociaux.
1/ Autour des concepts

« La notoriété que connaît la notion de vulnérabilité » serait « peu compatible avec le vide sémantique qui la caractérise » . Dans la lignée des appels à projets lancés par l’Agence nationale de la recherche en 2008 sur le croisement des vulnérabilités sanitaires et sociales, ce colloque vise à mieux cerner et définir une notion mobilisée aussi bien en épidémiologie qu’en criminologie ou en sismologie, dans le droit que dans les politiques publiques ainsi que dans les sciences humaines et sociales.
Car chacun de nous est un vulnérable en puissance, potentiellement sujet à des basculements dans son état de santé, sa vie professionnelle ou privée. Nous avons tous été et serons vulnérables – l’enfance, l’adolescence et la vieillesse constituant en particulier des périodes névralgiques. Réversible ou non, temporaire ou durable, la « vulnérabilité » n’est pas totalisante mais peut ne concerner qu’un aspect de la vie (professionnelle, affective, sanitaire, sociale, etc.). Elle peut aussi désigner la fragilité comme processus, comme environnement sociétal ou comme état, se prêtant aussi bien à des analyses synchroniques que diachroniques. Elle peut enfin renvoyer à l’expérience subjective de l’autonomie et/ou de la dépendance, mais aussi à des dimensions interpersonnelles ou institutionnelles.
Dès lors, il s’agira d’examiner dans quelle mesure le concept de vulnérabilité peut être heuristique, et se décliner ou non, en histoire et en sociologie du champ sanitaire et social ; de voir comment elle peut utilement compléter ou concurrencer d’autres concepts (pauvreté-précarité, domination, autonomie et dépendance, souffrance sociale, physique ou psychique, etc.).
2/ Parcours de vulnérabilité

Qu’elle soit état, environnement sociétal ou processus, la vulnérabilité est intimement liée au parcours de chaque individu. Elle peut se manifester, sous des formes et à des degrés divers, à certains âges de la vie (naissance, enfance, adolescence, 4e âge) ; par des handicaps (physique, mental ou psychique) de naissance ou survenus plus tardivement ; comme le produit d’un milieu environnemental ou sociétal fragilisant, induisant des évolutions lentes ou des ruptures plus franches dans l’itinéraire des personnes. Elle peut concerner des individus isolés, mais aussi des groupes « chez qui les principes d’autonomie, de dignité ou d’intégrité sont compromis, menacés ou violés »  (les sans-abri, les femmes battues, les immigrants, les homosexuels, les séropositifs,…). La notion de vulnérabilité paraît ainsi indissociable de celle de risque.
Ces formes de vulnérabilité pourront donc être saisies à l’échelle biographique, grâce à des sources archivistiques et/ou des récits de vie, ou à l’échelle de groupes spécifiques (prosopographie, analyse de mouvements sociaux, etc.). Les approches pourront être processuelles ou synchroniques ; qualitatives ou quantitatives ; porter sur l’entrée, l’installation et/ou la sortie de la vulnérabilité ; ou encore appréhender les conséquences identitaires de la vulnérabilité sur les individus ; etc.
3/ Les tensions d’un champ professionnalisé

Le long XXe siècle est marqué par l’institutionnalisation du travail social, sur fond de professionnalisation, de fonctionnarisation et de diversification (voire de « balkanisation » ), ainsi que, plus récemment, de déqualification de nombreux emplois. Le militantisme et l’abnégation des intervenants sociaux du premier XXe siècle semblent aujourd’hui davantage l’apanage du monde associatif, pourtant lui aussi soumis à des contraintes de plus en plus fortes.
Il s’agira d’analyser d’une part la professionnalité des acteurs du social, tant comme réalité contemporaine à interroger que comme processus historique catalysé par des crises politiques (la Première  et la Seconde guerre mondiale par exemple) ou économiques (années 1930, 1980-2000). D’autre part, d’appréhender les tensions en tout genre qui traversent le monde du travail social, qu’elles soient hiérarchiques, dues à la coexistence d’ethos charitables traditionnels et de motivations militantes, ou conséquence de désillusions (que le travail social paraisse soit trop gestionnaire, trop « au front » ou inversement trop « à l’arrière », tonneau des Danaïdes en contexte de crise économique et sociale, etc.). L’accent pourra aussi être mis sur l’impact de ces professionnalisations et de ces tensions sur le public aidé. On pourra enfin analyser la sociologie des « aidants » et l’effet de différentiels plus ou moins accusés avec celle des « aidés ».
4/ Vulnérabilités et action publique

La vulnérabilité sanitaire et sociale peut être appréhendée en amont, à l’épicentre et en aval de l’action publique.
En amont : comment des individus, des groupes ou des associations parviennent-ils à s’imposer dans l’espace public ? Pourquoi, et à quel prix, acceptent-ils de revendiquer une identité de « vulnérable » pour faire évoluer le regard social et les politiques publiques ? Car « il y a [aussi] des avantages concrets à être inclus dans la catégorie vulnérable, et ceux-ci sont suffisamment importants pour compenser le contenu stigmatisant inhérent à cette même catégorie » .
A l’épicentre : comment l’action publique arbitre-t-elle, selon le contexte politique et social, entre des formes de vulnérabilités concurrentes qui s’offrent à elle et s’imposent comme légitimes ? Comment les Etats occidentaux ont-ils tenté de remédier, au fil du XXe siècle, aux différentes formes de vulnérabilités sanitaires et sociales ? Par quelles lois, quels budgets et quelles représentations de la vulnérabilité ? Via quelle répartition entre échelles territoriales, quels emboîtements de dispositifs ? Quelle part a-t-on respectivement laissé aux logiques émancipatrices et aux logiques palliatives ? Au droit privé et au droit public ? Aux droits sociaux et aux droits subjectifs ?
Enfin, en aval : qui – travailleurs sociaux, associations… – met en oeuvre les politiques de lutte contre la vulnérabilité, dans quelles conditions matérielles et budgétaires, via quels dispositifs ? Comment s’articulent action privée et action publique ? Comment, quand l’action publique fait du « prêt-à-porter », la transformer en « sur-mesure », et avec quel impact sur les populations visées ?

Ce colloque est destiné à un large public : spécialistes du champ, étudiants, mais aussi travailleurs sociaux, bénévoles d’associations, … Une intervention « accessible » est donc souhaitée ; elle pourra ensuite être retravaillée en vue de  la publication.
Les propositions de communication d’une page environ sont attendues pour le 31 janvier 2011.

Contact

  • Axelle Brodiez
    courriel : axelle [point] brodiez (at) ish-lyon.cnrs [point] fr
  • Benoît Eyraud
    courriel : benoit [point] eyraud (at) ish-lyon.cnrs [point] fr

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