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Margarita à la guerre comme à la guerre : l’intimité d’un combat au temps des conflits carlistes.

Et bien non ! Nous ne parlerons pas des anecdotes croustillantes des chefs de guerres ni des petits papiers des politiques de l’époque.

Par contre, il y aura bien du papier ! Après Martine à la plage, vous découvrirez, grâce à la correspondance d’une anonyme, l’histoire d’une de ces femmes classée au second plan.

Mais comment faire pour que sa mémoire dépasse les quatre murs qui délimitent l’espace que l’Histoire leur a attribué ?

Ne bougez pas et venez découvrir prendre son récit au pied de la lettre !

Figure 1 – Bataille de la première guerre carliste
(1833-1846), Francisco de Paula Van Halen. Huile sur toile exposée au Museo del Carlismo, Estella, Navarre.

Parmi les femmes

Hum, hum… Serait-il possible de savoir de qui on parle ?

Figure 2 – Signature manuscrite de Margarita Garce de Acedo tirée de la lettre n° 8114 du 20 décembre 1831 à destination de son petit neveu.

D’accord nous avons son nom… Mais cela est-il suffisant ?

Si depuis la nuit des temps l’existence des êtres humains est attestée par l’identité, c’est bien leur parcours de vie qui les caractérise en tant qu’individu.

En suivant cette logique, Margarita Garce de Acedo est une femme, mère de trois enfants, de la haute société du XIXe espagnol.

Née entre les années 1770 et 1780, elle épouse Ignacio María de Acedo y Atodo, carriériste de la Marine. Celui-ci intègre l’Académie de Ferrol à quinze ans et gravit les grades du corps militaire jusqu’en 1829 où il sera nommé Capitaine.

Ensemble, ils auront d’abord un fils : Antonio. Puis, quelques années plus tard, deux filles : Paca et Juanita.

Grâce à son mari, elle entretient une parenté avec l’une des lignées familiales less plus puissante de la province du Guipúzcoa et tout particulièrement avec le neveu d’Ignacio : le Comte de Villafuertes.

En 1833, ils prennent la décision de quitter Malaga pour Madrid suite à la nouvelle affectation du père de famille. Le couple Acedo jouit alors d’une vie aisée, et appartient à une catégorie privilégiée tant socialement qu’économiquement.

Ah oui ! Nous oublions… Vous ne trouverez rien la concernant sur Wikipédia. Est-ce la raison de son anonymat ?

Néanmoins, pour apprendre à la connaître davantage, nous vous proposons un extrait d’une de ses lettres. La suivante, concerne le déménagement à Madrid. Et vous verrez, nous avons à faire à une personne qui semble habituée à se montrer exigeante…

Cette lettre qui pourrait être anodine nous renseigne pourtant sur le niveau de vie de la famille Acedo.

« Mon cher neveu et ami {…} tu me feras le plaisir de me trouver un logement et si possible pour moins de deux réaux par jour, bien situé et exposé au soleil {…} S’il pouvait y avoir un seul étage ce serait encore mieux pour éviter de monter et descendre les escaliers mais surtout il faut qu’il y ait six chambres sans compter la cuisine, {…} j’aimerais aussi que tu prennes la peine de chercher une femme qui fasse le ménage avant notre arrivée {…} encore une faveur, peux tu me faire envoyer deux lits pour enfant, une demie douzaine de chaises et une table en pin pour la salle à manger {…}. » etc. etc.



Figures 3 et 4 – Lettre écrite par Margarita Garce de Acedo le 9 mars 1833, appartenant au Fond Zabala, accompagnée d’une traduction abrégée de L. Riu-Maura.

Attendez…C’est donc cela un combat ? Une femme qui déménage ?

En quelques sortes oui. Les déménagements seront nombreux et en feront partie car (SPOILER ALERT) la situation de Margarita ne durera pas.

Et oui, « la roue tourne », « les rêves ont une fin »… Bref, on connaît la chanson !

Ainsi vont les les vicissitudes de la vie, les aléas du quotidien. Alors prêt.e.s pour découvrir la suite de cette histoire ?

De l’anonyme à la combattante

Malheureusement pour elle, si tout semblait aller pour le mieux, c’était sans compter sur le décès de son époux cinq mois plus tard. À partir de cette date, Margarita va connaître une décadence économique et sociale sans précédent.

(C’est promis aucune exagération).

Dès lors, isolée sur Madrid, sans revenu mensuel et avec trois enfants à charge, il n’est plus question du nombre de chambres ou du bois de la table du salon. Sa seule priorité est tout à coup plus terre à terre : subvenir aux besoins de sa famille.

Mais il doit bien exister des pensions pour aider les veuves ?

Il est vrai que, depuis le XVIIIe, l’Espagne avait mis en place des aides pour les veuves et les orphelins de la marine. Par ailleurs, des Monte Píos, sorte de cotisations pour la retraite, ont commencé à apparaître un peu avant la charnière avec le XIXe. Si la question de la naissance des aides sociales vous intéresse, vous pouvez en savoir plus grâce aux travaux d’Isabel María Romero Lucas qui a notamment réalisé une thèse sur « La genèse et l’évolution de la prévision sociale militaire ».

Cependant, entre théorie et réalité il est parfois difficile de les rendre concrètes.

Effectivement, l’accès à ces aides lui demande un travail acharné pour retrouver les justificatifs de son mariage et du baptêmes de ses enfants. À l’époque pas question de demander un fax ou un we-transfer !

C’est ici que démarre le combat de Margarita. Elle va tisser un réseau sociale grâce à des lettres dans le but d’appuyer ses démarche administratives. Amis, familles éloignée, politiques, tout le monde y passe. Elle écrit même à Paris.

Curieux non ?

Pas tant que ça. Il faut savoir qu’avec l’éclatement de la première guerre carliste, un certain nombre de personnalités de la scène politique va devoir s’exiler pour se protéger. Certain.e.s choisiront l’Amérique et d’autres préfèreront le sud de la France ou Paris. Et c’est le cas de sa belle famille.

Tisser, écrire, envoyer, même si ce sont des tâches rébarbatives cela peut encore aller. Sauf que le sort s’acharne avec une nouvelle embûche : un censure postale entre la France et l’Espagne.

Les courriers ne sont plus une valeur sûre pour s’informer et encore moins pour un transfert d’argent.

C’est ce qu’en témoigne les documents officiels tels que les Ordonnances Générales, les archives de presse ou encore le travail des cartographes.

Figure 5 – Ordonnance Générale Postale de 1794.

Pour mieux saisir les l’impacts de cette censure, vous pouvez vous appuyez sur les travaux de Gilles Multigner, chercheur en journalisme et en moyens de communication.

Dans son article « Communiquer en temps de guerres carlistes », il répertorie ces complications et rend compte des interêts libéraux et carlistes dans la provocation de ces obstacles.

C’est bien beau tout ça mais alors comment fait-elle ? Elle ne va tout de même pas dresser des pigeons ?

Et bien… À la guerre comme à la guerre.

Face à la nécessité Margarita refuse de baisser les bras et prend le risque de continuer son combat.

Son arme : échos d’une trajectoire, écho d’une voix

Décidément, c’est un personnage coriace ! Ou peut être qu’elle tente juste de survivre ?

En réalité, consciente de la censure, comme l’atteste sa correspondance, Margarita essayera de trouver la faille pour passer à travers les mailles du filet.

Voie fluviale, remise en main propre, découvrez quelques unes de ces stratégies à l’écrit ou bien à l’oral !

(Il vous suffit de déjouer la censure en cliquant sur le lien sous les extraits audios).

Extrait 1

« Je t’envoie cette lettre par le biais du Commandant de la Marine de Bilbao puisque l’on ne reçoit plus rien venant de France. »


Lettre n° 3319 du Fond Zavala,
4 janvier 1836, proposition de traduction par l. riu-maura.

Extrait 2

« Je t’ai écrit par le biais de D. Florentino Ribero, […] comme ta réponse semble tarder, j’ai peur qu’elle ait été récupérée par les factions qui ont mis à feu toutes les lettres perquisitionnées. »


Lettre n° 3327 du Fond Zavala,
17 octobre 1836, proposition de traduction par l. riu-maura.

Extrait 3

« Je profite de l’occasion que m’offre le départ d’un bateau… »


Lettre n° 3328 du Fond Zavala,
15 novembre 1836, proposition de traduction par l. riu-maura.

La cerise sur le gâteau c’est sa technique des poupées russes.

Tout juste ! Dans une des ses lettres, Margarita préconise à sa destinatrice de cacher sa réponse dans trois enveloppes différentes pour passer une à une les différentes douanes. Le plus fou c’est que cela fonctionnera !

Imaginez-vous un peu, cette femme continuera à lutter jusqu’à son dernier mot. Cela représente près de cinquante ans de correspondance qui peuvent servir à l’Histoire.

Grâce au combat qui fait sa particularité, nous pouvons constater des réalités quant au système postaux, aux pensions de réversion ou encore en apprendre plus sur l’exil carliste.

Souvent tus, les récits de la micro histoire et les trajectoires de l’intime ont pourtant beaucoup à nous apporter. Les considérer en leur donnant voix c’est participer à la découverte du quotidien des individus, ici une femme espagnole du XIXe siècle.

Tout comme les rouleaux tournants des machines à sous de icecasino dévoilent des combinaisons inattendues, ces micro-histoires offrent un mélange unique de moments qui, lorsqu’ils sont mis en lumière, ajoutent de la profondeur à notre compréhension du passé.

L’héroïne de ce combat personnel réussira-t-elle à faire valoir ses droits ?

La suite des aventures de Margarita au prochain épisode !

Bibliographie et sources complémentaires

  • ARÓSTEGUI, Julio, « El carlismo y la guerra civil », La era isabelina y el sexenio democrático, vol. I, Barcelona, 2005.
  • GINZBURG, Carlo, TEDESCHI, John et TEDESCHI, Anne, « Microhistory: Two or Three Things That I Know about It », Critical Inquiry 20, n° 1, 1993.
  • MARROU, Henri-Irénée, De la connaissance historique, Paris, Éditions du Seuil, 1954.
  • MULTIGNER, Gilles, « Communiquer en temps de guerres carlistes », Les Cahiers de la FNARH, n° 134, 2017.
  • ROMERO LUCAS, Isabel María, « La previsión social militar : génesis y evolución », Madrid, BOE, 2022.

2 Comments

  1. valentineb

    Mais quelle enquête ! Un travail digne d’une détective. Hâte d’en découvrir davantage sur la vie et sur la personnalité de Margarita au travers de sa plume.

  2. carlas

    Une approche historiographique passionnante ! Quel plaisir de pouvoir découvrir le portrait de cette femme, quelconque pour certains, et pourtant si complexe.

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