Camée

Camée : reliefs précieux sur support miniature
Texte d’Évelyne Prioux, CNRS Paris-Nanterre, UMR 7041 ArScAn, équipe LIMC
Les pierres gravées : intailles et camées
La gravure des camées est l’une des branches de la glyptique antique et moderne. Elle consiste à former des figures en relief en gravant des pierres dures ou du verre. La gravure des camées, dont les figures sont en reliefs, s’oppose à la gravure des intailles*, dont les figures sont en creux et qui peuvent, contrairement aux camées, servir à sceller des documents par impression dans l’argile ou la cire. Alors que les intailles sont des « négatifs » gravés « à l’envers » pour obtenir un positif dans le bon sens, le sens de lecture des camées est immédiat et n’implique pas d’inversion gauche-droite. Leur fonction de sceau* fait que les intailles étaient souvent montées sur des chatons et portées au doigt. Le phénomène était sans doute plus rare pour les camées qui sont généralement de dimensions plus importantes que les intailles. (voir fig. 1[1] et fig. 2a[2] et 2b[3]).

Fig. 1. Camée d’époque romaine représentant un Éros chevauchant un bouc. BnF, MMA, inv. AA.Chandon.3 © BnF

Fig. 2. bague à intaille (agate) représentant Éros enchaîné à une colonne et un papillon qui vole vers lui. BnF, MMA, inv. de Clercq. 3111. ©BnF
Objet précieux et symbole de pouvoir

Fig. 3. Camée de calcédoine à trois couches avec portrait d’Alexandre le Grand, BnF, MMA, camée.222.©BnF
Comme l’intaille, le camée est un objet précieux et parfois un emblème de pouvoir ou de fidélité à celui-ci. De nombreux camées antiques représentent en effet des portraits princiers (fig. 3[4] ; ce camée est attesté dans la collection de Pierre-Paul Rubens, puis dans celle de Gaston d’Orléans, avant d’entrer au cabinet du roi.). Certains de ces objets présentent aussi la particularité de ne pas avoir été retrouvés par la voie archéologique, mais d’avoir été transmis de collection en collection de l’Antiquité à nos jours. Cette particularité s’explique à la fois par leurs dimensions assez réduites et par leur prix très important, qui découle aussi bien de la préciosité des matériaux employés que de la qualité de la gravure. Certains camées entrés dans le trésor impérial à Rome ont ainsi pu être transmis aux empereurs byzantins, puis arriver en Europe de l’Ouest à l’époque des croisades. C’est par exemple le cas pour le Grand Camée de France* (voir l’étude de cas que nous lui consacrons)[5].

Fig. 4. Grand Camée de France, sardoine à cinq couches, BnF, MMA, camée n° 264©BnF.
Très souvent, le matériau choisi comporte plusieurs couches de couleurs différentes, ce qui fait que les graveurs privilégiaient des matériaux tels que l’agate, l’onyx ou la sardoine ; certaines de ces pierres comportent en effet plusieurs couches superposées de couleurs différentes qui permettent d’obtenir, lorsqu’on les creuse à différentes profondeurs, des dégradés ou camaïeux de noir, brun, jaune orangé, rouge et blanc. Pour créer un camée, le graveur creuse en effet la pierre jusqu’à une certaine profondeur, de manière à créer des figures à partir de couleurs différentes : les cheveux, les chairs ou l’habit sont alors non seulement représentés au moyen du modelé de la pierre en trois dimensions, mais aussi au moyen de couleurs différentes. Les figures, généralement de couleurs plus claires, se détachent en relief sur le fond, le plus souvent sombre, du camée, qui correspond à la couche la plus profonde de la gemme. En plus des couches naturellement colorées des agates, onyx et sardoines, les graveurs avaient parfois recours à des injections d’encre qui permettaient de modifier la couleur naturelle de l’une des couches de la gemme[6]. À la place des pierres précieuses, les tailleurs de gemmes de l’Antiquité pouvaient aussi utiliser un matériau moins coûteux : des pâtes de verre superposant une couche de verre bleuté et une couche de verre blanc, ce qui permettait de produire des figures blanches sur fond bleu. Cette technique est notamment employée pour la réalisation des vases camées, tels que le vase Portland, une amphore en verre, représentant peut-être, au moyen de figures blanches sur fond bleu, l’épisode de la conception du futur empereur Auguste (Atia, mère d’Octave-Auguste, aurait été fécondée par Apollon se présentant à elle sous les traits d’un serpent[7]). À l’époque moderne et contemporaine, les graveurs utilisent bien souvent le corail pour obtenir des superpositions de rose et de blanc.
Les objets réalisés sont de dimensions variables, allant du portrait miniature réalisé sur une gemme de très petit format au « vase camée » (voir par exemple la Coupe des Ptolémées, le Vase Rubens ou le Vase Portland, qui mesure 24,5 cm de haut).
Réception
Les camées antiques ont exercé une influence importante sur les arts décoratifs de la période moderne. Le camée Marlborough, qui représente les noces et l’initiation dionysiaque d’Amour et Psyché et porte, fait exceptionnel, la signature d’un graveur (TΡΥΦΩΝ, « Tryphôn »), ou le Vase Portland ont ainsi inspiré la manufacture de faïences et porcelaines Wedgwood. Mais l’influence des camées antiques se retrouve aussi dans la grande peinture : c’est le cas, notamment, chez Pierre-Paul Rubens qui reprend, dans plusieurs de ses tableaux, des éléments empruntés à l’iconographie des grands camées impériaux de la période romaine[8].
Pour aller plus loin
COJANNOT-LE BLANC, Marianne et PRIOUX, Rubens : des camées antiques à la galerie Médicis, Paris, Le Passage, 2018.
GIULIANI, Luca, Ein Geschenk für den Kaiser : das Geheimnis des Grossen Kameo, München, C.H. Beck, 2010.
[1] Camée d’époque romaine représentant un Éros chevauchant un bouc. BnF, MMA, inv. AA.Chandon.38, https://medaillesetantiques.bnf.fr/ws/catalogue/app/collection/record/24441?vc=ePkH4LF7w1I9geonpBCEJuTDK4vyi8GVKswTAFxnFGo$.
[2] Fig. 2a : bague à intaille (agate) représentant Éros enchaîné à une colonne et un papillon qui vole vers lui. BnF, MMA, inv. de Clercq.3111, https://medaillesetantiques.bnf.fr/ws/catalogue/app/collection/record/20548?vc=ePkH4LF7w1I9geonpBCEJuTDK4vyi8GVKswTAFxnFGo$.
[3] Positif moderne réalisé à partir de la bague ci-dessus.
[4] Camée de calcédoine à trois couches avec portrait d’Alexandre le Grand, BnF, MMA, camée.222, https://medaillesetantiques.bnf.fr/ws/catalogue/app/collection/record/1034?vc=ePkH4LF7w1I9geonuEeQk6GRuSmoaEEKXWgiB5Z6FYl5KUXAbJmqkF4EZIJrX5hvAYH5IUM$.
[5] https://medaillesetantiques.bnf.fr/ws/catalogue/app/collection/record/ark:/12148/c33gbcsv8.
[6] Luca Giuliani, Ein Geschenk für den Kaiser : das Geheimnis des Grossen Kameo, München, C.H. Beck, 2010.
[7] https://www.britishmuseum.org/collection/object/G_1945-0927-1.
[8] Voir Marianne Cojannot-Le Blanc et Évelyne Prioux, Rubens : des camées antiques à la galerie Médicis, Paris, Le Passage, 2018.