Stuc

Le stuc dans l’Antiquité

 Texte de Dorothée Neyme, Université Paris-Nanterre, UMR7041 ArScAn, équipe LIMC

Qu’est-ce que le stuc ?

Le stuc désigne à la fois un matériau et une technique décorative dont l’utilisation remonte à l’Antiquité. Il s’agit d’un enduit à base de chaux ou de plâtre, mélangé à une charge finement broyée composée de poudre de marbre, de brique ou encore de sable. Les stucs les plus raffinés, ceux qui contiennent de la poudre de marbre, ont un aspect blanc scintillant et sont doux au toucher. On parle de stuc pour les enduits travaillés en relief, ce qui le distingue de la fresque*, qui présente une surface plane. Il s’agit d’une technique décorative qui a longtemps été considérée comme mineure par rapport à la peinture murale ou à la sculpture avec lesquelles elle était souvent confondue jusqu’à une époque récente, quand l’intérêt des chercheurs pour le stuc a grandi. Plus fragile que la fresque ou la mosaïque, les décors en stuc sont souvent retrouvés en fragments, quand ils n’ont pas complétement disparu.

Origine et fonction

Le stuc est utilisé en Grèce, dès l’époque archaïque au VIIIe av. n. è., comme enduit servant à recouvrir les constructions en pierre. À l’époque hellénistique, au IVe s. av. n. è., la technique est généralement utilisée pour imiter l’architecture : le stuc sert à faire des bossages, à habiller les colonnes de cannelures ou encore à dessiner les chapiteaux ou des pilastres. Un exemple notable de l’emploi du stuc se trouve dans la Tombe des Reliefs à Cerveteri (IVe s. av. n. è.), en Étrurie, où la technique du stuc est pourtant rarement attestée. La décoration en relief est polychrome et elle se compose d’objets de la vie quotidienne, de représentations d’animaux mais aussi de créatures mythologiques « accrochés » aux murs et aux piliers de l’hypogée.

Cependant, l’art du stuc atteint son apogée durant l’époque de l’Empire romain. Les palais aristocratiques comme la villa de la Farnésine* (voir étude de cas) ou encore la Domus Aurea, à Rome, témoignent du raffinement qu’il était possible d’atteindre avec cette technique décorative qui se démocratise à cette période.

Pour les contextes domestiques, la ville de Pompéi située en Campanie (Italie) livre des décors stuqués extrêmement bien conservés qui témoignent de la présence du stuc, au côté de la fresque, dans quasiment toutes les maisons. Largement utilisé pour imiter l’architecture et les revêtements en marbre dans ce que l’on appelle le premier style pompéien (le premier des quatre styles qui ont été établis dans un classement formel des peintures de Pompéi par Auguste Mau, voir la notice générale sur la Fresque antique*), le stuc est également présent, plus tard, dans le quatrième style, pour élaborer des frises en relief ou pour des décors figurés. Un exemple de décor raffiné en stuc est visible dans le sacellum de la maison du Laraire d’Achille (I, 6, 4) à Pompéi où la frise, qui marque une limite entre les décors de parois et les décors de plafonds et de lunettes, a pour thème la guerre de Troie. Elle met en scène une série de personnages en action, dont la blancheur est accentuée par la couleur bleu du fond (fig. 1). Le modelage des corps en bas-relief donne un rendu très vivant.

Fig. 1. Décor de la frise de stuc sur fond bleu du sacellum de la maison du laraire d’Achille (I, 6, 4) Photographie Dorothée Neyme, 2010.

Le stuc est le matériau idéal pour décorer les espaces humides comme les thermes et les tombeaux (fig. 2) car la propriété hydraulique de la chaux imperméabilise les murs tout en les laissant respirer.

Fig. 2. Façades de tombeaux avec décorations faites en stuc, nécropole de la porta Nocera à Pompéi, Photographie Dorothée Neyme 2010.

Les décors en stuc se trouvent généralement à l’intérieur des bâtiments mais ils sont aussi utilisés pour décorer l’extérieur comme cela est visible sur les parois du temple d’Isis à Pompéi. Ces décors en bas-relief ornent principalement les parties hautes des parois, les lunettes, les plafonds et les édicules.

La technique

Le stuc peut être travaillé de différentes façons : il est moulé pour faire des frises, modelé pour les décors figurés et tiré au gabarit pour les corniches. Les instruments de travail étaient en bois (moule, gabarit) et en métal (spatule, truelle). Pour bien accrocher les parties en relief, des stries étaient effectuées sur l’enduit à l’endroit où on rajoutait de la matière pour modeler le relief. Pour les reliefs plus importants, des clous ou des chevilles en bois faisaient office d’ossature comme en témoignent les vestiges archéologiques.

Sources littéraires et archéologiques

Parler de « stuc » pour l’Antiquité est un anachronisme car le mot dérive de l’italien « stucco » employé pour la première fois à l’époque de la Renaissance. Il ne semble pas y avoir dans l’Antiquité un mot spécifique pour désigner le stucateur en particulier. Deux auteurs antiques, Vitruve (De Architectura) et Pline (Histoire Naturelle), parlent, dans leur traité encyclopédique, des techniques artisanales de décoration et utilisent le terme d’opus tectorium aussi bien pour parler de l’enduit pour la peinture murale que pour celui utilisé pour le stuc. En revanche, le terme d’opus albarium qui insiste sur la notion de blanc (albus) pourrait peut-être désigner l’enduit du stuc en particulier. Dans les textes, pour parler des artisans, il existe plusieurs formulations tectores, albarii et gypsarii qui renvoient probablement à différentes spécialités.

On ne connait pas l’identité des stucateurs, car comme les artisans de la fresque, ils ne signaient pas leurs œuvres, à la différence des peintres de chevalet. L’épigraphie (l’étude des inscriptions gravées) donne cependant quelques informations sur ces hommes. Des inscriptions funéraires indiquent que les stucateurs étaient essentiellement des affranchis ou des esclaves de personnages influents (famille impériale par exemple). L’édit de Dioclétien (301 ap. n. è), qui fixe le prix des marchandises et les salaires en fonction des métiers, nous apprend aussi qu’un stucateur était moins bien payé qu’un fresquiste. Ces témoignages mettent en évidence le statut plutôt modeste de ces artisans spécialisés. D’un point de vue iconographique, un relief sur la colonne de Trajan à Rome (113 de n. è.) montre un ouvrier en train de travailler la chaux et on peut voir aussi l’organisation d’un chantier de décors muraux sur le relief de Sens mais il n’existe aucune représentation explicite de stucateur.

L’iconographie et les couleurs du stuc

Les stucateurs s’inspirent largement des motifs de la peinture murale et de la sculpture, mais en usant d’une certaine liberté dans l’élaboration des formes, ce qui est sans doute liée à la nature du matériau qui doit être travaillé rapidement avant qu’il ne sèche.

Le répertoire décoratif peut être sensiblement identique dans des contextes différents (maison, thermes, tombeaux), on note cependant de nombreuses représentations dionysiaques (c’est-à-dire en lien avec le dieu Dionysos) en contexte funéraire.

Le stuc est utilisé pour élaborer des motifs ornementaux (frises, motifs floraux, volutes), pour des décors architecturaux, pour des représentations d’objets (vase, torche, masque) ou encore pour faire des encadrements. Mais par sa plasticité, le stuc est le matériau idéal pour exprimer le mouvement. Parmi les motifs figurés largement représentés se trouvent les cortèges marins, les figures volantes, les animaux fantastiques, les figures de femmes semi-allongées, les paysages sacro-idylliques et quelques scènes mythologiques.

Le stuc est souvent accompagné de couleurs (bleu égyptien, rouge ocre, ocre jaune, vert ou encore, plus rarement, des feuilles d’or), généralement appliquée sur le fond, qui mettent en valeur le motif stuqué resté blanc en accentuant ainsi l’effet du relief (voir aussi la notice générale sur la polychromie dans l’Antiquité*).

Et en Gaule ?

En Gaule, à l’époque gallo-romaine, le stuc est utilisé dans les décors mais son utilisation est nettement moins diffusée qu’en Italie à la même époque. Il est surtout utilisé pour faire des moulures qui mettent en valeur des décors peints ou une architecture. Néanmoins des découvertes récentes attestent de la présence d’artisans spécialisés maitrisant parfaitement la technique. En 2014, les fouilles de l’antique cité d’Intaranum (actuelle ville d’Entrains-sur-Nohain, Nièvre)[1] révèlent des riches demeures d’époque impériale luxueusement décorées par des enduits peints pour les murs et par du stuc pour un plafond au moins[2]. Ce décor fragmentaire mais en bon état de conservation a permis au toïchographologue, c’est-à-dire le spécialiste des peintures et des stucs antiques, de recomposer le décor. D’autres fragments d’un décor remarquable en stuc ont été retrouvés dans une villa maritime de luxe à Mané-Vechen (Morbihan)[3]. L’utilisation de cette technique dans les décors continue dans l’Antiquité tardive (fin du Ve s. de n. è. – début du VIe s. de n. è.), comme cela est illustré à Vouneuil-sous-Biard (Vienne) où des milliers de fragments d’un décor en stuc, présentant des éléments architecturaux et des motifs figurés avec des parties de corps et de visages de personnages, ont été découverts dans les années 1980[4].

Postérité

Après l’Antiquité, la technique du stuc perdure mais c’est véritablement à la Renaissance qu’elle connait de nouveau un âge d’or après la découverte de la Domus Aurea à Rome. Les artistes italiens puis européens s’inspirent des motifs de l’Antiquité dans leurs œuvres. À l’époque moderne, quand l’Europe se passionne pour l’Antiquité après les découvertes extraordinaires des villes antiques de Pompéi et Herculanum au XVIIIe s., des antiquaires s’intéressent aux décors stuqués, entrainant ainsi des prélèvements de ces reliefs extraits de leur contexte antique d’origine. C’est le cas d’une série de relief en stuc provenant des tombeaux romains de Pouzzoles, prélevés pour alimenter des collections privées et qui se retrouvent de nos jours, pour la plupart d’entre eux, conservés dans des grands musées européens : au Louvre, au British Museum et au Musée Archéologique National de Naples (fig. 3).

Fig. 3. Stuc de Pouzzoles. Relief en stuc d’époque romaine provenant d’une tombe à Pouzzoles représentant une scène mythologique : Hercule qui regarde son fils Télèphe tétant la biche, conservé au musée du Louvre, photographie Dorothée Neyme, 2023.

Les stucs ne connurent cependant jamais auprès des collectionneurs d’antiquité et du grand public le succès de la peinture murale antique ou de la sculpture, mais, à l’instar des décors de camées* qui ont inspirés des objets d’époque moderne, les sujets des reliefs de stuc ont sans doute inspiré des décors de porcelaine fabriquées dans les grandes manufactures européennes comme celle de Sèvres en France, de Capodimonte en Italie ou encore la fabrique de Wedgwood en Angleterre.

De nos jours, la technique antique du stuc n’est plus utilisée, elle est supplantée par le staff (enduit fait de plâtre et de fibre végétale) plus facile à travailler pour élaborer des décors en relief.

 Pour aller plus loin

BLANC, Nicole, « Les stucateurs romains : témoignages littéraires, épigraphiques et juridiques », in Mélanges de l’École française de Rome. Antiquité, tome 95, n°2, 1983, p. 859-907.

BLANC, Nicole, « STUC », Encyclopædia Universalis [en ligne].

http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/stuc/

BLANC, Nicole, « Le stuc, matériau aux multiples usages », Dossiers d’Archéologie, 366, 2014, p.24-26

LING, Roger, Stuccowork and Painting in Roman Italy, Aldershot, Ashgate, 1999.

[1] Julien Boislève, « Un ensemble de stucs exceptionnel », in Pascale Chardron-Picault, dir., Hommes de feu, Hommes du feu : l’artisanat en pays éduen, Catalogue d’exposition, Ville d’Autun, musée Rolin, 22 sept. 2007-28 janv. 2008, p. 186-195.

[2] https://www.atrium-patrimoine.com/vestiges-rares-de-decors-en-stuc/66220.

[3] Julien Boislève, Alain Provost, « Les stucs de la villa maritima de Mané-Véchen, anciennes découvertes et nouveaux décors », in Décor et architecture en Gaule entre l’Antiquité et le haut Moyen-Âge. Actes du colloque de Toulouse, 9-12 octobre 2008, Bordeaux, Supplément Aquitania 20, 2008, p. 539-552. ffhal-01782065.

[4] Christian Sapin (dir.), Les stucs de l’Antiquité tardive de Vouneuil-sous-Biard (Vienne), Gallia,b60e Supplément, CNRS Éditions, 2009.

2 commentaires

  • annehelenedolle

    Suite des réflexions proposées par Emilie Balavoine :

    Le sujet du stuc est particulièrement intéressant en ce qu’il est au carrefour de plusieurs thématiques propres aux LCA que ce soit en collège ou en lycée (la vie quotidienne, le travail de l’artisan, les ouvriers, les outils, les matériaux, entre autres) mais aussi en qu’il peut être proposé dans le cadre d’un travail interdisciplinaire. Ainsi, en collège, il peut être abordé avec les collègues de technologie dans le cadre du travail sur l’habitat ou avec les collègues de SEGPA dans le cadre du champ professionnel « Habitat ». C’est aussi un support possible pour un travail avec des élèves de lycée professionnel du bâtiment afin de leur présenter en lien avec le professeur référent de la discipline l’évolution des techniques de construction et de décoration au fil des siècles.

  • annehelenedolle

    De la part d’EMILIE BALAVOINE

    Un très grand merci pour ce texte ! Je l’ai trouvé très clair et éclairant !

    Il me semble qu’il pourrait être utilisé à différents niveaux, lorsque l’on évoque la vie quotidienne
    LATIN :
    classes de 5* et de 4* axe vie privée, vie publique : l’habitat (mais aussi maîtres et esclaves dans l’Antiquité)
    classe de 3* : vie familiale, sociale et intellectuelle : polythéisme et monothéismes (pour les illustrations et la continuité des procédés de décoration?)
    classe de 1* : Méditerranée : « conflits, influences et échanges » : influences et échanges
    classe de terminale : Inventer, créer, fabriquer, produire : grandes réalisations techniques (?)
    classe de terminale : Méditerranée : « présence des mondes antiques » : les sites archéologiques
    GREC :
    classe de 3* : vie familiale, sociale et intellectuelle : l’architecture palatiale et domestique
    classe de terminale : Inventer, créer, fabriquer, produire : grandes réalisations techniques (?)
    classe de terminale : Méditerranée : « présence des mondes antiques » : les sites archéologiques.

    Cet article peut enrichir la pratique en classe car il apporte des précisions sur un élément de décor très utilisé mais peu connu. Il participe de la présentation du quotidien des Anciens en mettant en avant le raffinement de leur artisanat.

    Sauriez-vous s’il existe des textes en grec ancien à ce sujet ? Qui pourraient être étudiés en complément des textes de Vitruve et de Pline ? Par ailleurs, pour ces deux sources, serait-il possible d’avoir les références ? S’ils sont accessibles, ces textes pourraient donner lieu à des traductions en classe.

    Savez-vous s’il existerait une « recette » de stuc utilisable par des collègues ? Beaucoup proposent à leurs élèves de réaliser des maquettes de domus et s’attachent par exemple à faire réaliser des crosaïques (des mosaïques en crozet), cela pourrait être un élément d’appropriation intéressant.

    Que pensez-vous d’ajouter ce lien vers cette vidéo de reconstitution de fresque en commentant les similitudes et les différences ? http://www.tectoria-romana.co

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