Attributs
Texte de Philippe Maupeu, Université Toulouse – Jean Jaurès, Laboratoire PLH
Dans l’iconographie, objet ou caractéristique physique qui permet l’identification d’un personnage (clés de saint Pierre, houppe de Tintin, trident de Neptune etc.) ou d’une figure allégorique (Justice, Amour, Fortune etc.). L’attribut est un détail qui détermine le tout. En cela, il fonctionne comme un « déterminant » de la figure iconographique au sein d’un système fortement codifié. Par exemple, dans l’iconographie sacrée, dans le domaine de l’iconographie chrétienne, et parmi l’ensemble que forment les figures des douze apôtres, les clés suffisent à désigner saint Pierre. La reconnaissance de l’attribut présuppose un système iconographique d’une grande stabilité dans le temps. Cette stabilité permet la variation au sein du système. L’attribut est ainsi le garant d’une identité iconique de la figure, par-delà ses variations temporelles et stylistiques. Dans la bande dessinée par exemple, il assume une fonction déterminante pour reconnaître un personnage sujet à des traitements graphiques différents selon les dessinateurs. La calotte de groom de Spirou, la panoplie chromatique de Lucky Luke (chapeau blanc, foulard rouge, gilet noir, chemise jaune, jeans bleus) ou la combinaison de Spiderman assurent la permanence iconique de personnages populaires dans une temporalité longue. De fait, tel ou tel dessinateur peut imprimer sa marque stylistique sur un héros de bande dessinée sans en compromettre la reconnaissance – même si ces variations peuvent troubler le lecteur en déjouant son horizon d’attente – : le Spirou de Franquin n’est pas celui de Fournier, encore moins celui de Chaland ou d’Émile Bravo. La fonction logique assumée par l’attribut autorise de fait des variations de style comme de registre, qui peuvent aller du comique au pathétique : le Spirou d’Émile Bravo (dans L’espoir malgré tout, Spirou sauve des enfants juifs de la déportation à Auschwitz) n’a pas l’insouciance du compagnon du Marsupilami dessiné par Franquin. Cas extrême : s’agit-il du même personnage déterminé par ses attributs ou d’un de ses avatars, lorsque les caractéristiques morales, le contexte historique et les codes génériques sont à ce point bouleversés ?
L’attribut permet la reconnaissance d’une même figure au sein d’une même œuvre qui repose sur une logique séquentielle de l’image. Les fresques de la Chapelle Brancacci à Florence, dédiée aux miracles et au martyre de saint Pierre, ont vu l’intervention de trois peintres successifs : Masolino da Panicale et son assistant Masaccio (ca 1425), l’ensemble étant achevé bien plus tard par Filippino Lippi (ca 1480 ; https://www.borghiditoscana.net/wordpress/wp-content/uploads/2014/03/Cappella-Brancacci-Chiesa-di-Santa-Maria-del-Carmine-Firenze.jpg). Alors que les styles des trois peintres sont très différents (gothique international encore traditionnel pour Masolino, révolution picturale de l’art de Masaccio dans le traitement de l’anatomie et de la perspective, inscription dans l’héritage du Quattrocento chez Lippi), saint Pierre reste identifiable grâce à ses attributs physiques et vestimentaires : chevelure et barbe blanches et courtes, manteau jaune. Les attributs ne sont pas nécessairement des objets. Les caractéristiques physiques peuvent également fonctionner comme attribut lorsqu’elles présentent ce même caractère de stabilité dans la tradition iconographique : la barbe de saint Pierre est toujours courte, celle de saint Paul toujours longue ; saint Paul est chauve, saint Jean l’évangéliste est glabre etc.
Dans l’exemple de la chapelle Brancacci, les attributs physiques se combinent à d’autres types d’attributs que l’on pourrait qualifier d’attributs narratifs ou prédicatifs (le prédicat, au sens logique du terme, étant ce que l’on dit du thème ou sujet). L’extension de la catégorie d’attribut de l’objet physique à l’action narrative mérite question. Pour qui connait l’histoire de saint Pierre, l’apôtre est identifiable sur les fresques non seulement par ses caractéristiques physiques mais par les actions qu’il commet : son ombre guérit les paralytiques, il est libéré de prison par un ange etc. Ces actions, pour fonctionner comme attribut, doivent être attestées dans la tradition scripturaire et textuelle. Elles doivent également présenter un caractère générique, l’attribut existant per se en tant que prédicat-type, détachable du sujet : les clés existent en soi, indépendamment de leur attribution au sujet ; l’évasion de prison est un syntagme narratif qui existe en soi, susceptible d’être attribué à d’autres sujets. Surtout, elles ont une fonction discriminante au sein d’un corpus iconographique : l’ivresse de Noé (voir Genèse, 9 : 20-27 ; voir les fresques de Paolo Uccello au cloître de Santa Maria Novella à Florence, ou de Michel Ange au plafond de la chapelle Sixtine), avec la configuration thématique qui est la sienne (posture du prophète, nudité, présence des trois fils Sem, Cham et Japhet, figuration de la vigne etc.) permet de le distinguer d’entre les prophètes.
L’attribut iconographique est un détail non pas arbitraire mais motivé. Dans l’iconographie chrétienne, il se rapporte souvent au martyre du saint (croix en X de saint André, couteau de Barthélémy, roue de Catherine d’Alexandrie etc.). Dans la mythologie, il renvoie souvent au pouvoir et aux forces naturelles auxquels sont associés les dieux et déesses (croissant de lune, carquois et flèches de Diane, foudre de Jupiter, fourche de Pluton…), comme dans les comics de type Marvel (Quatre Fantastiques, Surfer d’argent, bouclier et couleurs de Captain America etc.). Dans l’allégorie, le détail symbolique, sémantiquement motivé, contribue à la définition de la notion qu’elle personnifie : le bandeau de Justice désigne son impartialité, la balance son équité etc. Un même attribut peut avoir des significations différentes selon les allégories, ainsi que l’atteste l’Iconologie de Cesare Ripa (1593), recueil d’allégories morales à l’attention des « poètes, peintres et sculpteurs » largement diffusé : le serpent est un des attributs du Péril (il mord au talon) comme de la Persévérance (se mordant la queue, il représente le temps), de la Prudence (« Soyez prudents comme des serpents », Évangile selon Mathieu) ou de la Logique ; le miroir se retrouve tour à tour entre les mains de la Superbe (elle s’y contemple) ou de la Sagesse (elle s’y connaît).
L’attribut cristallise aussi dans un objet un récit constitutif de la légende et de la genèse du héros (massue et peau du lion de Némée d’Hercule, clés du royaume des cieux de saint Pierre selon Matthieu, 16 :18-19), même s’il arrive que ce récit ne soit plus nécessairement connu, l’attribut paraissant dès lors comme arbitraire. Les cornes de Moïse seraient une concrétisation de l’aura lumineuse du prophète descendant du mont Sinaï ; la houppe de Tintin provient d’un démarrage en trombe alors qu’il échappe à ses poursuivants dans Tintin au pays des Soviets. Mais la justification narrative de ces attributs s’est aujourd’hui perdue, sans que la fonction logique de désignation en soit affectée.
L’attribut est une porte d’entrée idéale pour faire découvrir aux enfants et aux élèves les clés de l’iconographie dans l’art : chercher le lion de saint Jérôme dans les tableaux de Joachim Patinir, ou jouer à « Où est Charlie ? » devant la fresque du Conseil des Dieux peint sur la voûte de la Loggia de Psyché par Raphaël à la Villa Farnesina, exerce l’acuité du regard et le plaisir de la découverte, au fondement de la jouissance visuelle.
Pour aller plus loin
ARASSE, Daniel, Le détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture, Paris, Flammarion, 1992.
DUCHET-SUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU, Michel, La Bible et les saints. Guide iconographique (nouvelle édition augmentée), Paris, Flammarion, 1994.
Commentaires proposés par Pauline Martinet, qui enseigne le Français et les LLCA à la Cité scolaire La Serre de Sarsan, Lourdes.
Cette définition très claire des attributs me conforte dans l’usage que j’en ai avec mes élèves. En tant qu’enseignante de LC je ne peux qu’approuver la conclusion à savoir que « L’attribut est une porte d’entrée idéale pour faire découvrir aux enfants et aux élèves les clés de l’iconographie dans l’art ». En effet, nous sommes déjà nombreux, il me semble, à utiliser les attributs pour repérer les dieux, les distinguer les uns des autres et repérer leurs domaines d’exercice. Les activités possibles sont très nombreuses : reconnaître des statues ou œuvres antiques à partir des attributs repérables, distinguer les différents dieux à partir de leurs attributs sur une fresque comme le propose Philippe Maupeu en conclusion ou encore retrouver ses attributs chez des figures populaires contemporaines.
Grâce à cet article, nous découvrons des références bibliques que nous maitrisons peut-être moins en tant que LC et qui pourtant s’avèrent très utile lorsque, en voyage scolaire, nous voulons visiter des édifices chrétiens. Je pense qu’avec des collégiens, on pourrait proposer une chasse à Saint Pierre via ses clefs sous forme de marathon photo par ex.
Je joins à ce commentaire, une petite évaluation que je propose à mes lycéens après avoir (très rapidement) rappelé les attributs de chaque dieu grâce à un petit « qui est-ce ? » sur la fresque en deuxième de couverture des albums « La Sagesse des mythes ». Le but est d’abord simplement de vérifier les connaissances des élèves : ils doivent connaître les attributs de tous les olympiens et savoir les reconnaître. Dans un second temps, les exercices suivants leur permettent de développer une réflexion plus large sur les symboliques derrière chaque attribut et la façon dont ces attributs se retrouvent dans des images contemporaines avec tous ce qu’elles portent de signification, de références dans la mémoire collective.