« l’art est une accusation permanente »

Fernando Botero

La réticence à regarder les images ou les œuvres d’art qui montrent la violence est parfois un sujet délicat à traiter, car certains pensent qu’une œuvre d’art doit transmettre un sentiment de tranquillité ou d’émotion positive, voire une beauté idéale. Toutefois, pour d’autres, une œuvre d’art transmet simplement des émotions, qu’elles soient négatives ou positives, mais elles doivent susciter une pensée ou une réflexion. Parfois, manifester la violence à travers l’art est une façon de s’exprimer sans pour autant pointer du doigt, mais surtout pour inciter à réfléchir aux événements qui nous entourent et pour donner une voix à ceux qui ne peuvent pas s’exprimer.

Le cas concret de la violence dans les arts picturaux est une voie empruntée par de nombreux artistes pour témoigner, réfléchir et sensibiliser par rapport aux conséquences dévastatrices de la violence. Peut-on représenter la violence à travers la peinture ? Bien sûr ! Elle y est représentée depuis la nuit des temps, du Moyen Âge à nos jours. Mais comment la violence est-elle traitée dans les tableaux du maestro Botero ?

Contextualisation

Botero a un côté sombre, évoqué ici dans ses tableaux, au cours de son parcours artistique. L’adjectif « sombre » ne fait pas nécessairement référence aux couleurs utilisées dans ses tableaux, car il privilégie principalement une gamme de couleurs vives, mais il évoque surtout la violence. De manière symbolique, Botero aborde ce sujet triste et sensible de l’histoire récente de l’humanité. C’est un peintre colombien qui a utilisé l’art pour inciter à la réflexion et pour ne pas détourner le regard de l’histoire de son pays. En fusionnant l’art avec la réalité historique de la Colombie, émerge une invitation à comprendre la violence politique du pays non seulement comme une période révolue de l’histoire, mais aussi comme un moyen de création, de guérison, et de préservation de la mémoire collective.

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Matanza de los inocentes 1999

Fernando Botero, célèbre artiste colombien, est internationalement reconnu pour la volumétrie de ses représentations de la vie quotidienne, incluant son pays et l’Amérique latine. Bien qu’il nous ait quittés en 2023, son style persiste sous le nom de « Boterismo ». Son œuvre, tant en peinture qu’en sculpture, est caractérisée par l’abondance de ses créations. Né à Medellín en 1932, en Colombie, Botero est l’un des artistes latino-américains les plus renommés du siècle dernier. La configuration sensible de la réalité dans ses tableaux constitue un pilier essentiel pour transmettre une réflexion à travers l’art.

Quelle histoire raconte-t-il ?

Botero a lui-même vécu les violences politiques et sociales en Colombie, une expérience qui a profondément marqué son art. Ses œuvres traitant de la violence présentent souvent des personnages surdimensionnés, exagérément représentés pour accentuer l’impact émotionnel et la tragédie de ces événements. Il a également été personnellement touché par la mort tragique de son fils de 4 ans. Cependant, il est important de souligner que Botero n’utilise pas la violence comme un simple spectacle. Au contraire, il cherche à attirer l’attention du spectateur en montrant la souffrance et les réalités difficiles à vivre, invitant à la réflexion et à la compassion envers les victimes de la violence.

Carro bomba 1999

Il a utilisé l’art pour mettre en lumière l’injustice sociale, la barbarie et la terreur liées à différents épisodes de l’histoire mondiale récente. Cela inclut le conflit armé colombien ainsi que les tortures infligées aux prisonniers d’Abou Ghraïb en Irak, sujet qui a fait l’objet d’une couverture médiatique importante. La prison d’Abou Ghraïb était le lieu où les forces armées américaines ont soumis les prisonniers à des tortures, des viols et des abus portant atteinte à la dignité humaine. La plupart des détenus étaient injustement accusés par le gouvernement des États-Unis après avoir remporté la guerre en Irak en 2003. Bien qu’il n’y ait pas de lien direct entre la Colombie et l’Irak, il existe plutôt une relation universelle dans la façon dont on regarde l’art. Botero cherche à poser un regard humain tout en critiquant l’humanité et la politique.

Las Torturas de Abu Ghraïb 2007

En ce qui concerne les images des prisonniers d’Abou Ghraïb, Botero a déclaré vouloir les exposer notamment dans des musées aux États-Unis, une puissance mondiale perçue par la plupart de la population comme un exemple à suivre du « rêve américain », prônant l’égalité et s’opposant à la pratique de la torture. Cela constitue une critique évidente envers les États-Unis en raison de l’implication de leurs soldats. Il existe même un chapitre d’Amnistie internationale consacré à l’œuvre de Botero intitulé  Torturas de Abu Ghraïb . Son style distinctif, caractérisé par des formes rondes et volumineuses dans ses tableaux représentant la violence et divers conflits, rappelle la série de tableaux de Francisco de Goya, Los Désastres de la Guerra , ainsi que celle de Pablo Picasso lors du bombardement de  Guernica.

Las Torturas de Abu Ghraïb 2007 El desfile 2000

La différence entre ses tableaux représentant la violence en Colombie et ceux d’Abou Ghraïb réside dans le visage découvert des Colombiens et les visages couverts des torturés de la prison en Irak. On peut observer la surprise de ceux dont la violence les a pris au dépourvu, tandis que les autres n’ont même pas un visage identifiable car les tortionnaires couvrent le visage des victimes.

Influences

Fernando Botero a été influencé par divers mouvements artistiques et artistes tout au long de sa carrière. Parmi ses influences majeures, on peut citer le muraliste Diego Rivera ainsi que les maîtres de la peinture espagnole du XVIIe siècle, tels que Diego Velázquez et Francisco de Goya. Ces artistes ont eu une influence significative sur Botero, notamment dans leur utilisation de la lumière, de la couleur et dans la représentation des formes humaines.

L’une des peintures de Goya, Tres de mayo, a probablement inspiré Botero à créer l’une de ses œuvres intitulée Masacre en Colombia. Les couleurs, les balles, les murs et les personnages au sol font une forte allusion à l’une des œuvres les plus emblématiques de Goya.

Masacre en Colombia 2000

La représentation de ses œuvres

Botero a déclaré que « l’art est une accusation permanente », c’est probablement ainsi qu’il explique la représentation de la violence dans ses peintures. Son intention n’est pas de perpétuer un conflit ou une image de la violence, mais plutôt de critiquer la société. Sa manière d’aborder ce sujet est symbolique. Dans le cas du conflit armé colombien, il nous présente des images fictives qui sont probablement la représentation de la mémoire collective et de la perception du conflit par une personne n’ayant pas vécu la guerre.

Masacre de Ciénaga Grande 2001

Il ne se contente pas de critiquer, mais reflète la réalité de la société que certaines personnes ignorent pour diverses raisons. Il utilise l’art comme un moyen de contestation contre le pouvoir de l’État en général et contre l’universalité des conflits. Même si ses œuvres lui valent des critiques, certaines affirmant qu’il donne une mauvaise image de son pays, Botero persistait dans sa démarche artistique engagée.

Même si la peur et les répulsions de l’être humain ont été reflétées à travers l’art depuis le Moyen Âge, en particulier à travers la Laideur, l’irrationalité de l’être humain reste toujours difficile à regarder et à accepter. Au début du XXIe siècle, Botero a utilisé son regard d’artiste pour transformer les expériences des victimes. La plupart de ses peintures se caractérisent par les expressions rares du visage des personnages, des visages impassibles qui ne transmettent aucun sentiment. Cependant, cela n’est pas le cas pour les personnages représentés dans ses tableaux sur la violence.

Desplazados 1999

L’être humain est celui qui commet ces actes de barbarie, mais il est aussi celui qui s’indigne, refusant parfois de regarder les conséquences des actes inhumains de l’humanité. Dans le cas de Botero, la cruauté représentée dans un tableau n’est pas la cruauté de l’artiste, mais la représentation de ce qu’il voit, entend et perçoit de son monde intérieur et extérieur. Botero affirme ne pas s’être inspiré des images prises par les tortionnaires, mais plutôt des témoignages écrits dans les journaux. Les images peuvent être choquantes, certes, mais elles sont le produit de l’être humain. L’indifférence de ceux qui n’osent pas regarder ces images et la lutte contre l’oubli font que des peintres comme Botero sont capables de présenter le conflit d’une manière différente.

Botero et 40 artistes colombiens questionnent la guerre au musée des Abattoirs de Toulouse

Conclusion

En résumé, à travers son style artistique distinctif, Botero aborde l’irrationalité et la souffrance humaine, incitant les spectateurs à réfléchir sur ces problématiques sociopolitiques complexes. En développant son propre style, il a intégré des influences variées pour créer une esthétique unique caractérisée par ses formes voluptueuses et sa représentation satirique de la réalité.

Bibliographie

  • Cha-Dessolier Amandine, 2010, La violence de l’art, pour une esthétique de la violence, CNRS Éditions.
  • Chiappini Rudy, 2016, Botero: peintures 1959-2015, Paris, Skira.
  • Herrera-Vega Eliana, 2011, « The politics of torture in antagonistic politics, and its displacement by the regime of the arts: Abu Ghraib, Colombian paramilitaries and Fernando Botero », Current Sociology, 1 novembre 2011, vol. 59, no 6, p. 675‑695.
  • Lassus Jean-Marie, 2010, « Les représentations esthétiques de la violence dans l’œuvre de Fernando Botero », Amerika. Mémoires, identités, territoires, 21 septembre 2010, no 3.
  • Lesnes E.,1911, De la Laideur dans l’art. Préface de M. le chanoine Lecigne,/E. Lesnes, Société belge de librairie Bruxelles.