Un crayon pour dessiner la réalité.
De nombreux artistes ont pris position au sujet des violences faites aux femmes et cela en utilisant différents supports. Certains par la musique, d’autres par le théâtre, des documentaires ou encore quelques uns ont sorti leurs crayons et ont utilisé leurs talents mais toujours afin de rallier le même objectif : dénoncer ces violences en les montrant au monde. C’est le cas de Cristhian Hova, dessinateur Péruvien.
Ce dernier a décidé d’utiliser son Art pour lutter contre un phénomène toujours plus ancré dans nos sociétés. Cette ancrage a bien souvent relégué ces crimes au rang de fait divers. Pourtant loin d’être des actes isolés, Il sont révélateurs d’une violence systémique et il est temps de dire ¡ Ya Basta !
L‘Organisation des Nations Unies a publié de nombreuses enquêtes sur le niveau inquiétant des violences faites aux femmes. Toujours selon l’organisme international, la violence contre la femme est la plus extrême des discriminations allant jusqu’à provoquer la mort. En effet, selon des données rapportées à 87 pays et récoltées entre 2005 et 2016, 19 % des femmes entre 15 et 49 ans d’âge disent avoir expérimenté une violence physique ou sexuelle, ou les deux. En 2012, dans le monde, presque la moitié des femmes assassinées l’ont été par leur conjoint ou un parent.
Pourtant, ce constat n’est pas nouveau. En effet, l’ONU a dès 1994 lors de son assemblée générale proclamé la volonté d’éliminer la violence touchant les femmes. Aujourd’hui, en 2018 presque 25 ans après cet appel, les choses ne semblent guère avoir évolué, et le problème demeure.
Afin d’essayer d’enrayer ce fléau, l’ONU dans ces Objectifs de Développement Durable a inscrit l’égalité de genre comme objectif à atteindre. Il ne s’agit pas ici uniquement de violence physique mais d’inégalités économiques et sociales qui touchent les femmes, ces inégalités sont un autre aspect « violent » de la société patriarcale.
C’est dans ce contexte que le dessinateur péruvien Cristhian Hova a décidé avec ONU MUJERES de proposer ses talents d’illustrateur pour la campagne de sensibilisation sur les violences domestiques répondant au hashtag #NoMasViolenciaContraLasMujeres. Cristhian Hova publia pour cette campagne quelques portraits de femmes battues avec pour chacun des portraits une phrase, comme une excuse pour ne pas avoir dénoncé son bourreau. Ces phrases qui font froid dans le dos sont révélatrices d’un mal profond.
Se trouvant une « excuse » pour ces maltraitances, tantôt il va changer, tantôt je ne veux pas rester seule ou bien encore mes enfants nécessitent un père, ces dessins traduisent la forte pression sociale que subissent ces femmes.
Ne pouvant quitter ou dénoncer leurs bourreaux car incomprises dans un système qui ne les écoutent pas ou qui banalisent ce genre d’actes violents.
Ces portraits nous rappellent au combien il est difficile de s’extirper de cette violence devenue si commune et banale…
Ces portraits ont notamment été diffusé par le collectif Cartel Urbano, site participatif qui promeut le journalisme de rue et la culture alternative. Sur leur site nous pouvons trouver d’autres dessins de Cristhian Hova ayant toujours trait à la violence sur les femmes.
Cristhian Hova n’en oublie pas son pays le Pérou auquel il accorde de nombreux dessins notamment à l’occasion des élections présidentielles de 2016 qui portèrent à la présidence du pays le candidat de droite Pedro Pablo Kuczynski. Un duel de second tour qu’il gagna face à Keiko Fujimori la fille de l’ancien dictateur péruvien qui dirigea le pays de 1990 à 2000.
Ce dessin illustre bien l’état d’esprit de l’artiste, ou les deux candidats sont départagés n’ont pas par des votes mais par un juge de la Cour Pénale Internationale (CPI) car pris dans des affaires de corruption et de scandales. Mais il est aussi question du lourd héritage que porte Keiko Fujimori, à savoir celui de son père, Alberto Fujimori.
Le nom de Fujimori porte en lui les cicatrices d’un pays qui ne se sont toujours pas refermées. Une guerre civile de douze années entre 1980 et 1992 (date de l’arrestation du chef du groupe révolutionnaire Sentier Lumineux (PC-SL) Abimael Guzman) qui déchira le pays, surtout les zones rurales andines. Durant cette période, Alberto Fujimori s’octroya les pleins pouvoirs et mena une répression féroce contre tous les opposants à son pouvoir et pas uniquement aux groupes armés.
Ainsi, les populations rurales furent victimes de politiques dites sanitaires afin de réduire le nombre d’enfants par femmes. Cette politique fut une « arme de guerre » dont les femmes une nouvelles fois furent les premières victimes.
Parler des dessins de Cristhian Hova sans aborder la question des stérilisations forcées serait une erreur. Ce thème a longtemps été tabou au Pérou, pourtant entre 1992 et 2000 environ 300 000 femmes furent stérilisées de force par les autorités gouvernementales péruviennes notamment par le PNSRPF (Programa Nacional de Salud Reproductiva y Planificación Familiar).
Durant cette période, le gouvernement d’Alberto Fujimori a planifié de manière cynique la stérilisation de centaines de milliers de femmes des régions rurales et pauvres du Pérou surtout dans la partie andine, zone ou les groupes révolutionnaires étaient présents. Cette campagne répondait à des objectifs économiques, sociaux et idéologiques.
Afin de toucher le plus grands nombre de femmes, l’Etat péruvien mis en place des centres médicaux ambulants qui allaient de villages en villages n’ont pas pour apporter la bonne parole ou pour soigner ces habitants souvent très pauvres mais pour comme ils le diront plus tard « ligaturer des trompes »…
Des quotas étaient assignés à chaque centres médicaux et afin de rentrer dans les chiffres, l’État organisait des festivals, des feux d’artifices et autres spectacles afin de réunir le plus de monde. Les populations pouvaient aussi aller au dentiste ou au salon de coiffure et tout cela gratuitement.
Les services de santé promettaient aux femmes les plus pauvres des lunettes ou autres habits ou bien, simplement, quelques kilos de blé ou de riz contre un check-up médical qui se finissait par une stérilisation. Les faibles connaissances en matière sexuelles et médicinales de ces populations et pour la plus part la faible maîtrise de l’espagnol ajoute un facteur supplémentaire à l’important nombre de femmes stérilisées de force car il s’agit bien de force et non pas d’un acte libre et consenti. (Voir Blog Los Movimientos Contra Atacan). En d’autres termes, les femmes ne savaient même pas qu’elles allaient être stérilisées. Ces stérilisations s’accompagnaient bien souvent de complications post-opératoires comme des infections par exemple qui entraînèrent la mort de nombre d’entre elles… De plus, d’autres collectifs se mobilisent pour mettre en lumière ces événements et alerter l’opinion publique et organiser les femmes victimes de ces abus.
Le livre de l’anthropologue Alejandra Ballon « Memorias del caso peruano de esterilización forzada” en 2014 a permis de mettre en lumière l’horreur de ce programme qui fut mis en place de manière quasi industrielle.
De nombreuses manifestations se tiennent encore aujourd’hui pour demander justice et dans lesquelles on peut assister à des représentations théâtres de ces stérilisations.
Un autre témoignage, celui de Victoria Vigo.
En 1996, elle avait 32 ans et fut stérilisée de force, voici son récit :
« Je voulais avoir plus d’enfants, mais ce choix me fut enlevé sans ma permission. J’étais à ma trente deuxième semaines de grossesse et je ne me sentais pas très bien c’est pourquoi j’ai décidé d’aller voir le médecin. Ils m’auscultèrent et décidèrent de me faire une césarienne en urgence. «
Le bébé de Victoria Vigo est né avec des difficultés respiratoires. Les poumons n’étaient pas bien développés et il mourut quelques jours après.
« Il y avait un médecin qui essayait de me consoler en me disant que j’étais encore jeune et que je pouvais avoir d’autres enfants. »
Ce fut à ce moment qu’elle entendit un autre médecin dire « Non, elle ne peut pas avoir d’autres enfants, nous l’avons stérilisée ».
Piura, Pérou 1996
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