Lukas Avendaño, est un artiste et anthropologue zapotèque, issu du peuple amérindien vivant dans l’isthme de Tehuantepec dans l’Etat de Oaxaca au Mexique. Il est connu pour ses performances et son appartenance à la communauté muxhe. Les muxhes sont des sujets “biologiquement » identifiés comme mâles à la naissance, qui, dans certains cas, s’habillent avec les vêtements “typiques” de la femme tehuana” [traduction personnelle], (Bevacqua, 2022). En effet, ils représentent un troisième genre et aujourd’hui le terme désigne “les personnes transgenres qui assument des rôles féminins” [traduction personnelle], (Bevacqua, 2022).

La communauté zapotèque se caractérise par la reconnaissance et l’acceptation du troisième genre au sein de sa société. Ce troisième genre est considéré comme essentiel pour la reproduction et la cohésion ethnique de la communauté. Les individus appartenant à ce troisième genre sont non seulement acceptés mais aussi aimés au sein de leurs familles, et leur présence est parfois même considérée comme une bénédiction. En effet, ces individus assument des responsabilités importantes, telles que le soin des parents et diverses tâches domestiques, ce qui reflète l’importance de la figure féminine, comme le souligne la docteure Natividad Gutiérrez Chong, de l’Institut de Recherche Sociale de l’UNAM, « La femme principale est la mère, qui est la donneuse de vie, le muxhe n’entre pas en compétition avec la mère, il aime s’habiller, se voir comme une femme, mais il ne va pas entrer dans la compétition de qui est plus femme, par exemple ». Ainsi, la reconnaissance du troisième genre dans la culture zapotèque met en avant une forme de diversité sexuelle et de structure sociale qui transcende le binarisme occidental moderne, offrant une perspective intéressante sur la complexité des identités de genre.

A travers ses performances, Lukas Avendaño met en lumière son identité muxhe et indigène. Il y lie des thèmes tels que l’homosexualité ou encore le rôle des femmes dans la société zapotèque, tout en développant les réalités politiques et sociales du pays.

En prenant l’exemple de Requiem para un alcaravan, on peut retrouver le sujet du mariage traditionnel. En effet, le mariage traditionnel voudrait qu’un homme et une femme se marient dans le but de fonder une famille. Cependant, dans le cadre de sa performance, cette forme de mariage est remise en question par la mise en valeur du mariage homosexuel. 

De même, Lukas Avendaño aborde la société zapotèque en mettant en lumière d’autres éléments importants de sa culture. Il s’agit par exemple d’aborder des éléments tels que les festivités destinées aux saints (Mayodormías), la pratique du guérisseur (Curandera), la pratique de la prière et l’importance de la religion (Rezandera). De même, on peut y retrouver des thèmes tels que le deuil ou encore la métamorphose. Par exemple, le deuil et les dénonciations politiques se retrouvent dans Buscando a Bruno, performance parlant de la disparition de son frère. 

Pour entrer plus en détails, la performance Requiem para un alcaravan a été réalisée pour la première fois en 2012 dans le centre culturel Rojas de l’Université de Buenos Aires. Cette performance a eu lieu à l’occasion de la présentation de El Teje, le premier journal travesti latino-américain. À travers sa performance dansée, Lukas Avendaño convie le spectateur à s’immerger dans les « Rites de passage féminins » du muxhe.

Au long du performance il y a peu de texte, mais plutôt des morceaux d’histoire personnelle et des expressions lancées dans l’air : « je n’ai jamais été seule car je m’ai moi-même » [traduction personnelle] (De la Paz, 2016). Cependant, c’est le langage corporel qui crée une atmosphère émouvante. Au milieu de la fête, l’acteur interagit avec un membre du public, le conduit au centre, ils dansent ensemble et il le transforme en son partenaire, tandis qu’une pluie de confettis tombe sur eux et que le public se joint à la célébration. À la fin, un tournant inattendu et interculturel survient lorsque le personnage commence à réciter des prières à la Vierge, soulignant ainsi l’influence chrétienne.

A la fin de la présentation, Lukas Avendaño s’est exprimé sur la pièce et surtout sur la muxeidad, expliquant l’origine du mot et en donnant sa vision décolonisée. Il indique que son œuvre est née de sa réflexion sur la “discusión discursiva sobre mí. Sobre mi quehacer, sobre mi deseo, sobre mi cuerpo, sobre mi identidad”. Il présente les rites sociaux propres à l’Isthme de Tehuantepec et indique que les muxhes en sont privé “ En tanto los/as muxes son privados de estos ritos sociales, la pieza instaura una visualidad crítica en la que el cuerpo del performer interviene como protagonista del acontecimiento en el difuso límite de la representación/presentación.” 

Une rapide analyse de la pièce, Requiem para un alcaravan, permet de comprendre les messages qu’a voulu faire passer Lukas Avendano. Ici, la pièce représente l’accouplement de deux oiseaux éponymes, les alcaravanes ou en français Œdicnème criard aussi appelés “courlis de terre”.  Selon Lukas Avendaño, ces oiseaux sont généralement destinés à être domestiqués, mais leur particularité réside dans le fait que s’ils sont domestiqués sans partenaire ils meurent de tristesse. Nous comprenons alors que les courlis de terre sont une métaphore des muxhes, qui comme nous l’avons abordé précédemment, sont destinés à vivre seuls, ne pouvant pas partager leur vie en couple à cause de leur condition sociale, comme l’explique lui même Lukas Avendaño: “ Muchas veces lxs muxes mueren solxs, terminan solxs, como el alcaraván”. 

La pièce intègre également des éléments de la culture zapotèque, tels que des rituels collectifs reconnaissables, notamment par les musiques populaires qui servent de toile de fond à l’œuvre, ainsi que par les tenues de gala traditionnelles caractéristiques de la région. Ces symboles agissent comme des marqueurs d’identification au genre féminin. La pièce va au-delà des frontières pour explorer ce qui a toujours été présent dans toutes les cultures : la manière d’appréhender l’identité sexuelle. Dans ce contexte, elle offre un regard à la fois spécifique mais ouvert sur la vision de l’identité sexuelle, dans le contexte indigène de Oaxaca.

Cela nous renvoie encore à ce que nous avons déjà souligné précédemment : les muxhes jouissent d’une acceptation ambivalente dans la société. Même s’ils sont acceptés, ils sont aussi discriminés et exclus de la culture sociale hégémonique, hétéronormative, de Oaxaca (Bevacqua, 2022) . Face à cette discimination, le performeur Lukas Avendaño se présente torse nu avec une jupe traditionnelle tehuana, ce qui est pour lui une forme de résistance, qui provoque une asymétrie dans l’imaginaire sociale (Bevacqua, 2022). La corporalité scénique est alors une réaffirmation politique. De plus, Lukas Avendaño définit lui même cette pièce comme : “un ritual de desagravio a los putos del mundo, para los queers, putos, homosexuales, gays, travestis, transexuales, transgéneros o los dignamente otros amores en palabras de Ejército Zapatista de Liberación Nacional”. 

Bien que méconnu, cet art commence à se faire connaître grâce à la cyberculture. En effet, au sein de l’actualité, la cyberculture joue un rôle de plus en plus central dans la transmission culturelle, tant à l’échelle nationale qu’internationale. Elle donne un accès instantané à une variété de contenus culturels, tels que des films, de la musique, des œuvres littéraires, des traditions artistiques, et des performances culturelles partagées et mises à disposition au public. Internet offre un espace pour la diversité culturelle, permettant la représentation et la visibilité des artistes grâce aux réseaux sociaux notamment, les artistes pouvant partager leurs projets,  facilitant la communication entre personnes de cultures différentes. Cela favorise un échange direct d’idées, de perspectives et de valeurs, contribuant ainsi à un échange interculturel.

De même, la cyberculture joue un rôle essentiel dans la diffusion des mouvements sociaux. Par le biais d’activismes et de revendications culturelles ainsi que de représentations cherchant à sensibiliser et à apporter une perspective différente sur des sujets sociaux. La préservation et la diffusion culturelle, des initiatives de numérisation et des projets collaboratifs permettent de conserver et de partager des éléments culturels uniques. Elle facilite la transmission de la culture à l’international en fournissant des canaux d’expression, de communication et d’échange qui transcendent les frontières géographiques. Elle contribue à une compréhension mutuelle entre les cultures et favorise la création d’une culture mondiale interconnectée. C’est d’ailleurs ce que Lukas Avendaño accomplit avec ce qu’il partage sur ses réseaux sociaux et son site internet, où il est très actif.

En effet, cela lui permet de partager son art au monde entier et de se faire connaître à l’international. Cette ouverture sur le monde a pu notamment permettre à cet artiste Mexicain de performer à Paris, au Quai Branly le 10 février 2024, montrant davantage sa culture à un nouveau public, d’un autre continent.

https://www.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/spectacles-fetes-et-evenements/spectacles/details-de-levenement/e/requiem-para-un-alcaravan-39970

Finalement, on constate que le travail de Lukas Avendaño et la transmission de ces performances et messages culturels s’amplifient grâce aux plateformes numériques. Ces plateformes sont un espace pour partager des contenus culturels divers, permettant aux artistes d’atteindre un public mondial et de contribuer à une compréhension interculturelle. Ainsi, ses performances se connectent au monde virtuel, où les luttes et les réflexions sur l’identité, les droits et la diversité culturelle continuent de se propager et de susciter des dialogues significatifs.

Bibliographie :

Bevacqua, G. (2022). Devenir muxe: torsiones desobedientes de Lukas Avendaño en Réquiem para un alcaraván y en Buscando a Bruno. L’Ordinaire des Amériques, (228).

Cerez G., & Raphaël L. (2017, 11 décembre). La face cachée du paradis des muxhes. Sept. https://www.sept.info/mexique-muxhes

De la Paz, L. (2022, 16 avril). « Réquiem por un alcaraván » , espectáculo ceremonioso y ritual. diariolasamericas.com. https://www.diariolasamericas.com/cultura/requiem-un-alcaravan-espectaculo-ceremonioso-y-ritual-n4247166

DE SINGEL – International Arts Centre. (2023, 6 juin). Teaser Lemniskata – Lukas Avendaño [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=tbUwCQ_4334

No Somos Solos. (2014, 29 avril). LUKAS AVENDAÑO : La Autonomía de un Cuerpo [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=E2R1KHpXVM0

PlayGround. (2020, 29 septembre). Un artista en busca de su hermano desparecido [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=A1eQ1egwD6Y

Réquiem para un alcaraván. (s. d.). https://www.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/spectacles-fetes-et-evenements/spectacles/details-de-levenement/e/requiem-para-un-alcaravan-39970

Salvador, D. G. C. E. N. F. R. R. G. J. C. R. (s. d.). Los Muxes, el Tercer Género. Ciencia UNAM. https://ciencia.unam.mx/leer/925/los-muxes-el-tercer-genero-