Médias contre-hégémoniques: des éditions cartoneras à la cyberculture

Mois : janvier 2023 (Page 1 of 2)

Empress in Lavender Media : visibilisation des récits des communautés sexo-dissidentes

Le média Empress in Lavender : passer de l’alternatif au mainstream ? 

Empress in Lavender est un média très récent créé en 2019. Plus qu’un site web, c’est une société de production qui a pour objectif premier de faire connaître aux médias grand public les récits des cinéastes, artistes queer, transgenres et travailleur.ses du sexe à travers des productions filmiques. L’ambition première de ce média est donc de vouloir apporter une visibilité aux récits des communautés sexo-dissidentes au-delà de la sphère intracommunautaire. Actuellement, il y a peu de productions disponibles puisque les projets filmiques sont très chronophages. Cependant, d’autres projets sont en cours de réalisation et verront le jour prochainement.

Ce média a été créé par Madison Young, une artiste étasunienne. Dans un premier temps, elle a d’abord été actrice dans des productions pornographiques pour ensuite devenir la réalisatrice de ses propres films et mettre en avant ses revendications féministes et les sexualités queer. Ainsi, elle a créé sa propre maison de production appelée Madison Bound Production, avant de créer Empress in Lavender. Elle inscrit son travail dans la tradition féministe du DIY, ou Do It Yourself. Qui consiste à créer et diffuser son propre récit en dehors des circuits traditionnels : 

 » DIY porn is simultaneously a socio-political movement and an artistic movement and mode of expression. It lends itself to the empowerment of communities and cultures to tell their stories, and to embrace and celebrate their sexual identities, relationships, desires, connections, fantasies and beyond. The scope of this genre of film is as huge as the social stigma that comes attached to it.”

Madison young, DIY Porn Handbook : A How-To Guide to Documenting Our Own Sexual Revolution

Après avoir eu de multiples casquettes, réalisatrice et performeuse de film pornographique, écrivaine et directrice d’une galerie d’art San franciscaine appelée Femina Potens. Elle se concentre aujourd’hui sur ce nouveau projet qu’est Empress in Lavender et s’éloigne de l’industrie pornographique. 

 “ In 2019 I started Empress in Lavender Media – a feature film and television production studio dedicated to elevating the stories of queer, trans and sex worker communities by those communities.  I no longer work in the realm of erotic/ or pornography. (…) “

mail 18/11/22

La docu-série Submission possible : Entre mise en scène post-porn et récits radicaux

Le seul projet créé par Empress in Lavender à l’heure actuelle est une docu-série appelée Submission Possible, elle est construite en 7 épisodes de 40 à 50 minutes. C’est une série qui a été produite juste après le covid pour un autre média nommé Revry. Revry est une plateforme de streaming en ligne, tout comme Netflix, les financements sont directement générés par les abonnements des spectateurs voulant accéder aux différents contenus de la plateforme. Ce site de streaming en ligne s’est positionné sur des contenus LGBTQI+. Cette plateforme a permis à la fois de financer le projet mais aussi de le diffuser.

En ce qui concerne le contenu de la série, chaque épisode est tourné dans une ville différente des Etats-Unis, à la découverte de communautés queer et sex-positive, ou de communautés centrées sur un kink ou un fétiche particulier. La série est principalement basée sur des entretiens avec des personnes appartenant à ces communautés. Iels expriment comment iels se réapproprient leurs sexualités en dehors des cadres hétéronormatifs et monogames. Leur sexualité deviennent alors safe place ou elles peuvent exprimer librement leurs identités. Chaque conversation est suivie par une démonstration sous forme de performance du kink abordé dans l’épisode.

« Submission Possible is a dare. A challenge for us to shift the narrative. For us to celebrate our differences and our sameness, our connections,It is a culmination of my deep desire to gather women, POC, queers, trans folk, Black folks, non-binary community, femmes, butches, sex workers, kinksters around the kitchen table, around the fire, to share our stories, of who we are as sexual beings.”

Madison Young, entretien, advocate television, 09/06/2020, entretien complet ici

La bande annonce ci-dessus met davantage l’accent sur l’esthétisme post-porn et BDSM plutôt que sur les discours véhiculés dans la série. Ce choix de mise en lumière de l’esthétisme post-porn n’est pas anodin, il permet sans trop révéler le discours radical derrière la docu-série, de susciter la curiosité des spectateurs qui, attirés par la mise en image de la série, décideront (ou non) de la regarder. Selon moi, ce choix est très lié au format grande production, puisque cette docu-série a été produite pour une plateforme de streaming, elle touche donc un public beaucoup plus large que celui touché habituellement Madison Young. L’accent est mis sur “l’emballage” plutôt que sur le discours radical pour adresser la production à un plus large public. En ce sens, ce parti pris fait parti des négociations pour permettre que les discours liés aux communautés sexo-dissidentes puissent circuler dans un environnement plus mainstream.

Le post-porn et la théorie queer : Le corps comme outil politique

En ce qui concerne le contexte d’émergence de ce média et de cette docu-série, ils s’inscrivent dans le continuum des revendications pro-sex et queer aux Etats-Unis qui ont pleinement émergées dans les années 1990. Ces mouvements politisent le champs sexuel et l’érotisation du corps. La documentation des communautés sexo-dissidentes est alors importante  puisque c’est un moteur d’expression qui permet grâce au discours, de renverser les stigmas présents autour des subcultures sexuelles. 

Submission possible et plus globalement le média Empress in lavender s’inscrivent tous deux dans les mouvements, queer, féministes et post-porn, essentiels pour comprendre les enjeux derrière une telle production. Tout d’abord, c’est un travail filmique qui s’inscrit directement dans ce qui est appelé le féminisme queer. C’est une branche du féminisme qui commence à émerger dans les années 1980. Butler, Rubin et De Laurentis, pionnières de la théorie queer, remettent en cause le « groupe femme » comme sujet du féminisme et évoquent la volonté de se défaire des catégories essentialistes, blanches et hétérosexuelles de classe moyenne qui a toujours été au centre du mouvement féministe. Dans cette période, commence à émerger des « féminismes dissidents » qui appréhendent différences culturelles, sexuelles et politiques. Virginie Despentes parle de « réveil critique du prolétariat féministe », des mouvements qui prennent davantage en compte les travailleur.ses du sexes, les lesbiennes et les personnes transgenres, nous assistons alors a un décentrement du sujet femme. L’objectif est d’énoncer les interactions entre identités et oppressions, on n’est jamais « que » gai ou lesbienne, on peut subir simultanément des oppressions de races, de classes… La théorie queer, apparue suite à ces nombreuses remises en questions, prend directement racine dans les écrits de Michel Foucault qui exprime l’idée que nos pratiques sexuelles et expressions de genre sont façonnées par des processus de disciplines du corps  (processus médicaux, institutions scolaires, discours pornographiques…). 

En théorie, la production de Madison Young s’inscrit donc la continuité de la pensée queer et féministe pro-sex. Dans la pratique, et surtout dans la mise en image de son projet, elle s’inspire fortement du mouvement post-porn. Le post-porn est un concept qui a émergé dans les années 1990, le terme a été inventé par un artiste néerlandais Wink Van Kepen pour énoncer un genre nouveau de contenu sexuellement explicite. Le terme est ensuite repris par Annie Sprinkles dans The Public Cervix Announcement. Le post-porn n’est pas un mot facile à définir puisque c’est un phénomène fluide qui ne souhaite pas entrer dans une catégorie, ce qui met en avant le côté politique du mouvement. Néanmoins le post-porn met l’accent sur la dimension politique de la sexualité qui peut être analysé sous le prisme Foulcadien de « discours en retour » produit par les personnes en marges et minoritaires dans la pornographie dominante.

Bibliographie :

Borghi, Rachele. « Post-Porn ». Rue Descartes, vol. 79, no 3, 2013, p. 29‑41.

Bourcier, Sam. Queer Zones : Politique des identités sexuelles et des savoirs. Éditions Amsterdam, (2001) 2011.

Foucault, Michel. Histoire de la sexualité I : La volonté de savoir. Gallimard, (1976) 2021.

Preciado, Paul B. Testo Junkie : Sexe, Drogue et Biopolitique. Points, (2008) 2021. 

Young, Madison. DIY Porn Handbook : A How-To Guide to Documenting Our Own Sexual Revolution. Greenery Press, 2016.

Dans le corps de subRosa

subRosa est un collectif de chercheuses et chercheurs qui travaillent sur l’art, l’activisme et le politique. Il est fondé en 1998, à Pittsburg, au début de la deuxième vague féministe, par les artistes cyberféministes : Faith Wilding, Mariá Fernandez, Hyla Willis  et Michelle M.Wright. Dans leur manifeste, Rosa fait référence aux femmes féministes qui ont lutté dans différents domaines tels que les sciences (Rosalind Franklin), la politique (Rosa Luxemburg), l’activisme (Rosa Parks) et l’art (Rosa Bonheur). Ce collectif produit des performances artistiques, des manifestations, des publications autour des questionnements que soulèvent les nouvelles technologies sur le corps des femmes. De ce fait, il regroupe les domaines des pionnières dont le groupe s’inspire. Il s’agit d’une critique de la rencontre entre les biotechnologies et le corps des femmes et de l’impact que cela a sur leur corps, leur travail et leur vie. 

Quelques installations et performances

Les installations, performances et publications portent sur l’exploration et la critique du biotechnologique sur le corps des femmes. Depuis 1999, leurs interventions remettent en questions l’avancée des nouvelles technologies. Leurs projets les plus connus sont:

SmartMom
  • SmartMom (1999) est un projet en ligne qui propose une satire de l’utilisation de T-shirt « intelligent », initialement utilisé par les médecins de l’armée américaine pour des interventions à distance, qui est détourné pour être un moyen de surveillance sur les grossesses et les procréations assistées.

Une spectatrice face à la sculpture
  • Constructa/vulva (2000) est une sculpture interactive de vulve en grande taille. Cette structure est accompagnée de représentations de clitoris, col de l’utérus, des lèvres de taille et de forme différentes. La mise en place permet aux participants de créer leur vulve idéale. Cette performance rend hommage aux mouvements féministes des années 70 qui mettaient en avant la santé des femmes en leur apprenant à connaître et aimer leur corps et leur sexualité.
  • International Markets of Flesh (IMF) (2002) est une performance participative qui cartographie de manière collective le trafic mondial d’organes et de tissus humains. Les démonstrations proposées montrent des sculptures grandeur nature des organes humains. Les participants peuvent écrire des histoires personnelles sur le prélèvement et la commercialisation des organes. Cette performance permet de mettre en évidence le marché de la chair dans le monde et de discuter sur la valeur de la vie dans un contexte de modification du matériel génétique.
  • U-Gen-A-Chix (2003) est une mise en scène d’étudiants de grandes universités qui remettent en question les relations entre l’eugénisme et l’ingénierie génétique contemporaine. Cette performance met l’accent sur la participation des spectateurs à interagir et de prendre position dans les débats grâce à la mise en place de stands sur lesquelles on distribue des informations sur le don d’ovule humain et sur la procréation médicalement assistée, mais aussi un stand de dégustation de biscuit OGM saveur poulet sur lequel les étudiants sont amenés à débattre autour de l’utilisation généralisée des OGM et de leur implication dans l’eugénisme biologique et sociale.
Performance dans la clairière
  • Yes Species (2005) est un tableau performatif avec exposition vidéo de 20 minutes où les artistes imaginent la rencontre entre trois philosophes: un DJ qui mixe des vocalisations, un performeur debout dans une cuve de couleur rouge et verte et un dernier performeur qui disperse le livre de Yes Species avec la couverture fraichement imprimé.

Cell track: Mapping the Approximation of Life Materials

Cell Track: Mapping the Appropriation of Life Materials

Cell track: Mapping the Appropriation of Life Materials (2004) est une installation d’un mur flexible et d’un site internet en partenariat avec subRosa. Cette installation examine la privatisation et le brevetage du génome humain, animal et des plantes dans un contexte historique d’eugénisme. Pour compléter cette performance, une autre installation est faite en 2005, Epidermic: DIY Cell Lab, dont une vidéo explicative est publié en ligne.

L’objectif de ce Cell Track est de décrire l’accroissement de la séparation entre les corps qui produisent des cellules souches (et autres matériels génétiques) et les produits médicaux et pharmaceutiques.

Les corps et cellules qui sont cartographiés sont les tissus maternels, tels que les ovules, le placenta, le fœtus, le sang, le cordon ombilical. Ces tissus sont considérés comme de la matière première qui sont exploités par les biotechnologies. Ces exploitations des matériaux maternels vont permettre le développement des entreprises biomédicales autour des questions, très controversées, de contrôle et modification de séquençage d’ADN ce qui entraine la production d’organisme génétiquement modifié, des organismes transgéniques… . En complétant avec DIY Cell Lab, cela permet aux participants de discuter avec des chercheurs, des scientifiques, afin de mieux comprendre les enjeux face à ces manipulations génétiques.

Corps des femmes 2.0

Initialement proposé en 1991 par Donna Haraway dans Des singes, des cyborgs et des femmes: La réinvention de la nature, celle-ci suggérait déjà que le développement des biotechnologies pourrait faire sortir les corps de l’essentialisme. En proposant le cyborg, Donna Haraway, sort des dualismes omniprésents dans nos sociétés: la nature/la culture, l’homme/la femme, l’humain le non-humain… De plus, elle suggère que l’être-machine n’a, au départ, pas d’essence genrée, « On ne naît pas femme »! Mais l’hybridation de l’humain avec la technologie tend vers une reproduction des logiques de domination patriarcale sur les corps féminins, ou plutôt sur les corps non-hégémonique, par le biais du langage. Mais l’importance de sa théorie cyborg est de dépasser les discours essentialiste, dualiste et naturaliste afin de mettre en place de nouvelles stratégies pour sortir d’une identité genrée globale et de se créer un groupe identitaire qui est propre à chacun.

En art, et dans nos sociétés actuelles, le corps féminin est cristallisé autour de représentations. Ces représentations réduisent le corps des femmes à un standard, un canon de beauté, qui sont sont tellement ancrés dans nos inconscients qu’il modifie nos manières d’avoir et d’être un corps. L’art permet justement de remettre en question ces standards. En effet, l’art permet de voir autrement le monde qui nous entoure. Les interactions entre le public, l’objet d’art, l’auteur et l’institution vont transformer le regard du public sur l’objet (De Duve, 2006) . De ce fait, de prendre pour objet d’art le corps féminin, cela va impacter notre propre vision que nous avons de ce corps. 

Or, au travers de la volonté de ce collectif de faire interagir l’art, les biotechnologies et la corporéité féminine permet de créer des performances et installations innovantes qui témoignent d’une continuité de la domination patriarcale en ce qui concerne l’exploitation du corps des femmes. 

En introduisant les biotechnologies, ce collectif nous permet à la fois de reconsidérer le corps féminin comme une diversité de corps mais aussi de voir comment les avancés technologiques peuvent les impacter notamment dans une vision extrême et pessimiste où les corps ne deviennent que des matériaux exploitables et commercialisables. En mêlant le discours scientifique avec le discours artistique, les membres subRosa arrivent à vulgariser afin de mieux comprendre les enjeux derrière les corps féminins et notamment ces nouveaux corps féminins, ces cyborgs qui se transforment aux contacts des nouvelles technologies.

Références:

Manifeste de subRosa: http://cyberfeminism.net/about/manifesto/

Epidermic: DIY Cell Lab: https://youtu.be/XPoRUqvPt8I

Site internet subRosa: http://cyberfeminism.net

Site des publications de subRosa: http://refugia.net

Haraway, D. (2009). Des singes, des cyborgs et des femmes: La réinvention de la nature. Actes Sud.

De Duve, T. (2006). Résonances du readymade Duchamp entre avant-garde et tradition (Pluriel). Paris: Hachette Littératures.

The Phantom Mariachi

Visibilité et invisibilité des minorités urbaines étasuniennes, telle est la réflexion à laquelle invite « The Phantom Mariachi », du performeur Guillermo Gomez Peña. 

Source : https://docs.google.com/document/d/1mGrhzw8aAu0l0y_cyPCOMdhvOJxsA08Z_z9bcCfaBh4/edit. Photo du Phantom Mariachi

Né en 1955 dans la ville de Mexico City, Guillermo Gomez Peña étudie la linguistique et la littérature latino-américaine à l’Université Autonome Nationale de Mexico, puis il poursuit ses études en 1978 à l’Institut d’Art de Californie, où il obtient un master. De 1983 à 1990, il vit à la frontière mexicano-étasunienne entre les villes de San Diego et Tijuana. Son parcours universitaire et ses origines qui l’inscrivent dans la communauté chicana (nom donné aux mexicains vivants aux États-Unis) construisent ses œuvres, dans lesquelles il convoque les thèmes de la frontière mexicano-étasunienne, et des barrières sociales fortement présentes dans la société étasunienne. 

De même, ses performances se distinguent par leur caractère provocateur dont le but est de sensibiliser son public sur les problématiques politiques, et sociales qui touchent les populations minoritaires aux États-Unis : la diaspora mexicaine, les autres minorités racialisés et les minorités queers. 

L’ensemble de ces éléments invite donc Guillermo Gomez Peña à mettre en scène avec Balitronica Gomez de 2015 à 2020 « The Phantom Mariachi ». Cette performance est le fruit de la troupe de performeurs artistique de la Pocha Nostra (crée en 1993, à Los Angeles), qui utilise l’art pour dénoncer et rompre les modèles sociaux instaurés par une politique hétéronormative, xénophobe, raciste, et homophobe pour laquelle Gómez Peña assura la direction artistique et participa à la production internationale de la troupe. 

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Sangre de mi sangre – Colectiva HILOS

“Acción artística participativa contra los feminicidios y las desapariciones en Jalisco y México (Desde 2019)”

Colectiva Hilos, página web

Vista aérea de ‘Sangre de mi sangre’, una obra coordinada por el Colectivo Hilos en Ciudad de México. MÓNICA GONZÁLEZ ISLAS. Fuente : https://elpais.com/mexico/2022-12-12/una-mancha-de-sangre-tejida-en-el-angel-de-la-independencia-se-alza-contra-la-violencia.html 

En la actualidad, se puede decir que México se posiciona como un país pionero en su región en términos de prevención y protección ante la violencia machista ya que cuenta con una gran cantidad de leyes de protección frente a las violencias patriarcales. La Ley General de Acceso de las mujeres a una Vida Libre de Violencia (LGAMVLV) desde el año 2007 reconoce las violencias hacia las mujeres como una problemática social que debe ser atendida. Sin embargo, no es una exageración también decir que hoy en día en México existe un contexto más que preocupante en lo que concierne la violencia patriarcal. Las cifras hablan por sí mismas: aproximadamente 10 mujeres son asesinadas al día según el informe del Secretariado Ejecutivo del Sistema Nacional de Seguridad Pública de 2021. Por otra parte, el Instituto Nacional de Estadística y Geografía indica que el 70.1% de las mujeres de 15 años y más han sido víctimas de violencia patriarcal bien sea física, psicológica, sexual, verbal, patrimonial,… (INEGI, 2021). Frente a esta situación, hay una multitud de acciones feministas militantes que surgen en México. Bien sean en formas de manifestaciones más directas como las movilizaciones ciudadanas o como acciones artivistas. De este último tipo de acciones vamos a hablar a lo largo de este artículo, concentrándonos en la acción artivista de la Colectiva HILOS. 

HILOS, Ni una menos, ni una sola, 2021

HILOS empieza sus acciones a partir de 2018, en Jalisco, siendo una de las entidades federativas con más prevalencia a la violencia machista (71.9%) según la encuesta del INEGI, también se posiciona como el segundo estado con mayor número de desapariciones, según la revista en línea Zona Docs, que calcula a más de 9.000 personas desaparecidas en marzo 2020. En su página web, HILOS se identifica como una “colectiva interdisciplinaria reunida a partir del interés común en la denuncia social y el cuestionamiento de estructuras tanto artísticas como políticas a través de soportes textiles”. Esta colectiva está formada por mujeres de diferentes sectores laborales, sociales y académicos, lo que demuestra que a pesar de su pluridisciplinariedad se unen en esta acción colectiva textil, a veces muy alejada de sus profesiones pero unidas por la causa feminista. En un manifiesto también accesible en su página web, entendemos todos los aspectos del arte comprometido del colectivo.

Primero que todo, se posicionan como una “colectiva artística feminista” estos tres términos representan en sí tres reivindicaciones importantes. Por una parte el término “colectiva” implica un grupo de personas con un objetivo conjunto, lo que supone lo que podemos determinar como la primera etapa de sus acciones, que por medio de la convocación en espacios públicos o privados realizan encuentros al que cualquier individuo de cualquier género, edad, origen puede unirse a sus acciones. Por otra parte, el hecho de reconocer sus acciones como artísticas plantean el hecho de que el producto final supone ser una obra artística y que utilizan el arte como mediador para hacer pasar un mensaje, su obra artística es principalmente con el tejido aunque no se concentran únicamente en este tipo de acciones como lo demuestra la exposición Levadura. Por último, identificarse con la causa feminista supone como objetivo la voluntad de construir una sociedad igualitaria, incluyente y hacer frente al sistema patriarcal, para llegar a este objetivo es importante el hecho de hacer acciones públicas militantes, es por esto que el espacio público es fundamental en sus acciones, sobre este aspecto la colectiva explica que la “realización de diversas intervenciones sobre monumentos emblemáticos en distintas ciudades y la participación en marchas de protesta y reivindicación” es importante para el mensaje social que defienden. 

YouTube – Sangre de mi sangre: Instalación que simboliza la sangre derramada por los feminicidios en Jalisco – ZonaDocs, 5 de marzo de 2020.

“Sangre de mi sangre” representa hoy en día la acción más importante y perenne de HILOS. Iniciada en Jalisco, mediante una convocatoria todos los domingos desde el 29 de diciembre de 2019 se dio como punto de encuentro el Parque Rojo en Guadalajara, para tejer colectivamente con hilos rojos provenientes de una donación hecha a HILOS. Sus redes sociales fueron esenciales para llevar a cabo estas convocatorias ya que fue mediante a ellas que hicieron el llamado a traves de Facebook e Instagram (abajo la primera convocatoria en Instagram). 

Instagram @colectivohilos – 14 de diciembre de 2019

De esta manera, todos los domingos siguientes se llevó a cabo públicamente el tejido colectivo con el fin de conformar inmensas mantas rojas tejidas que fueron luego instaladas el 7 de marzo de 2020 a los pies del monumento a la Madre Patria de la Plaza de la República.

Sobre lo que podríamos denominar como simbología en esta acción encontramos varios aspectos. El color rojo representa la sangre derramada por las violencias patriarcales pero sobre todo por los feminicidios no solamente en México sino también en el mundo. El acto de tejer significa, según la colectiva “ una metáfora de cómo se construye y transforma el cuerpo social.” No es trivial el hecho de escoger la acción de tejer, varios son los trabajos que implican la importancia de la reapropiación de la costura, el bordado y el tejido en las luchas feministas. En el trabajo de tesis de Alejandra Jiménez Rincón “Devenir mujer(es) en el hacer textil: confeccionando una genealogía feminista” (2021), Rincón implica que así la base de la costura en general esté asociada a la sumisión y a la pulcritud, respondiendo a lo que ella denomina como “ideal de feminidad”, es importante también entender que la costura permite también un pensamiento introspectivo de precisión y que no por ser repetitivo signifique que sea automático ya que es necesaria cierta adaptación según el tipo de textil y el equipo utilizado para llevar a cabo el trabajo. Este trabajo históricamente reservado a las mujeres es reutilizado en la obra « Sangre de mi sangre » retomando igualmente la importancia de transmisión que solía implicar esta profesión. Asimismo, la transmisión del arte del tejido es fácilmente accesible en la página web de la colectiva en el vínculo « Participa », en este encontramos variados videos de tutoriales sobre las técnicas de tejido, donde explican principalmente la realización de la cadena, que sólo necesita del hilo y los dedos para llevarse a cabo.

Colectiva HILOS, página web

Por último, es fundamental recalcar la importancia de esta acción artística desde su perspectiva más activista. Es evidente que no supone una casualidad el hecho de que la primera instalación de la obra se haya llevado a cabo en 7 de marzo de 2020, un día antes del Día Internacional por la lucha de los derechos de las mujeres. En esta ocasión luego de instalar las mantas en el monumento de a la Madre Patria, se leyó el manifiesto antes citado, el todo acompañado de un recital musical de Isabel Malacara. Al finalizar, con el tejido se llevó a cabo « una peregrinación que marchó desde dicha locación hasta la Glorieta de las y los desaparecidxs, donde el tejido volvió a extenderse sobre el suelo y se abrió un espacio de escucha y compartición entre familiares de víctimas de desaparición, el resto de asistentes y las integrantes de la Colectiva Hilos ». La acción de HILOS, fue rápidamente reconocida y a partir del mismo año 2020 se corrió la voz de la iniciativa, que se fue multiplicando por todo México, llegando en 2022 a la capital del país instalándose en la emblemática plaza del Ángel de la Independencia. Entre las ciudades donde podemos encontrar esta acción colectiva en 2023 está igualmente Chihuahua, Zacatecas, Querétaro e internacionalmente Santiago de Chile se unió a esta iniciativa, la cual, podemos estar segurxs que seguirá creciendo y conquistando nuevas ciudades en México y el en mundo.

Daniela ROJAS SARABIA

Bibliografia

JIMÉNEZ RINCÓN, Alejandra, Devenir mujer(es) en el hacer textil: confeccionando una genealogía feminista, Bogotá, Colombia: Universidad Nacional de Colombia, 2021.

PEREZ-BUSTOS Tania, MARQUEZ GUTIERREZ Sara, « Aprendiendo a bordar: Reflexiones desde el campo sobre el oficio de bordar y de investigar », Horizontes Antropológicos, 44(21), p. 279–308, 2015.

GARNICA Dolores, « Trama. Colectiva Hilos », Magis, Edición 486, marzo – abril de 2022.

Chicas poderosas, le photojournalisme au service des voix dissidentes en Argentine

Comment le photojournalisme devient-il de l’activisme artistique ? A travers la défense des groupes minoritaires, le photojournalisme rend visible et permet l’empowerment de ceux que l’on passe sous silence.

Chicas Poderosas, représentation et égalité

Créé en 2013 par la portugaise Mariana Santos, le collectif Chicas Poderosas s’est construit afin de lutter pour une meilleure représentation des femmes et des personnes LGBT dans le domaine journalistique. La sur-représentation des auteurs masculins dans les médias amène un agenda éditorial très limité, qui exclut la voix des femmes et en général les voix dissidentes dans le débat politique. Les postes de leader leurs sont très souvent réservés, ce qui entraîne une forme de répétition des inégalités vis-à-vis du genre. Le collectif Chicas Poderosas lutte ainsi pour réduire l’écart lié au genre dans les organes de décision des médias et plus généralement du domaine journalistique. Il promeut de ce fait le leadership féminin et l’égalité des genres. Présent dans 16 pays d’Amérique latine, Chicas Poderosas estime représenter plus de 10 000 femmes dans ce processus de revendication égalitaire.

Pour ce faire, le collectif met en place des actions concrètes permettant l’expression et la production journalistique des femmes désireuses d’êtres entendus. Cela passe par des ateliers de partage, des enquêtes transfrontalières mais aussi des cours en ligne visant le partage de connaissances. Ce réseau d’échange permet ainsi l’empowerment professionnel via la création et l’acquisition de compétences journalistiques.

Territorios y Resistencias, une enquête à la rencontre des voix oubliées en Argentine

Menée dans les 5 grandes régions de l’Argentine (la Patagonie, la région Cuyo, la région centre, le nord-est et le nord-ouest), cette enquête fédérale s’attache à montrer l’impact du changement climatique sur la vie des femmes, les personnes LGBT et les communautés indigènes. Développée via le site Chicas Poderosas Argentina, cette enquête regroupe un bon nombre de femmes journalistes et photographes mobilisées pour aller à la rencontre des populations invisibilisées. Se battre contre l’indifférence que rencontrent ces personnes c’est se battre contre cet hégémonisme argentin qui considère l’homme blanc descendant d’européen comme étant le symbole inébranlable de la nation. Le but de cette enquête est aussi de décentrer l’attention qui est portée de façon constante vers la capitale argentine, Buenos Aires, au détriment des territoires de l’intérieur et du sud du pays.

La lutte des peuples indigènes pour la conservation de leurs terres

L’un de ces témoignages concerne la région de Santiago del Estero, qui se situe dans le nord-ouest du pays, à mi chemin entre la ville de Salta et de Cordoba. Originellement peuplé par des indigènes, cette région rurale de l’Argentine connaît des conditions climatiques assez rudes en été, avec des températures avoisinant quotidiennement les 40 degrés. La journaliste Marcela Alejandra Arce et la photographe Florencia Navarro sont allées à la rencontre d’Angélica Serrano, une femme indigène appartenant au peuple tonokoté Yaku Muchuna et habitante de la région de Santiago del Estero.

Clichés pris par la photographe Florencia Navarro lors de l’enquête effectuée dans la région de Santiago del Estero – Capture d’écran de la page Instagram de la photographe.

A travers une narration puissante et évocatrice, et une série de photographies, l’enquête nous emmène à découvrir le quotidien d’Angélica Serrano et sa lutte contre la déforestation et le mépris des grands investisseurs agricoles. En effet, cette région concentre de grandes plantations de soja, et est victime de déforestation dans le but d’accroître de façon expansive les plantations. Le combat de cette femme réside dans la reconnaissance des droits des populations indigènes et notamment vis-à-vis du droit à la terre. En rasant les forêts primaires qui se trouvent sur des territoires indigènes, les entreprises agricoles détruisent le patrimoine de ces peuples et renforcent ce rapport de force qui a longtemps été en place en Argentine. Historiquement, le pays a mené à la fin de XIXème siècle une politique de blanchiment et de « dé-indianisation » de la population dans le but de créer une nation blanche, à l’effigie de la population européenne. Si ces politiques sont bien révolues, elles ont laissé des traces et notamment vis-à-vis des rapports de domination dont les indigènes sont toujours victimes. En témoignant sur cette situation, Angélica Serrano souhaite changer cette image de victimisation qui est apposée aux peuples indigènes argentins et ainsi récupérer le contrôle sur celle-ci. Cette lutte s’affiche comme ayant un double objectif, une restitution et un respect des droits pour des populations longtemps subordonnées mais aussi un combat pour une meilleure considération à l’égard des peuples indigènes. La citation de cette femme à la fin de l’article résume parfaitement son combat :

“Queremos tener un lugar en esta sociedad y que se nos tome en cuenta. Que sepan que existimos, que tenemos una cultura y derechos también. Que no tenemos que andar con plumas o con las vestimentas que nuestros antepasados solían usar para ser identificados. Somos los indios de hoy. Somos aborígenes de hoy”.

Porter les voix à travers l’art

Grâce à ces rencontres et à ces investigations sur tout le territoire argentin, le média Chicas Poderosas met en lumière la diversité des acteurs activistes mais également des femmes productrices de contenus journalistiques. Les séries de photographies réalisées par les différentes photographes ont ainsi fait l’objet d’exposition dans les différentes régions d’Argentine, accompagnées d’extraits et de note rédigées par les journalistes liées aux enquêtes. A travers ces expositions nationales, le média en ligne Chicas Poderosas ainsi que les pages Instagram des journalistes et photographes exposent les productions artistiques qui donnent la voix à une partie de la population qui n’est souvent pas ou peu considérée. Cette mise en lumière permet l’expression de combats et de sujets de sociétés, sous un prisme bienveillant de visibilisation et non de victimisation comme beaucoup de médias hégémoniques peuvent parfois le faire.

Bibliographie :

Sabine Kradolfer, «Les autochtones invisibles ou comment l’Argentine s’est « blanchie »», Amérique Latine Histoire et Mémoire. Les Cahiers ALHIM, 16 | 2008

Un article explicatif du projet Territorios y resistencias : https://www.chicaspoderosas.org/programas/chicas-poderosas-argentina-publica-la-investigacion-federal-territorios-y-resistencias/

#BigDATA, du modèle du jaguar à celui du « buen vivir » , il n’y a qu’un clic : focus sur la rénovation du patrimoine linguistique maya avec Mitzi Juárez

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#BigData, un espace médiatique indépendant contre-hégémonique

#BigData est un fanzine numérique qui naît en 2019 à la suite du mouvement social et citoyen de l‘Estallido social qui éclate en octobre de la même année au Chili. Ce mouvement social est la conséquence de 30 années de promesses démocratiques non tenues par les partis de la Concertation (partis centre-gauche) et témoigne de la lassitude des Chiliens de la classe moyenne face au maintien coûte que coûte d’un modèle économique néo-libéral insoutenable. Ce modèle dit du « jaguar » se caractérise par une privatisation des secteurs de la santé, de l’éducation ou encore des transports et entraîne l’endettement de nombreux chiliens. Un fanzine est à l’origine une publication, imprimée ou en ligne, institutionnellement indépendante et réalisée par des amateurs dans le but de donner une visibilité à des personnes ou des thématiques en dehors des sentiers battus.

El Fanzine #BIGDATA es un espacio de reflexión y creatividad, independiente

Phrase de présentation de la genèse du fanzine disponible à l’adresse suivante https://fanzinebigdata.cl/somos/

Le nom de ce fanzine chilien fait directement référence au concept informatique de la « big data », qui regroupe des données issues de sources multiples, pour les analyser et en retirer une information qui aide ensuite à prendre une décision ou à procurer une solution. En ce sens, #BigDATA se présente comme un média fédérateur. Son comité éditorial cherche à réunir des mouvements et des pratiques qui, jusqu’à peu, se développaient selon des voies/voix différentes. Cette rupture avec le modèle hégémonique du média traditionnel, qui a tendance à ne traiter les sujets que de manière unifocale, se retrouve aussi dans l’hétéroclisme des membres qui composent cette « Grosse donnée ». Ses 6 membres appartiennent à des domaines d’expertise divers tels que l’art, l’oenologie ou la sociologie.

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Wambra: des communautés minoritaires sur la communauté internet

Wambra c’est quoi ? 

En langue Kichwa, Wambra c’est l’esprit jeune. C’est celui qui ne vieillit pas parce qu’il se remet toujours en question et ne se laisse pas convaincre par la première information qu’on lui communique. C’est ce concept de renouveau qui a inspiré les fondateurs du média Wambra. Anciennement, Wambra radio le média alternatif équatorien est né en 2010, loin des grandes maisons de radio du pays. Pourtant l’équipe originelle, provient de la radio mainstream et animait une émission visant à présenter des cultures non hégémoniques. Après la fermeture de leur émission, ils ont créé Wambra. 

Trois ans plus tard, l’Etat légiférait enfin sur le secteur médiatique, encourageant les médias indépendants. En 2013, la ley Organica de Comunicacion, entre dans la constitution réservant 34% des canaux de diffusion radio et TV aux médias indépendants. Malgré la loi, il est difficile pour les médias indépendants d’accéder à ces canaux. Après de longues négociations et polémiques avec les détenteurs des médias mainstream, la loi a intégré des conditions défavorables à la prolifération et à la pérennité des médias indépendants. Un frein majeur est l’obligation de justifier d’une stabilité financière. Ainsi, en 2016 bien loin des 34% prévu 3 ans auparavant, les médias indépendants occupaient seulement 1,86% de l’espace médiatique. 

Wambra radio est donc un des rares médias communautaires indépendants à avoir eu autant de succès et de longévité. C’est sans doute grâce à l’accessibilité d’internet, bien plus abordable qu’un canal de radio national que Wambra persiste et grandit. En 2017, le média est ainsi devenu multimédia. Ce n’est plus une radio, mais un site de journalisme avec articles, photos, audios et vidéos. Tout ce contenu est créé par une vingtaine de journalistes indépendants et des organisations partenaires, se reposant ainsi sur une communauté.

Communautaire, mais pour quoi faire ?

Wambra revendique haut et fort être un média communautaire. Mais qu’est ce que cela signifie ? Et surtout comment cette idée de communauté façonne le contenu partagé par la plateforme ? 

Pour Wambra un média communautaire c’est avant tout un média autogéré, car l’indépendance financière doit permettre une expression plus libre. Justement, c’est pour ne pas tomber dans le clientélisme des médias hégémoniques qui s’autocensurent pour correspondre aux normes sociales que Wambra tient à son indépendance. Le média garantit sa fragile liberté par sa participation à des collectifs d’ONG, valorisant les opinions minoritaires. Le réseau lui permet sans doute de s’assurer une place face aux géants de l’industrie. 

C’est donc tout naturellement que la production de contenu se fait en réseau. Le maître mot est: décentraliser l’information ! L’équipe éditoriale compte sur des journalistes indépendants et des collectifs minoritaires pour nourrir cet esprit toujours jeune et assurer la mise en valeur de positions situées pertinentes. Ainsi les collectifs ont accès à des portions de la plateforme. Wambra propose donc un contenu diversifié traitant de sexualité, de droit des animaux ou encore de féminisme. Tout sujet est le bienvenue tant qu’il suit la ligne directrice du média: la mise en valeur des communautés minoritaires. Cette plateforme est donc un lieu d’expression des mouvements sociaux dissidents et minoritaires équatoriens et plus largement latinoaméricain. Parmi tous les mouvements représentés Wambra met particulièrement l’accent sur le féminisme et les mouvements de femmes se décrivant comme un média:

 “Para quienes no siguen las reglas, porque ellas les dijeron que no podían hablar, escribir, actuar, sentir, ser.”

Que lire sur Wambra ? 

Parmi les nombreux articles du site, faites un détour par celui expliquant le projet Sasha Samay.

Cette belle illustration de la graphiste éco-féministe Angie Vanessita introduit l’article. Ce nom est celui d’une série documentaire, accessible sur Youtube, depuis septembre 2020. Si l’on s’en tient à une traduction quelque peu littérale, le titre de la série signifie: Le pouvoir de guérison de la jungle. En contexte amazonien, c’est la volonté de vie face à l’appétit féroce du capital et face à la propagation du Covid-19. 

Cette série documentaire audiovisuelle a la particularité d’être créée par une minga de femmes. Ce processus créatif communautaire, très présent dans la région équatorienne, provient de l’organisation sociale des indigènes amazoniens. Le principe de la minga est simple, tout le monde participe à la hauteur de ses moyens. Chacun mobilise son temps et ses ressources pour créer ensemble. Le projet Sasha Samay n’est donc pas l’œuvre d’une réalisatrice mais d’un groupe. La propriété intellectuelle est commune aux participantes de la Minga, peu importe leur degré d’implication. Ainsi, l’article qui présente la série sur la plateforme Wambra est coécrit par 8 autrices, sans indiquer de hiérarchie et de direction. La forme est donc tout aussi importante que le fond pour proposer des récits communautaires. 

L’initiative née de la rencontre de chercheuses, d’étudiantes et de personnalités indigènes raconte les réalités des femmes amazoniennes lors de la pandémie. Les reportages et interviews mêlent les combats contre le capitalisme envahissant aux combats contre la maladie. Ils expliquent les luttes des femmes contre le phénomène capitalocène, qui entretient l’imaginaire de l’Amazonie comme un territoire de ressources à conquérir. Les femmes amazoniennes soulignent à quel point ce processus dégrade leurs conditions de vie et leur santé, question cruciale particulièrement en période de pandémie. Cette imbrication de combats n’est pas sans rappeler le concept de corps-territoire issu du féminisme indigène. Ni leurs corps, ni leurs terres ne sont des ressources à acquérir, les violences faites à l’environnement n’étant qu’un reflet des violences racistes et sexistes. 

En apportant une vision moins occidentalisée de la santé, les femmes qui font cette série donnent aux spectateurs un regard nouveau sur la pandémie. Dans le deuxième épisode, une femme de la communauté de Teresamama explique par exemple que sa santé commence par son hygiène sociale. Ainsi, ce n’est pas uniquement l’individualité de son corps qu’elle considère. Elle estime nécessaire à sa bonne santé d’avoir de bonnes relations avec son époux, ses enfants et ses voisins. La santé ici n’est plus seulement physique mais aussi mentale et communautaire. 

En plus de proposer des perspectives contre-hégémoniques, cette série vise à raconter les organisations mises en place par les femmes amazoniennes lors de la pandémie. Elle sert à visibiliser un isolement, notamment des populations indigènes. En effet, en plus de se battre contre une maladie, les populations indigènes ont dû faire face au manque de considération de la part des autorités locales. En Equateur, malgré les mesures sanitaires gouvernementales, la crise du Covid-19 a engendré un fort déclin de l’économie rurale et du tourisme communautaire. Dans ce contexte, la CONAIE a enregistré une perte de revenu significative de ces secteurs, que les politiques économiques nationales n’ont pas pu soutenir. Cette conjoncture a participé à l’affaiblissement de communautés indigènes souvent déjà précarisées. De nombreuses communautés se sont donc tournées vers l’utilisation ou la réutilisation de savoirs ethnobotaniques en réponse au manque de moyen de la médecine hégémonique en ce contexte de pandémie.

Face à ce contexte, le but de la série documentaire est donc de montrer la vulnérabilité sanitaire sans occulter la richesse médicale issue des connaissances en médecine non hégémonique. Afin de réussir cela en période de pandémie, les créatrices du documentaire ont dû faire preuve d’inventivité. Pour contourner les mesures sanitaires réduisant les déplacements et augmentant les distances, elles ont bien sûr pensé au numérique. Ce format par lequel elles ont pu partager leur contenu au plus grand nombre, a priori sans barrières d’accès. Cependant, elles écrivent dans l’article publié sur Wambra que le numérique n’est pas si accessible qu’on le pense. Elles ont d’abord rencontré des problèmes de compétences qui les ont freinés dans leur travail. De plus, l’usage de ce format a souligné la fracture numérique entre les universitaires et les populations locales. Loin d’être à la portée de la première venue, les outils numériques ont tout de même permis de décentraliser les récits. Les femmes interviewées se sont filmées elles-mêmes, choisissant ainsi le cadre, le point de vue et créant des images qui leurs sont propres, à l’aide leurs propres appareils.

Qui a vu ces vidéos ? 

Si la diffusion sur internet devait permettre d’être vu par tous, en réalité dans la jungle qu’est Youtube le 11 vidéos ont eu un tout petit succès. La chaîne Sasha Samay compte plus d’une centaine d’abonnées. Sous les vidéos on ne lit presque aucun commentaires, peu d’interactions à l’horizon. Pas d’exaltation de la série documentaire ni de critiques ardues, un vide qui laisse à penser que la série a fait peu de bruit.

Bibliographie

Tornay  Márquez,  M.C.  (2018).  Creando  el  Derecho  a  la  Comunicación  desde  abajo: radios comunitarias  sostenibles  en  Venezuela, Ecuador y España.Commons. Revista de Comunicación y Ciudadanía  Digital, 7(2), 133-163.

CONAIE. (2020). Informe sobre la situación de los pueblos y nacionalidades indígenas en el contexto de la pandemia del COVID-19. Recuperado el 03 de febrero de 2023 de https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Issues/IPeoples/SR/COVID

Ulloa, A. (2021). Repolitizar la vida, defender los cuerpos-territorios y colectivizar las acciones desde los feminismos indígenas. Ecología Política, 61, 38–48. https://www.jstor.org/stable/27120357

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