Médias contre-hégémoniques: des éditions cartoneras à la cyberculture

Étiquette : politique

Martes Verde : La poésie en action

Le recueil de poésie Marea Verde est diffusé sur la plateforme du média La Primera Piedra. Les différents poèmes qui composent l’anthologie peuvent être entendus comme une forme de militantisme politique. Ces écrits sont donc venus alimenter le débat sur l’avortement. Il n’est donc pas étonnant de retrouver ce genre de production artistique sur des plateformes médiatiques alternatives, tel que la Primera Piedra.

Contexte médiatique Argentin

Pour comprendre le contexte du monde médiatique argentin, il faut revenir sur quelques éléments clés. Ainsi, en 2009, Kristina Kirchner alors présidente de l’Argentine, promulgue la  “ Ley de Servicios de comunicación audiovisual ”. Jusque-là les médias étaient régis par la loi 22.285 de Radiodiffusion de 1980, adoptée pendant la dictature militaire (1976-83). Le vote de cette nouvelle loi concernant les médias a donc été le sujet de controverses. Il faut dire que la plupart des médias avant l’adoption de cette loi étaient aux mains de quelques grands groupes. Par exemple, le groupe Clarin détient 42% des parts du marché de la publicité télévisuelle ainsi que 264 licences, ce qui est considérable. Cela donne  lieu à une bataille juridique, qui s’est étalée  sur quatre longues années. Cette dernière prend fin en 2013, quand la Cour Suprême valide dans son intégralité la réforme de 2009. Cette dernière a pour conséquence, premièrement une démocratisation du secteur médiatique qui passe par le démantèlement des monopoles médiatiques. Cela permet aux médias associatifs de s’insérer dans le champ médiatique comme une troisième voie. Cette visibilité permet aussi de légitimer leur production et leur contenu médiatique. Néanmoins, en 2015, lors de l’arrivée au pouvoir de Mauricio Macri, cette loi est remise en question. Il initie petit à petit son démantèlement, afin de revenir à la dynamique de concentration médiatique.

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Empress in Lavender Media : visibilisation des récits des communautés sexo-dissidentes

Le média Empress in Lavender : passer de l’alternatif au mainstream ? 

Empress in Lavender est un média très récent créé en 2019. Plus qu’un site web, c’est une société de production qui a pour objectif premier de faire connaître aux médias grand public les récits des cinéastes, artistes queer, transgenres et travailleur.ses du sexe à travers des productions filmiques. L’ambition première de ce média est donc de vouloir apporter une visibilité aux récits des communautés sexo-dissidentes au-delà de la sphère intracommunautaire. Actuellement, il y a peu de productions disponibles puisque les projets filmiques sont très chronophages. Cependant, d’autres projets sont en cours de réalisation et verront le jour prochainement.

Ce média a été créé par Madison Young, une artiste étasunienne. Dans un premier temps, elle a d’abord été actrice dans des productions pornographiques pour ensuite devenir la réalisatrice de ses propres films et mettre en avant ses revendications féministes et les sexualités queer. Ainsi, elle a créé sa propre maison de production appelée Madison Bound Production, avant de créer Empress in Lavender. Elle inscrit son travail dans la tradition féministe du DIY, ou Do It Yourself. Qui consiste à créer et diffuser son propre récit en dehors des circuits traditionnels : 

 » DIY porn is simultaneously a socio-political movement and an artistic movement and mode of expression. It lends itself to the empowerment of communities and cultures to tell their stories, and to embrace and celebrate their sexual identities, relationships, desires, connections, fantasies and beyond. The scope of this genre of film is as huge as the social stigma that comes attached to it.”

Madison young, DIY Porn Handbook : A How-To Guide to Documenting Our Own Sexual Revolution

Après avoir eu de multiples casquettes, réalisatrice et performeuse de film pornographique, écrivaine et directrice d’une galerie d’art San franciscaine appelée Femina Potens. Elle se concentre aujourd’hui sur ce nouveau projet qu’est Empress in Lavender et s’éloigne de l’industrie pornographique. 

 “ In 2019 I started Empress in Lavender Media – a feature film and television production studio dedicated to elevating the stories of queer, trans and sex worker communities by those communities.  I no longer work in the realm of erotic/ or pornography. (…) “

mail 18/11/22

La docu-série Submission possible : Entre mise en scène post-porn et récits radicaux

Le seul projet créé par Empress in Lavender à l’heure actuelle est une docu-série appelée Submission Possible, elle est construite en 7 épisodes de 40 à 50 minutes. C’est une série qui a été produite juste après le covid pour un autre média nommé Revry. Revry est une plateforme de streaming en ligne, tout comme Netflix, les financements sont directement générés par les abonnements des spectateurs voulant accéder aux différents contenus de la plateforme. Ce site de streaming en ligne s’est positionné sur des contenus LGBTQI+. Cette plateforme a permis à la fois de financer le projet mais aussi de le diffuser.

En ce qui concerne le contenu de la série, chaque épisode est tourné dans une ville différente des Etats-Unis, à la découverte de communautés queer et sex-positive, ou de communautés centrées sur un kink ou un fétiche particulier. La série est principalement basée sur des entretiens avec des personnes appartenant à ces communautés. Iels expriment comment iels se réapproprient leurs sexualités en dehors des cadres hétéronormatifs et monogames. Leur sexualité deviennent alors safe place ou elles peuvent exprimer librement leurs identités. Chaque conversation est suivie par une démonstration sous forme de performance du kink abordé dans l’épisode.

« Submission Possible is a dare. A challenge for us to shift the narrative. For us to celebrate our differences and our sameness, our connections,It is a culmination of my deep desire to gather women, POC, queers, trans folk, Black folks, non-binary community, femmes, butches, sex workers, kinksters around the kitchen table, around the fire, to share our stories, of who we are as sexual beings.”

Madison Young, entretien, advocate television, 09/06/2020, entretien complet ici

La bande annonce ci-dessus met davantage l’accent sur l’esthétisme post-porn et BDSM plutôt que sur les discours véhiculés dans la série. Ce choix de mise en lumière de l’esthétisme post-porn n’est pas anodin, il permet sans trop révéler le discours radical derrière la docu-série, de susciter la curiosité des spectateurs qui, attirés par la mise en image de la série, décideront (ou non) de la regarder. Selon moi, ce choix est très lié au format grande production, puisque cette docu-série a été produite pour une plateforme de streaming, elle touche donc un public beaucoup plus large que celui touché habituellement Madison Young. L’accent est mis sur “l’emballage” plutôt que sur le discours radical pour adresser la production à un plus large public. En ce sens, ce parti pris fait parti des négociations pour permettre que les discours liés aux communautés sexo-dissidentes puissent circuler dans un environnement plus mainstream.

Le post-porn et la théorie queer : Le corps comme outil politique

En ce qui concerne le contexte d’émergence de ce média et de cette docu-série, ils s’inscrivent dans le continuum des revendications pro-sex et queer aux Etats-Unis qui ont pleinement émergées dans les années 1990. Ces mouvements politisent le champs sexuel et l’érotisation du corps. La documentation des communautés sexo-dissidentes est alors importante  puisque c’est un moteur d’expression qui permet grâce au discours, de renverser les stigmas présents autour des subcultures sexuelles. 

Submission possible et plus globalement le média Empress in lavender s’inscrivent tous deux dans les mouvements, queer, féministes et post-porn, essentiels pour comprendre les enjeux derrière une telle production. Tout d’abord, c’est un travail filmique qui s’inscrit directement dans ce qui est appelé le féminisme queer. C’est une branche du féminisme qui commence à émerger dans les années 1980. Butler, Rubin et De Laurentis, pionnières de la théorie queer, remettent en cause le « groupe femme » comme sujet du féminisme et évoquent la volonté de se défaire des catégories essentialistes, blanches et hétérosexuelles de classe moyenne qui a toujours été au centre du mouvement féministe. Dans cette période, commence à émerger des « féminismes dissidents » qui appréhendent différences culturelles, sexuelles et politiques. Virginie Despentes parle de « réveil critique du prolétariat féministe », des mouvements qui prennent davantage en compte les travailleur.ses du sexes, les lesbiennes et les personnes transgenres, nous assistons alors a un décentrement du sujet femme. L’objectif est d’énoncer les interactions entre identités et oppressions, on n’est jamais « que » gai ou lesbienne, on peut subir simultanément des oppressions de races, de classes… La théorie queer, apparue suite à ces nombreuses remises en questions, prend directement racine dans les écrits de Michel Foucault qui exprime l’idée que nos pratiques sexuelles et expressions de genre sont façonnées par des processus de disciplines du corps  (processus médicaux, institutions scolaires, discours pornographiques…). 

En théorie, la production de Madison Young s’inscrit donc la continuité de la pensée queer et féministe pro-sex. Dans la pratique, et surtout dans la mise en image de son projet, elle s’inspire fortement du mouvement post-porn. Le post-porn est un concept qui a émergé dans les années 1990, le terme a été inventé par un artiste néerlandais Wink Van Kepen pour énoncer un genre nouveau de contenu sexuellement explicite. Le terme est ensuite repris par Annie Sprinkles dans The Public Cervix Announcement. Le post-porn n’est pas un mot facile à définir puisque c’est un phénomène fluide qui ne souhaite pas entrer dans une catégorie, ce qui met en avant le côté politique du mouvement. Néanmoins le post-porn met l’accent sur la dimension politique de la sexualité qui peut être analysé sous le prisme Foulcadien de « discours en retour » produit par les personnes en marges et minoritaires dans la pornographie dominante.

Bibliographie :

Borghi, Rachele. « Post-Porn ». Rue Descartes, vol. 79, no 3, 2013, p. 29‑41.

Bourcier, Sam. Queer Zones : Politique des identités sexuelles et des savoirs. Éditions Amsterdam, (2001) 2011.

Foucault, Michel. Histoire de la sexualité I : La volonté de savoir. Gallimard, (1976) 2021.

Preciado, Paul B. Testo Junkie : Sexe, Drogue et Biopolitique. Points, (2008) 2021. 

Young, Madison. DIY Porn Handbook : A How-To Guide to Documenting Our Own Sexual Revolution. Greenery Press, 2016.

Des mots teints en rose : la lutte féministe au pays où la polarisation économique, politique et sociale règne.

Dans un pays où la crise économique, la polarisation politique et les tabous sociaux règnent, la lutte féministe semble être en arrière-plan des priorités des Vénézuéliens. La Constitution de 1999 se démarquait en tant que cadre juridique ayant pour but de visibiliser, protéger et honorer les femmes et leur participation politique. Cependant, 20 ans plus tard, le Venezuela reste un pays où les problématiques dont l’accès restreint aux contraceptifs, l’IVG clandestine, la violence conjugale et le machisme sont à l’ordre du jour, quoique la législation dicte. Certes, diverses initiatives ont été créés et suivies par le gouvernement dans le cadre de l’idéologie de Hugo Chávez, « le président féministe » pendant que d’autres ont surgit à l’écart du régime, indépendantes de la scène politique. Mais, aujourd’hui…

La réalité du pays et de ses femmes sont-elles reflétées dans la production médiatique vénézuélienne disponible en ligne ?


Le spectre politique se répand-il dans le champ médiatique ?


Les cybermédia ayant une perspective de genre sont-ils soumis à la censure gouvernementale ?

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Vamos Mujer : féminisme, paix et mémoire à Medellin.

Vamos Mujer est un organisme féministe établi à Medellin, se battant pour la reconnaissance des femmes dans l’espace public et social Colombien. La mission principale de ce collectif est de promouvoir la solidarité, l’égalité ainsi que la justice, dans un contexte de conflit armé et de conflit urbain en Colombie, et plus particulièrement dans la région d’Antioquia et sa capitale, Medellin. Son objectif principal est de pouvoir donner aux femmes le droit d’avoir une vie digne, comme l’indique le slogan associé au nom de l’organisme “Vamos Mujer : por una vida digna”. Il s’agit de pouvoir offrir une vie saine et une reconnaissance sociale, loin des violences qui frappent la ville depuis si longtemps. 

Cet organisme a été créé en 1979, époque à laquelle il s’appelait “Corporación Maria Cano”, en hommage à Maria Cano (1887 – 1967), une habitante de Medellin qui fut la première femme à assurer un rôle de leader politique en Colombie. C’est en 1987 que le nom devient officiellement Vamos Mujer et que la société obtient le statut de personne juridique. Dans un contexte de conflit armé grandissant, il s’agit de lutter pour la reconnaissance des femmes dans une guerre où elles sont encore aujourd’hui trop souvent rendues invisibles et de faire de ces dernières des acteurs politiques actifs et pacifistes afin de combattre la terreur et la violence. 

Vamos Mujer est composé d’une équipe de femmes venant de divers milieux professionnels, faisant donc de son équipe un groupe pluridisciplinaire et intergénérationnel, visant à fournir le meilleur accompagnement possible aux femmes bénéficiant du suivi et de l’aide de l’organisme. Pour cela, treize femmes sont à la tête du collectif. Elles sont aidées par une équipe administrative ainsi qu’une équipe chargée de la communication et de la coordination des projets et travaux menés.

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Sarita Cartonera : la révolution éditoriale à Lima est « chusca »

Nada de lo que me digan me va a alejar de la calle, sé encontrar la esperanza en las calles, entre los borrachos y las putas, sin irme mas allà buscando el cielo…

Collectif, Manifeste de Sarita Cartonera
Murales représentant Santa Sarita Colonia à Milan, réalisé par les street-artists Hadok e Sef.01.

Remarquable exemple de conciliation entre revalorisation de la culture populaire urbaine, positionnement politique anti-autoritariste et négociation avec les espaces culturels institutionnels, Sarita Cartonera est la première maison d’édition cartonera péruvienne et la deuxième à être fondée, après Eloisa Cartonera.

Elle est née à Lima en 2004, fondée par Milagros Saldarriaga et Tania Silva, deux jeunes diplômées de la faculté de littérature de l’Université San Marcos. Un an avant, Milagros Saldarriaga rentre dans une librairie à Santiago de Chile et découvre un des livres de carton d’Eloisa Cartonera, fondée en 2001 à Buenos Aires. Touchée par l’initiative d’Eloisa Cartonera, elle ramène l’idée à Lima, où elle fonde Sarita Cartonera avec l’aide d’autres diplômés en littérature.

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Dadaif Cartonera, espace de résistance et de liberté

Les cartoneras en Équateur

Les cartoneras sont, depuis 2003, un véritable acte de résistance social, et c’est un nouvel espace ou la littérature et les arts graphiques peuvent se propager.  Les cartoneras sont très présentes lors d’exposition d’art, de concert et dans les centres d’études alternatifs et cela ouvre de nouvel espace de diffusion de la littérature contemporaine.

L’initiative cartonera est née avec Eloisa Cartonera en Argentine, avec sa volonté de diffuser la culture dans tout les espaces. En Équateur, ce mouvement arrive en 2004 lorsque Victor Vivos revient du Pérou après avoir découvert l’initiative de Sarita Cartonera à Lima. Il va fondé Matapalo Cartonera à Riobamba au Sud de Quito. Elle a été la première cartonera que le territoire et elle est vue comme une des pionnières en Équateur. Ensuite on retrouve la cartonera Murciélago Kartonera à Quito qui est la seule de la capitale, et qui est considérée comme une des cartoneras les plus importante en Équateur. On retrouve ensuite des cartoneras à Guayaquil comme Dadaif et Camareta, puis à Cuenca avec Ninacuro.

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« Nous nous voulons fortes »

Traduction de la description postée par l’autrice :

«Cette chanson naît de la colère, de la douleur, de l’angoisse parce qu’ils sont en train de nous tuer. Elle naît de là mais elle grandit avec la confiance et l’espoir de la rencontre, nous sommes beaucoup à dire le même discours, si nous sommes ensemble et accompagnées, le monde peut changer. Cette vidéo nous l’avons faites à Cabana, Córdoba, en Argentine. Elle est de toute et pour toute. Merci !»

Traduction de la chanson « Nos queremos fuertes » de Cecilia Griffa :

« Le corps me fait mal

Pour toutes celles qui manquent

La colère me met hors de moi

La rage m’étouffe à l’intérieur

Je ne veux plus me taire

Même si le silence veut s’imposer

Effrayée et triste, ça arrange le patriarcat

Arrêtez de nous tuer, nous ne sommes pas des objets

Nos corps ne vous appartiennent pas

Pour eux inférieures, je ressens leur mépris

Pour eux, nous avons un prix

On nous qualifie de putes, de sorcières, d’hystériques

On nous viole

On nous accuse

On veut nous faire, on veut nous faire fermer nos gueules Continue reading