Médias contre-hégémoniques: des éditions cartoneras à la cyberculture

Étiquette : Équateur

Wambra: des communautés minoritaires sur la communauté internet

Wambra c’est quoi ? 

En langue Kichwa, Wambra c’est l’esprit jeune. C’est celui qui ne vieillit pas parce qu’il se remet toujours en question et ne se laisse pas convaincre par la première information qu’on lui communique. C’est ce concept de renouveau qui a inspiré les fondateurs du média Wambra. Anciennement, Wambra radio le média alternatif équatorien est né en 2010, loin des grandes maisons de radio du pays. Pourtant l’équipe originelle, provient de la radio mainstream et animait une émission visant à présenter des cultures non hégémoniques. Après la fermeture de leur émission, ils ont créé Wambra. 

Trois ans plus tard, l’Etat légiférait enfin sur le secteur médiatique, encourageant les médias indépendants. En 2013, la ley Organica de Comunicacion, entre dans la constitution réservant 34% des canaux de diffusion radio et TV aux médias indépendants. Malgré la loi, il est difficile pour les médias indépendants d’accéder à ces canaux. Après de longues négociations et polémiques avec les détenteurs des médias mainstream, la loi a intégré des conditions défavorables à la prolifération et à la pérennité des médias indépendants. Un frein majeur est l’obligation de justifier d’une stabilité financière. Ainsi, en 2016 bien loin des 34% prévu 3 ans auparavant, les médias indépendants occupaient seulement 1,86% de l’espace médiatique. 

Wambra radio est donc un des rares médias communautaires indépendants à avoir eu autant de succès et de longévité. C’est sans doute grâce à l’accessibilité d’internet, bien plus abordable qu’un canal de radio national que Wambra persiste et grandit. En 2017, le média est ainsi devenu multimédia. Ce n’est plus une radio, mais un site de journalisme avec articles, photos, audios et vidéos. Tout ce contenu est créé par une vingtaine de journalistes indépendants et des organisations partenaires, se reposant ainsi sur une communauté.

Communautaire, mais pour quoi faire ?

Wambra revendique haut et fort être un média communautaire. Mais qu’est ce que cela signifie ? Et surtout comment cette idée de communauté façonne le contenu partagé par la plateforme ? 

Pour Wambra un média communautaire c’est avant tout un média autogéré, car l’indépendance financière doit permettre une expression plus libre. Justement, c’est pour ne pas tomber dans le clientélisme des médias hégémoniques qui s’autocensurent pour correspondre aux normes sociales que Wambra tient à son indépendance. Le média garantit sa fragile liberté par sa participation à des collectifs d’ONG, valorisant les opinions minoritaires. Le réseau lui permet sans doute de s’assurer une place face aux géants de l’industrie. 

C’est donc tout naturellement que la production de contenu se fait en réseau. Le maître mot est: décentraliser l’information ! L’équipe éditoriale compte sur des journalistes indépendants et des collectifs minoritaires pour nourrir cet esprit toujours jeune et assurer la mise en valeur de positions situées pertinentes. Ainsi les collectifs ont accès à des portions de la plateforme. Wambra propose donc un contenu diversifié traitant de sexualité, de droit des animaux ou encore de féminisme. Tout sujet est le bienvenue tant qu’il suit la ligne directrice du média: la mise en valeur des communautés minoritaires. Cette plateforme est donc un lieu d’expression des mouvements sociaux dissidents et minoritaires équatoriens et plus largement latinoaméricain. Parmi tous les mouvements représentés Wambra met particulièrement l’accent sur le féminisme et les mouvements de femmes se décrivant comme un média:

 “Para quienes no siguen las reglas, porque ellas les dijeron que no podían hablar, escribir, actuar, sentir, ser.”

Que lire sur Wambra ? 

Parmi les nombreux articles du site, faites un détour par celui expliquant le projet Sasha Samay.

Cette belle illustration de la graphiste éco-féministe Angie Vanessita introduit l’article. Ce nom est celui d’une série documentaire, accessible sur Youtube, depuis septembre 2020. Si l’on s’en tient à une traduction quelque peu littérale, le titre de la série signifie: Le pouvoir de guérison de la jungle. En contexte amazonien, c’est la volonté de vie face à l’appétit féroce du capital et face à la propagation du Covid-19. 

Cette série documentaire audiovisuelle a la particularité d’être créée par une minga de femmes. Ce processus créatif communautaire, très présent dans la région équatorienne, provient de l’organisation sociale des indigènes amazoniens. Le principe de la minga est simple, tout le monde participe à la hauteur de ses moyens. Chacun mobilise son temps et ses ressources pour créer ensemble. Le projet Sasha Samay n’est donc pas l’œuvre d’une réalisatrice mais d’un groupe. La propriété intellectuelle est commune aux participantes de la Minga, peu importe leur degré d’implication. Ainsi, l’article qui présente la série sur la plateforme Wambra est coécrit par 8 autrices, sans indiquer de hiérarchie et de direction. La forme est donc tout aussi importante que le fond pour proposer des récits communautaires. 

L’initiative née de la rencontre de chercheuses, d’étudiantes et de personnalités indigènes raconte les réalités des femmes amazoniennes lors de la pandémie. Les reportages et interviews mêlent les combats contre le capitalisme envahissant aux combats contre la maladie. Ils expliquent les luttes des femmes contre le phénomène capitalocène, qui entretient l’imaginaire de l’Amazonie comme un territoire de ressources à conquérir. Les femmes amazoniennes soulignent à quel point ce processus dégrade leurs conditions de vie et leur santé, question cruciale particulièrement en période de pandémie. Cette imbrication de combats n’est pas sans rappeler le concept de corps-territoire issu du féminisme indigène. Ni leurs corps, ni leurs terres ne sont des ressources à acquérir, les violences faites à l’environnement n’étant qu’un reflet des violences racistes et sexistes. 

En apportant une vision moins occidentalisée de la santé, les femmes qui font cette série donnent aux spectateurs un regard nouveau sur la pandémie. Dans le deuxième épisode, une femme de la communauté de Teresamama explique par exemple que sa santé commence par son hygiène sociale. Ainsi, ce n’est pas uniquement l’individualité de son corps qu’elle considère. Elle estime nécessaire à sa bonne santé d’avoir de bonnes relations avec son époux, ses enfants et ses voisins. La santé ici n’est plus seulement physique mais aussi mentale et communautaire. 

En plus de proposer des perspectives contre-hégémoniques, cette série vise à raconter les organisations mises en place par les femmes amazoniennes lors de la pandémie. Elle sert à visibiliser un isolement, notamment des populations indigènes. En effet, en plus de se battre contre une maladie, les populations indigènes ont dû faire face au manque de considération de la part des autorités locales. En Equateur, malgré les mesures sanitaires gouvernementales, la crise du Covid-19 a engendré un fort déclin de l’économie rurale et du tourisme communautaire. Dans ce contexte, la CONAIE a enregistré une perte de revenu significative de ces secteurs, que les politiques économiques nationales n’ont pas pu soutenir. Cette conjoncture a participé à l’affaiblissement de communautés indigènes souvent déjà précarisées. De nombreuses communautés se sont donc tournées vers l’utilisation ou la réutilisation de savoirs ethnobotaniques en réponse au manque de moyen de la médecine hégémonique en ce contexte de pandémie.

Face à ce contexte, le but de la série documentaire est donc de montrer la vulnérabilité sanitaire sans occulter la richesse médicale issue des connaissances en médecine non hégémonique. Afin de réussir cela en période de pandémie, les créatrices du documentaire ont dû faire preuve d’inventivité. Pour contourner les mesures sanitaires réduisant les déplacements et augmentant les distances, elles ont bien sûr pensé au numérique. Ce format par lequel elles ont pu partager leur contenu au plus grand nombre, a priori sans barrières d’accès. Cependant, elles écrivent dans l’article publié sur Wambra que le numérique n’est pas si accessible qu’on le pense. Elles ont d’abord rencontré des problèmes de compétences qui les ont freinés dans leur travail. De plus, l’usage de ce format a souligné la fracture numérique entre les universitaires et les populations locales. Loin d’être à la portée de la première venue, les outils numériques ont tout de même permis de décentraliser les récits. Les femmes interviewées se sont filmées elles-mêmes, choisissant ainsi le cadre, le point de vue et créant des images qui leurs sont propres, à l’aide leurs propres appareils.

Qui a vu ces vidéos ? 

Si la diffusion sur internet devait permettre d’être vu par tous, en réalité dans la jungle qu’est Youtube le 11 vidéos ont eu un tout petit succès. La chaîne Sasha Samay compte plus d’une centaine d’abonnées. Sous les vidéos on ne lit presque aucun commentaires, peu d’interactions à l’horizon. Pas d’exaltation de la série documentaire ni de critiques ardues, un vide qui laisse à penser que la série a fait peu de bruit.

Bibliographie

Tornay  Márquez,  M.C.  (2018).  Creando  el  Derecho  a  la  Comunicación  desde  abajo: radios comunitarias  sostenibles  en  Venezuela, Ecuador y España.Commons. Revista de Comunicación y Ciudadanía  Digital, 7(2), 133-163.

CONAIE. (2020). Informe sobre la situación de los pueblos y nacionalidades indígenas en el contexto de la pandemia del COVID-19. Recuperado el 03 de febrero de 2023 de https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Issues/IPeoples/SR/COVID

Ulloa, A. (2021). Repolitizar la vida, defender los cuerpos-territorios y colectivizar las acciones desde los feminismos indígenas. Ecología Política, 61, 38–48. https://www.jstor.org/stable/27120357

Dadaif Cartonera, espace de résistance et de liberté

Les cartoneras en Équateur

Les cartoneras sont, depuis 2003, un véritable acte de résistance social, et c’est un nouvel espace ou la littérature et les arts graphiques peuvent se propager.  Les cartoneras sont très présentes lors d’exposition d’art, de concert et dans les centres d’études alternatifs et cela ouvre de nouvel espace de diffusion de la littérature contemporaine.

L’initiative cartonera est née avec Eloisa Cartonera en Argentine, avec sa volonté de diffuser la culture dans tout les espaces. En Équateur, ce mouvement arrive en 2004 lorsque Victor Vivos revient du Pérou après avoir découvert l’initiative de Sarita Cartonera à Lima. Il va fondé Matapalo Cartonera à Riobamba au Sud de Quito. Elle a été la première cartonera que le territoire et elle est vue comme une des pionnières en Équateur. Ensuite on retrouve la cartonera Murciélago Kartonera à Quito qui est la seule de la capitale, et qui est considérée comme une des cartoneras les plus importante en Équateur. On retrouve ensuite des cartoneras à Guayaquil comme Dadaif et Camareta, puis à Cuenca avec Ninacuro.

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Murcielagario Kartonera : la périphérie dissidente de la poésie.

Atelier de fabrication des livres dans la maison de Agústin Guambo [page facebook de Murcielagario Kartonera].

Après un voyage à Buenos Aires, Agustín Guambo (1985), s’est retrouvé par hasard devant les portes de  Eloisa Cartonera . Impressionné par cette idée, il se demande pourquoi des initiatives comme celles-là sont inexistantes à Quito et, à l’âge de 23 ans, il rentre dans sa ville natale, déterminé à exporter ce concept.
Agustín n’était pas encore au courant de l’existence d’autres cartoneras en Équateur, et il l’a découvert seulement une fois que son initiative a commencé à se concrétiser. En effet, la petite histoire de cartoneras en Équateur avait déjà commencé à son insu dans les années 2000 avec la fondation de Matapalo Cartonera en 2004 au cœur de la ville de Riobamba, dans la Provence du Chimborazo, seulement un an après la création de Eloisa Cartonera.

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