Arts et innovations en Amérique latine

Médias contre-hégémoniques: des éditions cartoneras à la cyberculture

Hubert Matiuwáa, le semeur de paroles

Hubert Matiúwáa (1986) de son nom d’origine Hubert Martinez Calleja est un écrivain mexicain d’origine Mé’phàà. Il écrit en tlapanelco (ou langue mè’phàà) et en espagnol. Il est originaire de Chilacayota, une petite ville de l’État de Guerrero au sud-est du Mexique. Il quitte sa ville pour faire ses études à l’université autonome de Guerrero, où il fait une licence de philosophie et de littérature, puis réalise un doctorat d’études latinoaméricaines à l’Université Nationale Autonome de México (UNAM). Il revient dans sa région natale pour développer l’initiative Gusanos de la Memoria, un centre autogéré et une maison d’édition qui œuvrent pour encourager la création littéraire, la récupération de la mémoire orale, audiovisuelle et photographique des cultures originaires de la sierra de Guerrero. Il travaille prioritairement avec les enfants et les jeunes des communautés rurales.


Crédit image: Salvador Jaramillo, 2020.

Une production littéraire qui dérange

Les langues dites « minoritaires » dans les littératures d’Amérique Latine ont en commun leur pratique qui se développe avant tout comme un moyen de défense et de reconnaissance d’une identité culturelle et collective. Souvent menacée d’extinction, la sauvegarde de ces langues passe par la transmission d’une tradition orale au développement d’une littérature écrite. Ces langues cohabitent avec la langue dominante nationale (espagnol, portugais, anglais) pour en faire des écritures et des éditions bilingues, des traductions et créent des formes de métissage linguistique. On remarque la prédominance de certains genres littéraires comme modes de transmission privilégiés, en particulier la poésie pour les langues autochtones. La circulation de ces productions littéraires et les modes de publication passent en large mesure par le soutien de politiques gouvernementales de promotion linguistique par le biais de subventions, de festivals, de prix littéraires. Il existe néanmoins de plus en plus de maisons d’éditions indépendantes qui se consacrent à la mémoire et au présent des peuples autochtones et à la publication d’une production littéraire. La valorisation des langues et la volonté de rendre visibles et audibles certains groupes sociaux minoritaires est un acte politique. Cette production vient questionner les canons littéraires dominants et les récits nationaux issus de la colonisation. Pour leurs auteurs, elle est aussi un levier pour dénoncer les méfaits des politiques nationales intégrationnistes et les conséquences dévastatrices des politiques économiques néo-libérales pour certaines communautés (racisme, stigmatisme, extractivisme, exactions du crime organisé). 

Des univers parallèles poétiques

La pratique littéraire de Hubert Matiúwàa est particulière et unique en son genre. La langue mé’phàà est fondamentalement orale et il n’y avait pas d’alphabet et de système d’écriture adapté pour retranscrire les sons de la langue à l’écrit. Hubert Matiúwàa est un pionnier qui entreprend de doter d’un système écrit une langue orale. De plus, du fait qu’il s’auto-traduise systématiquement, son œuvre se caractérise par une sorte de dédoublement constant: deux systèmes linguistiques et leur dualité langue/culture. S’agit-il de deux œuvres en une? La littérature d’Hubert emprunte des figures et des symboles de la nature, des procédés et des structures à la culture et à la tradition orale du peuple Mè’phàà. Mais il s’inspire de cette riche tradition de  mythes et de légendes pour construire son propre univers poétique. 

Dans Mañuwìín / Cordel Torcido (2018), il mêle son expérience et son imagination dans un dialogue avec le monde. C’est un recueil de poèmes qui a la structure d’une encyclopédie des mythes, de fables et d’histoires de la culture Mè’phàà. Chaque poème raconte un événement, décrit un personnage ou développe une situation à mi-chemin entre le mythique et le quotidien. On y trouve ainsi des enseignements, mais aussi de l’humour, de la fantaisie et de la critique sociale.

VI

Niwatse inuu numbaa,

 niráka agu ná xoxtoò júbä,

 ajngáa ló nixpithá mina,

 niyáxil ne indií,

 niyáxil ne gàá,

 nìtàà ne xoxtuùn wájen,

 nitháán buanuu:

— Ndáyóo xó màgajàà xuajian ló,

 mà nè gúkú ñawúun khamí xoxtoò

 xó ixè ná niríwii bìyú àphà.

— Rígè ñajún xtóo,

 inuu ne magima

 tsínuu mbí yuu Xáxa —

nitháán ànà.

Xkuánii nigéê gowóo numbaa

xkuánii nitháán buanuu rí nigiduùn jùmù

xuajian ló.

VI

Aclaró el día,

la luz cayó como cuchillo sobre la tierra, 

nuestra lengua se repartió,

  la guardó el ocelote,

 la guardó el armadillo,

 y se encuevó en los muertos,

 los abuelos dijeron:

— Necesitamos 

que crezca nuestro pueblo

 y tenga brazos

 como el árbol del águila.

— Ésta es mi piel  

y sobre ella

cicatrizará la historia de Xáxa —  

dijo el venado.

Nació la primera casa del mundo,

la memoria de Mañuwiíìn. (1)

Cordel Torcido. Xáxa en la casa del tiempo p. 24-25

(1) Mañuwiíìn est le nom en Mè´phàà de Malinaltepec, Guerrero. […]


Ixè

—Ajngáa ló’

 mamidii nè ná idu iya,

 mastrakamijna nè gàjmàá ina,

 majne gúkú ne xó xtáya,

 asndo majanu

mbii rí mataxii nè ixè —nitha xiñu’

El árbol

—Nuestra 

lengua brotará 

por siempre 

en manantiales, 

se colgará con las hojas,

 se escamará en los tallos

 hasta hacerse árbol —dijo la abuela.

Cordel Torcido. Abuela Luna que amanece p.78-79


Son oeuvre  reflète également le contexte social et politique pour dénoncer les différentes formes de violence, de racisme, de marginalisation économique et exclusion culturelle qui affligent le peuple Mé’phàà. Le livre Tsína rí nàyaxà’ / Cicatriz que te mira (2018) présente diverses formes de résistance qui façonnent l’espoir. Il raconte l’histoire d’un combat pour la défense de l’identité et du territoire mené par une famille Mè’phàà et aborde les différents problèmes causés par le trafic de drogue dans la région du Guerrero, comme la migration vers les zones de culture du pavot, la conséquente déforestation et l’exploitation sexuelle des filles et des garçons organisées par le crime organisé.

Nìwá’nu xàbò maxiin

Nìwá’nu xàbò maxiin

mùtsìka iná xndú àkhà’ rá me’,

nì’kà ra nujngoò à’wá

ná awùún ajwàn’ rí nùthara’a mijná angiàn’ ló’, xúgè’ rí gakho rá,

tráma xuwaá xkókó idxùún nìwá’nií,

asndo nunii maxa jàmbaà ná igòó,

asndo xó nakhuu àkwaán nakhùún

rí nàtsimùún ná inuu ixè,

rí nawátháàn ná bòo

ná ndú’yèè xañúú ñò’òn Marutsíí.

Nìwá’nií ná rawun matha, nìyaxuún ijíín gò’ò,

gájmàá xkámída rí mbijwà’ nirigwiì à’woó bègò ná mikuíí, khamí

nìxú’dàa ngámí ná xoxtà’ ló.

Nàwá’nií nùnè nduwèè mbámbá tsigu, nùrígwii ajngáa wa’a tsúdà’ ló’

rí magoò mùrathùún nimà

tsí nùñawán iná xndú àkhà’.

Xó ma’ angiàn’ ló’,

nìrùwa mijnèè nìguyùún xàbò tsí maxiin, tsú’kwè nìri’ñà

rí nimbá mùxúnii, nìnda’à mbá xedè,

mbá tsotón, khamí ijíín gò’ò Marutsíí, ikhiìn júwè’ mùnì mbánií rí

na’thán xuajen xí nàjanùú tsígéjñà’ mé’.

Cicatriz que te mira. p. 60-61

Llegaron los soldados

Llegaron los soldados

a quemar el maíz bola,

se corrió el rumor por la radio

que esta vez sí era en serio,

llegaron con cascos para vestir de verde los caminos,

con pies de hormigas para subir a los árboles,

en las cañadas y en el nido de Marutsíí.

Llegaron por el río mirando a las muchachas

y con armas largas bajaron el rayo de los cielos

e incrustaron en los pechos el temor del silencio.

Llegaron con el pretexto de siempre,

a buscar las ausencias

para llenarlas con sus inventos

y desmontar a los espíritus de la goma.

La gente se organizó y los fue a ver,

para que no hicieran nada, pidieron una res, 

un chivo y las dos niñas de Marutsíí,

que ellos están para servir

a quienes les saben tratar.

Crédit image: Filogonio Valasco Naxim, 2018 (detalle).

Pour en savoir plus:

Hubert Matiúwàa est l’auteur de:

En 2016 il obtient le premier prix des “ Lenguas Originarias Cenzontle”, en 2017 le “V Premio de Literaturas Indígenas de América (plia)”, ainsi que le prix “Poesía Joven del Estado de Guerrero”.

Link video: https://www.youtube.com/watch?v=DyagCBQiWxU

Caroline Montenat et Manola

#mexique, #poesie #bilinguisme #multiculturalisme #artivisme

La stérilisation forcée des femmes amérindiennes au Pérou: ¡nunca más!

Contexte historique

Photographie de Liz Tasa pour le projet Kapar, disponible sur VIST.

Au début des années, 1990, le Pérou traverse une crise. C’est à ce moment qu’arrive à la tête du pouvoir Alberto Fujimori le 28 juillet 1990 qui, dans le but de vouloir redresser son pays face à la crise qu’il connaît, demande une aide internationale. Des aides lui sont proposées dont celle de la banque mondiale et les Etats-Unis sous plusieurs conditions préalables comme le contrôle de la croissance démographique de son pays. C’est de cette manière qu’il instaure un programme de santé reproductive et de planification familiale en 1996. Un an avant la mise en oeuvre de ce dernier, le président Fujimori a évoqué ce sujet lors de la 5ème conference sur les femmes organisée par les Nations Unies à Pékin.

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Urban Art Mapping : le street art contre les violences policières

Page d’accueil du site Urban Art Mapping

Urban Art Mapping est un site internet visant à répertorier et cartographier les œuvres de street art issues des évènements autour du meurtre de George Floyd par un policier en Mai 2020. Ce site provient du travail d’un groupe de chercheurs et d’étudiants multidisciplinaire de l’Université de Saint Paul, ville jumelle de Minneapolis. Ce collectif cherche à documenter et analyser les œuvres des artistes et militants rattachés au mouvement Black Lives Matter. Urban Art Mapping veille à prendre en compte une grande diversité de productions de la plus petite à la plus grande : stickers, tag, graffiti, peintures murales, installations.

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The Forum, un magazine en ligne au service d’un mouvement activiste aux Etats-Unis.

L’utilisation d’un magazine en ligne pour couvrir les angles morts des grands médias publics. The Forum, une plateforme qui donne voix aux discours engagés sur les problématiques sociales et raciales qui se joue en ce moment aux Etats-Unis.

L’African American Policy Forum (AAPF) est un groupe de réflexion (‘Think Tank’) et d’actions engagé fondé en 1998 par Kimberly Crenshaw – professeure de droit et des droits civils, et Luke Charles Harris – professeur de sciences politiques spécialiste de la Théorie Critique de la Race. Depuis son apparition il y a 25 ans, l’objectif du collectif est de mettre en avant les voix et les idées de personnes engagés dans le mouvement de justice sociale aux Etats-Unis. Leur message principal tourne autour des problèmes d’injustices sociaux et raciaux, et la perpétuation des idéologies raciste et discriminatoires dans la société Nord-américaine. Pour se faire, le forum AAPF recours à l’ouverture d’un dialogue intersectionnel autour du racisme, du genre et des inégalités sociales à travers plusieurs supports médiatiques, artistiques et littéraires. Ces différentes formes de mobilisation permettent, comme le montre leurs actions sociales portées aux fils des années, d’être un acteur d’un mouvement vers une Amérique démocratique, juste et égalitaire.

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Martes Verde : La poésie en action

Le recueil de poésie Marea Verde est diffusé sur la plateforme du média La Primera Piedra. Les différents poèmes qui composent l’anthologie peuvent être entendus comme une forme de militantisme politique. Ces écrits sont donc venus alimenter le débat sur l’avortement. Il n’est donc pas étonnant de retrouver ce genre de production artistique sur des plateformes médiatiques alternatives, tel que la Primera Piedra.

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Empress in Lavender Media : visibilisation des récits des communautés sexo-dissidentes

Le média Empress in Lavender : passer de l’alternatif au mainstream ? 

Empress in Lavender est un média très récent créé en 2019. Plus qu’un site web, c’est une société de production qui a pour objectif premier de faire connaître aux médias grand public les récits des cinéastes, artistes queer, transgenres et travailleur.ses du sexe à travers des productions filmiques. L’ambition première de ce média est donc de vouloir apporter une visibilité aux récits des communautés sexo-dissidentes au-delà de la sphère intracommunautaire. Actuellement, il y a peu de productions disponibles puisque les projets filmiques sont très chronophages. Cependant, d’autres projets sont en cours de réalisation et verront le jour prochainement.

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Dans le corps de subRosa

subRosa est un collectif de chercheuses et chercheurs qui travaillent sur l’art, l’activisme et le politique. Il est fondé en 1998, à Pittsburg, au début de la deuxième vague féministe, par les artistes cyberféministes : Faith Wilding, Mariá Fernandez, Hyla Willis  et Michelle M.Wright. Dans leur manifeste, Rosa fait référence aux femmes féministes qui ont lutté dans différents domaines tels que les sciences (Rosalind Franklin), la politique (Rosa Luxemburg), l’activisme (Rosa Parks) et l’art (Rosa Bonheur). Ce collectif produit des performances artistiques, des manifestations, des publications autour des questionnements que soulèvent les nouvelles technologies sur le corps des femmes. De ce fait, il regroupe les domaines des pionnières dont le groupe s’inspire. Il s’agit d’une critique de la rencontre entre les biotechnologies et le corps des femmes et de l’impact que cela a sur leur corps, leur travail et leur vie. 

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The Phantom Mariachi

Visibilité et invisibilité des minorités urbaines étasuniennes, telle est la réflexion à laquelle invite « The Phantom Mariachi », du performeur Guillermo Gomez Peña. 

Source : https://docs.google.com/document/d/1mGrhzw8aAu0l0y_cyPCOMdhvOJxsA08Z_z9bcCfaBh4/edit. Photo du Phantom Mariachi

Né en 1955 dans la ville de Mexico City, Guillermo Gomez Peña étudie la linguistique et la littérature latino-américaine à l’Université Autonome Nationale de Mexico, puis il poursuit ses études en 1978 à l’Institut d’Art de Californie, où il obtient un master. De 1983 à 1990, il vit à la frontière mexicano-étasunienne entre les villes de San Diego et Tijuana. Son parcours universitaire et ses origines qui l’inscrivent dans la communauté chicana (nom donné aux mexicains vivants aux États-Unis) construisent ses œuvres, dans lesquelles il convoque les thèmes de la frontière mexicano-étasunienne, et des barrières sociales fortement présentes dans la société étasunienne. 

De même, ses performances se distinguent par leur caractère provocateur dont le but est de sensibiliser son public sur les problématiques politiques, et sociales qui touchent les populations minoritaires aux États-Unis : la diaspora mexicaine, les autres minorités racialisés et les minorités queers. 

L’ensemble de ces éléments invite donc Guillermo Gomez Peña à mettre en scène avec Balitronica Gomez de 2015 à 2020 « The Phantom Mariachi ». Cette performance est le fruit de la troupe de performeurs artistique de la Pocha Nostra (crée en 1993, à Los Angeles), qui utilise l’art pour dénoncer et rompre les modèles sociaux instaurés par une politique hétéronormative, xénophobe, raciste, et homophobe pour laquelle Gómez Peña assura la direction artistique et participa à la production internationale de la troupe. 

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