Médias contre-hégémoniques: des éditions cartoneras à la cyberculture

La stérilisation forcée des femmes amérindiennes au Pérou: ¡nunca más!

Contexte historique

Photographie de Liz Tasa pour le projet Kapar, disponible sur VIST.

Au début des années, 1990, le Pérou traverse une crise. C’est à ce moment qu’arrive à la tête du pouvoir Alberto Fujimori le 28 juillet 1990 qui, dans le but de vouloir redresser son pays face à la crise qu’il connaît, demande une aide internationale. Des aides lui sont proposées dont celle de la banque mondiale et les Etats-Unis sous plusieurs conditions préalables comme le contrôle de la croissance démographique de son pays. C’est de cette manière qu’il instaure un programme de santé reproductive et de planification familiale en 1996. Un an avant la mise en oeuvre de ce dernier, le président Fujimori a évoqué ce sujet lors de la 5ème conference sur les femmes organisée par les Nations Unies à Pékin.

Le but du programme de santé, sa mise en place et son vice caché

Ce programme présenté promettait aux femmes péruviennes de disposer de leur vie en toute liberté et autonomie, un discours prometteur vu comme une évolution des droits des femmes à l’époque. Pourtant, ce plan promu par le président cachait un vice qui n’était autre que l’intention de réduire la pauvreté qu’il jugeait comme conséquence de la forte natalité des femmes : ceci en voulant pratiquer la stérilisation forcée comme méthode contraceptive. Ce plan est mis en place entre 1996 et 2001 et visait une catégorie spécifique de la population qui sont les communautés locales du pays. Ces victimes étaient pour la plupart des paysans de plateaux andins, notamment les femmes paysannes, disposant de peu d’informations sur la pratique, parlant peu espagnol et subissant un chantage à l’aide alimentaire. En fait, le gouvernement Fujimori a profité de la naïveté de ces communautés et de leur manque d’éducation pour mener à bien son plan. Ne disposant pas de connaissances scientifiques pour justifier leur plan, le gouvernement s’est fait aider par le personnel médical (médecins, infirmiers, sage-femmes etc…) en leur demandant de convaincre les populations qui allaient subir ce programme, tout en leur promettant des récompenses, des promotions et des meilleures conditions de travail.

Par ailleurs, il est nécessaire de souligner que l’idée du programme que voulait instaurer le gouvernement se fondait sur des préjugés qui soutenaient la thèse selon laquelle le programme qu’ils avaient en tête devrait être à destination des familles amérindiennes, car elles étaient considérées comme les plus pauvres et les plus vulnérables, donc sujettes à une forte natalité. Pourtant, ce dernier argument qui semble discriminatoire a été parmi les critères qui ont motivé les Etats-Unis et les Nations Unies à soutenir ce programme avec respectivement une aide pour le développement et un fond des Nations Unies.

Crime contre l’humanité enfin reconnu à l’échelle mondiale. Qu’en est-il du Pérou?

Photographie de Liz Tasa pour le projet Kapar, disponible sur VIST.

Au final, ce sont au total 300.000 femmes (enfants, adolescentes, adultes, mères) qui ont été victimes de ce programme visant à les stériliser dans des conditions indignes sans leur consentement. Bien évidemment, cela allait sans se soucier des conséquences à la fois morales et physiques qu’elles allaient subir comme des infertilités et des sérieux problèmes de santé et autres traumatismes. Bien que cela puisse paraitre atroce et déplacé de nos jours, il faut savoir qu’au moment de la mise en place de cette pratique à l’époque, cette dernière n’était pas encore considérée comme une pratique illégale. C’est seulement en 1998 que le Statut de Rome qui est déclaré lors de la Conférence diplomatique Plénipotentiaire des Nations Unies à Rome en Italie reconnaît à l’échelle internationale cette dernière comme étant un « crime contre l’humanité ». Les femmes péruviennes en prennent conscience et commencent dès lors à demander de vive voix et sans complexe justice, vérité et réparation auprès du gouvernement qui ne souhaite rien entendre. Plusieurs femmes déposent alors des mains courantes.

La fleuraison des associations au profit des victimes : Cas de l’AMPAEF

Photo issue de la page Facebook de l’association AMPAEF

Pourtant, leur voix n’ont pas été écoutées à la hauteur de leurs attentes depuis leurs revendications. Face à ce silence de l’État et des institutions sur la question, les femmes victimes ont décidé elles-mêmes de faire avancer les choses au moyen des organisations associatives dénonçant les pratiques instaurées par celui qui est à ce jour un des anciens présidents du Pérou. C’est dans ce contexte que naît l’AMPEAF (Asociación de Mujeres Peruanas Afectadas por las Esterilizaciones Forzadas) en 1998, œuvrant pour les femmes victimes de la stérilisation forcée. Présidée actuellement par Rute Zuniga, l’Ampaef n’est pas seulement une ONG mais également un média alternatif indépendant et engagé qui clame à travers les œuvres de femmes victimes  l’injustice, le mépris et l’impunité de ceux qui ont détruit et traumatisé leurs vies. Livrées à elles-mêmes, trompées, manipulées, opérées dans des conditions insalubres, les demandes de ces femmes émises depuis maintenant 25 ans concernent : 

  • Une réparation de leur intégrité à la fois morale, psychologique et physique
  • La vérité sur ce qu’elles ont subi 
  • Mais également la justice

Quelles sont les actions que ces femmes mettent en place pour obtenir justice, réparation, vérité ? Que font-elles pour éviter que cette pratique ne se reproduise plus ?

Les victimes dénoncent formellement cet acte au travers de divers canaux. L’un d’eux est l’adhésion au sein d’associations comme l’AMPAEF qui porte leurs voix au niveau national mais aussi au-delà des frontières du pays via des médias alternatifs. A ce propos, la vidéo intitulée  »Esterilizaciones forzadas en Perú : El silencio  » et disponible sur la page Facebook de l’association est un extrait du reportage de Hispantv qui confronte les témoignages de plusieurs femmes et personnalités ayant des liens directs ou indirects avec la cause défendue, aux arguments de Keiko Fujimori, fille de Fujimori et prétendante au pouvoir en 2021.

Vidéo prise de la page Facebook de l’AMPAEF

Elles relatent ici les douleurs qu’elles portent encore jusqu’à ce jour, les ayant rendu infirmes pour nombreuses d’entre elles et qui les empêchent de réaliser des activités physiques. En plus de ce handicap, elles dénoncent le développement de plusieurs maladies (maux de tête, fièvre, cancer etc) qu’elles ne peuvent pas soigner correctement par leurs propres moyens. Elles se sentent délaissées et invisibles aux yeux de ce système qui a massivement détruit leur intégrité puis les a abonnées à leur propre sort. Faire entendre leur voix par ces médias apparait alors comme une prouesse à leurs yeux.

La vidéo montre que face à ces revendications, Keiko Fujimori défend son père et ses anciens ministres en justifiant que :

« y a eu un programme de santé reproductive et de planification familiale. La politique de l’Etat visait à informer les hommes et les femmes pour dire combien et quand ils devraient avoir des enfants. (…) 150 accusions au sujet de ce programme ont eu lieu. Il y a eu plusieurs investigations à ce sujet au cours de différents gouvernements. Ces investigations signalent les responsabilités personnelles des médecins qui n’ont pas respecté ce protocole. Je condamne l’hatitude de ces médecins responsables (…)« 

citataion tiréE de la vidéo de hispantv, disponible sur la page facebook de l’ampaef

Si elle reconnait à peine une forme de responsabilité de la part des médecins ayant participé à ce programme, elle nie en revanche toutes les charges et les preuves d’accusation retenues contre son père et son gouvernement depuis le début des années 2000. Ces arguments peuvent être considérés par les parties civiles comme une stratégie pour retarder le procès qui prend le temps d’être acté depuis de nombreuses années. Il faut dire qu’au vu de ces propos, les victimes ne faiblissent pas et continuent à montrer leur mécontentement au travers des paroles libres qui leurs sont accordées dans les médias alternatifs sus-cités.

Au final, cela fait maintenant 25 ans que ces femmes continuent à être marginalisées, stigmatisées et surtout rendues invisibles. Malgré leurs efforts, leur cause continue d’être passés sous silence devant l’État et voire même niés par certains membres de Fujimori dont sa fille. Grâce aux médias alternatifs ces femmes peuvent faire entendre leur voix et espérer un jour avoir ce qu’elles clament, c’est-à-dire justice, réparation et vérité et la cessation définitive de ces actes aujourd’hui mais aussi pour les générations futures.

Références

Humans for women, 11 février 2016.

Nations Unies droits de l’homme, stérilisations forcées au Pérou, 26 juin 2019.

France TV info, Pérou; le drame des femmes stérilisées de force, 25 mai 2018.

Ana Mara Vidal Carrasco, Las esterilizaciones formatas en Perú: 20 años de impunidad,28 février 2020.

Stavig Lucía, Péru: las esterilizaciones forzadas, en la década del terror, Chérif Alberto, 2021.

Facebook et blog AMPAEF

Une réponse à “La stérilisation forcée des femmes amérindiennes au Pérou: ¡nunca más!”

  1. Avatar de paulinel
    paulinel

    Bonjour Paulina,

    Merci pour cet article très poignant. C’est un sujet sensible dont tu nous parles, un sujet révoltant qui en tant que femme et féministe ne me laisse pas indifférente. Ton article est d’autant plus marquant grâce aux images qui l’accompagne. La photographie de Liz Tasa restera gravé dans mon esprit. Tu as bien fait d’ajouter à ces mots un visuel, ce qui me semble rarement fait lorsque l’on traite ce genre de sujet. Peut être que cette image choque le lecteur mais elle permet de garder en tête toute l’horreur de ces politiques de stérilisations forcées. Il est crucial de montrer le combat de ces femmes et j’espère qu’avec ce petit article tu portes ta pierre à l’édifice.

    Le contrôle des corps des femmes et des filles est un sujet toujours très actuel dans nos sociétés patriarcales. Il s’agit dans le cas que tu présentes d’un phénomène à la fois sexiste, raciste et classiste. Comme tu le précise ce sont particulièrement les femmes les plus pauvres et de nationalités indigènes qui ont subit cette cruauté d’Etat. Savoir que ce programme a été soutenu par les nations unies et était considéré comme du développement amplifie la monstruosité de ces actes.
    Sachant que nous allons dans cette promo travailler dans le développement, je crois qu’il est crucial pour nous de lire ce genre d’article afin de mieux se rendre compte de l’absurdité de certains programmes avant de s’impliquer dans ces derniers.

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1 Comment

  1. paulinel

    Bonjour Paulina,

    Merci pour cet article très poignant. C’est un sujet sensible dont tu nous parles, un sujet révoltant qui en tant que femme et féministe ne me laisse pas indifférente. Ton article est d’autant plus marquant grâce aux images qui l’accompagne. La photographie de Liz Tasa restera gravé dans mon esprit. Tu as bien fait d’ajouter à ces mots un visuel, ce qui me semble rarement fait lorsque l’on traite ce genre de sujet. Peut être que cette image choque le lecteur mais elle permet de garder en tête toute l’horreur de ces politiques de stérilisations forcées. Il est crucial de montrer le combat de ces femmes et j’espère qu’avec ce petit article tu portes ta pierre à l’édifice.

    Le contrôle des corps des femmes et des filles est un sujet toujours très actuel dans nos sociétés patriarcales. Il s’agit dans le cas que tu présentes d’un phénomène à la fois sexiste, raciste et classiste. Comme tu le précise ce sont particulièrement les femmes les plus pauvres et de nationalités indigènes qui ont subit cette cruauté d’Etat. Savoir que ce programme a été soutenu par les nations unies et était considéré comme du développement amplifie la monstruosité de ces actes.
    Sachant que nous allons dans cette promo travailler dans le développement, je crois qu’il est crucial pour nous de lire ce genre d’article afin de mieux se rendre compte de l’absurdité de certains programmes avant de s’impliquer dans ces derniers.

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