Visibilité et invisibilité des minorités urbaines étasuniennes, telle est la réflexion à laquelle invite « The Phantom Mariachi », du performeur Guillermo Gomez Peña. 

Source : https://docs.google.com/document/d/1mGrhzw8aAu0l0y_cyPCOMdhvOJxsA08Z_z9bcCfaBh4/edit. Photo du Phantom Mariachi

Né en 1955 dans la ville de Mexico City, Guillermo Gomez Peña étudie la linguistique et la littérature latino-américaine à l’Université Autonome Nationale de Mexico, puis il poursuit ses études en 1978 à l’Institut d’Art de Californie, où il obtient un master. De 1983 à 1990, il vit à la frontière mexicano-étasunienne entre les villes de San Diego et Tijuana. Son parcours universitaire et ses origines qui l’inscrivent dans la communauté chicana (nom donné aux mexicains vivants aux États-Unis) construisent ses œuvres, dans lesquelles il convoque les thèmes de la frontière mexicano-étasunienne, et des barrières sociales fortement présentes dans la société étasunienne. 

De même, ses performances se distinguent par leur caractère provocateur dont le but est de sensibiliser son public sur les problématiques politiques, et sociales qui touchent les populations minoritaires aux États-Unis : la diaspora mexicaine, les autres minorités racialisés et les minorités queers. 

L’ensemble de ces éléments invite donc Guillermo Gomez Peña à mettre en scène avec Balitronica Gomez de 2015 à 2020 « The Phantom Mariachi ». Cette performance est le fruit de la troupe de performeurs artistique de la Pocha Nostra (crée en 1993, à Los Angeles), qui utilise l’art pour dénoncer et rompre les modèles sociaux instaurés par une politique hétéronormative, xénophobe, raciste, et homophobe pour laquelle Gómez Peña assura la direction artistique et participa à la production internationale de la troupe. 

Gómez Peña définit le Phantom Mariachi comme une super-héroïne qui lutte contre l’effacement de la diaspora mexicaine, des minorités de genres, et des premières catégories socio-professionnelles provoqué par les discriminations dont sont victimes ces minorités aux États-Unis.

Alors, c’est dans un contexte de « post-gentrification » dans la région de la baie (San Francisco, Oakland et Berkeley) qu’ils amorcent ainsi une lutte sociale qui a pour but de faire survivre l’identité des minorités : latino-américaines, des artistes, des bohémiens, des homosexuels et des personnes de la classe ouvrière, qui face au phénomène urbain d’embourgeoisement se voient expulsées ou déportées du paysage urbain du fait qu’ils n’ont pas de place dans le modèle social auquel sous-tend ce phénomène.  De plus, cette performance émerge également à l’aube de l’annonce de la campagne électorale en 2015 de Donald TRUMP, qui est un symbole de la xénophobie et des discriminations subies par les minorités. 

Ainsi cette lutte sociale qu’entreprend Guillermo Gomez Peña et Balitonica Gomez contre l’effacement des minorités urbaines apparaît pour la première fois lors de la Pride Parade san franciscaine de 2015, et cela dans le cadre de l’entourage des « Ecosexuals » (Annie Sprinkle, Beth Stephens, Gómez-Peña & crew) dont Gómez Peña juge qu’elle s’est faite de « manière performative, ludique et très visible ».

Une super-héroïne qui lutte contre l’effacement des minorités opéré par la bourgeoisie (capitaliste)

D’un première angle cette performance aborde une forme de parodie du mariachi, puisque les mariachis désignent un genre musical et un groupe de musiciens propre à la culture mexicaine. Il s’agit là d’une stratégie mise en œuvre par les auteurs du Phantom Mariachi, qui en mobilisant le canon de la culture mexicaine cherchent à sensibiliser le public sur l’existence des premières communautés victimes du modèle social installé dans les aires urbaines étasuniennes. De même, dans cette performance le personnage du « Phantom Mariachi » met en scène une femme anonyme, dont l’identité n’est jamais révélée. Elle est habillée « d’un chandail noir « Sentai », porte un chapeau de mariachi, des talons hauts et un code-barres qui dirige les spectateurs vers des déclarations politiques visibles en ligne ».

Parfois, elle brandit des pancartes sur lesquelles est écrit :

« Contre l’effacement d’identités complexes et l’expulsion ».

Dans cette performance, la troupe dirigée par G. Gómez Peña utilise l’élément le plus connu de la culture mexicaine pour sensibiliser le public sur la première minorité victime de la gentrification (ce sont aussi les individus les plus racialisés dans l’Ouest étasunien, puisqu’il s’agit d’individus migrants : ils ont pour la plupart traversé la frontière de façon illégale). De même, ils poursuivent leur stratégie en construisant leur performance à partir d’éléments unisexes. En effet,  la combinaison de couleur noire que porte le Phantom des pieds jusqu’à la tête est requise dans le but de montrer que le Phantom Mariachi représente n’importe quel type d’individu. Dont Gómez Peña renseigne qu’il s’agit d’une super-héroïne qui est réelle, et invite les victimes du modèle sociétal de la bourgeoisie (capitaliste) à se retrouver en elle. 

Par conséquent, le Phantom Mariachi symbolise une communion de la société étasunienne (il est un habitant de la ville qui peut être issu des minorités, de la bourgeoisie, ou de la classe intermédiaire) : son personnage n’est pas genré, il porte des habits qu’un homme ou une femme peut porter, et des habits qui sont propres à la diaspora mexicaine. 

Bien qu’elle aborde une posture très sérieuse, cette « Madone des Autres Bohémiens » comme le dit G. Gómez-Peña, se veut discrète (symbolisant l’effacement identitaire entrepris par les victimes) mais mobile (elle se déplace dans la ville, ce qui renvoie aux déplacements que provoque la gentrification des quartiers ou du district de Mission). Il s’agit d’un habitant lambda de la société qui prend les transports en communs, et échange avec les autres en critiquant les problèmes auxquels ils sont confrontés, dont G. Gómez-Peña renseigne que « Ce personnage audacieux apparaît comme un bar de censure ambulant. Elle parle silencieusement de l’effacement dévastateur d’identités complexes. Elle est un habitant symbolique du passé, du présent et du futur de toutes les « villes créatives » qui ont mal tourné ».

Un « phantom » qui fait partie du paysage, de la société : tel est le message que veut faire passer ses auteurs

« During public appearances, the Phantom Mariachi delivers poetry, takes selfies with audience members, engages in more staged photo opportunities, stages tableaux vivants with people in the streets ». 

G. Gómez-Peña
Source : https://docs.google.com/document/d/1mGrhzw8aAu0l0y_cyPCOMdhvOJxsA08Z_z9bcCfaBh4/edit, « The Phantom Mariachi au Free Speech Wall avec l’artiste Antonio Solis (à gauche) et le directeur du FS Wall Bruce Tomb (à droite) ».

Ici, il entame une approche complexe de la question de l’identité mobilisé aussi bien dans le domaine : ethnique, de genre ou encore de classe. L’utilisation de la notion de « Phantom » dans la théorie queer renvoie à la visibilité et l’invisibilité des communautés queers dans la société. Dans ce cas de figure, le personnage de Phantom fait sens avec la performance qui se veut également représentative de la communauté queer qui demeure minoritaire, et subit un effacement dans le paysage urbain que conditionne la société hétéronormative des États-Unis. De même, la dimension spectrale qu’il existe autour du fantôme permet de souligner l’invisibilité ou transparence des minorités dans la société pour laquelle G. Gómez-Peña et B. Gómez utilisent l’orthographe de Phantom et non de ghost. 

En outre, pour rappeler le camouflage qu’entreprennent les minorités dans l’espace public, le Phantom Mariachi revêt une combinaison de couleur noire (soit une couleur discrète et de camouflage par excellence) qui lui permet comme ces derniers de se fondre dans la masse lorsqu’il se déplace (il « hante ») dans les rues, et les lieux urbains construis sous le modèle hégémonique. De même, cette performance possède également un caractère hybride (ethnique, genre, et classe) qui expose une pédagogie qui a pour but d’éduquer la société, dont le message est d’apprendre à vivre avec tous. 

Par conséquent cette démarche implique auprès des individus d’entamer une reconnaissance, et surtout une acceptation de la diversité identitaire qui compose la société et l’espace. En d’autres termes, cette performance invite à rompre les frontières qui s’établissent entre les pays, les genres ou encore les classes sociales.

Déstabiliser le système hégémonique, hétéronormé : « Trump n’existe pas »

C’est dans un contexte urbain que Guillermo Gomez Pena produit un activisme artistique, dont l’objectif est de contrecarrer le modèle sociétale imposé aux étasuniens, qui participe à un effacement des minorités. Il s’agit d’une performance silencieuse, où le seul bruit est celui de l’espace urbain, le Phantom Mariachi s’exprime uniquement par les mots écrits sur ses pancartes ou du décor placé en fond des lieux où il prend la pose. 

Source : https://www.guillermogomezpena.com/works/#the-phantom-mariachi. Photo d’une performance du Phantom Mariachi

 Le fait de nommer Trump et d’utiliser le message « Trump n’existe pas » est crucial pour cette performance, puisqu’à travers ses propos et le positionnement qu’il détient D. TRUMP se présente comme une menace pour ces communautés. En effet, les actions de cette homme lui valent même d’endosser le rôle de l’étasunien xénophobe, arrogant et ne jugent que par sa puissante position sociale. Puisque ce comportement s’est d’avantage mis en scène lors de sa candidature aux présidentielles annoncée depuis 2015 (et également lors de son mandat de 2017 à 2021), où il prônait l’effacement des communautés latinos en souhaitant par exemple ériger un mur à la frontière mexicano-étasunienne. 

En prenant l’exemple de ce symbole discriminatoire envers les minorités, cette performance fait preuve d’agentivité en fait la lumière sur un problème social qui conduit au débat, et à la réflexion de tous. En effet, face aux nombreux discours qui cherchent à faire disparaitre les minorités (notamment la communauté latino), cette démarche invite à se demander si ces minorités sont visibles dans le paysage ? Où sont-elles ? Pour finalement se rendre compte qu’elles sont bien présentes, mais sont cachées.  

Ainsi, en réalisant cette performance, les auteurs cherchent à rappeler que ses individus font partie de la société. Et de ce fait, pour enregistrer, et en quelque sorte continuer de diffuser les performances réalisées par le Phantom Mariachi, ses auteurs n’hésitent pas à mobiliser les médias alternatifs en créant une page Facebook qui illustre les performances qu’a pu réaliser le Phantom Mariachi (accompagnée d’un Google Doc qui décrit ses performances phares), soit une seconde diffusion ou exposition de ces performances, qui devient alors permanente du fait qu’elle reste sur le web. De plus, la promotion de la performance artistique dirigé par Guillermo Gomez Pena s’étend également par l’intermédiaire de son propre blog, sur lequel il expose l’ensemble des performances qu’il a réalisées, dont il est possible de retrouver une page dédiée au Phantom Mariachi qui renseigne sur sa genèse et son déroulement. 

Bibliographie :

Dubois Vincent, « Culture – Sociologie de la culture », Encyclopaedia Universalis.

DURAND Jean-Pierre, « CAPITAL, sociologie », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 3 mars 2023.

Morin Émilie, Therriault Geneviève, et Bader Barbara, « Le Développement Du Pouvoir Agir, L’agentivité Et Le Sentiment D’efficacité Personnelle Des Jeunes Face Aux Problématiques Sociales Et Environnementales : Apports Conceptuels Pour Un Agir Ensemble », Éducation et Socialisation, vol. 51 (2019)  [en ligne] , consulté le 01/03/2023.