Notre objet d’étude est la chaîne YouTube Feminismo Xeneize, canal numérique principal du collectif féministe du même nom,. Le collectif a été crée en février 2019 à Buenos Aires par des membres de différentes associations de supporteurs·ices du Club Atlético Boca Juniors (CABJ).
Depuis la création du collectif, de nombreuses actions ont été menées par les supportrices : cancionero de chants féministes en vue de la Coupe du Monde féminine de la FIFA de 2019, des actions féministes (25N et 8M au sein de cortèges supportrices), rédaction de protocoles de prévention des violences, cycles de conférences inter-collectifs pour ne citer que les plus marquantes.
Dès les premières actions du collectif, les réseaux sociaux mainstream ont été utilisés comme vecteurs de visibilité notamment par le biais des médias tels que Facebook et Instagram, qui permettent une inclusion au sein de la représentation des supporteurs·ices.
La chaîne YouTube Feminismo Xeneize a été créée en octobre 2019 et cumule quelques milliers de vues pour quatorze vidéos mises en ligne. La première a été publiée en octobre 2019, les suivantes ont été publiées à partir d’avril 2020. Il existait donc une volonté de créer une identité numérique féministe du collectif mais la pandémie et l’impossibilité de mettre en place des événements militants ont impulsé cette dynamique de façon accélérée.
Sur les quatorze vidéos, six ont été postées sur la chaîne l’ont été lors de diffusions en live via YouTube, de manière à créer un moment de rassemblement virtuel des supporteurs·ices dans le cadre de la dynamique « CINE BOSTERO1 ». Pendant plusieurs mois, le collectif a communiqué sur ces événements pour visibiliser les contenus via d’autres réseaux sociaux, permettant par ce biais de faire la promotion de la chaîne YouTube.
1Bostero est un terme qui définie les supporteurs du CABJ, bostera au féminin.
Les cines bosteros se sont donc convertis en événements symboliques et militants virtuel et cela par des biais mainstream en récupérant les dynamiques utilisées par d’autres grandes chaînes YouTube. Les vidéos appartenant à cette dynamique sont des longs-métrages : il s’agit de ciné-documentaire traitant de l’identité du CABJ, publiées de mai 2020 à juin 2020.
Trois d’entre eux abordent la thématique du football avec un protagonisme féminin : La Raulito raconte l’histoire d’une des supportrices les plus connues du CABJ, également emblème du collectif1.
Il y a également le documentaire de Monica Santino « Mujeres con Pelota », qui traite des expériences des joueuses argentines face à leurs conditions de travail et souligne les inégalités auxquelles elles ont été et sont toujours confrontées.
Au sein de cette série de cine bostero, on retrouve le film « Paula contra la mitad más uno » qui met en scène une fiction autour d’un match entre River Plate et le Boca Juniors.
Les trois autres documentaires (« Hoy Partido a las Tres», « Pelota de cuero» et « El Riachuelo – Documental ») abordent l’identité xeneize en axant sur les espaces que les supporteurs·ices occupent : le quartier de la Boca, le stade de la Bombonera, entre autres.
Les longs-métrages ne sont pas tous réalisés par des femmes et minorités de genre, l’objectif principal de la chaîne étant de visibiliser les supportrices et les joueuses constituantes de l’identité xeneize.
1C.F. captures 2 et 3.
A la suite de la série de films-documentaires, une autre série de cinq longs-métrages a été mise en place sur la chaîne YouTube : « La Historia del Club Atlético Boca Juniors», découpée chronologiquement en quatre périodes allant de 1905 à 2009 ainsi qu’une anthologie du quartier de la Boca, publiée entre le 31 juillet 2020 et le 28 août 2020.
Par cette série, le collectif souhaite mettre en relief le fait que le CABJ soit issu d’un milieu populaire ; cette volonté se retrouve notamment au sein des descriptions des vidéos « CINE HISTORICO, POPULAR Y BOSTERO ».
Avec le choix de ces longs-métrages, le collectif expose son identité : féministe, populaire et bostero. Ces aspects sont essentiels pour comprendre la démarche du collectif dans l’espace numérique mais également dans l’espace physique.
Les autres trois vidéos de la chaîne ne s’incluent pas dans une série ni dans une démarche d’événement numérique ; il s’agit de vidéos courtes.
Nous allons nous intéresser à la première vidéo de la chaîne qui pose les ancrages du collectif et l’objectif de cette chaîne. Primer Asado Feminista En Los Quinchos de Boca Nov-2019 est la première vidéo publiée sur la chaîne, le 19 octobre 2019.
La description expose la dynamique du collectif :
« En cada peña, agrupación, grupo de cancha, hay mujeres con camiseta de Boca y perspectiva de género. Hoy es momento de encontrarnos. Creemos que la unidad feminista es el camino para alzar la voz y gritar « Acá estamos » en los lugares históricamente habitados y manejados por varones. »
Elles précisent également les enjeux de la création du collectif Feminismo Xeneize :
« Tenemos la intención de organizarnos para crear redes, lazos y proyectos para el Boca que queremos: libre de machismo, inclusivo, con perspectiva de género, feminista y disidente. Para eso, apostamos a la creación de un espacio que nos permita articular y construir: @feminismoxeneize.
Este espacio, con la lucha feminista como transversal, pretende trascender los muros institucionales y partidarios. Por eso, hace una semana entre las compañeras de @bocaespueblo1905, @bocafeminista, @secretariadelamujer.xeneizeslp y Agrupación Nuevo Boca, organizamos una primer juntada bostera y feminista en las parrillas del club, con motivo de presentación y convocatoria. »
Cette vidéo de 38 secondes montre des archives d’un événement au cours duquel les membres du collectif se sont réunies pour fêter la création du collectif aux abords du quartier de la Boca.
La seconde vidéo postée sous forme individuelle est Fútbol y Relaciones de poder. Cette vidéo de 5 minutes 49 secondes et est une compilation d’archives médiatiques – journaux télévisés ou coupures de presses – de faits de discriminations et d’agressions sexistes et sexuelles.
La vidéo se termine sur une note positive : la semie-professionnalisation du football féminin par l’AFA, en mars 2019.
Les dernières secondes de la vidéo sont des images de joueuses et supportrices de football – pas seulement du collectif Feminismo Xeneize – ainsi que la reprise d’une chanson populaire : « ya vas a ver, el futbol va a ser de todes o no va a ser ».
La dernière vidéo que nous allons traiter de façon individuelle est une vidéo postée pour la Journée Internationale de la Fierté – 28 de Junio día Internacional del Orgullo 2020 – le 28 juin 2020.
La vidéo dure 2 minutes et 5 secondes et est également une compilation d’archives de supportrices et joueuses qui revendiquent la liberté d’aimer et d’être – lesbiennes, bies, trans, etc. – avec les couleurs du CABJ.
Ces derniers mois, avec l’annonce de la reprise des débats autour de la légalisation de l’avortement, la chaîne YouTube a été moins active. Le collectif a été plus présent par des lives sur d’autres plateformes telles qu’Instagram.
En collaboration avec la Coordinadora Sin Fronteras de Futbol Feminista, les membres des collectifs ont mené de front les points de rendez-vous pendant les débats parlementaires et les diffusions en live des occupations publiques.
Lors du 8 mars 2021, les supportrices féministes se sont également regroupées au sein d’un cortège commun et cela quel que soit le club qu’elles supportent, transcendant ainsi les rivalités sportives pour construire des luttes collectives plus fortes et convergentes.
Elles ont su se saisir des outils de communication mainstream souvent utilisés par des chaînes de supporteur·ices non dissidents pour s’inclure au sein de l’identité du club et imposer une visibilité.
Les membres du collectif sont donc présentes et représentées sur tous les fronts, quelles que soient les thématiques abordées.
Pour conclure, nous citons une phrase de la description de la première vidéo YouTube du collectif :
« Y sobre todo, asumiendo el rol de protagonistas en este capítulo que reúne a las hinchas de cada rincón, de cada tribuna de La Bombonera, a transformar nuestro Boca Juniors querido en un club para todxs. »
Pour plus d’informations au sujet de Feminismo Xeneize, consulter les comptes Instagram @FeminismoXeneize ; ou les comptes associés de la Coordinadora sin Frontera de Futbol Feminista, qui regroupe les collectifs de joueuses professionnelles, semi-professionnelles, amatrices ainsi que les supportrices de nombreux sports pour construire un front commun d’espaces sportifs libres de violences machistes.
Ton article est sans aucun doute celui qui m’interpelle le plus. En effet, je porte beaucoup d’intérêt au monde du football que je considère être un reflet de nos sociétés. En tant qu’amoureux du ballon rond, et surtout de ce qui l’entoure, je ne peux que me réjouir de voir émerger une identité féministe chez un club de renommée comme le Boca Juniors.
De mon point de vue, le football, à travers les supporters et supportrices, porte de multiples identités : populaire, linguistique, religieuse, nationale, régionale, ouvrière, historique, etc. De voir le féminisme prendre sa place dans cet univers qui peut se montrer à la fois magnifique et hostile pour certaines populations, ne peut que participer positivement à la culture footballistique déjà si riche. Le fait de diffuser un message féministe engagé au sein des tribunes de la Bombonera (et plus largement au sein de la grande famille du Boca) permet de diffuser un message qui atteindra des populations partageant un même amour du club avec Feminismo Xeneize, mais peu sensibles aux causes féministes. Le stade, les chants et les banderoles proposent une tribune pour s’exprimer qui porte une charge symbolique très forte chez des supporters ou supportrices passionné.e.s comme ceux du Boca. Bien entendu, les membres du collectif utilisent les médias sociaux pour diffuser leurs idées et revendications, mais de s’afficher dans l’environnement de football avec des codes propres à ce dernier reste le moyen le plus puissant à mes yeux. Il est le seul qui permet de rejoindre le club et ses fans de manière authentique. Elles ont totalement raison de le faire, le football reste un monde ouvert aux expressions politiques et philosophiques même si d’autres y verront peut-être un simple jeu cupide. Comme disait Jean-Claude Michéa dans Les intellectuels, le peuple et le ballon rond :
« Signaler l’intérêt philosophique d’un livre qui célèbre le football a en effet toutes les chances d’apparaître comme une provocation déplacée à une époque où le mépris des sentiments et des passions populaires est devenu un métier et passe pour une vertu. »
Qu’un collectif comme celui-ci prenne sa place dans cet univers qui suscite autant d’émotions et d’attentions en Argentine ne peut que lui bénéficier. Et si des collectifs comme Feminismo Xeneize prennent de plus en plus de place dans les tribunes au fil du temps, il s’agira d’une victoire pour le football populaire face au football moderne et désincarné qu’on tente de nous imposer depuis des années.
Merci pour ton partage !