La maison Magnolia Cartonnera voit le jour en 2014 – à Curitiba au Brésil – sous l’impulsion de Daniele Carneiro et Juliano Rocha, deux jeunes artistes indépendants (images des deux fondateurs ci-dessous). La fondation de Magnolia Cartonnera est l’aboutissement de plusieurs projets ayant pour vocation de facilité l’accès à la lecture. La genèse de ces différents projets remonte à 2012, avec la création de la Biblioteca Comunitaria do Sitio Vanessa localisée dans la partie rurale de l’État du Paraná, au sud du Brésil. Cette bibliothèque communautaire permet aux personnes issues des régions reculées d’avoir un meilleur accès aux productions littéraires, incitant dès lors les communautés locales à la lecture et à l’échange culturel. Le blog de la Biblioteca Comunitaria do Sitio Vanessa parait la même année et met à disposition de sa communauté diverses publications littéraires ainsi que celles à venir.
Source : @Magnoliacartonnera
En 2013 est fondée l’action Leie, empreste ou devolva, donnant accès à plusieurs tutoriels et vidéos sur les différentes étapes à suivre pour permettre à tous ceux qui le souhaitent de fonder sa propre bibliothèque communautaire. L’idée de créer la maison d’édition Magnolia Cartonnera naquit à la suite d’un voyage dans la capitale de l’État du Rio Grande do Sul, Porto Alegre, où Daniele et Juliano font la découverte de l’existence des éditions cartonneras. À l’époque, les deux artistes sont invités à une soirée où sont présents des membres de la Cartonnera Boca de Rua composée uniquement par des personnes vivant dans les rues de Porto Alegre. Ces livres sont fabriqués à partir de carton réutilisable, de façon artisanale, et à un prix tout à fait abordable. Cette manière de produire des livres façonne le jeune couple du fait de son originalité : il donne un visuel agréable au livre, permet de produire à moindre coût tout en diminuant drastiquement l’impact écologique.
Ainsi, Magnolia Cartonnera voit le jour en 2014 au terme d’un travail de longue haleine. Ce combat mené par Daniele Carneiro et Juliano Rocha met en exergue une industrie du livre strictement tournée vers le marché économique. A contrario de cette pensée mercantiliste, Daniele Carneiro explique dans une vidéo datant de 2018 l’intérêt de publier des livres cartonneras. Ces derniers offrent la possibilité à toutes personnes qui le souhaitent de publier ses ouvrages, essais ou écrits scientifiques, contrastant fortement avec l’idée d’un marché lucratif, propre à l’industrie du livre. Les maisons cartonneras deviennent donc un vecteur important de publications indépendantes, subversives et dont l’attrait n’est pas la rentabilité économique.
Le premier projet cartonnera apparaît tout d’abord en Argentine (2003), dans un contexte de crise socio-économique palpable. Washington Cucurto et Javier Barilaro fondent Eloisa Cartonnera, dans une ville de Buenos Aires marquée par une crise imputée par le néolibéralisme. Les plans de réajustement de l’économie mondiale, acté par le Consensus de Washington (1989), débouchent sur un désengagement progressif de l’État tout au long de la décennie 1990. Dès lors, la rentabilité prime sur la qualité : les maisons d’édition n’échappent pas à ce nouveau schéma et se convertissent en de véritables industries motivées par le profit, complexifiant dès lors le paysage éditorial. Se pose alors la question de former des espaces littéraires alternatifs n’ayant pas une vision mercantiliste des publications littéraires. De cette problématique émergents des projets éditoriaux underground, à l’instar des maisons d’édition cartonneras qui réfutent la logique commerciale du livre.
La première édition cartonnera Brésilienne surgit en 2007, Dulcinéia Cartonnera, étroitement en lien avec les productions littéraires des cartonneras présentes dans les pays hispano-américains. Même si le contexte économique et social du Brésil en 2007 n’est pas défavorable, comme cela fut le cas en Argentine en 2003, la maison Dulcinéia Cartonnera prône le même combat que ces pairs latino-américains, à savoir la création d’espaces de résistances et d’échanges culturels et artistiques. Pour illustrer ce lien entre les différentes cartonneras présentes en Amérique Latine, nous avons repris la citation suivante :
« L’édition cartonnera au Brésil est l’exemple même d’un lien étroit avec les territoires de langues espagnoles et d’une demande de relations spécifiques entre les univers linguistico-culturels propres au Brésil et aux pays de langues hispaniques ».
Fanjul, A. P. Malha fina cartonera : Novidade e projeto formador. Alea : Estudos Neolatinos, 18(2), 2016, 370, traduction de l’auteur
Parmi les différentes publications de la maison Magnolia Cartonnera, mises à dispositions sur le site Bibliotecas do Brasil, 7 livres ont été publiés depuis sa parution en 2014. Le prix moyen du livre tourne aux alentours des 40R$ (soit environ 6,13 euros) avec la possibilité de payer en 2 fois sans frais de livraison et sur tout le territoire brésilien. Tous les livres vendus sont à exemplaire unique et fabriqué de la main du talentueux Juliano Rocha qui confectionne sur mesure chacun des livres commandés. Les principaux thèmes traités dans les ouvrages portent sur la question centrale des bibliothèques « libres » et « communautaires » et ce pour quoi elles permettent un meilleur accès à la lecture tout en contournant les lois du marché. Nous retrouvons ce thème dans 2 des livres publiés par la Magnolia Cartonnera : Guia Pratico para Bibliotecas Comunitarias, Bibliotecas Mudam o Mundo.
Guia pratico para bibliotecas comunitaria est divisé en 6 chapitres guidant pas à pas celles ou ceux qui veulent mettre en place une bibliothèque communautaire. Celles-ci sont des structures autogérées et indépendantes, cherchant à promouvoir des espaces de lectures significatifs au sein d’une communauté locale. La logique marchande ne rentre pas en ligne de mire, puisque rappelons-le, le but initial d’une bibliothèque communautaire est de servir l’intérêt collectif. De ce constat, nous notons que les publications littéraires présentes sur la page web de Magnolia Cartonnera revêtent un aspect transgressif qui s’articule avec le combat prôné par les maisons d’édition indépendantes.
Au même titre que l’ouvrage Guia pratico para bibliotecas comunitarias, Bibliotecas mudam o mundo valorise les bienfaits que procure une bibliothèque communautaire. De surcroît, s’ajoutent à cela d’autres thèmes abordant la question des minorités présentes dans la société, dont la communauté LGBT, bien souvent en situation de vulnérabilité. Paru en 2016, le livre tient compte du contexte difficile auquel fait face le pays : le Brésil traverse une grave crise économique et sociale. Depuis 2014, le pays met en place d’importantes coupes budgétaires, notamment dans l’éducation et la santé. Cette situation s’aggrave avec la destitution de Dilma Rousseff en 2016 et l’arrivée de Michel Temer : le Brésil gèle les dépenses publiques et les inégalités sociales se creusent davantage. Ce livre se veut comme une solution alternative aux mesures d’austérités prônées par les deux derniers gouvernements, plongeant un nombre croissant de Brésiliens dans l’extrême précarité. Le chapitre 4, intitulé Desenvolvimento humano (développement humain) peut servir d’exemple à ce titre. Selon les cofondateurs de la Magnolia cartonnera, ce chapitre cherche à promouvoir les idées suivantes :
« Dans les 3 textes de ce chapitre vous serez informé des programmes dédiés à offrir aux communautés lectrices des opportunités d’apprentissages, d’aides et formations professionnelles, en plus de fournir des espaces et outils pour l’émancipation individuelle de chacun »
Bibliotecas do brasil, traduction de l’auteur
En plus du contexte brésilien, le livre prend en compte la spirale réactionnaire qui caractérise un nombre croissant de pays. L’élection de Donald Trump en 2016 en est un symptôme : celui du repli des peuples sur eux-mêmes. Dès lors le livre se clôture avec deux textes qui proposent des solutions face à l’ignorance qui gagne du terrain. L’un deux, « Bibliotecas contra o odio » (bibliothèques contre la haine) cherche à démontrer le rôle important que tiennent les bibliothèques contre les discours de haine et d’intolérance qui visent les minorités et les condamnent à être cantonnés dans des positions subalternes. Ce texte vise à réunir plutôt qu’à diviser dans un contexte où les sociétés pâtissent de l’intolérance à l’égard de l’autre.
La maison Magnolia Cartonnera gagne en popularité au Brésil, mais aussi à travers le monde. Selon le site officiel de la maison d’édition indépendante, plus de 161 villes ont reçu une édition de Magnolia Cartonnera, dont des villes en Amérique du Nord mais aussi en Europe. En tout, Magnolia Cartonnera aurait vendu 1.000 livres dans 26 pays différents depuis ces débuts. Ce phénomène peut s’expliquer par un usage très maîtrisé des réseaux sociaux, moyen de communication indispensable aux maisons d’édition indépendantes. Dès lors, on retrouve Magnolia Cartonnera sur plusieurs plateformes digitales, dont Facebook, Twitter, YouTube, Instagram…
Grâce aux réseaux sociaux, chaque follower peut suivre en « temps réels » les actualités concernant la maison cartonnera. Cette stratégie est donc payante, puisqu’elle donne de la visibilité à échelle nationale ET internationale : les frontières ne représentent plus un frein à la popularisation de la maison cartonnera.
La maison Magnolia Cartonnera est une maison d’édition qui cherche à promouvoir l’échange culturel, la tolérance, la lecture pour tous et l’implantation d’une culture littéraire à échelle locale. Elle vise à lutter contre l’intolérance qui mine les sociétés actuelles et restreint les libertés individuelles. Le livre permet l’émancipation de tous dans la société, donne les outils pour penser et mieux agir, construire un monde meilleur où tolérance et prospérité sont des valeurs partagées. Magnolia Cartonnera n’est pas qu’une simple petite maison d’édition indépendante : elle cherche à démocratiser l’accès au livre à l’ensemble de la société.
Pour aller plus loin :
Fanjul, A. P. (2016). Malha fina cartonera : Novidade e projeto formador. Alea : Estudos Neolatinos, 18(2), 369‑374. https://doi.org/10.1590/1517-106X/182-369
ROSA, FGMG. « Os primórdios da inserção do livro no Brasil ». In PORTO, CM., org. Difusão e cultura científica: alguns recortes[online]. Salvador: EDUFBA, 2009. pp. 75-92. ISBN 978-85-2320-912-4. Available from SciELO Books <http://books.scielo.org
Oui, Macéo, Magnolia Cartonera fait un travail sans pareil au Brésil donnant – comme vous l’avez si justement dit – un accès à la lecture par et pour tous, popularisant les pratiques et donnant visibilité aux actions et projets autour de la lecture.
Il me semble qu’il serait intéressant aussi d’ajouter à votre présentation quelques mots à propos des leurs vidéos qui sont à disposition sur You tube (https://www.youtube.com/bibliotecasdobrasil) : plus d’une quinzaine de films dans un langage très accessible, avec le choix clair de faire rentrer dans leur univers personnel (par exemple montrant leur lieu de travail chez eux), sans faire l’économie de parler de leurs difficultés, des joies et des questionnements sur leur travail (prix du matériel, difficulté de trouver des contenus intéressant, la joie et la fierté d’un aboutissement, sans oublier le sens du recyclage).
Alors qu’il est dit dans leur site que le choix du nom de l’édition vient « du symbolisme de la fleur de magnolia qui représente la persévérance » ces vidéos viennent témoigner de cette persévérance dont Daniele Carneiro et Juliano Rocha font preuve depuis 2012 et ce même avec la COVID … qu’ils ont tenté de dépasser en proposant leurs cartoneras aussi dans le site « Amazones » .
Car, je ne suis pas certaine – et cela est ma seule critique à ton billet – que « la démocratisation du livre au Brésil s’est initiée en 1994, avec le plan de stabilisation du Réal brésilien » car il me semble que même dans les temps plus favorables économiquement, les livres coûtaient cher pour les brésiliens de classe moyenne (sans parler des plus fragilisés).
Je relève aussi un autre problème qui se pose pour les Cartoneras au Brésil : – tout ce qui est manuel, artisanal n’est pas valorisé au Brésil dans les classes défavorisées. Donc, raison de plus pour remercier vivement Daniele et Juliano pour leur excellent travail et à toi, Macéo pour nous le présenter ici !
Clairement, ce projet cartonero est celui qui résonne le plus avec celui que j’ai présenté. Les caractéristiques et objectifs du projet sont semblables, à l’image de la majorité des projets de ce type. On cherche essentiellement à promouvoir l’échange culturel en démocratisant l’accès à la littérature grâce à la fabrication artisanale d’ouvrages qui sont ensuite distribués à prix modique.
Cela dit, deux éléments rapprochent particulièrement nos deux projets.
Le premier élément est linguistique. Les deux maisons d’édition sont situées dans des pays qui ne sont pas hispanophones (États-Unis et Brésil) alors qu’il s’agit d’un mouvement surtout encré dans le monde latino-américain. Monde dans lequel l’espagnol est la langue d’usage principale. Cela fait en sorte qu’une dimension linguistique importante ressort des deux projets présentés. Comme tu le soulignes dans ton billet en citant Adrián Pablo Fanjul : « L’édition cartonnera au Brésil est l’exemple même d’un lien étroit avec les territoires de langues espagnoles et d’une demande de relations spécifiques entre les univers linguistico-culturels propres au Brésil et aux pays de langues hispaniques ». Cela témoigne d’un échange linguistique qui vient enrichir cet échange culturel. Cela ne peut qu’être bénéfique pour ces projets et leurs objectifs d’inclusion et de mise en relation.
Le deuxième élément de rapprochement réside dans le contexte politique des dernières années. Le passage de Donald Trump à la Maison Blanche et de Jair Bolsonaro au Palacio do Planalto ont provoqués une onde de choc parmi une part importante des populations des deux pays. En particulier chez les minorités linguistiques, ethniques et sexuelles. Les deux projets cartoneros ont donc évolué dans des contextes certes tendus, mais qui prouvent la pertinence de leur existence et de leur travail de terrain. Soit un travail auprès de populations souvent socioéconomiquement fragilisées par des politiques d’austérité au Brésil ou migratoires aux États-Unis. Il n’est donc pas surprenant d’apprendre que la maison Magnolia Cartonnera gagne en popularité au Brésil. Il s’agit d’un bon exemple de négociation du pouvoir par le bas.
Finalement, la principale différence qui m’a sauté aux yeux lors de la lecture de ton billet porte sur les fabricant.te.s des livres cartoneras. Au sein de la maison d’édition dont tu nous parles, deux personnes ont pour tâche de fabriquer les livres à la main. Mais on ne propose pas d’ateliers de création ouverts à tous et à toutes. Il ne semble pas y avoir d’activité de ce type à l’image du Workshop proposé par la maison d’édition états-unienne que j’ai présenté. Peut-être qu’il s’agit d’une idée qui y sera imitée dans quelques années.
Merci pour ton partage !
Merci pour ton partage, j’en ai appris plus sur le concept des cartoneras grâce à ton article.
Celui-ci a particulièrement attiré mon attention car comme toi je suis sensible à ce qu’il se passe au Brésil. L’accès à la lecture est un élément très important dans l’éducation d’un enfant car l’apprentissage de la lecture permet de renseigner sur divers sujets, suivre l’actualité, nourrir sa culture et elle permet également à chacun de se faire son propre avis et d’échanger avec autrui. Elle est essentielle et c’est pour ça qu’on nous l’enseigne dès petit. Malheureusement, nous n’avons pas tous accès à l’école et donc à l’enseignement à la lecture.
La création d’une maison comme Magnolia Cartonera permet de populariser la lecture dans un pays tel que le Brésil.
Peut-être qu’il aurait été intéressant de remettre ton sujet dans son contexte et donc donner quelques informations sur l’apprentissage de la lecture au Brésil, de l’accès aux enfants à cet apprentissage, au taux d’alphabétisation plus ou moins important, etc.
On suit tout au long de ton article les avancées du projet, les dates clés, les acteurs principaux et le travail déployé par ces derniers.
Ton article contient énormément d’images et d’illustrations ce qui permet de visualiser ce dont il est question et c’est agréable.
Une partie de ton article a été dédiée aux différents tweets du compte de Magnolia Cartonnera, nous avons accès à leurs tweets en temps et en heure et nous, lecteurs, pouvons interagir directement depuis la plateforme du blog, point positif.
Petit bémol, mais il doit s’agir d’une maladresse, tu écris à plusieurs reprises le mot “Cartonera” en doublant le “n” alors que la maison Magnolia n’en porte qu’un seul.