Apparue à Buenos Aires en 2003, les éditions cartoneras se sont développés en réponse à la crise économique argentine et au manque de matière première pour l’élaboration des livres. On considère Eloísa Cartonera comme la première maison d’édition de ce type. Ce modèle d’éditions s’est rapidement répandu dans toute l’Amérique Latine et dans d’autres pays à travers le monde comme le Mozambique, l’Espagne et la Finlande.
La première maison mexicaine cartonera «La Cartonera » est apparue sur scène en 2008. Cette maison d’édition indépendante à but non lucratif est basée à Cuernavaca, à 80 km au sud de Mexico. Cette maison cartonera a publié plus de 60 titres, par 170 auteurs, dans 7 langues, et a fabriqué plus de 10 000 livres fait main. Ses fondateurs sont Nayeli Sánchez et Dany Hurpin. L’édition cartonera « La Cartonera » a pris de l’ampleur depuis 2008, et on compte aujourd’hui une trentaine d’éditeurs de ce type à travers le pays. Les années précédant sa fondation, le Mexique s’est retrouvé submergé par l’éruption de maison cartonera.
A l’ère de l’information numérique, ces œuvres cartoneras représentent un contrepoint original qui démontre que le concept du mot « livre » est large, riche et plein de nuances. Il faut comprendre que ces livres sont le produit de lacunes économiques et non de lacunes culturelles. Face à une industrie éditoriale difficile d’accès, les éditions cartoneras constituent une solution ingénieuse. Elles prennent leurs noms des personnes qui récupèrent le carton. Leur champ d’action se place entre la production littéraire, la pratique artistique et l’action communautaire. Aujourd’hui, cette alternative à l’industrie éditoriale s’est développé de manière importe. On compte plus de 250 éditions cartoneras en Amérique Latine et au-delà.
Ces éditeurs cartoneros sont des collectifs communautaires qui fabriquent des livres artisanaux en petits tirages de 100 à 120 exemplaires. Ils utilisent du papier recyclé produit en série et impriment leurs textes dans les magasins de photocopieurs locaux. Le carton est collecté par la communauté ou alors racheté auprès de ramasseurs de déchets ou de fournisseurs plus importants. Les pages sont alors assemblées et cousues sur les couvertures en carton. Les couvertures de la Cartonera sont peintes individuellement à la main. La distribution des livres cartonera se partage entre vente, cadeau et échange.
« La Cartonera » publie principalement de la poésie. Ce genre littéraire s’adapte bien au format court publié par la maison d’éditions cartonera. Elle participe au festival du livre cartonero à Lima au Pérou. Les salons du livre sont importants pour les petites maisons d’édition comme celle-ci. Le salon du livre de Cuernavaca en Juillet permet d’exposer les livres à un public qui les trouverait difficilement dans des grandes librairies. « La Cartonera » entretient également un lien avec la France, puisque ses livres sont vendus dans 3 librairies françaises spécialisées dans les livres latino-américains. Parmi les auteurs publiés par « la Cartonera », on cite Malcom Lowry, ayant vécu à Cuernavaca, dont le roman Under the Volcano s’y déroule. On retrouve également Anne Sexton, lauréate du prix Pulitzer, le français Rémi Blanchard, le poète péruvien Pedro Granados ou encore Edgar Artaud Jarry, un auteur mexicain membre d’un mouvement de révolution littéraire « infrarealiste ». Le catalogue de publication de « La Cartonera » est donc international avec des éditions bilingues, combinant l’espagnol avec le náhuatl, le portugais, l’anglais et le français.
« La Cartonera » ne se limite pas uniquement à l’édition. Elle mène des activités en occupant des places et des rues et en coproduisant des œuvres sociales avec le grand public. Elle contribue à une reconfiguration de l’espace public. La création de livres implique non seulement la production de livres mais aussi de nouvelles relations dans la communauté.
En dépit de nombreuses tentatives visant à mettre en œuvre de nouvelles réformes de politique publique, le Mexique présentait toujours d’importants niveaux d’inégalités et de pauvreté. Il est, comme beaucoup de pays d’Amérique Latine, confronté à de graves problèmes de violence sur son territoire national. De ce fait, « La Cartonera » mène des actions organisées contre la violence. De par son orientation sociale et de ses antécédents contre-culturels, l’édition cartonera vient à jouer un rôle actif dans la société civile et les mouvements sociaux de leurs villes respectives. En 2011, après l’assassinat du fils d’un poète et journaliste publié par « La Cartonera », on assiste à la création du Mouvement pour la justice et dignité. Sa première caravane ou longue marche débute à Cuernavaca à Mexico. La maison d’édition « La Cartonera » en fut dès le début le porte-parole officiel. Elle organise des ateliers de fabrication de panneaux dans le cadre du Mouvement pour la paix avec justice et dignité. Lors des semaines de protestation, les activités de « La Cartonera » ont pris un accent davantage politique et engagé en se déplaçant sur la place publique. La toile réalisée a été détruite par les forces de sécurité en prévision d’une visite du gouverneur de l’Etat.
« La Cartonera » organise des ateliers réguliers du samedi, où ami, artistes et membres du public se réunissent pour peindre les couvertures de livres en cartonera. Ces ateliers deviennent des espaces d’expression par le biais de micro événements. Ces activités sont hébergées au Casona Spencer, l’ancienne demeure du sculpteur et artiste anglais John Spencer, aujourd’hui convertie en galerie et théâtre. Les ateliers sont l’une des principales caractéristiques de réalisations de « La Cartonera ». Ils permettent la création d’une communauté artistique et la facilitation d’un espace de rassemblements sociaux et d’expression créative.
Pour ses dix ans, en 2018, « La Cartonera » a sorti un documentaire « Sueños de Cartón » qui retrace l’histoire de la maison d’édition avec l’intervention des fondateurs.
Références :
- http://edicioneslacartonera.blogspot.com/
- http://cartonerapublishing.com/
- https://publishingperspectives.com/2017/08/mexico-la-cartonera-handmade-books/
- Article scientifique de Patrick O’Hara et Lucy Bell « Cultural Responses the War on Drug: Writing, Occupying, and ‘Public-ing’in the Mexican City » 2020.
- Medeiros Passos, Anaís. « Violence, trafic de drogue et sécurité publique au Mexique », Pouvoirs, vol. 171, no. 4, 2019, pp. 109-117.
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