Le Colectivo Catalejo est un collectif uruguayen autogéré fondé en 2012, qui se considère comme « médiactiviste » centré sur les droits humains. À ce titre, il développe des produits audiovisuels, très principalement des vidéos, dans le but de sensibiliser aux problèmes sociaux qui affectent la population, enrichir le débat citoyen et promouvoir la participation sociale et culturelle.
Le collectif s’intéresse à des thématiques récurrentes depuis sa création, comme la mémoire, le féminisme, la sécurité, ou les droits des jeunes. C’est d’ailleurs autour de cette thématique que le Colectivo Catalejo a vu le jour en 2012, lorsqu’un référendum proposait de baisser l’âge de la responsabilité pénale en Uruguay (de 18 à 16 ans). Les membres fondateurs s’étaient d’abord réunis autour de la réalisation d’un documentaire visant à donner la parole aux principaux concernés par le référendum, mais qui étaient absents du débat public : les jeunes de 15 à 18 ans. Suite à ce premier documentaire intitulé Dieciséis, le collectif s’est formé puis consolidé, élargissant son champ d’action à d’autres thématiques sociales. L’ensemble de leurs productions est diffusé via le site web du collectif et hébergées sur YouTube.
Sur les thématiques récurrentes, chaque année les membres du collectif sortent dans la rue pour filmer les marches et manifestations comme celles du 20 Mai, jour de la Marche du Silence depuis 1996, où l’on honore le nom des disparu.e.s de la dictature militaire uruguayenne, ou bien celles du 8 Mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, comme le montre la vidéo ci-dessous, tournée en 2021.
Une part importante des productions du Colectivo Catalejo se fait également en réponse à l’actualité sociale et politique de l’Uruguay. Ce billet propose d’analyser une vidéo du collectif réalisée en 2019 dans un contexte bien particulier, celui d’un référendum concernant une réforme sécuritaire. En effet, à l’appel du sénateur Jorge Larrañaga (Partido Nacional, plutôt conservateur), un projet d’amendement constitutionnel avait reçu le nombre de signatures nécessaires pour être soumis au vote du peuple uruguayen. Sous le slogan « Vivir sin miedo », ce projet regroupait 4 amendements principaux :
- la création d’une garde nationale (2 000 militaires chargés de missions de maintien de l’ordre en collaboration avec la police),
- l’interdiction de l’allégement de certaines peines de prison,
- la légalisation de la prison à perpétuité,
- la possibilité pour les forces de police d’effectuer des raids la nuit.
Les secteurs les plus progressistes se sont alors mobilisés dans l’objectif d’expliquer pourquoi le fait de donner davantage de pouvoir à la police et à la justice n’était pas la solution aux problèmes de sécurité du pays, appelant clairement à voter contre l’application de cette réforme lors du référendum. Le Colectivo Catalejo a participé à sa façon à cette campagne, c’est-à-dire en réalisant un vidéoclip, intitulé No es nada nuevo, en collaboration avec le jeune rappeur uruguayen Pipø.
Dans la séquence d’introduction, on peut observer plusieurs visages de chefs d’États, puis des scènes de répression provenant de différents pays. Ensuite, la musique en elle-même commence, les images ont été filmées principalement dans les rues de Montevideo et à l’intérieur d’habitations. On y voit essentiellement des jeunes, dans des scènes plutôt banales de vie quotidienne mais qui, dans le même temps, semblent exprimer des symptômes liés à la peur (tremblements et paralysies). D’une manière générale, la peur est d’ailleurs omniprésente dans l’ensemble du vidéoclip, on la retrouve dans les images des jeunes qui fuient et sur les visages des protagonistes, ainsi que dans les paroles :
« Vivir sin miedo no es poner al milico en acción »
paroles de « no es nada nuevo »
On pourrait traduire cette phrase en français par « Vivre sans peur ne signifie pas mettre le militaire en action ». Il y a ici une référence directe à la campagne de soutien à la réforme, Vivir sin miedo, qui fait référence à la peur supposée des citoyen.ne.s face à l’insécurité. Insécurité que le camp conservateur propose de traiter uniquement par la voie répressive, contrairement à ses opposants qui prônent plus de moyens dans l’éducation, par exemple.
Parmi les 4 amendements de la réforme, celui qui indigne le plus le camp progressiste est la création d’une garde nationale, en d’autres termes, la possibilité de mettre à nouveau les militaires dans la rue. Il est important de rappeler que l’Uruguay a connu une longue période de régime civil-militaire durant laquelle le pouvoir a été cédé par les politiques aux militaires, cette période a même débuté quelques années avant les dates officielles de la dictature (1973-1985). Durant ces années sombres, le régime militaire a eu principalement recours à l’emprisonnement et aux disparitions forcées, comme forme de répression, contre toute personne perçue comme « subversive ».
Les questions de mémoire, justice et vérité concernant la responsabilité de l’État uruguayen et le sort des victimes sont toujours très présentes dans le débat public. On constate que depuis 1985, ces questions sont très influencées par les partis politiques au pouvoir, les gouvernements les plus conservateurs ont toujours eu tendance à prendre des mesures favorisant l’impunité. Tandis qu’à partir de la prise de pouvoir du Frente Amplio (coalition allant de la gauche au centre-gauche) en 2005, nous avons observé les premières condamnations d’anciens militaires et policiers pour des faits commis durant la dictature. En résumé, les questions de mémoire, justice et vérité n’avancent pas vite et sont encore loin d’être réglées en Uruguay.
« No es nada nuevo ellos ya estuvieron,
Refrain de « no es nada nuevo »
Tenemos miedo de tener más miedo »
Le refrain de la chanson exprime ouvertement la « peur d’avoir peur à nouveau », en faisant donc référence à ce passé dictatorial encore bien présent dans les esprits et en rappelant qu’il n’y aurait rien de nouveau à voir des militaires dans la rue. Au moment du refrain, dans le vidéoclip cette référence est illustrée par des images de bottes de militaires marchant au pas.
Finalement, le référendum concernant ce projet de réforme a eu lieu le 27 octobre 2019, en même temps que les élections présidentielles qui ont vu un retour de la droite au pouvoir avec la victoire de Luis Lacalle Pou. Mais la réforme sécuritaire, quant à elle, a été rejetée par les uruguayen.n.es à 53,17 %.
Pour aller plus loin :
- « El mediactivismo puede tomar diferentes matices de apropiación por parte de los colectivos », Hemisferio Izquierdo, 12 mai 2017.
- Sur le contenu de la réforme (en castellano) : https://www.elobservador.com.uy/nota/-cuales-son-las-cuatro-propuestas-de-larranaga-y-cuando-se-deben-aplicar-si-prosperan–2019225134123
- Allier Montaño, Eugenia, « Les disparus politiques en Uruguay, entre l’histoire et la mémoire », Conserveries mémorielles, n° 10, 2011.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.