#BigData, un espace médiatique indépendant contre-hégémonique
#BigData est un fanzine numérique qui naît en 2019 à la suite du mouvement social et citoyen de l‘Estallido social qui éclate en octobre de la même année au Chili. Ce mouvement social est la conséquence de 30 années de promesses démocratiques non tenues par les partis de la Concertation (partis centre-gauche) et témoigne de la lassitude des Chiliens de la classe moyenne face au maintien coûte que coûte d’un modèle économique néo-libéral insoutenable. Ce modèle dit du « jaguar » se caractérise par une privatisation des secteurs de la santé, de l’éducation ou encore des transports et entraîne l’endettement de nombreux chiliens. Un fanzine est à l’origine une publication, imprimée ou en ligne, institutionnellement indépendante et réalisée par des amateurs dans le but de donner une visibilité à des personnes ou des thématiques en dehors des sentiers battus.
El Fanzine #BIGDATA es un espacio de reflexión y creatividad, independiente
Phrase de présentation de la genèse du fanzine disponible à l’adresse suivante https://fanzinebigdata.cl/somos/
Le nom de ce fanzine chilien fait directement référence au concept informatique de la « big data », qui regroupe des données issues de sources multiples, pour les analyser et en retirer une information qui aide ensuite à prendre une décision ou à procurer une solution. En ce sens, #BigDATA se présente comme un média fédérateur. Son comité éditorial cherche à réunir des mouvements et des pratiques qui, jusqu’à peu, se développaient selon des voies/voix différentes. Cette rupture avec le modèle hégémonique du média traditionnel, qui a tendance à ne traiter les sujets que de manière unifocale, se retrouve aussi dans l’hétéroclisme des membres qui composent cette « Grosse donnée ». Ses 6 membres appartiennent à des domaines d’expertise divers tels que l’art, l’oenologie ou la sociologie.
Une ligne éditoriale qui lutte contre l’exceptionalité de la race blanche chilienne
#BigData aspire à une profonde transformation sociale, économique et politique basée sur le concept du « buen vivir » hérité de la cosmogonie des peuples des hautes terres andines et plus largement l’ensemble des groupes indigènes dispersés sur le continent américain. En sociologie, discipline phare de la directrice du fanzine Karen Rosenfeld, la réutilisation du « buen vivir » vise à éliminer les erreurs et les limites de la matrice de pensée eurocentrique et à surmonter l’idée communément admise du capitalisme comme seule façon possible de penser et de vivre. Le « buen vivir » nous met en garde contre l’impossibilité de maintenir le schéma actuel mais invite surtout à considérer et reconnaître la diversité culturelle. Il s’agit plus largement d’une invitation à la recherche d’une vie de fraternité et de coopération. C’est pourquoi les 20 numéros publiés par le fanzine depuis 2019 proposent pour thématique récurrente la reconnaissance des peuples autochtones (droits, cultures, …) à travers le prisme des performances artistiques alternatives.
Focus sur la rénovation de la langue chocholteco-nigba par Mitzy Juarez
Le dessin comme forme de lutte : une artiste engagée dans la sauvegarde du patrimoine linguistique et culturel de l’État de Oaxaca.
Mitzy Juárez est une jeune dessinatrice et éditrice mexicaine originaire de la ville de Tamazulapam dans l’état de Oaxaca. Il s’agit d’un dernier fief où l’on trouve des locuteurs de la langue chocholteco-ngiba, qui est l’un des dialecte maya. Elle-même locutrice de cette langue de tradition orale, elle voit en grandissant le nombre de locuteurs ngiba baisser. Or pour Mitzy, qui l’explique très clairement dans une interview accordée au média RisingVoices, perdre la langue c’est s’exposer à perdre son territoire, son histoire et voir à long terme disparaître les Ngiba.
Au mois d’octobre 2019, elle décide alors d’entreprendre un projet sur sa page Instragram. Chaque jour du premier 1er au 31 octobre 2019, elle y publie un vocable illustré bilingue sous forme de vignette. Cette initiative activiste a pour but de redonner de la visibilité à la langue chocholteco et plus largement à la culture minoritaire ngiba, qui depuis les années 1900 tend à être supplantée par le nahualt ou le mixtèque qui jouissent d’un meilleur prestige institutionnel.
En 2020, il ne restait que 847 locuteurs de la langue chocholteca-ngiba.
Données de l’INEGi (Instituto Nacional de Estadística y Geografía)
Ce projet n’est que le premier d’une longue série de publications et sert d’incubateur à d’autres oeuvres numériques mais aussi papiers.
Les œuvres physiques de l’artiste sont uniquement vendues via sa messagerie instantanée sur Instagram et éditées par la maison d’édition indépendante Semilla Corazón, dont elle est la co-fondatrice avec Alexis Frausto.
Le numérique pour rendre tangible la tradition orale
Avant d’être éditées sous la forme de fanzines, de livres de contes ou de jeux ou avant d’être publiées sous une forme délinéarisée sur les réseaux sociaux, les illustrations sont peintes à la main.
Ce n’est qu’après avoir été dessinées et colorées par l’artiste que les aquarelles sont retravaillées via un logiciel d’édition graphique. Elles sont ainsi corrigées et améliorées. L’artiste s’attache à conserver cette première étape artisanale et se refuse à passer à la création numérique, qu’elle trouve limitante dans la création et restrictive d’un point de vue chromatique.
Les réalisations de la jeune artiste s’adressent à la jeune génération de l’État d’Oaxaca et, de fait, le passage par le numérique était inévitable pour capter ce nouveau public qui consomme massivement du contenu en ligne. Toutefois l’édition de supports physiques lui semble tout aussi importante, car elle rend tangible une langue orale fugace et permet d’inscrire les savoirs dans le temps au travers des écrits. Le gouvernement mexicain a entendu cette nécessité. Ainsi dans le projet ambitieux d’écrire le premier livre bilingue (espagnol-chocholteco), intitulé Teki tri natxrixa ku rxi tatxrixa ou Cuentan los abuelos y abuelas, Mitzy Juárez a pu compter sur un soutien institutionnel au travers du Programa de Acciones Culturales Multilingües y Comunitarias (PACMyC), mis en place pour la première fois par le gouvernement mexicain en 2009.
En reconnaissance de son travail en faveur du recouvrement du capital symbolique ngiba, Mitzy Juárez fut, depuis 3 ans et à de nombreuses reprises, l’invitée de divers webinaires internationaux. En 2020, elle participa au « Taller de iniciación al activismo digital de lenguas indígenas » organisé par le media RisingVoices en partenariat avec l’ambassade du Canada afin de partager son expérience d’artiviste digitale. En juillet 2022, #BigDATA lui dédie un article au sein de la rubrique « Conversamos con nuestrxs amigxs artistas » du n° 20 de sa collection intitulé « Arte de Resistir o Arte como resistencia ». Ces nombreuses interventions médiatiques, sont l’occasion pour cette artiste engagée de promouvoir le cyber-espace comme une scène majeure d’expression et de revendications des causes et droits autochtones.
Pour en savoir plus: https://rising.globalvoices.org/lenguas/2021/06/26/entrevista-mitzy-juarez/
DE LA CUADRA Fernando. « Buen Vivir:¿ Una auténtica alternativa post-capitalista ? », Polis. Revista Latinoamericana, 2015, n°40, p. 7-19.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.