Présentation de l’auteure

Celerina Patricia Sánchez Santiago est une conteuse, poète, traductrice et promotrice culturelle mexicaine de premier plan. Née le 3 février 1967 à Mesón de Guadalupe dans la municipalité de San Juan Mixtepec dans l’Etat de Oaxaca, elle parle et écrit le Tu’un ñuu savi (mixtèque) et l’espagnol. Étudiante de la prestigieuse École nationale d’anthropologie et d’histoire (ENAH) en linguistique, elle excelle en tant que conteuse orale et devient poétesse en 1997.

Contexte

Celerina Sánchez accorde une grande importance à l’oralisation de ses poèmes en mixtèque. Elle tient à ce que le son de sa langue natale soit entendu. D’abord pour les membres de sa communauté qui ne savent pas lire, mais aussi pour ceux qui n’ont jamais entendu cette langue. Elle aspire à ce que les jeunes indigènes vivant à Mexico, sa ville de résidence, puissent écouter les sonorités originaires.

L’auteure refuse d’inscrire sa poésie dans un courant littéraire particulier, cherchant plutôt à restituer ses expériences de vie, ancrées dans leurs contextes. Pour cela, on lui a reproché de nombreuses fois son « absence de style propre », niant son parti pris littéraire.

«  Generalmente yo escribo de mi cultura, de mi lengua, de ese dolor que se sufre en el transportar de una cultura a otra, de la situación como mi ser mujer. », déclare-t-elle.  (Celerina Sánchez, amor por la poesía en versos mixtecos, El universal, Oaxaca, 2019).

En effet, la poésie de Celerina Sánchez est empreinte d’une dimension auto-biographique, ou teintée d’empirisme. Elle laisse transparaître la condition indigène de l’auteure et son expérience du racisme.

A l’école, Celerina Sánchez subit déjà moqueries et exclusion de la part de ses camarades car elle ne parle pas l’espagnol. Cette discrimination se perpétue lorsqu’elle quitte son village pour travailler chez une famille métisse où elle subit des humiliations et des violences physiques. Marquée par ce sentiment de rejet, en arrivant à Mexico elle préfère taire ses origines et renonce à parler dans sa langue maternelle.

Son expérience du racisme se perpétue dans sa communauté d’origine, dont les membres remettent en question sa pratique littéraire et sa capacité à impacter les consciences avec ses écrits. 

« Desde mi cultura hay casas que son difíciles de tocar, hay muchos tabús respecto al cuerpo, a la sexualidad o al erotismo. Porque, ¿cómo tocas estos temas sin agredir, sin que la gente sienta que estás transgrediendo el pensamiento de toda una comunidad? Y también me sigue causando problema que la gente no te crea que escribes. Si escribes te dicen: « ¿y tú lo hiciste? ». Preguntarse si un indígena puede escribir es en el fondo una muestra de racismo. » (Celerina Sánchez, amor por la poesía en versos mixtecos, El universal, Oaxaca, 2019).

Pourtant, Celerina Sánchez est portée par le désir de valoriser son peuple et de soutenir sa reconnaissance, ainsi que par le besoin personnel de se connecter à ses racines et de s’y découvrir. Celerina Sánchez écrit donc dans sa langue maternelle, le Tu’un ñuu savi, mais surtout elle déclame ses poèmes au nom des « sans-voix ». (Celerina Sánchez, amor por la poesía en versos mixtecos, El universal, Oaxaca, 2019).

Sa passion pour l’écriture et la narration de vers découle d’une tradition familiale. Son père avait l’habitude de lui raconter des histoires, à elle et à ses frères et sœurs, dès leur plus jeune âge. Malgré cette relation étroite avec la narration orale, la poésie l’a conquise dès l’école primaire, lorsqu’elle commençait à écrire à l’âge de 13 ans. Cependant, les responsabilités liées à l’apprentissage d’une nouvelle langue et à ses engagements matrimoniaux ont freiné son envie de s’exprimer en vers.

« Yo ya no pude estudiar, me casé a los 18 años. ¿Qué te puedo decir? Mi vida se acabó. Ahora lo veo así, porque en ese momento tú vives la vida, no te cuestionas.» se souvient-elle.

Le parcours de la narratrice ñuu savi a été bouleversé par la mort de son mari.« De todo lo que he pasado, creo que lo que me ayudó a sobrevivir fue la lectura, porque cuando él muere yo me quedo sola con mis hijas (…) ¿Qué podía yo hacer, a mis 27 años? Pero hubo personas que realmente me ayudaron. »

Celerina Sáchez veut porter la voix de ceux que le Mexique ignore et valoriser leur culture. Pour elle, la culture est comme une « fenêtre » pour percevoir le monde de l’autre qui ne doit pas être forcément identique au sien.

Participation active aux évènements littéraires

Celerina Sánchez s’est activement impliquée dans divers événements poétiques, tant au Mexique qu’à l’étranger. Elle a notamment participé à « Mujeres de su palabra : Chicanas and Indigenous Women’s Testimonies » à l’Université de San Antonio au Texas (UTSA) ou encore à « el encuentro de Mujeres Indígenas en el Arte, Sueños y Realidades » tenu dans plusieurs villes telles que Tuxtla Gutiérrez au Chiapas, Hermosillo dans le Sonora, Guadalajara dans le Jalisco et dans le Veracruz et sa capitale. Elle honore aussi de sa présence le Deuxième Congrès International des Langues à la Faculté de Médecine de l’Université de Buenos Aires (UBA) en Argentine.

Surtout, Celerina Sánchez se mobilise lors d’événements de narration orale en mixtèque au musée mobile El Papalote et par le biais de nombreux congrès de forums de la langue tu’un ñuu savi. En 2003, elle participe de la première réunion d’analyse de la langue mixtèque et de proposition pour sa sauvegarde, sa diffusion et sa mise en œuvre scolaire à l’Université Technologique de la Mixteca à Huajuapan de León dans l’Etat de Oaxaca.

Prix obtenus

De 2004 à 2007, elle a occupé le poste de locutrice dans l’émission « Perfiles indígenas » sur Radio Ciudadana. En 2006, elle a été récompensée par la première place lors de la 5ème Rencontre de la Poésie des Langues Indigènes.

En outre, elle a bénéficié d’une bourse décernée par le Fondo Nacional para la Cultura y las Artes (FONCA).

Le recueil « Káku-ta’án/ Nacimiento dual »

Le recueil intitulé « Káku-ta’án », signifiant « Nacimiento dual », est un livre audio, élaboré en collaboration avec le musicien Víctor Gally et publié par les Ediciones del Lirio/ Ciesas en 2019, réunissant 22 poèmes qui fusionnent les sonorités Nuu Savi et blues.

« Toda la música que Víctor construyó está basada en mis poemas. Trabajamos con una dinámica en la que yo leía, mientras él iba componiendo; así construimos esa parte de la fusión de tono musical de blues con poesía », commente Celerina Sánchez. (Proponen diálogo entre poesía y blues; publican Natsiká, nuevo audio-libro, Excelsior, 2019)

« Entre su palabra y mi música hubo mucho entendimiento desde el primer encuentro. Al trabajar los poemas tratamos no sólo de respetar la melodía de cada uno, sino también su carga emocional. Nuestra intención fue generar una sensación en quien lo escuchará », ajoute Víctor Gally. (Proponen diálogo entre poesía y blues; publican Natsiká, nuevo audio-libro, Excelsior, 2019)

Par ce recueil oral et musical, les deux artistes traitent de la cosmogonie Nuu Savi et son lien profond au langage, vecteur de diffusion et de revendication culturel.

« Creo que la esencia de la poesía en lenguas originarias es ser local, pero al mismo tiempo universal, y eso se logra sólo a través de la lengua. Que no se quede en la localidad, queremos que nuestra poesía trascienda y que se pueda leer en cualquier geografía; pero, al mismo tiempo, que se lea en la comunidad y la gente la sienta muy suya », explique Celerina Sánchez. (Proponen diálogo entre poesía y blues; publican Natsiká, nuevo audio-libro, Excelsior, 2019)

Le poème Natsiká (Viaje)

Le poème intitulé « Natsiká », signifiant « Viaje » constitue une forme de témoignage de l’auteure qui voyage vers ses origines mais aussi vers l’ailleurs par le biais des mots. Le langage Nuu Savi y apparaît comme créateur d’identités individuelles et collectives mais aussi comme une passerelle entre différents mondes. En tant que poétesse, Celerina Sánchez entraîne son auditoire au-delà des frontières culturelles.

En voici un extrait :   

Natsiká

Tsíká tsaá nuú ñu’ún yo’ó nchaa tsana’á
nuú ntsitsika kue natsanú nda’á tsi chí iso
nuú nikanchí tsi kue yoo savi
ra yo’o ingáyu tisi kue tú in núu ndó o
Tu’un tsá viíñaa ndakani tsi naa ndaku’un ino
Tu’un ñaa tsa a chi I takua ndaki on ichí
Kue tu’un ñña kunu in ora ndakasía nuúgo
Tu’un ñaa sa a yivi

Viaje

Con mis pies descalzos he recorrido el camino de los ancestros
donde las abuelas caminaron con pasos firmes y contudentes
bajo el sol de muchas primaveras para no morir
aquí estoy con mi tenate de palabra
con un canto a su historia y su memoria
las palabras son fuerza/valor/camino
y van tejiendo nuestro ser
palabras que construyen mundos

Ce poème entrelace habilement des termes évoquant à la fois l’idée du déplacement et celle du langage. Le martèlement du mot « palabras » souligne la puissance intrinsèque des mots, qui, combinés avec la force de la nature, permettent à la fois un retour authentique vers les origines mais aussi une progression vers la construction de nouveaux mondes. Avec la focalisation interne, l’auteure rend compte de son propre parcours vers l’appropriation de sa culture ancestrale et invite le lecteur qui s’identifie à ses mots à emprunter ses traces vers la culture mixtèque.

Viaje, Celerina Sanchez y Víctor Gally

Publications :

Ouvrages :

2021. Tasu yùùti/ Águila de arena. México, Ed. Oralibrura.

2018. Natsiká, Kaku ta’an-Nacimiento dual, poesía y blues, México, Pluralia Ediciones.

2013. Ichí Inií/Esencia del camino. México, Pluralia Ediciones – Instituto Nacional de Bellas Artes (INBA).

Traductions :

2014. Ñàá ndasatatu kue kuendu Kue Naá Nko’yo / Antología de cuentos mexicanos de Lauro Zavala, México, Ed. Minimalia / INBA.