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Médiatisation des incendies de la forêt de Leiria de 2017 : Enjeux sociétaux et environnementaux

L’énorme incendie du 15 octobre 2017 dans la forêt de Leiria (considérée comme le poumon du Portugal), a été un phénomène d’une ampleur inégalée dans l’histoire du pays. En effet, un grand incendie est survenu à Pedrógão Grande quatre mois auparavant, dans la même région.

Quelles leçons sont tirées de ce désastre ? Que nous apprend le traitement médiatique de cet événement sur la prise de conscience ou de son absence ? La préservation des forêts est-elle devenue un enjeu de société ? L’analyse d’articles récents sur le sujet de l’hebdomadaire régional Região de Leiria permet d’apporter quelques éléments de réponse.

Qu’est-il arrivé ce week-end là ?

Le samedi 17 juin 2017, à Pedrógão Grande, dans la région de Leiria, située au Centre du Portugal, un énorme incendie a coûté la vie à 62 personnes, en a blessé plus de cinquante et a embrasé 30 000 hectares de forêt, malgré le déploiement de plus de 800 pompiers.

Nul ne pouvait imaginer qu’un autre grand incendie allait avoir lieu, là encore, hors période estivale. Les feux du 15 octobre 2017 dans la forêt de Leiria (connue aussi par forêt du roi, en hommage au roi D. Dinis) ont été un phénomène jamais enregistré dans l’histoire du pays, alors que, précisément dans cette forêt, un plan de prévention des incendies existe depuis plus de cent ans afin d’éviter ce type de catastrophe, grâce aux portions de terrains séparées par de larges couloirs.

Malgré l’intervention des pompiers l’incendie s’est avéré incontrôlable. Fort heureusement, aucune victime humaine ne fut à déplorer. La population resta traumatisée par cette catastrophe naturelle.

Ce 15 octobre 2017 ce sont les départs de deux incendies éteints, qui se sont rallumés et transformé ce jour en un véritable cauchemar. Ni la population ni les professionnels des incendies n’étaient préparés à un tel événement, surtout à cette période de l’année. En dépit de leurs interventions, privés de moyens nécessaires pour agir devant la force des flammes sur le terrain, les feux se sont avérés impossibles à maitriser en raison de vents violents, qui changeaient brutalement de sens, et des accès difficiles à l’intérieur de la forêt, permettant ainsi la propagation du feu.

La magnifique forêt de Leiria, plantée sous le règne de D. Dinis, sept siècles auparavant, ne fut plus que l’ombre d’elle-même. Le passage des flammes les 15 et 16 octobre finit par dévaster 86 % des 10 177 hectares arborisés. Une grande partie de la flore et la faune, ainsi que des habitations et des entreprises situées à la périphérie de la forêt, furent profondément et durablement dévastées.

La forêt de Leiria divisée en 342 portions de terrain depuis 1865
(source : Unidade de Gestão Florestal do Centro Litoral »)

La terreur vécue par la population et les professionnels du feux dans les médias

L’ampleur du désastre fait la une des principaux médias de l’époque. La catastrophe est aussitôt relatée par la presse nationale et régionale. Un hebdomadaire, Região de Leiria, au cœur de cette réalité terrifiante, est particulièrement prolixe.  

Dès sa création, en 1935, le journal, qui représente la région de Leiria, bénéficie d’une certaine notoriété. Aujourd’hui, son tirage est d’environ 15 000 exemplaires par semaine.

Le jeudi 19 octobre 2017 (date de parution), la première page de l’hebdomadaire (édition n° 4205) est intitulée : « Cenário de guerra » c’est-à-dire scène de guerre. Il y est relaté l’enfer : après avoir envahi les « sanctuaires naturels » et les centres urbains, les incendies ont laissé les forêts ; qui entourent les plages de Alcobaça, Marinha Grande, Leiria et Pombal, dans une mare de cendres, ne restant que des « squelettes » d’arbres.

A partir de la quatrième page et tout au long des onze suivantes, les images remplacent les mots pour mieux faire prendre conscience au lecteur de la réalité infernale. Une des photos du journaliste Joaquim Dâmaso, prise à plus de 10 kilomètres du théâtre des incendies, nous dévoile la violence des flammes. On peut aussi voir les pompiers et la population luttant avec acharnement, unis dans un même combat, la désolation des cendres retombées dans la forêt révélant l’immense catastrophe sociale, environnementale et économique.

Tout au long de l’article, les 18 photos montrent clairement, comme un arrêt sur image d’un film d’horreur, l’intensité du phénomène naturel incontrôlable et dévastateur.

Sur plusieurs images du numéro, les dégâts causés par les flammes sont exposés de manière presque insupportable pour ceux qui connaissent la région.

Les années passent et nous voulons savoir ce qu’il en est, quatre ans plus tard, de cette triste réalité qui a meurtri tout un pays.

En 2021, le même hebdomadaire, Região de Leiria, publie au cours de l’année encore 150 articles sur le sujet en évoquant la forêt nationale de Leiria « a Mata Nacional de Leiria », la forêt du Roi « o Pinhal do Rei », la forêt de Leiria « o Pinhal de Leiria », la forêt « a floresta », l’incendie « o incêndio », et le feu « o fogo ».

Les journalistes qui s’intéressent à ce thème sont nombreux. Citons Camilo Soldado, Carlos Ferreira, Carlos S. Almeida, Carlos Oliveira, Joana Magalhães, Marina Guerra, Martine Rainho, Patrícia Duarte et Ricardo Camacho. Deux thématiques sont mises en évidence : les incendies et l’environnement.

En effet, 36 articles, dont 15 accompagnés d’une photo, relatent les embrasements. Notons toutefois qu’un seul occupe la première page de l’hebdomadaire. Ces articles ne sont pas signés. Seraient-ils de la responsabilité de la rédaction du journal ?

Prenons quelques exemples pour bien comprendre le sujet. Le texte du 29 avril souligne la mise en place de stratégies de gestion et de prévention des incendies forestiers dans la région sud-ouest. Celui du 16 septembre, plus court, informe le lecteur que la gendarmerie a à nouveau infligé une amende pour manque de nettoyage de la forêt, sans pour autant identifier le coupable. Celui du 23 décembre révèle de nouvelles mesures de prévention mises en place, cette fois-ci en utilisant des caméras infrarouges montées sur des drones. Le but est de renforcer la vidéo-vigilance de la forêt.

Le thème de l’environnement est plus important encore : 60 articles sont directement liés à ce thème et 41 d’entre eux sont accompagnés d’une photo. 6 articles font la une de l’hebdomadaire dont 3 sont illustrés par une photo ; plus d’un tiers des textes (24) ne sont pas signés. 

Les articles publiés en première page (en février, avril, mai, juillet, octobre et décembre) abordent la reforestation du territoire, une demande du Parti Socialiste afin que la forêt soit considérée parc national « parque nacional », la commémoration de la Journée Internationale du Recyclage, le mécontentement de la coupure d’arbres et rappelle, 4 ans plus tard, ce tragique incendie. Dans le dernier article de cette série, un arbre de 200 ans de la forêt de Leiria participe à un concours lancé pour élire l’arbre de l’année.

Les articles les plus longs (de 100 à 374 lignes) sont le plus souvent écrits par des journalistes connus localement. Ceux de Martine Rainho informent les lecteurs que 3107 terrains identifiés par la gendarmerie « Guarda Nacional Républicana » ne sont toujours pas nettoyés et que les entités responsables de l’entretien de la forêt ont été verbalisées.

L’article le plus long, signé par Ricardo Camacho, fait état de la reconversion d’une partie de l’industrie du ciment dédiée à la construction au profit de l’industrie du bois.

La parole est également donnée à des lecteurs qui s’expriment en deuxième page de couverture, c’est dire l’importance qui leur est accordée ! Un dénonce l’abattage d’arbres de façon indiscriminée (le 25 mars), un autre s’insurge contre le blocage durable d’un parking résidentiel, en raison d’un accès coupé aux services de secours, notamment en cas d’incendie (le 13 mai).

Le traitement médiatique 4 ans après les incendies

Cette brève analyse, non exhaustive, montre l’implication de la population (courriers envoyés à la rédaction), mais aussi des pouvoirs publics (mesures prises, rôle de la gendarmerie), relayée par l’hebdomadaire, vis-à-vis de la sécurité, de la forêt, et surtout de sa protection et de sa défense. Il est clair qu’un grand nombre de personnes veut prendre soin et protéger le patrimoine environnemental.

Même si certains défenseurs de la forêt se plaignent de la lenteur des mesures prises, il ne fait pas de doute, à la lecture des articles, que la gendarmerie est plus présente qu’elle ne l’était en 2017 dans la surveillance des territoires forestiers. Celle-ci n’hésite pas à verbaliser les propriétaires quand ils ne nettoient pas leurs terrains. 

Ajoutons qu’un moyenne une fois par mois, du printemps à l’automne, une photo revient sous forme d’alerte dans l’hebdomadaire « Portugal Chama ». Il s’agit de plusieurs organismes publics réunis sous l’appellation « République portugaise » qui se mobilisent pour sensibiliser et informer les citoyens sur les risques d’incendies de forêt. En 2021, ces alertes furent réalisées en mai, juillet, août, septembre, octobre.

Cependant, des questionnements demeurent : dans ce pays au climat méditerranéen, ne faudrait-il pas commencer à réaliser cette communication à la fin de l’hiver, au moment où la végétation se développe à grande vitesse avec l’arrivée du printemps ? Ne pouvons nous pas renforcer la communication de sensibilisation, qu’elle soit écrite, télévisée ou radiophonique, de façon plus régulière, notamment auprès de plus jeunes enfants ? Car le constat est clair, les feux existeront toujours, toutefois la forte sensibilisation serait peut-être d’une grande aide envers la population et l’environnement . La poursuite de cette étude, en analysant les articles d’un autre hebdomadaire, Jornal da Marinha Grande, nous permettra d’apporter des réponses plus approfondies sur ce sujet brûlant.

Enfin, le très bel hommage rendu à la forêt 3 jours après sa destruction

Sitographie :

ICNF – Instituto da Conservação da Natureza e das Florestas. [en ligne]. [consulté le 10 de janvier 2022]. Disponible sur : https://www.icnf.pt/

PORTUGAL CHAMA – República Portuguesa. [en ligne]. [consulté le 10 de janvier 2022]. Disponible sur : https://portugalchama.pt/

REGIÃO DE LEIRIA –  Jornal Regional [en ligne]. 1935. [consulté le 10 janvier 2022].  Disponible sur : https://www.regiaodeleiria.pt/

1 Comment

  1. anaisg

    Un très bel article de qualité, traitant particulièrement bien la représentation médiatique de cet événement bouleversant (à un plus d’un titre) mais aussi des enjeux environnementaux qu’il pose… et dans les deux cas, il reste au Portugal (hélas) beaucoup à faire. Bravo et merci pour cet article très enrichissant, complet, et fort bien écrit !