Au-delà de son beau sourire, Karla Barajas cache un style acéré qui dénonce la violence présente dans notre monde, et les différentes formes de pouvoir et d’oppression. Sous la plume de cette autrice mexicaine, des insectes se transforment en «métaphores de la force » (Cultura, 29 mars 2017), des animaux dangereux sont humanisés (« El secuestro de Raúl« ), et des femmes se rebellent contre leurs oppresseurs (« Donde hubo fuego », « La Mapacha« ). La violence est d’autant plus présente dans ses « mini fictions », car leur forme brève fait ressortir les images marquantes que l’écrivaine convoque. Pour comprendre son imaginaire, il semble nécessaire de s’intéresser aux raisons qui l’ont poussée à décrire ces violences, et au contexte dans lequel elle écrit.
Karla Barajas est née dans la ville de Tuxtla Gutiérrez, située dans l’Etat du Chiapas au Mexique, en 1982. Le Chiapas est l’« État le plus pauvre du Mexique, mais son premier fournisseur de pétrole, de café ou d’énergie hydroélectrique » (François Cusset, « Au Chiapas la Révolution s’obstine« , Le monde diplomatique, 2017), et c’est également une région forte historiquement par son lien avec le mouvement progressiste Zapatiste, comme le précise l’article de François Cusset: « Formée clandestinement en 1983, l’EZLN occupe les grandes villes du sud du Chiapas le 1er janvier 1994.[…] [En 1995], Le Chiapas devient alors l’épicentre des mouvements sociaux ». En somme, les habitants du Chiapas sont délaissés par l’Etat Mexicain, leurs terres sont convoitées par les multinationales pour leur pétrole, et l’expérience zapatiste s’y développe depuis plusieurs décennies. Concernant les féminicides, en novembre 2016 cet Etat, situé au sud-est du Mexique, a été le quatrième à lancer l’Alerte de Violences de Genre faites contre les femmes (voir Glossaire). Selon les données de l’information publique du BANAVIM, 8375 cas de violences ont été enregistrés depuis sa création, et parmi eux 7060 cas ont été perpétrés par des agresseurs hommes. Plus récemment, dans La Revista Enheduanna, Karla Gómez a écrit à ce sujet que le 17 janvier 2018, les « activistes et défenseuses des droits humains ont pris la rue » pour manifester leur colère après la mort de Gloria Balcázar, qui est la quatrième femme assassinée dans le Chiapas depuis le début de l’année. Karla Barajas est d’ailleurs l’une des instigatrices de la Revista Enheduanna, et dans un échange que nous avons eu avec elle, elle a précisé que:
En Chiapas las instituciones, hospitales, escuelas, casas, están normadas por el sistema heteropatriarcal, es una tristeza y se necesita tener muchos frentes feministas. Lorena Vasconcelos tuvo la idea junto con otras mujeres de realizar la primera Revista feminista donde el periodismo tuviera enfoque de género.
Au Chiapas les institutions, les hôpitaux, les écoles, les maisons sont normées par le système hétéro patriarcal, et c’est regrettable, mais il est nécessaire d’être sur tous les fronts féministes. Lorena Vasconcelos a eu l’idée, avec d’autres femmes, de créer la première Revue féministe dans laquelle le journalisme serait axé sur le genre.
C’est dans ce contexte, que Karla Barajas publie depuis 2004 des contes, des poèmes, des illustrations, des articles, des nouvelles, que ce soit dans la presse papier ou virtuelle. Dans La Revista Enheduanna elle écrit des articles sur l’actualité culturelle locale, et sur les problèmes de société – comme la santé, l’éducation, les violences faites aux femmes – dans la rubrique « Opiniones », depuis 2015 – et il est intéressant de noter qu’elle modifie sa façon d’écrire pour lutter contre le sexisme présent dans la langue, en adoptant des formes neutres, non genrées, lorsqu’elle a recours au « x » pour remplacer « o/a ». Par exemple, lorsqu’elle parle des enfants, elle écrit « lxs ninxs ». En plus des écrits journalistiques, elle a participé à des anthologies comme Cuéntame un blues, l’anthologie de mini-fictions (1antologiademinificcion) et la Poesía desde la coyuntura : voces para caminar (elle a publié des mini fictions dans le nº26). On peut également lire ses textes dans le collectif de journalistes El Beismán, sur la plateforme d’auteurs latino-américains LiberoAmérica, dans la revue de mini fictions Brevilla, dans l’espace de diffusion littéraire La Piraña, dans la revue Plesiosaurio, et sur le site Alquimia Literaria.
Elle a aussi publié les œuvres Valentina y su amigo pegacuandopuedes (dont elle est l’autrice et l’illustratrice) et La noche de los muertitos malvivientes chez Editorial Imaginoteca en 2016. Dans notre échange l’autrice nous a présenté plus en détail la première oeuvre:
Valentina y su amigo pegacuandopuedes es un libro cuyo objetivo es enseñar a las niñas a identificar las violencias machistas en sus diferentes niveles, me pareció fundamental el uso del color para indicar cuando estas se hacían presentes en alguna parte del libro y acompañar el texto con un violentómetro. Así cuando las niñas lean pondrán visibilizar los grados de violencia. Imprimo aproximadamente 50 ejemplares, los costuro y los vendo a precio de costo, porque específicamente el objetivo de Valentina es llegar a niños que identifiquen los niveles de violencia.
Valentina et son ami frappequandilpeut est un livre dont l’objectif est d’apprendre aux filles a identifier les violences machistes a ses différents niveaux : La couleur m’a parue essentielle pour indiquer à quel moment elles sont présentes dans les différentes parties du livre, et pour accompagner le texte avec un « violentomètre ». Ainsi, quand les filles lisent elles peuvent repérer les degrés de violence. J’imprime environ 50 exemplaires, je les couds et les vends à prix abordable, précisément parce que le but de Valentina est d’être accessible à tous les enfants pour qu’ils identifient les niveaux de violence.
L’année dernière elle a publié Neurosis de los Bichos chez l’éditeur indépendant La Tinta del Silencio. On parle de ce livre en particulier en première de couverture de la revue Chiapaneca Cultura, qui vante le style « clair, limpide et bref, teinté d’ironie » de l’autrice, tout en présentant Karla Barajas, les protagonistes de l’oeuvre, donc les insectes, et le format original de l’oeuvre – c’est un livre de poche au style minimaliste. Un article de La Revista Enheduanna y est également consacré : la journaliste décrit Karla avec beaucoup d’affection, comme lorsqu’elle écrit que « Karlita, marque toujours ses écrits hebdomadaires par un regard humaniste et féministe ». Elle analyse également son oeuvre avec du recul, et décrit le « reflet cru de la réalité » dans ses oeuvres. On peut aussi voir, dans cet article, des photographies de l’autrice aux côtés de ses lecteurs·trices. A l’échelle nationale, L’encyclopédie de littérature du Mexique l’a intégrée à ses fichiers, mettant en avant Neurosis de los bichos, mais elle n’a pas encore détaillé sa biographie, et n’évoque pas ses productions cyberlittéraires.
La production cyberculturelle de Karla Barajas est riche par sa diversité – illustrations, articles, poèmes, mini fictions, nouvelles, etc. –, mais aussi par ses supports. En publiant des textes sur des blogs littéraires et dans des revues plus spécialisées, en partageant ses écrits avec des cyberlecteurs·trices du monde entier, elle fait vivre sa région, son histoire, le combat féministe autrement que si elle s’était « contentée » des supports papier.
Nous avons choisi de mettre en valeur quelques unes de ses mini fictions, qui dénoncent les violences de genre et les féminicides, en les accompagnant par des photographies personnelles:
Karla Barajas, « Deconstrucción », Plesiosaurio, p.41
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