L’homosexualité est considérée comme une maladie jusqu’en 1985 au Brésil. Elle est donc soignée jusqu’à ce qu’un traité l’interdise en 1999, grâce aux différents mouvements en faveur de la reconnaissance des droits humains à partir des années 1970 (S. M. F. Koehler, 2013).
Ce n’est qu’en 2008 qu’une loi contre l’homophobie fut adoptée mais le sujet reste tabou et les stéréotypes persistent. L’absence de communication encourage les violences physiques et morales envers les gays, lesbiennes, transsexuels et travestis. À titre d’exemple, la psychologue Sonia Maria Ferreira Koehler souligne la forte présence d’harcèlement moral en milieu scolaire, menant au suicide de nombreux étudiants.
En 2003, le Disque 100 est mis en place par le Secrétariat des droits humains du Brésil pour recueillir les dénonciations d’intolérance. Selon lui, le tiers des actes violents en 2012 furent à l’encontre des LBGT. L’ONG Transgender Europe, quant à elle, met en évidence que la moitié des meurtres mondiaux envers les transsexuels et travesti entre octobre 2015 et septembre 2016 eurent lieu au Brésil. L’espérance de vie de ces derniers fut d’ailleurs estimée par l’Institut Brésilien de Géographie et de Statistiques (IBGE) à 35 ans en 2013, soit moins de la moitié d’un brésilien moyen (74,9 ans). (AFP, Le Point International, 05/10/2017).
En 2013, le mariage homosexuel devient légal au Brésil et la discrimination par les acteurs publics et commerciaux est désormais punie par la loi de l’État de Rio de Janeiro. Toutefois, cela renforce la visibilité des LBGT et, d’après Amnesty International, le nombre de meurtres à leur encontre a doublé entre 2000 et 2014. Selon le journaliste P. Diniz, la hausse des évangélistes au Brésil, dont les religions afro-brésiliennes et les LBGT sont les principales cibles, est également responsable de ces violences.
D’après l’Association Internationale de Lesbiennes, Gays, Bissexuels, Transgenres et Intersexes, le Brésil est le pays qui récence le plus grand nombre de meurtres de LBGT en Amérique et ces agressions sont en hausse : 18 % de plus entre 2016 et 2017. Selon la Rede Trans Brasil, 42 % de ces violences sont destinées aux travestis et transsexuels en 2016, qui sont des cibles faciles puisque 90 % d’entre eux sont marginalisés et doivent se prostituer pour subvenir à leurs besoins selon une estimation. Quant à l’harcèlement moral, il a aussi une grande place dans le taux de mortalité des transsexuels et travesti compte 64 tentatives dont 12 suicides effectifs en 2016.(Folha de São Paulo, 17/05/17)
Un mouvement militant contre la transphobie se développe dans les quartiers populaires du sud-est du Brésil et se communique grâce aux différents moyens artistiques publiés sur la toile. Linn da Quebrada est l’une de ces artistes multimédias. Transsexuelle de 27 ans, elle combat les stéréotypes de genre et exprime son engagement dans ses clips.
Le site internet officiel de Linn présente, en page d’accueil, une photo de l’artiste qui souligne son identité sexuelle en mouvement, grâce au chemin. Elle met en évidence son engagement vers le féminin à travers ses choix vestimentaires : des sous-vêtements et des bottines à talons hauts. Toutefois, le fait de se présenter en équilibre sur un tabouret démontre son refus sa « révolte » face à la binarité des sexes.
L’onglet « release » met en évidence la cause pour laquelle l’artiste s’engage dans son album. Elle y utilise des mots crus pour exposer la violence aux yeux de tous et affirmer une identité.
Elle se définit elle-même comme une « bixa, preta, loka e favelada » (huffpostbrasil,17/11/16), c’est-à-dire gay efféminé, noir, folle et d’une catégorie socio-économique peu développée.
Elle a grandit dans une famille de témoins de Jeova très rigide, dans un quartier pauvre de São Paulo. Son environnement la poussa donc à condamner sa différence jusqu’à l’âge de 17 ans. C’est au sein de son groupe de théâtre, à partir de 2013, qu’elle construit une réflexion sur les questions de genre et d’identité, et exprime celle-ci à travers différentes performances. Le mouvement de prise de pouvoir des personnes efféminées, en développement dans les quartiers pauvres, la pousse à s’engager envers la reconnaissance des minorités sexuelles et des femmes en général, sur le territoire brésilien. Elle dénonce pour cela les meurtres ainsi que les violences physiques et morales faites aux LBGT et devient un des leaders d’un réseau de soutien aux personnes efféminées. Son objectif est de participer au développement de la lutte féministe avec de nouveaux moyens, comme l’art, le théâtre et la musique, et sur de nouveaux territoires tels que la rue ou l’école. Selon elle, le regroupement des victimes de violences et persécutions leur permettra de se protéger et de se conforter entre eux.
La partie « videos » présente les clips de Linn da Quebrada sur une image en fond qui représente un torse sur lequel est inscrit « corpo sem juizo » (corps sans jugement). Elle publia sur internet son premier titre en 2016 : Enviadescer.
Le terme Enviadecer est un néologisme qui signifie devenir viado, c’est-à-dire un gay efféminé. L’artiste exprime dans ce clip, aux consonances provocatrices, son goût pour ce type d’homme, valorisant alors un genre qui est stéréotypé et ridiculisé dans la société brésilienne (Noise, 14/04/2017).
Linn da Quebrada diffuse son message dans ses clips musicaux à travers le funk brésilien dit « putaria » (franceculture.fr, 18/08/14). Ce style musical, provenant des Etats-Unis, intégra des tonalités africaines lors de son arrivée à Rio de Janeiro en 1980, et s’inspire aujourd’hui de plus en plus de la musique électronique mondiale. Le funk brésilien communique, dans ses textes, la réalité sociale des favelas, faite de drogues, violences et sexes. Le funk, dont les textes traitent souvent de la sexualité, est un moyen idéal pour exprimer son rapport au corps d’après Linn da Quebrada (Noise, 14/04/2017). Après son premier titre, l’artiste créa le clip « Mulher » qui remet en question la binarité des genres.
Elle lança ensuite une demande de financement collectif pour son album Pajubá sur la plateforme kickante. Afin d’encourager le financement, l’artiste proposa des prix tels que l’album sous forme de CD, des t-shirts, des soirées karaoké avec l’artiste ou même un concert privé à domicile. Le nombre de dons dépassa ses attentes et atteignit près de 12 500 € lors de la clôture, le 10 juin 2017. Le disque fut donc lancé le 6 octobre 2017, et contient 16 titres. Il est accessible gratuitement sur diverses plates-formes digitales.
Dans les textes de cet album, Linn da Quebrada souligne l’importance de l’acceptation et de la valorisation de sa propre différence identitaire. Elle combat avec humour le monde binaire imposé par la mémoire sociale et la religion. Aussi, elle met en exergue les violences envers la part féminine de chacun, que ce soit les femmes, les homosexuels, lesbiennes, transsexuels et travesti, mais aussi vers les communautés marginalisées comme les noirs et les populations pauvres. Elle réclame ainsi la reconnaissance de citoyenneté de ces groupes, et la protection de ceux-ci face aux intolérances. Son public est donc principalement composé des minorités sexuelles brésiliennes : gays, lesbiennes, bisexuels, transsexuels, travestis et transgenres.
Pour partager son message, Linn da Quebrada fait une campagne de promotion avec des tournées dans des lieux publics tels que des centres culturels, principalement à São Paulo. De plus, elle participera à la 68e édition du Festival de Berlin (15-23 février 2018) puisque le documentaire Bixa Travesti, créé Kiko Goifman et Claudia Priscilla, qui traite de l’engagement de Linn de Quebrada pour combattre les concepts préétablis par la société patriarcale, fut parmi les trois documentaires brésiliens sélectionnés. L’artiste espère ainsi développer son réseau d’appui et de connexion entre les minorités sexuelles au niveau international grâce à sa visite en Europe.
La forte exposition de Linn da Quebrada porta la presse à l’interviewer à de nombreuses reprises. Ainsi l’artiste ne se définit pas comme une chanteuse mais plutôt comme une personne qui tente tout simplement d’exprimer son opinion de différentes manières. Selon elle, si aujourd’hui ses chansons ont pour objectifs de casser les stéréotypes et d’aider les minorités sexuelles à sortir de la spirale de la peur, il s’agissait au départ d’une thérapie pour elle-même, qui lui permettait de légitimer son existence à travers la musique.
Enfin, l’onglet « projeitos » présente ses performances, qu’elle définit plutôt comme des expériences, dans différents espaces géographiques et artistiques. Elle y exprime aussi l’importance de la « spectacularisation » du mouvement pour assurer la visibilité et l’impact de celui-ci et accéder au respect de leurs droits.
Les réseaux sociaux facebook et Instagram retracent ses présences sur scène et encouragent, eux aussi, la révolte contre les actes de violences envers le féminin.
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